Ouvrières mexicaines participant à l'immense grève sauvage de Matamoros - Janvier 2019 |
Nous avons reçu de Prague les thèses suivantes, parues dans le numéro 20 de Neue Front
[1]. Elles sont publiées sous le titre « Marxisme révolutionnaire et
révolution socialiste » par un groupe de marxistes-révolutionnaires «
organisés dans la social-démocratie allemande ». Voici leur Conception
de la voie vers le socialisme. Nos critiques suivent.
1. L’expérience de toutes les révolutions, durant et depuis la guerre, a montré qu’une politique réformiste et opportuniste aboutit à la défaite de la classe ouvrière.
Le travail préliminaire à la révolution socialiste, à sa victoire et à sa consolidation, présuppose donc une rupture radicale avec toutes les politiques réformistes.
2. Cette rupture radicale exige un changement fondamental dans les moyens, les méthodes et les objectifs concrets de la lutte politique. Comme preuve de sa transformation interne et de son acceptation du marxisme révolutionnaire, le Parti doit abandonner son vieux nom de parti socialiste allemand (S. P. D.) et se transformer en un parti marxiste-révolutionnaire,
3. Notre objectif est la réalisation du socialisme sur la base d’une république socialiste allemande des soviets,sous la direction de la dictature du prolétariat. La dictature révolutionnaire est l’étape de transition nécessaire vers la société socialiste. La conquête de la liberté morale et individuelle, pour tous ceux qui subissent actuellement l’oppression fasciste, présuppose donc la destruction du système capitaliste au moyen de la dictature du prolétariat.
4. Pour mener cette lutte, le prolétariat a besoin d’un parti révolutionnaire conscient des objectifs. Ce parti ne pourra et ne devra se composer que de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat. Seuls pourront donc devenu: membres ceux qui auront subi avec succès l’épreuve de la lutte révolutionnaire, qui admettent le principe de la dictature du prolétariat et se soumettent inconditionnellement aux décisions du Parti. Le Parti utilise toutes les formes de lutte, légales et illégales. Sa tâche est de préparer et d’organiser des mouvements de masse, des grèves de masse et l’insurrection armée.
5. En cas de guerre, le Parti rejette toute forme déclarée ou dissimulée de « défense de la mère-patrie ». Bien plutôt, il appelle le prolétariat à l’aider pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile, afin de réaliser la dictature du prolétariat. La grève générale et l’insurrection armée sont deux des moyens à utiliser pour atteindre cet objectif.
6. Après la prise du pouvoir politique, le vieil appareil d’État sera totalement démantelé. Tout le pouvoir légal et l’autorité seront alors transmis aux conseils d’ouvriers, et aux conseils de petits paysans et d’ouvriers agricoles. Les conseils exercent la dictature du prolétariat. La direction de la dictature revient au parti marxiste-révolutionnaire.
7. La consolidation du pouvoir est prise en charge par le prolétariat en armes, jusqu’à la formation d’une armée socialiste.
8. La bureaucratie professionnelle sera abolie. Toutes les personnes exerçant une fonction publique seront nommées par les conseils et révocables à tout moment.
9. Afin d’apporter leur soutien à la dictature révolutionnaire, les ouvriers et les fonctionnaires s’organiseront en syndicats d’industrie.
10. Les imprimeries et les journaux seront réquisitionnés. La presse, la radio et toutes les autres sources d’information seront sous la surveillance et le contrôle des conseils.
11. L’ensemble de la propriété capitaliste sera expropriée sans indemnisation. L’obligation au travail pour tous sera mise en vigueur, ainsi que le contrôle de la production par les conseils.
12. Toutes les banques fusionneront en une banque centrale; il en sera de même pour toutes les compagnies d’assurances.
13. Toutes les hypothèques sur les fermes seront annulées. Le fermage sera aboli. Toutes les propriétés qui dépassent la superficie nécessaire à l’existence d’une famille (Familienackernahrung) seront expropriées sans indemnisation. On procédera à une nouvelle répartition des terres en fonction des besoins des paysans pauvres et des ouvriers agricoles. Les entreprises paysannes seront regroupées en associations (Genossenschaften), là où les conditions seront réunies, on créera de grandes entreprises agricoles pilotes.
14. Afin d’assurer le ravitaillement de la population, le regroupement de tous les consommateurs en coopératives sera rendu obligatoire. Le commerce de détail aura sa place dans le système de distribution de la république des soviets.
15. Le commerce extérieur sera centralisé en un monopole d’État.
16. La construction de l’économie socialiste s’effectuera sous la direction d’un bureau de planification économique (Planwirtschaftstelle).
17. Toutes les institutions culturelles, éducatives et récréatives seront administrées au profit de tous. L’art et la science seront pris en charge par l’État, qui leur apportera tout son soutien. Le but pédagogique de tous les établissements éducatifs sera de préparer à la vie dans la communauté socialiste.
LA RÉGRESSION
Après l’effondrement total de la
politique réformiste, ces thèses prônent la voie « révolutionnaire ».
Dans la thèse n° 2, les auteurs appellent cela une « rupture radicale »
avec la politique précédente, réclamant un « changement fondamental dans
tes moyens, les méthodes et les objectifs concrets de la lutte
politique ». L’objectif est ensuite présenté (thèse 3) comme « une
république socialiste allemande des soviets sous la direction de la
dictature du prolétariat ».
A première vue, ce programme semble effectivement en rupture totale avec la vieille politique de la social-démocratie, puisque l’idée d’une « république socialiste allemande des soviets » et de « la dictature du prolétariat » ont toujours été combattues avec véhémence par le parti socialiste allemand (S. P. D.). Mais, d’après les thèses suivantes (4-7) qui traitent du rôle du Parti avant et après la révolution, et où il est dit que les organes de la dictature du prolétariat seront certes les conseils ouvriers, mais, placés sous la « direction » du Parti, il est évident qu’une rupture radicale avec la politique de la social-démocratie est hors de question.
