[Alain Bihr] -Depuis plus d’une quinzaine d’années, Bernard Friot poursuit une
réflexion originale sur le devenir historique et l’avenir du salariat,
dans laquelle il a accordé une place importante à l’avènement de la
cotisation sociale[1], ce qui lui a donné l’occasion d’intervenir de
manière remarquée dans le débat qu’a suscité en France la «réforme» des
régimes de retraite en 2010[2]. Dans son dernier ouvrage[3], il reprend
et radicalise certaines des thèses déjà développées précédemment tout en
en explicitant davantage les fondements théoriques. Ce qui permet aussi
de mieux en apprécier la portée mais aussi de marquer les points de
désaccords. Cela implique cependant de suivre sa démarche pas à pas, au
prix de quelques détours théoriques inévitables.
Quelques solides confusions à la base
C’est en s’«aidant des catégories de Marx» (page 25) que
Bernard Friot échafaude ses thèses. Du moins le croit-il. Car, si bon
nombre de ses concepts sont, en effet, empruntés à Marx, il faut
déplorer quelques confusions qui les dénaturent quelquefois proprement.
Donnons-en trois exemples.
1° A propos de la valeur. Le concept de valeur figure
en bonne place parmi les concepts de base dont Bernard Friot se sert (il
parle plus souvent à son sujet de la «valeur économique»), qu’il croit pouvoir définir par opposition à la valeur d’usage.
«Commençons par bien poser l’existence de deux ordres de valeur,
la valeur d’usage et la valeur économique. La valeur d’usage d’un bien
ou d’un service, c’est ce à quoi il sert concrètement. Sa valeur
économique, c’est le pouvoir monétaire qu’il donne à son propriétaire.» (page 26).
En opposant la valeur à la valeur d’usage, Bernard Friot confond en
fait valeur et valeur d’échange – telles du moins que Marx les définit
dans les premières pages du Capital. Car, pour Marx, la valeur d’échange d’une marchandise n’est pas sa valeur, elle n’en est que la forme phénoménale,
la forme sous laquelle sa valeur se manifeste et se réalise dans ses
rapports d’échange (les rapports de valeur) avec d’autres marchandises
et, partant, dès lors qu’est institué avec la monnaie un équivalent
général de toutes les marchandises, dans son prix, ce que Bernard Friot
nomme improprement «son pouvoir monétaire».
Confondre ainsi valeur et valeur d’échange n’est pas sans
conséquence. Cela témoigne de l’incompréhension de ce qu’est la valeur
pour Marx, à savoir la forme énigmatique et fétichiste sous laquelle se
réalise le caractère social des multiples activités productives dès lors
qu’elles sont prises dans les rets de la propriété privée des moyens de
production et de la division marchande du travail social (l’une et
l’autre allant de pair).
Dès lors, en effet, ces activités ne peuvent plus confirmer leur
caractère de travaux socialement nécessaires (du double point de vue de
leur qualité et de leur quantité), partant le caractère de valeurs
d’usage sociales de leurs produits, que par l’intermédiaire de
l’échange marchand entre ces derniers. Autrement dit, pour Marx, les
rapports sociaux qui font exister la valeur sont la propriété privée des
moyens de production et la division marchande du travail social; en
dehors de ces rapports, la valeur n’a ni sens ni existence; et, dans le
cadre de ces rapports, elle est la seule forme sous laquelle se
manifeste et se masque, à la fois, aux yeux des
producteurs le caractère social tant de leurs activités productives que
de leurs produits. Forme dont le caractère nécessairement fétichiste
conduit à la naturaliser: la qualité de valeur des marchandises (le fait
qu’elles aient une valeur, qui les rend échangeables et commensurables)
tout comme leur quantité de valeur (partant les proportions dans
lesquelles elles s’échangent entre elles ou s’échangent contre de la
monnaie, leur équivalent général) semblent constituer des qualités ou
propriétés substantielles, qu’elles posséderaient en et par elles-mêmes,
qui semblent ne rien devoir aux hommes qui en sont les producteurs et
qui leur permettraient de vivre de leur vie propre sur le marché, en
s’autonomisant totalement par rapport à eux, jusqu’à se retourner contre
eux pour les ruiner.
C’est précisément ce que Bernard Friot semble ignorer. Cela apparaît
notamment lorsqu’il entreprend de nous expliquer que le contenu et la
forme de la «valeur économique» sont variables dans l’espace et
le temps des sociétés humaines, en fonction des rapports de domination
qui y règnent: ce sont les dominants qui, à chaque fois, détermineraient
ce qui posséderait de la valeur et ce qui n’en posséderait pas et sous
quelle forme celle-ci se réaliserait.
«Toutes les valeurs d’usage ne se valent pas. Non par essence,
mais parce que les rapports sociaux décident de fait de leur inégalité.
Leur valeur est affaire de pouvoir. C’est le détenteur du pouvoir qui
décide de la valeur économique, en même temps que l’appropriation de
celle-ci fonde son pouvoir. Avant que le capitalisme invente la
médiation du travail abstrait, la valeur économique était immédiatement
liée à ces rapports de pouvoir. Le paysan que chante Hésiode produit des
valeurs d’usage fondamentales, mais il ne travaille pas: il rend
hommage aux dieux… et enrichit les prêtres. Le vassal, dans une société
féodale, produit des valeurs d’usage, mais le travail n’est pas la
mesure de ce qu’il produit pour son seigneur. Le rapport de pouvoir
inhérent à la valeur économique s’expose directement: c’est celui du
chef de clan, du prêtre, du prince. Et c’est la légitimité en permanence
réactivée de ce rapport social posé comme naturel qui assure la
convention de la valeur économique ayant cours dans la société.» (page 27).
