– Le Venezuela est en crise parce que le capitalisme est en crise ;
ou plutôt, la crise capitaliste mondiale s’exprime sous une forme
dépouillée, brute et scandaleusement visible au Venezuela, non seulement
au niveau économique, mais aussi politique, social, idéologique et
probablement géopolitique et militaire maintenant et à l’avenir.
– La situation actuelle au Venezuela est une démonstration de l’échec
des gouvernements du « socialisme du XXI° siècle » de gérer
efficacement la crise capitaliste. Ce qui se passe, c’est que le Capital
et sa crise sont ingouvernables : c’est le Capital qui gouverne la
société et donc l’État, et non l’inverse. Croire le contraire est naïf,
en revanche faire semblant de le faire, c’est du réformisme.
– Le gouvernement du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV),
comme un bon capitaliste qu’il est, ne peut que « décharger » ou « faire
payer les pots cassés » aux prolétaires : pénuries, inflation,
sous-emploi, chômage, paupérisation. C’est-à-dire austérité et misère.
Ce qui donne comme conséquence logique de nouvelles manifestations de
rue contre de telles conditions matérielles d’existence, comme celles de
février-avril de cette année (et comme celles de février de l’année
dernière, évidemment). Ensuite, ce gouvernement, en fonction de son
rôle, ne peut qu’opter pour la répression : les lois répressives
« d’exception » adoptées par le Congrès (tel la résolution 008610, ce
qui permet à la police de réprimer les manifestations à balles réelles),
la mort conséquente de quelques jeunes manifestants par la police, etc.
Bien qu’il se justifie en disant qu’il a agi contre « la droite
déstabilisatrice et putschiste, qui complote avec l’impérialisme
américain » et même qu’il « regrette la mort de ces étudiants », il est
évident que le gouvernement de Maduro – comme tous les gouvernements de
gauche – n’est pas le moins du monde révolutionnaire. (Encore une fois,
il est à noter que Rousseff et Correa font essentiellement la même chose
dans leurs pays respectifs.)
– Bien que lors des manifestations de l’année dernière notre classe
ait revendiqué ses besoins matériels par l’action directe contre le
Capital et l’État (pillages, barricades, jets de pierres, attaques de
sièges de partis, etc.) ; bien que cette année, elle soit une nouvelle
fois descendue dans les rues pour protester contre la pénurie et
« contre le régime » ; et bien que la misère et la répression subie
aujourd’hui puisse la pousser à se débarrasser de tant d’années de
« chavisme » et de « missions sociales », le problème est que le
prolétariat au Venezuela – comme dans beaucoup d’autres régions – est
encore faible ; c’est-à-dire qu’il ne parvient pas encore à se
réorganiser et agir avec autonomie et puissance, avec ses propres
revendications et organisations, en tant que force sociale réelle, comme
classe de négation. Mais il ne faudrait pas pour autant exclure la
possibilité d’une explosion de colère prolétarienne incontrôlable tant
pour le gouvernement que pour l’opposition, l’émergence d’un prolétariat
sauvage au Venezuela précisément en raison des conditions difficiles
dans lesquelles survit actuellement notre classe. En fin de compte, nos
besoins humains en tant que prolétaires, insatisfaits ou niés par la
propriété privée et l’argent, se trouvent partout en opposition
matérielle et totale avec les besoins de l’accumulation et la gestion du
Capital ; de sorte que l’antagonisme structurel et latent entre la
classe capitaliste et le prolétariat peut exploser tôt ou tard ; en
particulier dans les situations de crise, puisque celle-ci peut à son
tour réchauffer ce « terrain fertile » de la lutte prolétarienne contre
le Capital et son État.
– Depuis les étudiants ayant de faibles revenus, en passant par les
chômeurs et les sous-employés « informels » dans les rues, qui au
Venezuela (et en Amérique latine en général) prolifèrent dans la misère,
et qui de plus sont ceux qui résident dans les banlieues et les
campements périphériques. Ainsi que les prolétaires « indigènes » et
« paysans » d’autres provinces, qui se sont déjà affrontés à plusieurs
reprises aux entreprises pétrolières, minières, charbonnières, ces
dernières étant soutenues par les forces de l’ordre du socialisme du
XXI° siècle ; sans oublier les différents secteurs de la classe ouvrière
qui ont protesté pour des questions revendicatives : les licenciements,
les salaires, les services, etc. Ils constituent tous le prolétariat en
lutte, et leur présence dans les rues, suscitant ainsi des tentatives
de révolte, le prouve. Il est donc tout à fait stupide de considérer les
protestations comme s’il s’agissait d’un mélange homogène qui obéit
exclusivement aux objectifs de la Table de l’Unité Démocratique.