A première vue, ce programme semble effectivement en rupture totale avec la vieille politique de la social-démocratie, puisque l’idée d’une « république socialiste allemande des soviets » et de « la dictature du prolétariat » ont toujours été combattues avec véhémence par le parti socialiste allemand (S. P. D.). Mais, d’après les thèses suivantes (4-7) qui traitent du rôle du Parti avant et après la révolution, et où il est dit que les organes de la dictature du prolétariat seront certes les conseils ouvriers, mais, placés sous la « direction » du Parti, il est évident qu’une rupture radicale avec la politique de la social-démocratie est hors de question.
Il serait plus exact de dire que les
auteurs veulent revenir aux sources de la politique social-démocrate et
aux vieilles conceptions sur les moyens et les fins du socialisme. Car
en effet désormais il n’est devenu que trop évident que le S. P. D.
pendant et après la guerre a renoncé à toute politique socialiste, et
qu’en choisissant la voie du réformisme, il a dégénéré en un parti
démocratique de réformes. Par le fait même que cette politique
réformiste a abouti au fascisme, il n’y a pas lieu de parler de rupture
avec elle puisqu’elle a cessé d’exister.
A ses origines, le vieux S. P. D. voulait réaliser le « socialisme » mais il souhaitait y parvenir en utilisant les possibilités légales qu’offrait apparemment la démocratie bourgeoise. (Une fois devenu exclusivement démocratique, le S. P. D. rejeta les objectifs du socialisme et donc de la dictature du prolétariat.) Le S. P. D. s’est écroulé en même temps que cette démocratie bourgeoise à laquelle il était indissolublement lié. Quiconque veut encore réaliser le socialisme, découvre que de telles possibilités légales n’existent plus et doit donc chercher à atteindre son but par d’autres moyens. Or les moyens que ces thèses tentent de définir ne se différencient nulle part des conceptions que l’on trouvait déjà dans l’ancienne social-démocratie (avant son embourgeoisement). Les thèses 4 et 7 le prouvent irréfutablement. Les conceptions qu’elles exposent sont ni plus ni moins celles du parti social-démocrate russe (bolcheviks) qui ne suivit pas la voie démocratique du S. P. D. allemand.
On retrouve ici « le parti révolutionnaire conscient de l’objectif », « l’avant-garde » qui mène les masses dans les luttes et jusqu’à la victoire, qui prépare et organise les actions de masse, les grèves générales et l’insurrection armée. Et, après la victoire, c’est encore sous la direction du Parti que les conseils ouvriers doivent fonctionner comme organes étatiques, et les fonctionnaires et les ouvriers s’organiser en syndicats d’industrie. Les derniers doutes qui pourraient subsister concernant les détenteurs du pouvoir réel dans cette république socialiste soviétique ont balayés par la thèse 7 : « La consolidation du pouvoir est prise en charge par le prolétariat en armes jusqu’à la formation de l’armée socialiste. » Ce qui signifie qu’après la victoire, les ouvriers armés, indispensables au renversement des forces de l’État fasciste, devront remettre leurs armes et céder la place à une « armée socialiste », commandée évidemment par le Parti.
Débarrassée de toutes ses fioritures, c’est bien la vieille conception social-démocrate des moyens et des fins du socialisme qui resurgit : l’alpha et l’oméga de la lutte pour le socialisme, c’est la prise du pouvoir politique par le parti social-démocrate.
En fait, l’exemple de la révolution russe a prouvé que l’exercice du pouvoir par le Parti n’était nullement synonyme de « dictature du prolétariat »; il ne s’agit pas non plus d’une dictature du prolétariat qui s’effectuerait par l’intermédiaire de la dictature du Parti (pour reprendre la formule de la social-démocratie russe), mais bien d’une dictature sur le prolétariat. En effet, l’État-parti, en transformant l’ancienne économie capitaliste privée en une économie d’État, subordonne à nouveau les ouvriers, en tant que salariés, à cette direction étatique.
Les thèses 7 à 17 disent clairement que dans la construction du socialisme — c’est-à-dire dans l’organisation de l’économie par l’État-parti — il faut aussi suivre le modèle russe. Le point fondamental dans cette organisation de l’économie, est l’étatisation de tous les moyens de production avec l’État comme seul chef d’entreprise, sous Se contrôle des conseils ouvriers. Les petites exploitations agricoles et individuelles conservent une existence auto¬nome (ce qui, de toute évidence, n’est qu’une concession à la conjoncture du moment).
A ses origines, le vieux S. P. D. voulait réaliser le « socialisme » mais il souhaitait y parvenir en utilisant les possibilités légales qu’offrait apparemment la démocratie bourgeoise. (Une fois devenu exclusivement démocratique, le S. P. D. rejeta les objectifs du socialisme et donc de la dictature du prolétariat.) Le S. P. D. s’est écroulé en même temps que cette démocratie bourgeoise à laquelle il était indissolublement lié. Quiconque veut encore réaliser le socialisme, découvre que de telles possibilités légales n’existent plus et doit donc chercher à atteindre son but par d’autres moyens. Or les moyens que ces thèses tentent de définir ne se différencient nulle part des conceptions que l’on trouvait déjà dans l’ancienne social-démocratie (avant son embourgeoisement). Les thèses 4 et 7 le prouvent irréfutablement. Les conceptions qu’elles exposent sont ni plus ni moins celles du parti social-démocrate russe (bolcheviks) qui ne suivit pas la voie démocratique du S. P. D. allemand.
On retrouve ici « le parti révolutionnaire conscient de l’objectif », « l’avant-garde » qui mène les masses dans les luttes et jusqu’à la victoire, qui prépare et organise les actions de masse, les grèves générales et l’insurrection armée. Et, après la victoire, c’est encore sous la direction du Parti que les conseils ouvriers doivent fonctionner comme organes étatiques, et les fonctionnaires et les ouvriers s’organiser en syndicats d’industrie. Les derniers doutes qui pourraient subsister concernant les détenteurs du pouvoir réel dans cette république socialiste soviétique ont balayés par la thèse 7 : « La consolidation du pouvoir est prise en charge par le prolétariat en armes jusqu’à la formation de l’armée socialiste. » Ce qui signifie qu’après la victoire, les ouvriers armés, indispensables au renversement des forces de l’État fasciste, devront remettre leurs armes et céder la place à une « armée socialiste », commandée évidemment par le Parti.