Ici Bernard Friot confond manifestement la valeur économique et la valorisation différentielle et inégale des valeurs d’usage
au sein de différents rapports de production et de pouvoir. On peut
certes lui concéder le second terme mais en lui faisant immédiatement
remarquer que, dans le cadre des différents rapports de production qu’il
envisage ici, la valeur économique, telle que l’entend Marx du moins,
n’a aucune existence. Tout simplement parce que, dans le cadre de ces
rapports de production, ni la propriété privée des moyens de production
ni la division marchande du travail ne se sont développées, si ce n’est
marginalement. Ni le communisme patriarcal, ni la théocratie de l’Egypte
antique, ni le servage (et non pas le vasselage!) ne leur ont
naissance, même s’ils ont pu leur donner prise, de l’extérieur pour
l’essentiel.
Ignorant le lien interne et indissoluble liant l’existence de la
valeur à celle de la propriété privée des moyens de production et de la
division marchande du travail, Bernard Friot peut alors faire de la
première une sorte de convention fluctuant au gré des rapports de
pouvoir:
«Nous l’avons dit, la valeur économique renvoie au pouvoir. Le
pouvoir appartient à celui qui décide de ce qui, parmi les biens et les
services produits, a non seulement une valeur d’usage mais aussi une
valeur économique, et de quel montant (puisque la valeur économique
s’évalue en monnaie).» (page 38)
Et cela le conduit en définitive à affirmer que la valeur d’échange,
loin d’être la forme phénoménale obligée de la valeur, n’est elle-même
qu’une convention imposée par la domination capitaliste dont on pourrait
se débarrasser tout en conservant la valeur elle-même. Ainsi écrit-il:
«Si, dans le capitalisme, la valeur économique est la valeur d’échange,
ça n’est pas parce que les valeurs d’usage doivent être échangées,
c’est parce que l’extorsion de la survaleur dans la production passe par
l’échange entre les forces de travail et salaires sur le marché du
travail et entre produits et prix de vente sur les marchés des produits.» (page 199)
Passons sur le caractère pour le moins discutable de certaines formulations (que signifie échanger des «produits» contre des «prix de vente»
sur un marché?). Cela revient à dire que la forme valeur d’échange
n’est pas liée à l’existence d’une division marchande du travail faisant
des activités productives des travaux privés dont les produits doivent nécessairement s’échanger pour confirmer leur caractère social,
mais aux seuls impératifs de l’exploitation capitaliste. Et que,
libérées de ces derniers, les marchandises, tout en conservant leur
valeur (économique), pourraient circuler sans disposer de valeur
d’échange, tout en continuant pourtant à s’évaluer en monnaie… Une vraie
contradiction dans les termes!
2° Travail concret, travail abstrait. Bernard Friot
reprend également la différence introduite par Marx entre travail
concret et travail abstrait. Mais, sur la base des confusions
précédentes entachant sa conception de la valeur, il ne peut qu’en
compromettre, là encore, le sens et la portée. Pour lui:
«Dans le capitalisme, le travail a deux dimensions, le travail
concret, qui rapporte le travail à la production de valeur d’usage, et
le travail abstrait, qui le rapporte à la production de valeur
économique» (page 197)
Et le travail abstrait est cette «Invention capitaliste qui
rapporte au travail la mesure de la valeur économique et donc détache
celle-ci de l’immédiateté des rapports de pouvoir qui la détermine.» (id.)
On retrouve ici la négation par Bernard Friot de l’objectivité des
rapports sociaux qui font prendre au travail social sa forme valeur et
que Marx analyse dans les premières pages du Capital.
Rappelons-en les principaux éléments. Partant de l’analyse du rapport
d’échange le plus immédiat, celui entre deux marchandises, par exemple:
20 mètres de toile = un habit
Marx constate que, dans ce rapport d’échanges, il est fait abstraction
de la valeur d’usage des marchandises échangées, partant de la
singularité des travaux concrets qui les ont produites, pour décréter
leur interchangeabilité et leur commensurabilité sous l’angle de leur
valeur. Dès lors, celle-ci ne peut que consister dans la commune
propriété d’être des produits du travail humain en général, abstraction
faite précisément des innombrables formes singulières sous lesquelles
ce dernier se manifeste pour produire tantôt de la toile, tantôt des
habits. L’abstraction est ici inhérente au rapport d’échange marchand et
n’est nullement une convention arbitraire qui viendrait se superposer à
lui (par exemple au nom des impératifs de l’exploitation capitaliste)
et dont on pourrait se libérer tout en maintenant l’échange marchand. Et
la mesure de la valeur par le travail abstrait n’est pas davantage une
convention arbitraire: le rapport d’échanges pose le travail abstrait
comme la seule substance possible de la valeur et, par conséquent, comme
sa mesure; et c’est lui, de même, qui exige que tout travail concret
soit réduit à du travail abstrait dès lors que le premier n’est plus
destiné à produire immédiatement des valeurs d’usage mais à former de la
valeur, qui plus est de la survaleur (plus-value).
C’est si peu une convention arbitraire que Marx consacre de longues
pages à analyser toutes les transformations que le capital (le rapport
capitaliste de production) doit faire subir aux procès de travail
concret dont il s’empare (par l’intermédiaire de la propriété privée des
moyens de production et de l’achat-vente de la force de travail) pour
parvenir à se valoriser, autrement dit pour le transformer en travail
abstrait, en ce travail social, homogène et moyen, qui seul forme de la
valeur.
