Le projet d’une décriminalisation complète de
l’industrie de la prostitution a le vent en poupe ces derniers temps. Le
5 mai, le New York Times demandait ingénument « La prostitution
devrait-elle être un crime ? » Et le 26 mai, Amnesty International
recommandait officiellement la décriminalisation totale des véritables
agents de la prostitution : tenanciers de bordels, proxénètes,
entremetteurs et acheteurs de sexe.
Or, ni l’article du NYT (signé Emily Bazelon) ni la
position d’Amnesty sur ce qu’elles nomment le « travail du sexe » pour
le banaliser et l’« assainir » ne prennent réellement en compte la façon
dont la prostitution fonctionne comme un système colonial qui cible de
façon disproportionnée les femmes et les filles autochtones. Ces
politiques et positions véhiculent un portrait faussement rassurant, qui
laisse les femmes et les filles autochtones, ainsi que nos sœurs de
couleur, aux prises avec les conséquences de ce déni.
Aujourd’hui, grâce au travail soutenu de femmes et
d’hommes autochtones, de plus en plus de gens et d’organisations
reconnaissent l’importance du territoire pour la survie, pour les
cultures et le bien-être des peuples autochtones. Ils et elles ont
constaté les nombreuses façons dont le colonialisme perturbe violemment
ces liens. Lentement, les non-Autochtones commencent à comprendre le
concept de « territoires non cédés » et à reconnaître l’exploitation des
terres et des « ressources » qui ont été arrachées au soin que leur
portent les populations autochtones.
Les colonisateurs mâles étaient des voleurs qui ont
pris ce qui ne leur appartenait pas, convaincus qu’ils y avaient droit.
Mais cette prérogative ne s’est pas limitée à des terres : ces hommes
ont décidé qu’ils avaient également droit aux corps des femmes et des
filles autochtones. Des études effectuées par Melissa Farley, Jacqueline
Lynne, et Ann Cotton ont révélé que les femmes et les filles
autochtones au Canada ont d’abord été prostituées dans le contexte des
premiers forts et bases militaires, et comme « épouses de terrain » des
commerçants de fourrures blancs. Si les femmes et les filles autochtones
ont été ciblées pour la prostitution, c’est en partie à cause des
mensonges racontés à leur sujet : on en a fait un portrait de
« squaws », de « sauvagesses », toujours assoiffées de rapports sexuels
avec les Blancs. De fait, avant l’invasion de l’Amérique du Nord, la
prostitution n’existait pas parmi les nations autochtones que j’ai
côtoyées : cette institution a été imposée aux femmes et aux filles
autochtones par les colons. L’appropriation des territoires se poursuit
aujourd’hui alors que des non-Autochtones vivent sur des terres
autochtones et les exploitent. Et l’appropriation des corps se poursuit
par les niveaux critiques de violence masculine imposée aux femmes et
aux filles autochtones.
Dans son article, Emily Bazelon cite Liesl
Gerntholtz, directrice générale de la Division des droits des femmes
chez Human Rights Watch (HRW), une autre organisation qui revendique la
décriminalisation totale du système prostitutionnel :
« On parle souvent de femmes qui disposent de choix
extrêmement limités. Aimerais-je vivre dans un monde où personne n’est
forcée à se livrer au travail du sexe ? Absolument. Mais ce n’est pas le
cas. Alors je veux vivre dans un monde où les femmes le font en grande
partie volontairement, de manière sécuritaire. »
Gerntholtz et HRW ont apparemment conclu qu’il est
impossible d’imaginer un monde sans prostitution et, ce faisant, elles
tirent un trait sur les réalités historiques des Autochtones et
adressent aux femmes et aux filles autochtones le message que leurs vies
ne valent pas la peine d’être défendues. HRW réaffirme ainsi le mythe
raciste que les femmes et les filles autochtones (et de couleur)
autochtones consentent davantage que les Blanches à se prostituer par
désir de rapports sexuels avec des hommes blancs. Faute de reconnaître
et de combattre les inégalités racistes, sexistes et capitalistes qui
canalisent les femmes et les filles dans la prostitution et faute de
lutter contre les prérogatives masculines, ce procès d’intention raciste
demeure notre seule réponse collective à la surreprésentation des
femmes et des filles autochtones dans l’industrie du sexe. Est-ce le
mensonge que nous voulons continuer à adresser aux femmes et aux filles
autochtones et le message que nous voulons envoyer aux hommes qui les
achètent et les vendent ? Malheureusement, Bazelon et HRW ne peuvent pas
(ou ne veulent pas) tenir tête aux prérogatives masculines. Au lieu de
cela, elles disent aux femmes et aux filles qu’elles doivent simplement
trouver de meilleures façons, « plus sécuritaires », de s’adapter au
droit incontesté d’accès des hommes à nos corps.