Débarrassée de toutes ses fioritures, c’est bien la vieille conception social-démocrate des moyens et des fins du socialisme qui resurgit : l’alpha et l’oméga de la lutte pour le socialisme, c’est la prise du pouvoir politique par le parti social-démocrate.
En fait, l’exemple de la révolution russe a prouvé que l’exercice du pouvoir par le Parti n’était nullement synonyme de « dictature du prolétariat »; il ne s’agit pas non plus d’une dictature du prolétariat qui s’effectuerait par l’intermédiaire de la dictature du Parti (pour reprendre la formule de la social-démocratie russe), mais bien d’une dictature sur le prolétariat. En effet, l’État-parti, en transformant l’ancienne économie capitaliste privée en une économie d’État, subordonne à nouveau les ouvriers, en tant que salariés, à cette direction étatique.
Les thèses 7 à 17 disent clairement que dans la construction du socialisme — c’est-à-dire dans l’organisation de l’économie par l’État-parti — il faut aussi suivre le modèle russe. Le point fondamental dans cette organisation de l’économie, est l’étatisation de tous les moyens de production avec l’État comme seul chef d’entreprise, sous Se contrôle des conseils ouvriers. Les petites exploitations agricoles et individuelles conservent une existence auto¬nome (ce qui, de toute évidence, n’est qu’une concession à la conjoncture du moment).
TRAVAIL SALARIÉ ET ÉCONOMIE ÉTATISÉE
Le socialisme que les auteurs ont en vue
se révèle donc être une économie étatisée. Associée à la planification
économique, à l’élimination de la concurrence, source de crises, et du
profit, et au plein emploi des forces productives, elle est conçue comme
le moyen d’élever le niveau de vie des masses dans son ensemble.
Puisque la propriété privée des moyens de production s’oppose à la
rationalisation de l’économie — et, qui plus est, en cas de crise
durable empêche tout emploi des forces productives — l’abolition de la
propriété privée apparaît comme l’objectif immédiat. De là découle la
nécessité de concentrer l’économie sous l’autorité centrale de l’État. A
ce stade, il revient aux savants, aux statisticiens, aux ingénieurs
d’organiser effectivement l’économie. Ainsi conçue, la construction de
l’économie socialiste apparaît comme un problème organisationnel
(Lénine), comme une généralisation et un accomplissement de la tendance
déjà amorcée par le capitalisme sous la forme des trusts et des cartels.
L’État devient un trust titanesque qui, grâce à son hyper-organisation,
renverse les obstacles s’opposant à une plus grande expansion de la
production.
L’évolution russe a prouvé qu’une telle
étatisation de l’économie n’est rien d’autre que le capitalisme d’État.
L’ouvrier demeure un salarié, désormais rivé au travail par la
contrainte étatique (thèse 11). Il travaille dans des entreprises d’État
et vend sa force de travail à l’État, qui la lui paye sous forme de
salaire. Ainsi l’État joue-t-il le rôle du capitaliste privé exproprié.
C’est lui qui désormais dirige le travail salarié, c’est lui par
conséquent qui commande et exploite les ouvriers. La force de travail
devient une marchandise, tout comme dans le système du capitalisme
privé; elle est évaluée par rapport à un produit déjà fabriqué (les
moyens de subsistance, que l’ouvrier reçoit sous forme de salaire). Elle
devient une marchandise, ce qui signifie qu’elle est ravalée au niveau
d’une chose, privée de toute volonté individuelle. De sujet, elle
devient objet. Mais comme l’ouvrier ne peut se dissocier de sa force de
travail, il en va de même pour lui; il devient une chose, il est ravalé
au niveau de l’objet, afin d’être utilisé par le propriétaire des moyens
de production comme un autre « moyen de production ». Il n’est pas
besoin d’arguments supplémentaires pour établir que la condition de
salarié, qui est celle de l’ouvrier dans cette économie étatisée,
détermine également sa position sociale.
Mais l’exemple russe ne prouve pas seulement que le socialisme officiel n’est en réalité qu’un capitalisme d’État, et que la production étatisée n’est pas la production en fonction des besoins mais bien la production ordinaire de marchandises. Il a aussi révélé la formation d’un nouvel élément dirigeant qui dispose à sa guise de la propriété étatique et en arrive ainsi à occuper une position privilégiée [2]. Cet élément a tout intérêt à voir s’accroître le pouvoir d’État, puisque c’est précisément ce dernier qui garantit sa position sociale privilégiée. Comme il concentre entre ses mains tous les moyens matériels et politiques de la société, c’est lui aussi qui dirige l’orientation du développement ultérieur. Comment s’étonner alors qu’il lutte exclusivement pour accroître la propriété étatisée et pour magnifier le pouvoir d’État!
Une fois que la production sociale a pris la forme de l’entreprise d’État, l’évolution sociale qui s’ensuit est déterminée par les rapports de pouvoir ainsi créés.
Mais l’exemple russe ne prouve pas seulement que le socialisme officiel n’est en réalité qu’un capitalisme d’État, et que la production étatisée n’est pas la production en fonction des besoins mais bien la production ordinaire de marchandises. Il a aussi révélé la formation d’un nouvel élément dirigeant qui dispose à sa guise de la propriété étatique et en arrive ainsi à occuper une position privilégiée [2]. Cet élément a tout intérêt à voir s’accroître le pouvoir d’État, puisque c’est précisément ce dernier qui garantit sa position sociale privilégiée. Comme il concentre entre ses mains tous les moyens matériels et politiques de la société, c’est lui aussi qui dirige l’orientation du développement ultérieur. Comment s’étonner alors qu’il lutte exclusivement pour accroître la propriété étatisée et pour magnifier le pouvoir d’État!
Une fois que la production sociale a pris la forme de l’entreprise d’État, l’évolution sociale qui s’ensuit est déterminée par les rapports de pouvoir ainsi créés.