C’est tout l’objet de la section IV du Livre I du Capital,
dans laquelle Marx expose les différents moments de ce processus
d’appropriation capitaliste, depuis la coopération jusqu’à la
mécanisation qu’opère la grande industrie en passant par la manufacture,
qui tout à la fois socialise le procès de travail (substitue un travail
collectif au travailleur individuel comme sujet de ce procès),
autonomise le capital au sein de ce procès sous forme d’un travail mort
(le système des machines) qui non seulement domine le travail vivant du
travailleur collectif mais encore s’empare progressivement de toutes ses
fonctions productives et exproprie ainsi le travailleur individuel de
la maîtrise de son propre procès de travail, en le réduisant de plus en
plus à du travail simple. Un processus qui n’a cessé de se poursuivre
depuis Marx, sous forme des vagues successives de taylorisation,
mécanisation fordiste et, aujourd’hui, d’automation.
Ainsi le concept de travail abstrait ne fait que définir le destin de
tout travail concret (de toute activité productive) dès lors que le
capital s’en empare pour en faire le moyen de sa propre valorisation. Et
c’est aussi pourquoi le projet formé par Bernard Friot de libérer le
travail abstrait de sa définition (ou convention) capitaliste n’a
littéralement parlant aucun sens:
« (…) la forme capitaliste d’extorsion de la survaleur suppose que
le travail abstrait utilisé pour mesurer la valeur soit le temps de
travail (valeur-travail), ce qui fait que les personnes, réduites à des
forces de travail, sont de plus prises dans l’étau de l’élimination
relative de ces dernières. Le travail abstrait salarial (la
qualification), au contraire, confirme les personnes puisque la
qualification, toujours améliorable, leur est attachée de manière
irréversible.» (pages 197-198)
Passons là encore sur des formulations discutables: la valeur (la quantité de valeur) ne se mesure pas au temps de travail mais à la quantité
de travail (abstrait) dont le temps (la durée) n’est qu’une des
composantes à côté de l’intensité et de la qualité du travail (donc sa
complexité plus ou moins grande, fonction des qualifications des
travailleurs). Penser qu’il est possible de donner au travail abstrait
un autre contenu que celui que lui donne le capitalisme, c’est ne pas
comprendre ce qui se joue en lui: le travail abstrait n’est rien d’autre
que le travail transformé par le capital pour en faire la substance
même de la valeur et, par conséquent, le moteur de sa valorisation.
Vouloir concevoir un travail abstrait en dehors du rapport capitaliste
de production, c’est comme vouloir concevoir la valeur en dehors de la
propriété privée des moyens de production et de la division marchande du
travail. Là encore, Bernard Friot détache les formes sociales des
rapports de production qui en constituent le contenu intrinsèque.
3° Le salaire. Il est beaucoup question du salaire dans cet ouvrage, qui s’intitule d’ailleurs L’enjeu du salaire. Mais, curieusement, il y est peu question du salariat, sauf sur un mode utopique sur lequel je reviendrai plus loin.
Dès les premières pages de son ouvrage, Bernard Friot s’en prend à
deux représentations courantes du salaire, qu’il juge erronées et
propres à faire obstacle à la compréhension des potentialités
libératrices contenues selon lui dans le salaire.
«La première, c’est que le salaire sert à satisfaire les besoins des travailleurs.
En témoigne l’expression courante, sans rapport au demeurant avec Marx,
du salaire comme « prix de la force de travail »: nous avons une force à
entretenir par le salaire. La seconde, c’est que le salaire est la rémunération du travail.
Ici, nous sommes dans l’appréhension du salaire comme contrepartie de
la productivité du travailleur, comme prix du produit de son travail.» (page 14).
Se référant une nouvelle fois à Marx, Bernard Friot commet, là
encore, une erreur à son sujet. Car, pour Marx, le salaire correspond
bien au prix de la force de travail, réglé comme tout prix par sa
valeur, elle-même mesurée en définitive par la quantité de travail
social nécessaire à la reproduction de la force de travail, laquelle
nous renvoie bien en définitive à la nécessité de satisfaire les besoins
des travailleurs. Plus exactement, pour Marx, le salaire est la forme
irrationnelle sous laquelle se manifeste et se réalise ce prix,
irrationnelle en cela que le salaire ne se donne pas pour le prix de la force de travail mais pour le prix du travail
lui-même: la rémunération de l’effort productif du travailleur – en
quoi nous retrouvons la seconde des définitions précédentes. Forme
irrationnelle qui fait croire que le travailleur reçoit la contrepartie
en valeur de ce qu’il a produit, occultant ainsi la survaleur
(plus-value) que s’approprie le capital et à travers laquelle il se
valorise.
Mais l’essentiel n’est pas dans ces formes phénoménales, mais une
fois encore dans les rapports sociaux qui leur donnent naissance. Car
pour que la force de travail ait un prix sous forme de salaire, il faut
préalablement qu’elle ait été transformée en marchandise. Et, comme l’a
démontré Marx, cela suppose à son tour que le travailleur salarié, qui
en est le sujet, soit devenu ce que Marx nomme ironiquement un «travailleur libre».
«Libre» d’un double point de vue même: libre de disposer de sa force de
travail, comme plus largement de sa personne, comme il l’entend, donc
libéré de tout rapport de dépendance personnel ou communautaire, réduit à
l’état d’individu autonome; mais «libre» aussi de toute possession, à
quelque titre que ce soit, de moyens de production propres. Si bien que
le seul usage immédiat qu’il puisse faire de sa force de travail, c’est
de la mettre en vente en espérant que quelqu’un la lui achète en
contrepartie d’un salaire: c’est là tout le contenu de sa «liberté».