Les messages reçus dès mon enfance comme fille
étaient destinés à me rendre la vie « plus sécuritaire » : ne pas parler
aux étrangers, ne pas marcher seule la nuit, ne pas porter de jupes
courtes. Ces avertissements (toujours adressés aux filles et aux femmes)
visent à limiter nos mouvements et nos gestes au nom de la
« sécurité ». Mais où sont les messages adressés aux garçons et aux
hommes pour les dissuader de violer ? Où sont les messages disant aux
hommes et aux garçons qu’ils ne sont pas autorisés à avoir des rapports
sexuels chaque fois qu’ils en veulent, dans n’importe quelle condition
et avec qui ils veulent ? Où est la contestation du droit des hommes à
s’approprier des corps et des territoires ?
Nous voyons partout de tels exemples de prérogatives
masculines. Le cas récent du violeur arrêté sur le campus de
l’université Stanford, Brock Turner, en est une illustration parfaite.
La sentence minime reçue pour son agression, ainsi que la défense de ces
actes, leur minimisation et leur déni par son père et par d’autres
intervenants, sont autant d’illustrations de la culture du viol : une
série d’attitudes qui permet, tolère et même célèbre le viol des femmes
et des filles par des hommes. Cette culture affecte l’ensemble des
femmes et des filles, mais particulièrement les femmes autochtones et de
couleur, ce qui amène à se demander si Turner aurait même été accusé ou
reconnu coupable dans le cas où sa victime avait été d’origine
autochtone ou de couleur.
À observer de tels procès, les femmes autochtones et
de couleur constatent que si même une femme dotée du privilège blanc
subit un traitement aussi horrible suite à son agression sexuelle, elles
ont raison de se demander : « Si cela arrive à une femme possédant un
certain niveau de privilège, comment nous traitera-t-on ? » Quelle que
soit l’origine raciale de la victime, il est clair que ce qu’éprouvent
toutes les femmes victimes d’agression sexuelle, et il est clair que les
façons dont nos vies sont balisées par la violence masculine ou par sa
menace, sont une conséquence directe de la culture patriarcale dans
laquelle nous vivons.
Turner a violé une femme parce qu’il se sentait en
droit de s’approprier son corps. Cette prérogative masculine est un
fondement de la culture du viol, mais beaucoup de ceux et celles qui se
prétendent critiques de la culture du viol soutiennent néanmoins une
décriminalisation entière des macs et des acheteurs de sexe, omettant
ainsi de reconnaître que la prérogative masculine qui fonde la culture
du viol est également celle qui alimente l’industrie du sexe.
Amnesty International affirme que leur nouvelle
politique « ne prétend pas qu’il existe un droit fondamental d’acheter
des services sexuels ou de bénéficier financièrement de la vente de
services sexuels par autrui ». Mais ce dont l’organisation ne semble pas
se rendre compte, c’est qu’en l’absence de conséquences réelles pour
les actes des macs et des acheteurs, leur politique donne le feu vert à
ces actes et les justifie. Par ce choix, Amnesty International
naturalise les prérogatives masculines d’exploitation des personnes (et
des territoires) en refusant de les reconnaître comme élément fondateur
du patriarcat, du racisme et du capitalisme et en refusant de les
contester en conséquence.
Pour être parfaitement claire, ce que je critique est
le système de la prostitution, et non les femmes et les filles qui sont
présentement dans la prostitution. De la même manière que je dénonce à
l’horrible système canadien des pensionnats autochtones mais sans
critiquer les survivant.e.s de ces pensionnats, et je critique la
culture du viol sans blâmer les femmes et les filles qui ont subi des
viols. Il n’y a pas de honte à se livrer à la prostitution ; les femmes
et les filles autochtones ont été ciblées pour la prostitution depuis
l’invasion du Canada par les hommes blancs. Le fait que les femmes et
les filles autochtones réussissent à survivre dans une culture
génocidaire qui nous hait et déteste toutes les femmes est rien de moins
qu’une victoire. Cependant, nous méritons plus que cette survie : nous
méritons des vies joyeuses et épanouissantes, exemptes de violence
masculine ou de sa menace. Nous méritons de nous livrer aux actes
sexuels de notre choix, avec des partenaires que nous choisissons, qui
considèrent notre humanité et notre jouissance, sans les asservir à
quelque forme de menace ou de contrainte, économique ou autre. Il est
évident que toutes les personnes qui vendent leur activité sexuelle
devraient être décriminalisées et que toutes les femmes et les filles
devraient avoir accès aux ressources dont nous avons besoin pour
construire ces vies joyeuses et épanouissantes, par exemple, des
logements sûrs à coût abordable, des aliments nutritifs et de l’eau
potable, l’accès à des possibilités d’instruction et d’emploi, et la
reconnaissance de nos droits à nos terres, nos langues et nos cultures.