Les ouvriers sont dépossédés, chaque
jour, dans le procès de travail, et ils le sont en fait par l’État,
propriétaire général, qui s’approprie les produits du travail. L’État
est le propriétaire, l’administrateur de la richesse sociale. C’est lui
qui organise et dirige le procès social de production. Il incarne le
pouvoir qui détermine la répartition individuelle du produit social et
distribue les marchandises. Pour saisir la spécificité de cette
organisation sociale, il suffit d’imaginer l’appareil administratif de
toutes les entreprises privées capitalistes, les compagnies boursières,
les syndicats, les trusts, etc., associé au pouvoir politique de l’État.
C’est ainsi que se présente l’État en tant qu’entrepreneur unique : un
conglomérat de tous les organes administratifs de la propriété privée.
Car, de même que l’administration du capital privé est improductive et
sert uniquement comme organe d’appropriation des produits fabriqués par
le travail des autres, l’appareil bureaucratique ne crée pas non plus de
produit et n’a pour but que d’assurer à l’État la production issue du
travail salarié dans les entreprises étatisées.
Ainsi, le développement de l’économie étatisée est caractérisé par un antagonisme qui ne peut aller qu’en s’exacerbant. D’un côté, accumulation de possessions et de pouvoir dans les mains de la bureaucratie, car l’État c’est elle; de l’autre, les ouvriers salariés et leur travail, dont l’État s’approprie les produits.
Plus la richesse sociale s’accroît sous la forme de propriété d’État, plus l’exploitation des ouvriers salariés augmente, ainsi que leur impuissance. C’est aussi leur paupérisation qui s’accroît et, conséquemment, la lutte de classes entre ouvriers et bureaucratie d’État. Pour s’affirmer dans cette lutte, la bureaucratie n’a pas d’autre choix que d’étendre l’appareil de répression étatique. Celui-ci se renforce à mesure que s’aiguise l’antagonisme des classes. Plus l’État est riche, plus la pauvreté des ouvriers est grande, et plus aiguë aussi la lutte de classes.
Ainsi, le développement de l’économie étatisée est caractérisé par un antagonisme qui ne peut aller qu’en s’exacerbant. D’un côté, accumulation de possessions et de pouvoir dans les mains de la bureaucratie, car l’État c’est elle; de l’autre, les ouvriers salariés et leur travail, dont l’État s’approprie les produits.
Plus la richesse sociale s’accroît sous la forme de propriété d’État, plus l’exploitation des ouvriers salariés augmente, ainsi que leur impuissance. C’est aussi leur paupérisation qui s’accroît et, conséquemment, la lutte de classes entre ouvriers et bureaucratie d’État. Pour s’affirmer dans cette lutte, la bureaucratie n’a pas d’autre choix que d’étendre l’appareil de répression étatique. Celui-ci se renforce à mesure que s’aiguise l’antagonisme des classes. Plus l’État est riche, plus la pauvreté des ouvriers est grande, et plus aiguë aussi la lutte de classes.
LE POINT DE VUE PROLÉTARIEN
Les ouvriers salariés ne peuvent se
satisfaire d’un tel « socialisme », même s’il devait les inonder de
bienfaits matériels (ce qui, de plus, reste très douteux). L’abolition
de la domination du capital : tel doit être le but de leur lutte. Le
sens de leur combat, c’est d’en finir avec les rapports capitalistes;
afin qu’ils ne soient plus achetés comme force de travail et, en tant
que force productive, ravalés au même niveau que les machines dans le
procès de production, sous le commandement des nouveaux maîtres. Ils
doivent devenir eux-mêmes les maîtres de leur production, ainsi que de
celle réalisée par les machines. Ils doivent s’emparer des moyens de
production, afin de les gérer et de les administrer au nom de la
société, devant laquelle ils sont responsables. Ils doivent parvenir à
assumer eux-mêmes la direction et le management de la production,
l’administration et la distribution des biens produits, s’ils veulent
réaliser l’unité de l’humanité dans une société sans classe, et éviter
de retomber dans l’esclavage.
Cette lutte a aussi pour conséquence de dégager une autre problématique et d’ouvrir de nouvelles perspectives, contrairement à ce qui se produit chez les intellectuels. Des nouvelles conceptions s’élaborent, concernant la régulation des rapports humains dans la production sociale; des conceptions qui, aux yeux des intellectuels, semblent incompréhensibles et passent pour utopiques ou irréalisables. Mais ces conceptions se sont déjà concrétisées d’une puissante manière lors des soulèvements révolutionnaires des ouvriers salariés. Elles se sont exprimées pour la première fois sur une grande échelle pendant la Commune de Paris, qui cherchait à renverser l’autorité centralisée de l’État par l’auto-administration des communes. Ce sont elles qui poussèrent Marx à abandonner l’idée (exprimée dans le Manifeste Communiste) selon laquelle l’économie d’État mènerait à la disparition de la société de classes. Ce sont ces conceptions aussi qui furent à l’œuvre dans les conseils d’ouvriers et de soldats des révolutions russes et allemandes en 1917-1923, où elles acquirent parfois une force déterminante. Et aucun futur mouvement révolutionnaire prolétarien n’est concevable sans que cette force y joue un rôle croissant et, finalement, prépondérant. C’est l’auto-activité des larges masses travailleuses qui se manifeste dans les conseils ouvriers.