Curieusement, mais symptomatiquement, on ne trouve à aucun moment
sous la plume de Bernard Friot le rappel de ces vérités élémentaires
quant à ce qu’il en est du salariat. Cette omission va de pair avec une
autre, qui concerne la définition qu’il donne du capital, son contraire.
Quand il énumère les éléments composant ce qu’il nomme la «convention capitaliste du travail», on trouve «la propriété lucrative», «le marché du travail», «la valeur-travail», la «création monétaire» et le «crédit bancaire» (cf. page 41 et page 183). Et, de la première, il nous dit qu’elle «permet
à la fois d’acheter sur un marché du travail des forces de travail, de
les vouer à produire des marchandises selon la loi de la valeur-travail
et de s’approprier la survaleur au moment de la vente de ces dernières.» (page 41).
Mais, à aucun moment, il n’est mentionné que c’est le même rapport social, l’expropriation des producteurs,
leur réduction au statut de non-propriétaire et de non-possesseur de
moyens de production, qui génère, d’un même mouvement, à un pôle des
travailleurs forcés de mettre en vente leur forces de travail et, à
l’autre pôle, la fameuse «propriété lucrative», en transformant
les moyens de production en moyens d’exploitation du travail des
premiers, en moyens de leur extorquer un surtravail qui se réalisera sur
le marché sous forme de survaleur (plus-value). Cette dimension
fondamentale, qui fonde tant le capital que le salariat, en tant que
moments des rapports capitalistes de production, reste au mieux
sous-entendue dans l’analyse de Bernard Friot. Cela apparaît par exemple
dans le passage suivant:
«Le capitalisme repose sur le fait que des propriétaires d’un
patrimoine lucratif, qu’il s’agisse d’un moyen de production ou d’un
portefeuille financier, décident des marchandises qui vont être
produites par des forces de travail qu’ils achètent sur un marché et,
lorsqu’ils vendent ces marchandises, récupèrent la survaleur économique
que ces forces de travail ont produite.»
Il est symptomatique, là encore, que ne soit pas davantage désigné, analysé et interrogé ici ce «fait» fondateur qui donne naissance, conjointement, au capital (le «patrimoine lucratif»
de Friot) et au salariat. Fait qui n’est autre précisément que
l’expropriation des producteurs, leur transformation en «travailleurs
libres», contraints de transformer leur force de travail (leur capacité
subjective de produire) en marchandise, qui donne ipso facto aux
propriétaires la possibilité de les exploiter sous une forme
capitaliste. Ce fait n’est donc autre que le capital comme rapport de
production; et le désigner comme un «fait» ne peut que contribuer à le naturaliser.
Notons enfin que ces omissions ne sont pas sans rapport avec celle du
concept de rapports capitalistes de production. Si cette expression
apparaît quelquefois sous sa plume (par exemple page 33), le concept
auquel elle renvoie ne lui est visiblement d’aucun usage. Il lui préfère
celui de «convention capitaliste du travail» dont il ne nous dit
pas en quoi il serait préférable ou supérieur au précédent. Par contre,
on a pu constater en quoi il est préjudiciable en tant qu’il conduit à
omettre le moment fondateur du capital comme rapport de production
qu’est l’expropriation des producteurs.
La qualification et la cotisation sociale sont-elles anticapitalistes?
C’est sur la base de ces prémisses confuses que Bernard Friot aborde
l’analyse de ce qu’il considère comme deux institutions clés de ce qu’il
nomme la «convention salariale du travail»: la qualification et la cotisation sociale. Selon lui, ces résultats des luttes de classes antérieures sont d’ores et déjà en mesure de subvertir la «convention capitaliste»;
et il compte en faire le fondement de son projet émancipateur. Mais,
sur la base des précédentes prémisses, l’analyse qu’il en développe est
pour le moins discutable.
• La qualification. D’une manière générale, la qualification «atteste
que ce qui est qualifié peut participer à un certain niveau de création
de la valeur économique et donc a droit à un certain niveau de salaire»
(page 72). Cette qualification peut avoir différents supports, Bernard
Friot en donnant trois exemples: le grade dans la fonction publique,
l’emploi dans le secteur privé, le diplôme protégé des professions
libérales. Dans le premier et le dernier cas, la qualification est
personnelle: elle est un attribut reconnu à la personne titulaire du
grade ou du diplôme; dans le deuxième cas, elle est un attribut d’un
poste de travail et n’est que médiatement l’attribut du salarié occupant
ce poste et pour la seule durée de son occupation.
Selon Bernard Friot, la qualification romprait doublement avec la logique capitaliste. Tout d’abord, elle instituerait «une définition du travail abstrait antinomique de celle du capital» (page 77). Ainsi, par exemple:
«La qualification attachée au poste codifie le salaire sur la base
d’un travail abstrait qui n’est pas défini par le temps de travail
nécessaire à la production et reproduction d’une force de travail en
mesure de tenir le poste: les différents critères de la qualification ne
peuvent être ramenés à cette quantité (même s’il n’a pas manqué de
lectures allant en ce sens, pour rapporter la qualification à du travail
abstrait capitaliste, comme la durée de fabrication d’un diplômé ou la
pension comme élément nécessaire de la reproduction de la force de
travail!).» (id.)