« Opposition fasciste » ou « agents impérialistes » sont quelques-uns
des surnoms ridicules que nous voyons tous les jours dans tous les
médias de la gauche rance pour désigner ceux qui luttent contre leurs
misérables conditions d’existence… Il est nécessaire une fois pour toute
de rompre avec toutes ces fausses interprétations réductionnistes qui
ne font que défendre à tout prix le réformisme progressiste orné de
drapeaux anticolonialistes.
– Nous avons dit qu’une révolte prolétarienne au Venezuela est une
possibilité et non quelque chose d’« inévitable », car penser cette
dernière serait mécaniciste et conserver de fausses attentes. En outre,
parce que ce serait stupide et irresponsable de ne pas remarquer que
tant le gouvernement que la droite vénézuéliens peuvent, comme toujours,
pêcher en eaux troubles ou encadrer la mobilisation pour démobiliser
tout le mouvement. En effet, le gouvernement de Maduro, de fait, profite
déjà de la menace des USA contre le Venezuela pour protéger davantage
son appareil d’État et pour masquer ou faire passer à l’arrière-plan la
crise et la lutte des classes internes, appelant au « patriotisme », à
la « souveraineté », à la « solidarité anti-impérialiste » et au passage
exhorter au sacrifice pour « l’économie nationale ». Et la droite
vénézuélienne (représentée par la dénommée Table de l’Unité Démocratique
– MUD), car elle est évidemment soutenue par l’impérialisme
nord-américain et parce que, en cas d’invasion, elle remplacerait le
pouvoir politique. L’histoire politique régionale et mondiale montre
qu’il en est ainsi et qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. Face à cela,
nous précisons que la rupture et l’autonomie prolétariennes que nous
jugeons nécessaires d’apparaître au Venezuela, seront non seulement en
dehors et contre le gouvernement de gauche de Maduro ou la bourgeoisie
« bolivarienne », mais aussi en dehors et contre l’opposition de droite
vénézuélienne, cette bourgeoisie « oligarchique », rance et
ultraréactionnaire. Non seulement en dehors et contre telle ou telle
fraction du Capital-État, mais en dehors et contre tout le Capital-État
lui-même. Tout cela signifie et implique, dans ce cas concret, de ne pas
participer à la lutte politique inter-bourgeoise gouvernement contre
opposition, de ne pas jouer leur jeu, mais au contraire : de les
déborder, rompre avec eux, assumer la lutte des classes pour défendre,
généraliser et imposer nos besoins humains sur ceux du Capital, nos
propres revendications de classe au moyen de nos propres structures de
lutte. Ce qui, à son tour, pourrait conduire à une révolte, puis
d’assumer la nécessité de lutter pour la révolution sociale ou totale ;
pas pour une révolution politique, partielle, bourgeoise (où la droite
reprend le pouvoir politique ou encore la gauche le conserve), et encore
moins pour que cela débouche sur la guerre impérialiste qui transforme
le prolétariat en chair à canon (dans le cas où les USA envahiraient le
Venezuela). L’existence ou l’émergence de minorités révolutionnaires
militantes et actives au Venezuela – dont nous n’avons pas encore de
signe réel et convaincant –, devrait être l’une des principales tâches
du moment. Ou peut-être que le prolétariat au Venezuela – y compris ses
minorités radicales – ne réagira et ne luttera contre ses ennemis
mortels de classe que lorsque la guerre sera en train de tuer des
milliers de prolétaires dans les rues et aux frontières, non plus
seulement de faim, mais aussi avec des balles de la part des deux
États ? La vraie lutte de classe aura le dernier mot.
– Tous les gouvernements socialistes, nationalistes et
anti-impérialistes qui ont existé ont été, sont et seront capitalistes,
la « révolution bolivarienne » laisse intacte l’État national, la
propriété privée et le commerce extérieur et intérieur, éléments
fondamentaux du système capitaliste ; les gouvernements de gauche et
progressistes sont différents dans la forme mais pas dans le contenu de
leurs rivaux de droite et impérialistes. Leurs luttes, y compris leurs
guerres, sont inhérentes, inévitables et nécessaires pour que ce système
fonctionne et survive : le capitalisme ne peut exister ou être tel sans
concurrence et sans guerre. (En outre, il n’y a pas eu de guerre de
défense de la souveraineté nationale et/ou de libération nationale qui
n’ait été partie de fait d’une guerre inter-impérialiste.) Mais ces
luttes inter-capitalistes continueront simplement d’occuper un rôle de
premier plan jusqu’à ce que le prolétariat réapparaisse sur la scène
avec force et autonomie pour contester l’ordre existant. Ensuite, les
deux fractions bourgeoises qui sont aujourd’hui des adversaires
s’uniront ouvertement et sans apparences en un seul parti – le parti de
l’ordre, de la réaction et de la démocratie – contre notre classe, car
avant tout ils préfèreront s’allier que voir chanceler le système qui
leur assure la puissance et la domination.