Cette lutte a aussi pour conséquence de dégager une autre problématique et d’ouvrir de nouvelles perspectives, contrairement à ce qui se produit chez les intellectuels. Des nouvelles conceptions s’élaborent, concernant la régulation des rapports humains dans la production sociale; des conceptions qui, aux yeux des intellectuels, semblent incompréhensibles et passent pour utopiques ou irréalisables. Mais ces conceptions se sont déjà concrétisées d’une puissante manière lors des soulèvements révolutionnaires des ouvriers salariés. Elles se sont exprimées pour la première fois sur une grande échelle pendant la Commune de Paris, qui cherchait à renverser l’autorité centralisée de l’État par l’auto-administration des communes. Ce sont elles qui poussèrent Marx à abandonner l’idée (exprimée dans le Manifeste Communiste) selon laquelle l’économie d’État mènerait à la disparition de la société de classes. Ce sont ces conceptions aussi qui furent à l’œuvre dans les conseils d’ouvriers et de soldats des révolutions russes et allemandes en 1917-1923, où elles acquirent parfois une force déterminante. Et aucun futur mouvement révolutionnaire prolétarien n’est concevable sans que cette force y joue un rôle croissant et, finalement, prépondérant. C’est l’auto-activité des larges masses travailleuses qui se manifeste dans les conseils ouvriers.
Il n’y a là plus rien d’utopique : c’est
la réalité en acte, Avec les conseils d’ouvriers, le prolétariat a
élaboré la forme organisationnelle appropriée à la lutte qu’il mène pour
sa libération. Ainsi, il ne s’agit nullement d’une utopie, d’une
théorie vide, lorsque ces conseils ouvriers, partout où ils se
regroupent sur la base de la production, dans les usines, en
organisations d’usines, visent à s’emparer eux-mêmes des moyens de
production et à diriger la production. C’est une exigence formulée au
cours des événements par de larges masses de travailleurs. Les
intellectuels devront mettre fin à ce combat par la force, s’ils veulent
imposer leur contrôle dans l’économie d’État.
Du point de vue des conseils ouvriers, le
problème de l’organisation économique ne revient pas à savoir comment
la production doit être dirigée, et organisée au mieux dans ce sens,
mais bien comment les rapports entre les êtres humains seront réglés en
fonction de la production. Car pour les conseils la production n’est
plus un processus objectif, dans lequel l’homme se trouve séparé de son
travail, et donc de son produit, un processus que l’on dirige et que
l’on calcule comme s’il se composait de matériau mort; pour les
conseils, la production devient la fonction vitale des ouvriers. La
production — fonction vitale des êtres humains lorsque chacun est obligé
de travailler — est dès aujourd’hui socialisée. On peut donc imaginer
facilement que la participation des êtres humains à cette production
puisse, elle aussi, être régulée socialement sans qu’ils soient ravalés
au même niveau que leurs instruments de travail ni soumis à la
domination d’une classe ou d’une couche spécifique. Une fois le problème
posé en ces termes, la solution semble plutôt facile à trouver. En
fait, elle se présente d’elle-même. C’est le travail accompli dans le
domaine de la production qui servira de critère pour déterminer les
rapports mutuels entre les hommes. Une fois que l’on admet pour facteurs
déterminants de la régulation des rapports sociaux le travail accompli
par les individus, et leur regroupement en organisations d’usines, il
n’y a plus place pour aucune sorte de direction ou de manage-ment qui ne
participe pas directement au procès de production mais se contente de
gouverner et de s’approprier les produits des autres.
LES CONSEILS OUVRIERS
Les thèses montrent clairement que leurs
auteurs ne croient pas à la force créatrice du prolétariat. Même après
que les conseils ouvriers aient prouvé indéniable-ment la réalité de
cette force. Avant 1917, aucun chef de la social-démocratie, pas même
Lénine, n’avait admis l’importance des conseils ouvriers, en dépit du
rôle considérable qu’ils avaient joué à Saint-Pétersbourg lors de la
révolution de 1905. Il fallut attendre 1917 en Russie, puis en Allemagne
et ailleurs, quand les conseils ouvriers se révélèrent être
l’organisation de combat du prolétariat révolutionnaire en acte, et
qu’à travers eux les larges masses ouvrières exercèrent une influence
déterminante dans les domaines politique et économique, pour que
l’attention des gros bonnets de la social-démocratie les prenne en
considération. Mais, loin de percevoir ces conseils comme la première
tentative autonome du prolétariat pour prendre en mains son propre
destin, les grands chefs de la social-démocratie n’y voyaient qu’un
nouveau phénomène organisationnel susceptible de les amener, eux, au
pouvoir. Le prolétariat, cette force sociale puissante et sans cesse en
expansion, n’était à leurs yeux qu’une force quantifiable, au même titre
que les forces productives des usines — une force que l’on emploie pour
parvenir à des fins précises et mettre en pratique des plans
préalablement élaborés. Telle est la conception de l’intellectuel qui
dirige le procès capitaliste de production, telle est également sa
conception lorsqu’en tant que social-démocrate il prétend diriger
les forces sociales. Pour lui, le prolétariat n’a pas de pensée
autonome; il pense et agit selon les directives de ses chefs. C’est pour
cette raison que le « parti marxiste-révolutionnaire » (thèse 6) doit
avoir en mains la direction avant de jeter les forces prolétariennes
dans la lutte conformément aux schémas socialistes. Si le « parti
marxiste-révolutionnaire » fait défaut, c’est tout simplement un autre
parti qui utilise la force du prolétariat pour réaliser ses propres
plans et ses desseins particuliers. Le problème, considéré sous cet
angle, n’offre qu’une conclusion : « Sans la direction du Parti, point
de socialisme. » De ce point de vue, les conseils ouvriers apparaissent
comme de nouveaux organes prolétariens où la direction reste à
conquérir; aux mains de la direction du Parti, ils doivent devenir des
instruments pour influencer la pensée et la pratique des masses. C’est
dans cet esprit aussi que les thèses conçoivent et définissent les
conseils ouvriers.