Bernard Friot se contente de nous affirmer que la qualification
échapperait à la mesure de la valeur de la force de travail par la
quantité de travail socialement nécessaire à sa (re)production, sans
nous expliquer au demeurant pourquoi et comment elle serait en mesure de
réaliser ce tour de force; de même qu’il se contente d’évoquer
ironiquement la thèse adverse sans prendre le temps de démontrer en quoi
elle serait erronée. Bernard Friot nous concédera volontiers que
l’acquisition par un individu des capacités requises pour être en état
de «participer à un certain niveau de création de la valeur économique»,
quel que soit ce niveau au demeurant, passe à chaque fois par une
formation spécifique, que celle-ci s’opère sous la forme de la
transmission et de l’appropriation d’un enseignement général ou
spécialisé, sous celle d’une accumulation-élaboration-assimilation de
savoirs et de savoir-faire par expérience professionnelle ou par un
mixte des deux. Dès lors en quoi est-il erroné de dire que la valeur de
la force de travail de cet individu s’en trouve enchérie en proportion
de la quantité de travail socialement nécessaire qui aura été dépensé au
cours de cette formation? La reconnaissance de cette qualification, qui
lui vaudra un surcroît de salaire relativement à l’individu qui en est
dépourvu, ne s’écarte en rien de la loi qui mesure la valeur de
n’importe quelle marchandise par la quantité de travail socialement
nécessaire à sa (re)production. Tel a d’ailleurs toujours été l’enjeu
des luttes syndicales pour la reconnaissance des qualifications,
notamment celles obtenues sur le tas, par accumulation de l’expérience
professionnelle, et de la constitution des grilles et hiérarchies de
postes, cadre des carrières professionnelles dans le secteur privé, pour
objectiver autant que possible les différentes qualifications reconnues
et attribuables.
Et on ne comprend pas davantage en quoi la qualification serait, de même, antinomique du marché du travail:
«La qualification de la personne est doublement subversive de la convention capitaliste du travail puisqu’elle s’attaque et à la valeur-travail (ce que fait aussi la qualification du poste dans l’emploi) et au marché du travail (ce que ne fait pas l’emploi).» (page 84).
En quoi le fait que, sur un même marché, des marchandises puissent
avoir des valeurs inégales parce qu’elles sont de qualité différente
(elles incorporent des quantités inégales de travail social moyen – la
complexité plus ou moins grande du travail étant l’une des composantes
de ces quantités) saperait-il ce marché? L’existence de la lingerie de
luxe a-t-elle jamais compromis celle du prêt-à-porter ou vice versa et
surtout l’existence du marché des produits textiles? Au demeurant, les
exemples utilisés par Bernard Friot sont tous discutables sous l’angle
de la thèse pour laquelle il les mobilise. Si le fonctionnaire est
libéré de la nécessité de passer périodiquement par le marché du
travail, il le doit au statut de la fonction publique certes,
c’est-à-dire à l’emploi à vie qu’inclut ce statut et nullement à son grade:
le cantonnier communal bénéficie ici du même privilège que l’énarque
employé au ministère. Si l’avocat et le médecin exerçant en libéral sont
eux aussi libérés de la dictature du marché du travail, c’est tout
simplement parce qu’ils ne mettent pas en vente leur force de travail
mais… leur travail (leurs services respectivement juridiques et
médicaux): ils échappent au marché du travail parce qu’ils sont soumis
au marché des biens et services.
Enfin, à supposer que, sous l’effet d’un rapport de forces très
favorable au monde salarial, le secteur privé s’aligne sur la fonction
publique et qualifie les salarié·e·s et non plus les postes, si bien que
tout salarié ayant occupé un poste répondant à une qualification ne
pourrait plus être employé que sur un poste équivalent, cela
rigidifierait sans doute le marché du travail, mais ne le supprimerait
en rien: cela n’empêcherait pas les directions d’entreprise de pouvoir
supprimer des postes, donc licencier les salarié·e·s qui les occupaient
et renvoyer ces derniers pointer à Pôle Emploi, tout qualifiés qu’ils
soient.
Pour supprimer le marché du travail, il n’y a qu’un moyen: supprimer
le statut de marchandise de la force de travail, quelle que soit la
qualification ou non qualification de son sujet (le salarié), donc
mettre fin à l’expropriation des producteurs, ce qui signifierait ipso facto la mort du capital comme rapport de production.
• La cotisation sociale. On ne peut pas davantage suivre
Bernard Friot dans son jugement sur la portée de la cotisation sociale,
notamment lorsqu’il affirme: «La cotisation sociale exprime une pratique de la valeur économique contradictoire avec celle du capital»
(page 97). Certes, on lui suivra volontiers quand il affirme que la
cotisation est du salaire, qu’elle participe d’un processus de
socialisation du salaire dont l’autre terme est la prestation sociale
(prestations familiales, prise en charge ou remboursement de biens ou
services médicaux, allocations de chômage ou pensions de retraite) que
touche le salarié (présent, potentiel ou passé) pour lui permettre de
faire face à ses besoins propres dans des situations spécifiques. Reste à
comprendre pour quelles raisons une telle socialisation s’impose au fil
du développement historique du capitalisme et pour quelles raisons elle
a pu prendre cette double forme (cotisations et prestations sociales).
Et, comme nous allons le voir, il n’est nullement nécessaire de
supposer, comme le fait Bernard Friot, que cette socialisation romprait
avec la loi de la valeur et avec la logique de valorisation du capital.
Pour le comprendre, il faut se souvenir que la force de travail est
une marchandise bien singulière, à nulle autre pareille, en ce que sa
valeur d’usage (sa capacité à prendre part à un procès de production,
indissolublement travail concret et travail abstrait en régime
capitaliste) n’est pas objectivée ni objectivable en un bien distinct de
son propriétaire: elle n’est en un sens que ce propriétaire lui-même,
envisagé sous l’angle de sa capacité subjective à déployer une telle
capacité productive. Exiger que le salaire permette sa reproduction,
c’est exiger que le salarié puisse, de quelque façon que ce soit, par
l’échange du salaire contre des moyens de production marchands ou par
d’autres moyens éventuels liés à son statut de salarié, se reproduire
lui-même en tant qu’agent social, déterminé par sa position dans la
division sociale du travail, à l’intérieur des rapports capitalistes de
production, à un certain niveau de développement historique de ces
derniers.