– Ce tableau émergent serait encore plus catastrophique si la Chine
et la Russie se décidaient à soutenir le Venezuela même militairement,
non par « affinité idéologique » ou par « anti-impérialisme », mais
parce que ces deux puissances émergentes de l’Est doivent se soucier de
leurs puissants intérêts économiques et géostratégiques aussi bien dans
ce pays qu’en Amérique du Sud en général. De leur côté, comme ces
derniers temps les USA ont perdu du terrain et du pouvoir dans d’autres
régions, aujourd’hui ils retournent dans leur « arrière-cour » de
toujours pour l’utiliser comme un « joker » de leur politique de
suprématie « unipolaire » en déclin. Ainsi, le conflit ne porte pas
seulement sur le pétrole et le contrôle territorial, mais aussi sur une
partie de l’hégémonie mondiale même. La Libye, l’Irak et/ou l’Ukraine au
Venezuela ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, les tambours de la guerre
impérialiste résonnent en Amérique du Sud, ou plus exactement ceux de
l’invasion militaire américaine du territoire de l’État vénézuélien.
– La « violation des droits de l’homme » par ce gouvernement de
gauche (comme si aucun État n’exerçait son terrorisme répressif !
Hypocrites !) n’est rien de plus qu’un prétexte vraisemblable pour
brandir un discours de « manque de liberté au Venezuela ». Les USA ont
déjà utilisé des excuses semblables à cet effet, il y a quelques années à
propos de la Libye et de l’Irak [et actuellement en Syrie] – ainsi qu’à
la veille de quelques guerres durant le 20° siècle. Non, ce n’est pas
un « manque de démocratie », mais c’est partout la même démocratie qui
nous réprime, emprisonne, torture, assassine ; parce que la démocratie,
en réalité, c’est la dictature « légale et légitime » du Capital sur le
prolétariat. Rappelons-nous aussi qu’avec ce prétexte, les USA ont déjà
mené plusieurs guerres dans diverses régions périphériques ou
« non-occidentales » de la planète. Alors, vous voulez le faire pour le
pétrole ? Bien sûr que si, compte tenu des grandes réserves d’« or
noir » que possède le Venezuela, ainsi que les principaux accords
pétroliers entre la « bolibourgeoisie » et Chevron, dans le sens de
monopoliser le marché international du pétrole dans cette région (comme
disait Marx, la concurrence et le monopole ne sont pas des pôles
antagoniques mais complémentaires, les deux faces d’une même pièce de
monnaie ; et comme les bourgeois et leurs économistes ont l’habitude de
dire : « en affaires, il n’y a pas d’amis »). Plus en profondeur encore,
étant donné que le pétrole c’est de l’énergie et que l’énergie est
l’élément vital de l’économie, à savoir qu’il est une activité lucrative
en soi ainsi qu’une soupape d’échappement pour l’actuelle crise
capitaliste mondiale. Ce qui, cependant, sera « plus cher » et
catastrophique à l’avenir en raison de l’actuelle « crise pétrolière »
et de tous les désastres et conflits que cela implique. Cependant, le
pétrole n’est pas encore la principale cause de ce drame ou des tensions
internationales dans la région.
– La bourgeoisie américaine et le Pentagone ne sont pas stupides, ni
ne restent les bras croisés. Tout le contraire. Si ni un gouvernement de
gauche ni l’opposition de droite n’ont été en mesure de gérer la crise
capitaliste dans une partie importante de leur « arrière-cour », le
« risque » existe aussi que dans ce pays le prolétariat (ce « fantôme »
que craint tellement toute bourgeoisie) ré-émerge de manière explosive
et hors de contrôle, comme une véritable force, autonome et indomptée.
Alors, s’agit-il d’une « émeute de la faim » potentielle et contre
l’État au Venezuela ? Face à cette menace, les USA ne peuvent pas
échouer à remplir leur rôle de gendarme ou de police mondiale : voilà
une des nécessités d’intervention armée au Venezuela. Et peut-être ne
faut-il pas attendre qu’une telle révolte potentielle ne se produire,
mais plutôt anticiper les mouvements visant à « la prévenir ». En
conclusion, comme toujours la guerre impérialiste consiste à écraser
toute tentative révolutionnaire et à repolariser le pouvoir de la
bourgeoisie. La guerre, c’est toujours la guerre contre le prolétariat.
Dans ce cas précis, il s’agit de « neutraliser » la contradiction
fondamentale et réelle, de fond : l’antagonisme de classe et toute
tentative de révolution radicale.