Mais la force née des conseils ouvriers s’est développée selon le schéma exactement inverse. C’était la volonté des masses qui s’exprimait dans les usines et les rassemblements pour désigner dans leurs rangs les représentants et les délégués qui agiraient comme leurs porte-paroles, prêts à tout moment à défendre leur point de vue jusqu’au bout. Cette volonté de masse ne s’est exprimée jusqu’à présent que sur des problèmes d’intérêt général, dont personne ne pouvait en fin de compte éluder la solution. Ainsi la volonté des masses en Russie en 1917 et en Allemagne en 1918 visait à terminer la guerre. Il fallait mettre fin à la guerre, à tout prix. Tous les scrupules sur ce point, artificiellement cultivés et entretenus dans les masses elles-mêmes, furent finalement balayés. Alors s’éleva partout la volonté générale de mettre fin à la guerre et, pour cela, de mener la lutte contre le pouvoir militaire de son propre pays; les conseils d’ouvriers et de soldats n’étant que la forme organisationnelle dans laquelle se concrétisa cette volonté. Ainsi les conseils ouvriers sont-ils concevables uniquement comme la forme organisationnelle exprimant la volonté des larges masses ouvrières. Il faut malgré tout avoir présent à l’esprit qu’une telle volonté ne se concrétise que lorsque certaines conditions préalables sont réunies, et qu’elle ne se crée pas de toute pièce grâce aux slogans de tel ou tel parti.
Or, dans son effort pour s’emparer de la direction des conseils ouvriers, le « parti marxiste-révolutionnaire » suit exactement le cheminement inverse. Il veut utiliser ces organes de la volonté de masse comme un moyen pour faire agir les masses selon la volonté et les plans des « chefs ». Le chef, cependant, ne peut voir les masses que » comme un matériau avec lequel il doit travailler, et, dans ce contexte, la volonté autonome des masses est un élément hostile. Sous la direction d’un parti, les conseils ouvriers se trouvent donc privés de leur propre force, et s’ils subsistent c’est seulement par la tromperie, c’est-à-dire en cachant aux masses qu’ils sont devenus des instruments aux yeux des chefs. Tel fut le sort des conseils ouvriers en Russie et en Allemagne une fois que le but premier, la fin de la guerre, fut atteint et que les divergences surgirent à propos de la reconstruction de l’ordre social — sur ce point les masses ouvrières n’avaient plus de volonté unifiée. Les conseils furent récupérés par les diverses tendances du Parti, ils perdirent même bientôt leur influence sur les masses ouvrières et, conséquemment, leur utilité pour la politique de parti des chefs. Ils disparurent donc. C’est seulement dans les programmes des partis « marxistes-révolutionnaires », qui se préparent à prendre la tète des soulèvement de masse prochains, qu’on les retrouve comme organes susceptibles de diriger les masses.
Mais la force née des conseils ouvriers s’est développée selon le schéma exactement inverse. C’était la volonté des masses qui s’exprimait dans les usines et les rassemblements pour désigner dans leurs rangs les représentants et les délégués qui agiraient comme leurs porte-paroles, prêts à tout moment à défendre leur point de vue jusqu’au bout. Cette volonté de masse ne s’est exprimée jusqu’à présent que sur des problèmes d’intérêt général, dont personne ne pouvait en fin de compte éluder la solution. Ainsi la volonté des masses en Russie en 1917 et en Allemagne en 1918 visait à terminer la guerre. Il fallait mettre fin à la guerre, à tout prix. Tous les scrupules sur ce point, artificiellement cultivés et entretenus dans les masses elles-mêmes, furent finalement balayés. Alors s’éleva partout la volonté générale de mettre fin à la guerre et, pour cela, de mener la lutte contre le pouvoir militaire de son propre pays; les conseils d’ouvriers et de soldats n’étant que la forme organisationnelle dans laquelle se concrétisa cette volonté. Ainsi les conseils ouvriers sont-ils concevables uniquement comme la forme organisationnelle exprimant la volonté des larges masses ouvrières. Il faut malgré tout avoir présent à l’esprit qu’une telle volonté ne se concrétise que lorsque certaines conditions préalables sont réunies, et qu’elle ne se crée pas de toute pièce grâce aux slogans de tel ou tel parti.
Or, dans son effort pour s’emparer de la direction des conseils ouvriers, le « parti marxiste-révolutionnaire » suit exactement le cheminement inverse. Il veut utiliser ces organes de la volonté de masse comme un moyen pour faire agir les masses selon la volonté et les plans des « chefs ». Le chef, cependant, ne peut voir les masses que » comme un matériau avec lequel il doit travailler, et, dans ce contexte, la volonté autonome des masses est un élément hostile. Sous la direction d’un parti, les conseils ouvriers se trouvent donc privés de leur propre force, et s’ils subsistent c’est seulement par la tromperie, c’est-à-dire en cachant aux masses qu’ils sont devenus des instruments aux yeux des chefs. Tel fut le sort des conseils ouvriers en Russie et en Allemagne une fois que le but premier, la fin de la guerre, fut atteint et que les divergences surgirent à propos de la reconstruction de l’ordre social — sur ce point les masses ouvrières n’avaient plus de volonté unifiée. Les conseils furent récupérés par les diverses tendances du Parti, ils perdirent même bientôt leur influence sur les masses ouvrières et, conséquemment, leur utilité pour la politique de parti des chefs. Ils disparurent donc. C’est seulement dans les programmes des partis « marxistes-révolutionnaires », qui se préparent à prendre la tète des soulèvement de masse prochains, qu’on les retrouve comme organes susceptibles de diriger les masses.
Cependant, l’esprit qui s’exprima à
travers les conseils ouvriers révolutionnaires n’est pas mort. A la
vérité, le point fondamental dans ces organisations consistait en ceci
que les ouvriers y réalisaient la coordination de leur force de classe
et le dépassement de leur dispersion en syndicats, partis, tendances.
Lorsque les ouvriers découvrent cette unité dans la lutte de classes
quotidienne, lorsqu’ils dirigent eux-mêmes la lutte dans des organes
formés spontanément, en rejetant les vieilles organisations génératrices
de leur séparation, alors l’esprit des conseils ouvriers
révolutionnaires anime à nouveau les masses laborieuses; et c’est alors
qu’elles expriment leur volonté.
Dans les luttes actuelles, nous voyons surgir sans cesse les formes embryonnaires de cette action de classe mais nous constatons en même temps les tentatives, jusqu’ici presque toujours victorieuses, du vieux mouvement ouvrier pour arracher aux travailleurs la direction de la lutte et la confier aux bureaucrates des syndicats. Tout comme l’économie « communiste », telle qu’elle est conçue par les chefs, doit s’accomplir par la voie détournée de l’appareil d’État officiel, de même la direction de la lutte doit être retirée à l’autorité des ouvriers et reprise en mains par l’appareil syndical.