De là résulte que la force de travail présente, en tant que
marchandise, une double spécificité. Comme le faisait déjà remarquer
Marx, la détermination de sa valeur comprend «un élément moral»: elle est fonction d’une certaine norme sociale de consommation,
fonction du degré de développement des forces productives de la société
mais aussi, plus largement, de son niveau de civilisation, par exemple
de ce qui est considéré, au sein d’une société donnée, comme le niveau
de vie (pouvoir d’achat) minimal et le mode de vie décent minimal que
l’on doit assurer à chacun de ses membres, d’une manière générale comme
au sein de chaque catégorie sociale particulière.
Fixer une norme de consommation, c’est donc déterminer toute une
gamme de besoins, individuels ou collectifs, dont la satisfaction est
jugée nécessaire et légitime et, par conséquent, un «panier» de biens et
de services auxquels tout un chacun a droit, dont l’accès doit lui être
garanti en tant que salarié. Évidemment, dans une société divisée en
classes, fractions et couches sociales comme l’est la société
capitaliste, il tend à exister autant de normes de consommation que de
tels groupements sociaux, chacune correspondant à la part de la richesse
sociale que le groupement correspondant est en mesure de s’approprier
et aux besoins spécifiques qu’il entend satisfaire; et il en va de même
au sein du salariat: chaque catégorie (couche, fraction, classe) de
salariés se caractérise par sa propre norme de consommation.
De plus, cet «élément moral» va engendrer ce qu’on pourrait appeler un élément politique
– où l’on retrouve la bonne vieille lutte des classes. Car celle-ci
comprend toujours parmi ses multiples enjeux la définition des normes de
consommation (la fixation de leur contenu et de leur forme: des besoins
à satisfaire et de leurs modes de satisfaction). En luttant pour la
hausse de leurs salaires réels, les salariés ont toujours en fait lutté
pour élargir et enrichir leur norme de consommation: étendre la gamme de
leurs besoins reconnus comme légitimes, inclure de nouveaux biens et
services dans le «panier» auquel leur statut de salarié doit leur donner
droit, etc. Et c’est ainsi que, au fil de décennies de luttes
syndicales et politiques mais aussi d’auto-organisation mutualiste et
coopérative, les salariés sont parvenus à imposer la prise en compte de
certains de leurs besoins par le capital (les capitalistes ou leurs
représentants politiques) que celui-ci ignorait ou négligeait
primitivement: la prise en charge d’enfants à éduquer, des logements
comportant des normes minimales de confort, la couverture des soins
médicaux, la compensation du manque à gagner en cas de maladie,
d’infirmité ou de chômage, l’obtention d’une pension de retraite, etc.
Évidemment, le capital n’est pas resté sans réagir à cette pression
constante des salariés. Leur donner satisfaction (au moins
partiellement, le moins possible), sans que cela ne se traduise par une
augmentation de la valeur de la force de travail qui mettrait en péril
la valorisation du capital, n’a été possible que moyennant une
augmentation parallèle de la productivité du travail social: la norme de
consommation peut s’élargir et s’enrichir, les salaires réels peuvent
progresser sans que le taux de profit n’en subisse (du moins
immédiatement) une incidence négative à condition que la valeur des
biens et des services ainsi rendus accessibles à la consommation des
salariés s’abaisse sous l’effet de la hausse de la productivité du
travail. Telle est l’une des raisons fondamentales de la poursuite
incessante par le capital des gains de productivité: augmenter la
productivité du travail a été la réplique capitaliste aux luttes des
salariés pour élargir et enrichir leur norme de consommation – et cela
demeure le cas aujourd’hui.
Mais, quelle qu’en soit l’ampleur, cet élargissement et
enrichissement ne met pas fin à la loi de la valeur s’agissant de cette
marchandise qu’est la force de travail. Dans tous les cas, la valeur de
cette dernière se détermine toujours par la quantité de travail
socialement nécessaire à sa reproduction. Élargir et enrichir la norme
de consommation revient simplement à modifier la quantité et la qualité
des travaux socialement nécessaires à la reproduction de la force
de travail. Cela revient justement à faire reconnaître comme
socialement nécessaires à la reproduction de la force de travail des
dépenses de travail (sous forme de prises en charge des enfants, des
malades, des infirmes, des chômeurs, des personnes âgées, etc.) qui ne
l’étaient pas jusqu’alors.
Reste à savoir pourquoi cet élargissement et enrichissement ont pu
prendre la forme d’une socialisation du salaire par le double biais de
la cotisation et de la prestation sociales. Commençons par remarquer
qu’il n’y a là aucune nécessité impérative: en fonction de leurs
héritages historiques et des spécificités nationales des luttes de
classes, différentes formules ont été retenues, allant de la hausse du
salaire direct laissant à chaque salarié le soin de satisfaire la gamme
des nouveaux besoins reconnus comme légitimes par les ressources du
marché (en faisant par exemple appel aux ressources du capital
financier: banques, compagnies d’assurance, fonds de pension, etc.)
jusqu’à la prise en charge intégrale des besoins par les pouvoirs
publics, en passant par différentes formules activant ou réactivant des
solidarités personnelles d’ordre familial ou patronal, en faisant de la
famille ou de l’entreprise des figures providentielles concurrentes de
celle de l’Etat. Alors pourquoi la cotisation et la prestation?