Je ne juge pas celles qui se retrouvent à vendre du sexe, mais je me
prononce sans hésiter sur les hommes qui choisissent de payer ou de
tirer profit de l’exploitation sexuelle de femmes et de filles, dont la
vaste majorité sont aujourd’hui pauvres, autochtones ou de couleur. Au
Canada, aujourd’hui, les filles sont sexualisées dès un très jeune âge
et les femmes ne gagnent encore que 72 pour cent de ce que gagnent les
hommes pour un travail semblable ; n’allons pas prétendre que les filles
entrent dans la vie sur un pied d’égalité.
J’ai lu beaucoup d’éloges en ligne pour l’article de
Bazelon et la nouvelle politique d’Amnesty International, et,
malheureusement, cet étalage d’appuis ne m’étonne guère. Lorsque le
statu quo (celui des prérogatives masculines) n’est pas remis en cause,
sa célébration est à prévoir. Je suis certaine que beaucoup de
prostitueurs et de macs ont applaudi l’article de Bazelon et la nouvelle
politique d’Amnesty sur le « travail du sexe ».
Un certain nombre de personnes et d’organisations
bien intentionnées décrivent les rapports de HRW et Amnesty
International sur les violences infligées aux femmes et aux filles
autochtones au Canada comme des recherches importantes sur cette
question. Cependant, en raison de la position qu’adoptent ces
organisations en matière de prostitution, il est évident pour moi que ni
l’une ni l’autre ne comprend le colonialisme et ses conséquences
continues sur la vie des femmes et des filles autochtones. Human Rights
Watch, Amnesty International et Emily Bazelon échouent à comprendre que,
à un niveau fondamental, les prérogatives masculines blanches d’accès
sur demande à des corps et à des territoires sont nuisibles et parfois
mortelles, et que ces prérogatives masculines blanches à des corps et à
des territoires doivent toujours être contestées. La prostitution est la
colonisation des corps, et c’est une expression fondamentale du
patriarcat, du racisme et du capitalisme. Nous parlons ici d’une
domination et d’un contrôle basés sur l’argent, la blancheur et la
virilité.
Je suggère que des auteur.e.s comme Madame Bazelon se
renseignent plus avant sur le colonialisme et son sens avant de publier
d’autres écrits sur ces questions, et que HRW et Amnesty International
s’abstiennent de commenter toute question de violence masculine contre
les femmes et les filles autochtones au Canada jusqu’à ce que ces
organisations soient prêtes à prendre position contre le droit des
hommes aux corps et aux territoires de ces femmes.
Ces positions et arguments sont contradictoires et ne
peuvent être conciliés pour réclamer, d’une part, une fin à la violence
contre les femmes et les filles autochtones et, d’autre part, un droit
pour les proxénètes et les prostitueurs de vendre et d’acheter
impunément des femmes autochtones. Les femmes et les filles autochtones
n’ont pas besoin de soi-disant « alliés » qui refusent de remettre en
cause le colonialisme au Canada et les idéologies coloniales qui les
habitent.
Cherry Smiley est une militante féministe et artiste
des nations Thompson et Navajo. Elle est co-fondatrice de l’organisation
Femmes autochtones contre l’industrie du sexe et a reçu, entre autres
distinctions, le Prix du Gouverneur général 2013 en commémoration de
l’affaire « personne ». C’est une des Boursières Trudeau 2016. On peut
la suivre sur Twitter : @_cherrysmiley_
Note de Contre Capital (LiPao) :
Cet article a été d'abord publié en anglais sur le site Feminist Current puis traduit en français sur le site TradFem, et enfin relayé par le Collectif Libertaire AntiSexiste.
En toile de fond nous avons là la position de réels indigènes sur la question du viol marchand (la prostitution), réels indigènes à ne pas confondre avec les intellectuels petits-bourgeois antijuifs du Parti des Indigènes de la République liés au lobby petit-capitaliste STRASS, grassement subventionné par les Verts du parlement européen et dont le chef est un élu du Parti socialiste. Ce qui n'empêchera pas tous ces connards de néogauchistes à la mode du jour de renouveler continuellement sur leurs blogs respectifs, et facebook de rebelles, leur soutien à ces partisans du viol marchand et aux immondices antijuifs et homophobes des faux anti-coloniaux du PIR.