Mais le pouvoir de la classe dirigeante sous le capitalisme est si considérable que seul le pouvoir de la classe ouvrière tout entière unie peut le renverser. Ainsi, les rapports de classes nous montrent que les travailleurs, pour vaincre, doivent auparavant triompher du vieux mouvement ouvrier en réalisant l’unité dans leurs conseils; et que l’exercice par les masses elles-mêmes du « pouvoir législatif et exécutif » dans la lutte est la condition de la victoire.
Dans les luttes actuelles, nous voyons surgir sans cesse les formes embryonnaires de cette action de classe mais nous constatons en même temps les tentatives, jusqu’ici presque toujours victorieuses, du vieux mouvement ouvrier pour arracher aux travailleurs la direction de la lutte et la confier aux bureaucrates des syndicats. Tout comme l’économie « communiste », telle qu’elle est conçue par les chefs, doit s’accomplir par la voie détournée de l’appareil d’État officiel, de même la direction de la lutte doit être retirée à l’autorité des ouvriers et reprise en mains par l’appareil syndical.
Mais le pouvoir de la classe dirigeante sous le capitalisme est si considérable que seul le pouvoir de la classe ouvrière tout entière unie peut le renverser. Ainsi, les rapports de classes nous montrent que les travailleurs, pour vaincre, doivent auparavant triompher du vieux mouvement ouvrier en réalisant l’unité dans leurs conseils; et que l’exercice par les masses elles-mêmes du « pouvoir législatif et exécutif » dans la lutte est la condition de la victoire.
En 1918, en Allemagne, le slogan
révolutionnaire du prolétariat était « Tout le pouvoir aux conseils
ouvriers ». Ce slogan n’a de sens toutefois que si le pouvoir des
conseils est l’expression de la volonté unifiée des larges masses
ouvrières — oui, de la classe ouvrière tout entière. L’unité de toute la
classe ouvrière dans la volonté et dans l’action tel est le sol sur
lequel s’érige le pouvoir des conseils ouvriers. Pour cela, il ne suffit
pas que les larges masses, dans les situations extrêmes, mettent fin
par leur propre action à des conditions devenues insupportables. C’est
ce qu’elles firent en 1918, et cela n’amena que la fin de la guerre. Il
faut ajouter à cela la volonté déterminée de reconstruire la société, et
de régler les rapports humains dans le cadre de cette nouvelle société.
On peut sans crainte compter sur le capitalisme pour rendre les conditions matérielles intolérables. La situation de la classe ouvrière devient de plus en plus insupportable; le travail salarié devient pour des millions d’individus une calamité, un cauchemar auquel il est impossible d’échapper. La situation devient finalement si tendue que dans les larges masses surgit la volonté de mettre fin à tout prix à ces conditions intolérables. Mais, elles ne peuvent en finir sans en même temps supprimer le salariat. Même le socialisme d’État des chefs n’apporte aucun salut puisqu’il conserve le salariat, réorganisé par le pouvoir d’État. C’est pourquoi à l’action entreprise sous la contrainte de l’extrême nécessité, il faut ajouter la transformation consciente des rapports sociaux. La suppression de l’état de détresse et la réorganisation des rapports sociaux ne sont qu’une seule et même chose; elles sont les deux facettes d’une seule et même action. Pour sortir de cette situation intolérable, les masses ouvrières, qui en tant que salariées sont réduites à l’appauvrissement absolu, n’ont qu’une planche de salut : prendre possession elles-mêmes des moyens de production. Pour y parvenir, elles doivent, groupées au sein des conseils, s’emparer du pouvoir social tout en utilisant les moyens de production en commun, c’est-à-dire sur des bases communistes, pour satisfaire les besoins sociaux.
On peut sans crainte compter sur le capitalisme pour rendre les conditions matérielles intolérables. La situation de la classe ouvrière devient de plus en plus insupportable; le travail salarié devient pour des millions d’individus une calamité, un cauchemar auquel il est impossible d’échapper. La situation devient finalement si tendue que dans les larges masses surgit la volonté de mettre fin à tout prix à ces conditions intolérables. Mais, elles ne peuvent en finir sans en même temps supprimer le salariat. Même le socialisme d’État des chefs n’apporte aucun salut puisqu’il conserve le salariat, réorganisé par le pouvoir d’État. C’est pourquoi à l’action entreprise sous la contrainte de l’extrême nécessité, il faut ajouter la transformation consciente des rapports sociaux. La suppression de l’état de détresse et la réorganisation des rapports sociaux ne sont qu’une seule et même chose; elles sont les deux facettes d’une seule et même action. Pour sortir de cette situation intolérable, les masses ouvrières, qui en tant que salariées sont réduites à l’appauvrissement absolu, n’ont qu’une planche de salut : prendre possession elles-mêmes des moyens de production. Pour y parvenir, elles doivent, groupées au sein des conseils, s’emparer du pouvoir social tout en utilisant les moyens de production en commun, c’est-à-dire sur des bases communistes, pour satisfaire les besoins sociaux.
L’ÉCONOMIE COMMUNISTE
Le pouvoir du conseil ou du soviet met fin au salariat; il fait de l’ouvrier le facteur déterminant de la production.
Son rôle est d’amener la classe ouvrière à
la libération en transformant les salariés en producteurs libres et
égaux. Mais ces producteurs libres et égaux doivent régler leurs
rapports mutuels en fonction des nouvelles conditions. La régulation
rigoureuse de ces rapports, seule garantie de l’égalité, et donc de la
liberté, des producteurs : telle est, en dernière analyse, la fondation
solide sur laquelle se bâtit la société communiste.