Là encore, il suffit d’en revenir à cette marchandise singulière
qu’est la force de travail. Comme toute marchandise, sa valeur est une
valeur sociale, donc une valeur moyenne, relativement à laquelle
les valeurs des innombrables forces de travail individuelles vont
présenter des écarts plus ou moins importants. Car un·e tel ou telle est
célibataire et n’a pas d’enfant à charge, alors que son-sa collège est
père-mère de famille nombreuse. Un·e tel ou telle a une santé de fer
alors qu’un·e autre est affecté·e régulièrement par des petits maux et
qu’un·e troisième souffre d’une maladie chronique grave et
progressivement invalidante. Un·e tel ou telle fait toute sa carrière
sans connaître un seul jour de chômage alors que tel ou telle autre
effectue des va-et-vient constants entre emploi et chômage, etc.
Chercher à satisfaire des besoins aussi divers par une valeur moyenne de
la force de travail présente le double risque et inconvénient de
répondre à des besoins inexistants dans certains cas et, au contraire,
de ne pas répondre suffisamment et adéquatement à des besoins existants
dans d’autres cas. Autrement dit, de la sorte, on dilapide de la valeur
sous force d’un sursalaire dans un cas sans permettre la reproduction de
la force de travail dans l’autre.
Une des solutions possibles de cette contradiction entre valeur
sociale (moyenne) et valeurs individuelles des forces de travail réside
tout simplement dans une socialisation du salaire, consistant à
collecter une partie du salaire social (de la totalité de la valeur
avancée sous forme de salaire à l’intérieur d’un espace de valorisation
donné, par exemple un Etat) pour constituer un fonds salarial qui
distribue des prestations aux seuls salariés qui pourront établir qu’ils
en ont besoin et qu’ils y ont droit. De la sorte, le capital fait bien
coup double: il ne dépense pas plus que ce qui est nécessaire à la
reproduction de la force sociale de travail en général, en garantissant la reproduction des différentes forces individuelles de travail dont elle se compose, tout en tenant compte des singularités de ces dernières.
Là encore, on ne sort pas des rets du capital. Et cela en dépit du
fait que la socialisation du salaire ainsi opérée pour assurer
l’élargissement et l’enrichissement de la norme de consommation des
salariés soit plus avantageuse pour ces derniers que les modes
alternatifs qui peuvent se pratiquer, notamment ceux qui passent
directement par le marché (le capital financier), notamment en ce qu’ils
sont plus stables et plus pérennes. Qu’une pratique ou qu’une
institution soit directement contraire aux intérêts immédiats d’une fraction
du capital social (en l’occurrence le capital financier) n’en fait pas
pour autant un antagonique du capital social dans son ensemble et à long
terme. Tout au plus peut-on concéder à Bernard Friot que la
socialisation du salaire est le produit d’un compromis entre capital et
travail salarié, arraché par le second au premier pour financer
l’élargissement et l’enrichissement de sa norme de consommation. Mais
aucun compromis établi dans le cadre d’une domination de classe
perpétuée, dans le cadre des rapports de production qui la fondent, ne
peut s’émanciper des lois de la production sociale que ces derniers
imposent. Pas plus qu’il ne garantit contre le risque de retours en
arrière dès lors que le rapport de forces s’inverse au détriment des
salariés.
Les retraités produisent-ils de la valeur?
Parmi l’ensemble des prestations sociales financées par les
cotisations sociales, il en est une qui tient tout particulièrement à
cœur à Bernard Friot: la pension de retraite. Elle illustrerait au plus
haut point la thèse selon laquelle l’institution de la cotisation
sociale nous ferait sortir de la «convention capitaliste du travail». Écoutons-le sur ce point:
«Et s’ils [les retraité·e·s] travaillent, c’est-à-dire si
leur travail concret est aussi un travail abstrait producteur de valeur
économique, ça n’est pas parce qu’ils sont conseillères municipales ou
bénévoles au Secours populaire. Ce n’est pas le contenu du travail
concret qui fait qu’ils travaillent ou non. S’ils travaillent, c’est
parce que leur salaire à vie [i.e. leur pension de retraite], contre
l’emploi, reconnaît un autre travail abstrait, présent non seulement
dans les activités que je viens d’évoquer, mais aussi dans toutes leurs
productions de valeur d’usage. Y compris lorsqu’ils cultivent des
tomates, gardent leurs petits-enfants ou accompagnent leurs vieux
parents dans la mort.» (page 113).
Pour Bernard Friot, la preuve que les différentes activités ou
travaux concrets des retraité-e-s sont bien aussi du travail abstrait,
c’est qu’ils-elles perçoivent une pension de retraite, élément du
salaire socialisé, soit selon lui un salaire à vie. A partir de là, il
ne lui reste plus qu’un pas à franchir: loin que la pension de retraite
procède de la redistribution de la part socialisée du salaire, lui-même
élément de la valeur globale engendrée par la masse du travail productif
(au sens capitaliste du terme), ce serait le travail des retraités qui
créerait cet élément de valeur, qui échapperait aussi du coup à la
définition et à l’appropriation capitalistes de la valeur:
«Payés à vie, les retraités produisent de ce fait une valeur non
capitaliste, évaluée à 13 % du PIB qui leur reviennent sous forme de
pensions.» (page 111).
Ainsi «Ponctionner la cotisation sociale au nom du salaire pour la
distribuer à des personnes qui vont produire du non-marchand tout en
étant non pas des forces de travail mais les porteurs de la
qualification, c’est libérer la valeur de sa définition capitaliste et
ouvrir au PIB des contenus inédits.» (page 109).