– En outre, ce n’est pas seulement à cause de la menace d’un
prolétariat sauvage dans ce pays que les USA mèneraient la guerre
impérialiste au Venezuela, mais parce qu’ils ont déjà un problème
potentiel « chez eux » : le mouvement des manifestations et des émeutes
déclenché dans les villes de Ferguson, Baltimore, Oakland et Charlotte
ces quatre dernières années. Autrement dit, les USA feraient également
la guerre afin de se renforcer et de gagner la guerre contre le
prolétariat qu’ils mènent sur leur propre territoire : par exemple,
l’enrôlement dans l’armée de jeunes prolétaires (des noirs, des latinos
et des blancs) pour qu’ils aillent tuer et mourir dans d’autres pays, et
ainsi éviter qu’ils trainent dans les rues comme des « paresseux » et
des « vandales ». Ce qui pourrait paradoxalement se transformer en un
boomerang, et il y a déjà quelques indices ou signes de cela. Ceci est
un autre fait qui justifie l’importance aujourd’hui de la relation
internationale entre le Venezuela et les USA ainsi que la situation
intérieure dans les deux pays, dans le sens de manifester la dialectique
historique concrète entre la guerre de classe et la guerre
impérialiste.
– Par ce fait même, le seul qui puisse arrêter et inverser la guerre
impérialiste dirigée par les USA dans pratiquement le monde entier,
c’est le prolétariat non seulement des pays en guerre (de manière réelle
ou potentielle) mais aussi le prolétariat de tous les pays et de toutes
les régions, de toutes les « couleurs » ou « races », agissant comme
une seule force mondiale et historique contre un seul ennemi : le
Capital-État mondial. La seule façon d’en finir vraiment et radicalement
avec la guerre et le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne
mondiale. Mais pour cela, il est d’abord nécessaire que notre classe
s’assume en tant que telle, en tant que prolétariat, en tant que classe
antagonique au Capital ; une classe qui dépasse les séparations
(nationales, raciales, sexuelles, idéologiques, etc.) qui lui sont
imposées ; qui se réapproprie son programme historique et qui lutte pour
l’imposer ; qui se bat pour ses propres revendications avec ses propres
formes d’association et méthodes de lutte de classe ; qui assume
qu’elle n’a pas de patrie et qui pratique l’internationalisme
prolétarien, en luttant contre « ses propres » bourgeoisies et États
nationaux, et contre tout nationalisme et régionalisme (qui sont des
entraves idéologiques et identitaires si profondément enracinées en
Amérique latine) ; qui à la guerre impérialiste, lui oppose le
défaitisme révolutionnaire et la transforme en guerre de classe
révolutionnaire et mondiale. Il nous faut un sujet révolutionnaire. Mais
cela ne se reconstitue qu’à la chaleur de la lutte des classes même et,
comme le montre l’histoire, après de nombreuses défaites. Combien de
défaites supplémentaires seront nécessaires, frères prolétariens dans le
monde entier ?
– Il se peut que nous soyons en avance sur les faits, mais si une
telle chose ne finit pas par se concrétiser, ou si les USA n’envahisse
pas le Venezuela, nous l’exclamerons pareillement et continuerons de
l’exclamer parce qu’aujourd’hui (comme toujours), peu importe où on
regarde, nous sommes en guerre. Le Capital et son État ont toujours été,
sont et seront en guerre permanente contre notre classe pour nous
maintenir exploités et dominés, divisés et faibles, annihilés et
détruits en tant que classe. Ensuite, pour défendre et récupérer nos
vies, il est temps que les prolétaires assument la guerre de classe et
passent à l’offensive contre leurs ennemis. Partout et jusqu’à la fin…
Prolétaires qui vivez au Venezuela et partout ailleurs :
Ni gouvernement, ni opposition, ni invasion !
Aucun sacrifice pour aucune nation !
Contre la guerre inter-capitaliste et impérialiste : lutte de classe autonome, anticapitaliste, antiétatique et internationaliste !
La Révolution Prolétarienne Mondiale ou la Mort !
Aucun sacrifice pour aucune nation !
Contre la guerre inter-capitaliste et impérialiste : lutte de classe autonome, anticapitaliste, antiétatique et internationaliste !
La Révolution Prolétarienne Mondiale ou la Mort !
Proletarios Revolucionarios*
[Prolétaires Révolutionnaires]
[Prolétaires Révolutionnaires]
* (Nous avons légèrement modifié certains paragraphes du texte
afin d’en stimuler la lecture, sans bien sûr en altérer le contenu et
les positions exposées, puisque nous sommes complètement d’accord avec
celles-ci). [Ndr]
Auteur : Proletarios Revolucionarios
Traduction : Tridni Valka
Illustrations : Contre Capital