Une réponse à Matt Vidal / MarxistSociology.
Le dernier article
publié par le blog Marxist Sociology aura été de justifier son existence
académique même, en niant la capacité de la classe ouvrière elle-même de se
libérer du capitalisme.
L’objectif de notre réponse n’est pas de débattre du
tortillage académique à l‘origine de leur affirmation à travers les textes
publiés par Marx, mais de comprendre pourquoi une telle affirmation idéaliste
peut encore avoir cours aujourd’hui chez les marxistes universitaires.
La question en effet n’est pas de savoir si effectivement
dans la théorie marxiste il existe bien une affirmation de l’existence d’une
conscience révolutionnaire ouvrière autonome, mais bien de savoir si « on
a le choix » : c'est-à-dire si autre chose qu’une conscience
révolutionnaire ouvrière autonome peut transformer le mode de production
capitaliste en révolution communiste.
Dans un premier temps il est important d’analyser la
manipulation qui réside au cœur de l’idéologie des auteurs cités par Marxist
Sociology, tout d’abord avec l’air de ne pas vouloir y toucher. Ainsi selon
Burawoy, « l’Histoire a montré que le pronostic de Marx était
inapproprié » : les prolétaires eux-mêmes ne seraient pas les
fossoyeurs du capitalisme qui les a produits. En négatif nous pouvons, nous,
affirmer le contraire : l’échec historique réside dans l’escroquerie de
« la théorie de la conscience révolutionnaire apportée de
l’extérieur » par une clique de militants professionnels. Des décennies de
ce modèle ont suffit à le prouver : des générations de militants
professionnels n’ont fondé que des bureaucratiques « partis
communistes » qui n’ont jamais conduit où que ce soit dans le monde à une
quelconque révolution communiste, qui même lorsqu’ils étaient dotés de millions
d’adhérents n‘ont jamais mené au renversement du mode de production capitaliste
et qui même ont eu pour fonction de tempérer les ardeurs révolutionnaires du
prolétariat au nom de tel ou tel intérêt stratégique immédiat.
Ce que ces marxistes
universitaires veulent nous vendre encore une fois c’est leur soupe
bureaucratique, putride et indigeste, leur mépris de classe habillé d’idéalisme
dans leur dernière tentative d’encadrement contre-révolutionnaire du
prolétariat.
L’article affirme que, dans les quelques 2 000 pages des
trois volumes du Capital, Marx n’évoque absolument pas la question de la
conscience révolutionnaire ouvrière. A ce stade de la manipulation, sachant
très bien que l’objet du livre Le Capital est le capitalisme, et absolument pas
le communisme (sous quelque angle d’approche que ce soit), on commence très
clairement à comprendre l’orientation de ce texte. Et les mêmes auteurs de
remarquer que lorsque Marx, dans l’un des rares textes où il évoque le
communisme, le Manifeste communiste,
il évoque également la conscience de classe révolutionnaire (coïncidence
incroyable non ?). Mais pour conclure, bien
entendu, qu’il doit s’agir là d’une figure rhétorique. Bien entendu.
Matt Vidal, l’auteur de ce fumeux article manipulatoire,
avance ensuite dans ses contradictions et on atteint là les sommets de la
manipulation du marxisme académique. On passera sur le côté
« démocratique » de l’interprétation du pouvoir ouvrier (nous y reviendrons
plus tard avec une autre approche toutefois) : le pouvoir ouvrier serait
la réalisation de la démocratie puisque la classe ouvrière est majoritaire dans les pays capitalistes.
Comme si la légitimité du communisme
résidait dans le nombre des exploités et non pas dans leur exploitation même.
Interprétation démographique performative typique du capitalisme. On
passera là-dessus mais on s’arrêtera sur l’énonciation de différentes citations
de Marx sur la conscience de classe dans la deuxième partie du texte. Parce
que, finalement, Marx parle bien du
développement de la conscience de classe, et ce que nous montre les extraits
cités c’est qu’ils contredisent eux-mêmes Matt Vidal. Lorsque ce n’est pas l’Histoire elle-même qui
le contredit. Selon Marx, ce serait à travers la lutte active du prolétariat face au Capital (L’Idéologie allemande) que se développerait la conscience,
l’intérêt commun du prolétariat ne suffisant pas (Misère de la Philosophie). La fin de cette partie de l’article est
le point culminant du stade adialectique de l’auteur, d’autant plus ironique
que cette pensée adialectique instrumentalise la théorie du fétichisme de Marx
pour « démontrer » l’indigence supposée de la conscience de classe
prolétarienne. Marx l’affirme : la conscience révolutionnaire ouvrière se
développe à partir de sa propre activité autonome face au Capital, la lutte des classes. Et en ce moment
sublime l’escroc Vidal conclue de son côté : la lutte des classes c’est le
parti et le syndicat.
Non seulement il prend le
Parti pour le tout, le syndicat pour la classe, mais dans le même mouvement il
reste dans le déni de deux siècles de développement des partis et des
syndicats : des grandes machines bureaucratisées agissant pour leurs
propres intérêts, fétichisées par les zombies du gauchisme essoufflé comme
étant les dernières écoles du socialisme fantasmées, mais surtout théâtre
elles-mêmes d’une lutte des classes désespérée entre la base et la
bureaucratie.