Cette régulation des rapports n’est toutefois rien d’autre que la régulation du processus d’interaction de la société, — la régulation de la production et de la consommation; de la participation du producteur individuel à la fabrication des biens et de sa consommation des biens produits en commun. Comme le travail du producteur individuel représente en même temps sa participation à la production sociale des biens, il en résulte nécessairement que ce travail détermine aussi la part qui lui revient des biens produits. La mesure sociale qui doit régler les rapports des producteurs entre eux, c’est le travail, défini par son temps d’opération : l’heure de travail. L’heure de travail individuelle et particulière à chaque producteur ne constitue pas, cependant, une mesure sociale; elle varie selon les cas et se renouvelle sans cesse. Il s’agit donc de calculer l’heure moyenne sociale de travail, la moyenne de toutes les heures de travail différentes, qui doit devenir le facteur de régulation sociale.
On ne peut ici s’étendre davantage sur l’heure de travail moyen social comme fondement de l’économie communiste. A ce sujet, nous recommandons l’ouvrage intitulé Grundprinzipien Kommunistischer Produktion und Verteilung [3], publié par le Groupe des Communistes Internationaux (Hollande). Qu’il nous suffise d’indiquer que, pour nous, la réalisation de la comptabilité en termes de temps de travail dans la société communiste est un objectif immédiat, et non pas un problème à considérer « ultérieurement ».
Cette régulation des rapports n’est toutefois rien d’autre que la régulation du processus d’interaction de la société, — la régulation de la production et de la consommation; de la participation du producteur individuel à la fabrication des biens et de sa consommation des biens produits en commun. Comme le travail du producteur individuel représente en même temps sa participation à la production sociale des biens, il en résulte nécessairement que ce travail détermine aussi la part qui lui revient des biens produits. La mesure sociale qui doit régler les rapports des producteurs entre eux, c’est le travail, défini par son temps d’opération : l’heure de travail. L’heure de travail individuelle et particulière à chaque producteur ne constitue pas, cependant, une mesure sociale; elle varie selon les cas et se renouvelle sans cesse. Il s’agit donc de calculer l’heure moyenne sociale de travail, la moyenne de toutes les heures de travail différentes, qui doit devenir le facteur de régulation sociale.
On ne peut ici s’étendre davantage sur l’heure de travail moyen social comme fondement de l’économie communiste. A ce sujet, nous recommandons l’ouvrage intitulé Grundprinzipien Kommunistischer Produktion und Verteilung [3], publié par le Groupe des Communistes Internationaux (Hollande). Qu’il nous suffise d’indiquer que, pour nous, la réalisation de la comptabilité en termes de temps de travail dans la société communiste est un objectif immédiat, et non pas un problème à considérer « ultérieurement ».
L’utilisation dans la vie économique de
la comptabilité par le temps de travail se traduit en politique par la
direction de la classe ouvrière sur la société. Les deux phénomènes sont
indissociables. Si la classe ouvrière n’est pas capable d’imposer la
comptabilité par le temps de travail, cela signifie qu’elle ne peut
éliminer le salariat ni assumer la direction et l’administration de la
vie sociale. Si le temps de travail ne devient pas la mesure de la
consommation individuelle, alors il ne reste que la solution du
salariat. Dans ce cas, on admet qu’il n’y a aucun rapport direct entre
les producteurs et la richesse sociale. Ce qui revient à considérer que
la séparation créée par le salariat entre les ouvriers et le produit
social est devenue un fait irréversible. En d’autres termes : la
direction du procès de production ne peut incomber aux ouvriers. Elle
est donc transmise aux « statisticiens » et autres savants responsables
de la distribution du « revenu national ». L’alternative est donc
celle-ci : d’un côté, abolition du salariat avec adoption de l’heure de
travail moyen social comme pivot de toute l’économie, sous le contrôle
direct des ouvriers; de l’autre, travail salarié au profit de l’État.
En conséquence, les slogans que nous revendiquons immédiatement pour le pouvoir ouvrier sont les suivants : les ouvriers placent sous leur contrôle direct toutes les fonctions sociales, ils nomment et révoquent tous les fonctionnaires. Les ouvriers prennent en main la direction de la production sociale en s’associant dans les organisations d’usines et les conseils ouvriers. Ils font entrer eux-mêmes leur usine dans la forme communiste de l’économie en calculant leur production d’après le temps de travail moyen social. Ainsi, c’est la société tout entière qui passe dans le circuit de production communiste. Voilà qui rend dépassée la distinction entre entreprises « mûres » pour une direction socialisée, et celles qui ne le sont pas encore.
En conséquence, les slogans que nous revendiquons immédiatement pour le pouvoir ouvrier sont les suivants : les ouvriers placent sous leur contrôle direct toutes les fonctions sociales, ils nomment et révoquent tous les fonctionnaires. Les ouvriers prennent en main la direction de la production sociale en s’associant dans les organisations d’usines et les conseils ouvriers. Ils font entrer eux-mêmes leur usine dans la forme communiste de l’économie en calculant leur production d’après le temps de travail moyen social. Ainsi, c’est la société tout entière qui passe dans le circuit de production communiste. Voilà qui rend dépassée la distinction entre entreprises « mûres » pour une direction socialisée, et celles qui ne le sont pas encore.
Tel est le programme politique, et en
même temps économique, des salariés; c’est dans ce sens que leurs
conseils transformeront l’économie. Telles sont les exigences maximales
que nous pouvons formuler sur ces questions; mais ce sont en même temps
nos exigences minimales, car il dépend d’elles que la révolution
prolétarienne soit ou ne soit pas.
Article publié dans International Council Correspondence (n°7 - avril 1935) revue du courant communiste des conseils ouvriers animée par Paul Mattick.
[1] Très probablement NEUE FRONT (Organ für proletarisch-revolutionäre Sammlung), journal publié à Paris par des exilés du S.A.P.D. dont Fritz Sternberg et Paul Frölich. [Note de la Bataille socialiste]
[2] Nous avons traduit le mot anglais element par son équivalent français, afin de conserver son caractère d’imprécision. [Note des traducteurs C. Collet et C. Smith, dans La Contre-révolution bureaucratique, 10/18, 1973]
[3]Nous publierons prochainement l'intégralité de ce texte sur Contre Capital.