Cette incapacité à saisir la dynamique dialectique dans l’aliénation
(c'est-à-dire la capacité pour le prolétariat, dans le processus dialectique de
la praxis, à saisir le dépassement de la mystification) repose sur la thèse,
mainte fois affirmée par les marxistes académiques et les militants
professionnels, qu’ils détiennent à eux seuls la conscience de classe qu’ils peuvent ensuite
dispenser comme des barres chocolatées à un prolétariat docile. Par un tour de
magie spectaculaire la conscience de
classe est une conscience hors
classe. Le mensonge réside donc également ici : la conscience n’est pas
pour le « marxisme » universitaire une saisie collective de la
réalité capitaliste et de la praxis communiste, mais un ensemble théorique
préconstruit dans l’atmosphère aseptisé des universités et des locaux
bureaucratiques, une idéologie. Mais
l’idéologie ne sera jamais la saisie du réel, elle n’en est au contraire qu’une
interprétation figée et adialectique. L’idéologie ne sera jamais la saisie de
la totalité mais une conception partielle. La théorie révolutionnaire, quand
elle existe d’une façon authentique, n’est pas la saisie à elle seule de la
totalité, mais une partie de celle-ci, qui doit se fondre dans la praxis,
élément corrigeable et correctif au sein d’un processus révolutionnaire
dialectique.
Fondamentalement la question qui se pose dans le processus
révolutionnaire communiste est la façon dont la conscience se construit par rapport à l’objectif communiste. Une
conscience comme idéologie acquise n’est
pas une conscience puisque celle-ci (saisie dialectique du réel) est le
contraire de l’idéologie (interprétation aliénée de la totalité). La conscience
de classe révolutionnaire est la destruction de l’idéologie, sa négation. Ce n’est pas seulement
affirmer que la révolution n’est pas une affaire de parti, au-delà la
révolution n’est pas une affaire d’idéologie. La révolution n’est pas une affaire de programme. La révolution
n’est pas une idée, elle n’est pas le produit de l’idéalisme. Elle est un bouillonnement créatif et collectif intense
impliquant les masses exploitées à chaque instant du processus révolutionnaire,
un bouillonnement auto-correctif des erreurs immédiates qui ne manqueront pas
de survenir dans les premiers instants du processus révolutionnaire.
La « conscience apportée de l’extérieur par les
révolutionnaires professionnels » ne pose pas seulement le problème de
l’idéologie comme interprétation faussée -car parcellaire et hors-classe- de la
révolution mais elle pose également le problème classique entre pensants et
exécutants, elle pose le problème des détenteurs de l’idéologie-falsifiée
-comme-conscience, comme reproduction
d’une structure sociale en classes qui, loin de supprimer le capitalisme ne
ferait que s’y fondre (et inversement), dans une énième répétition historique
de la mise en scène d’une « bureaugeoisie » dirigeante.
Cruelle régression
idéologique des marxistes académiques qui théorisent une pureté révolutionnaire
de la caste idéologique, pureté qui n’existe que dans leur interprétation
idéaliste fantasmée du militant professionnel. Nouveau dévot sanctifié exempt
de toutes les contradictions et des tentations bureaucratiques.
Enfin le développement d’une conscience ouvrière
révolutionnaire s’inscrit alors logiquement dans la critique de l’artificialité
idéaliste du marxisme académique pour qui la conscience est idéologie, un
programme (lorsque d’ailleurs lui-même ne cache pas sa propre finalité dans un
programme de transition régressif) à appliquer mécaniquement au réel. Car une
idéologie acquise n’est pas une conscience développée. Elle reste comme une extériorité à l’être agissant qu’est le
prolétariat. Apporter n’est pas assimiler car les processus cognitifs en œuvre
pour l’acquisition d’une idéologie ne sont pas une prise de conscience du réel.
L’idéologie même, comme interprétation
déréalisante du monde, reste un corps étranger à l’être agissant. Le
prolétariat ne peut agir comme réel sujet révolutionnaire sans assimilation
autonome du processus révolutionnaire. Sans cela, sous la direction des
militants professionnels, la dictature du
prolétariat est alors une dictature sur
le prolétariat. Non plus un pouvoir de classe qui s’auto-abolit en
abolissant toutes les classes, mais un pouvoir sur la classe qui reproduit les
structures de classes. Ainsi si la classe ouvrière est seule capable du
processus révolutionnaire ce n’est pas pour réaliser un « pouvoir
démocratique » abstrait par la médiation
du parti, mais bien parce que construisant la totalité capitaliste réelle,
producteurs des marchandises comme objets, villes, etc le prolétariat est à
même, et lui seul, de détruire et construire les modes de production matériel,
de réaliser le communisme, et, en cela, de reconnaître le socialisme académique
comme ennemi du prolétariat. Et ceci dès le début du processus révolutionnaire.
Contre Capital – Liaison internationaliste pour l’Autonomie
ouvrière. Novembre 2018.