«En reconnaissant directement la valeur du travail de personnes titulaires de qualification, elle [la cotisation sociale] subvertit la valeur capitaliste. C’est un ajout de valeur anticapitaliste au PIB.» (page 116)
Ainsi, sur la base des confusions précédentes sur la valeur, Bernard
Friot en arrive à renverser complètement les rapports de valeur, en
attribuant à l’activité des retraités la capacité de créer la valeur
qu’ils reçoivent sous forme de pension de retraite par redistribution du
fonds socialisé du salaire. «Y compris quand ils cultivent des tomates, gardent leurs petits enfants ou accompagnent leurs vieux parents dans la mort.» (page 113)[4]
On se trouve ici dans une situation similaire à celle analysée par Marx lorsque, dans la dernière section du Livre III du Capital, il s’en prend à «la formule trinitaire»
Capital–Terre – Travail. Marx montre, à ce propos, comment les rapports
de distribution, inhérents aux rapports capitalistes de production,
créent l’illusion fétichiste que les différents revenus (le profit, la
rente et le salaire), procédant de la division de la valeur
nouvellement créée par le travail, semblent sourdre de sources
différentes (le capital comme accumulation de moyens de production, la
terre et le travail comme procès général entre l’homme et la nature) et
que c’est la valeur qui semble dès lors résulter de l’addition de ces éléments hétérogènes, renversant ainsi les rapports réels.
A raisonner comme Bernard Friot, on pourrait tout aussi bien
prétendre que les banquiers et les rentiers travaillent au sens où ils
fournissent du travail abstrait créateurs de valeur, la preuve en étant
qu’ils empochent régulièrement et légalement, au nom du droit de
propriété privée, des éléments de valeur, au même titre que le font les
salariés retraités au nom du droit de propriété sociale. Et eux aussi
seraient censés produire dès lors les revenus qui sont les leurs,
intérêts dans un cas, rentes foncières de l’autre. Dans ces conditions,
capital et propriété foncière n’en ont pas fini de danser leur «ronde fantomatique» autour du travail…
Le socialisme doit-il se borner au marché?
Tout au long de son ouvrage, Bernard Friot ne cesse d’affirmer que
sortir du capitalisme est possible, que les moyens de cette sortie
seraient déjà là dans ces prémices, existant aujourd’hui dans un grand
nombre de formations capitalistes développées, de «la convention salariale du travail»
que seraient, selon lui, la qualification personnelle et la cotisation
sociale. Il suffirait en quelque sorte de les universaliser pour libérer
le travail de la dictature du capital. Tel est l’axe central autour
duquel il développe son projet d’émancipation.
Plus précisément, celui-ci s’articule autour de deux mesures radicales, qui présentent chacune différentes dimensions.
En premier lieu, il s’agirait de conférer à toute personne, à sa
majorité, une qualification irrévocable, lui reconnaissant la capacité
de prendre part, de différentes manières (sous forme des différents
travaux concrets), à la production de valeur économique et, par
conséquent, le droit à un salaire à vie, quel que soit le mode de sa
participation (ou non participation) à la production de la richesse
sociale (sa place au sein de la division sociale et technique du
travail).
Cette qualification serait donc le pendant dans l’ordre de la
participation à la production de la valeur économique de ce qu’est la
citoyenneté dans l’ordre de la production de la loi et, plus largement,
du pouvoir politique. En plus de cette qualification en quelque sorte de
base, à laquelle toute personne accéderait de droit à sa majorité,
existerait toute une hiérarchie de niveaux de qualification (Bernard
Friot en envisage quatre) ouvrant ainsi à chacun·e la perspective d’une
carrière salariale qu’il-elle pourrait parcourir au cours de son
existence entière, y compris au-delà de l’âge limite légal d’«activité».
L’accès à un niveau supérieur serait à chaque fois tributaire d’une «épreuve de qualification»,
du même ordre que celles qui, aujourd’hui, décident de l’attribution
d’un grade dans la fonction publique ou d’une qualification dans les
conventions collectives du secteur privé, tout en conférant à la
personne en question un salaire supérieur, la hiérarchie salariale se
trouvant cependant drastiquement restreinte de un à quatre, par exemple
de 1500 à 6000 €.
Cette universalisation de qualification devrait, en second lieu, se
compléter par et s’appuyer sur une universalisation de la cotisation, de
manière à transférer toute la valeur ajoutée (la valeur nouvellement
produite) au salaire. Ce qui ne serait que justice dans la mesure où
celle-ci est intégralement le produit du travail salarié. Concrètement,
cela supposerait un mécanisme de centralisation et de (re)distribution
de la valeur ajoutée qui fonctionnerait en gros comme suit. Toutes les
entreprises, quel que soit leur statut (entreprises d’Etat, entreprises
coopératives, entreprises personnelles), auraient à acquitter, sur la
valeur ajoutée formée par leurs salariés, trois cotisations qui seraient
centralisées par différents organismes publics, administrés par des
représentants des salariés:
- une cotisation salaire destinée à financer le salaire à vie des salariés et qui viendrait donc remplacer les salaires directs et la partie des salaires indirects correspondant actuellement aux prestations sociales en espèces; ce qui revient à dire que les entreprises n’auraient pas à payer leurs salariés, ceux-ci disposant déjà d’un salaire à vie fonction de leur qualification reconnue; sans les salarier donc, elles continueraient cependant à disposer du pouvoir de les embaucher et de les licencier, en fonction de leurs résultats économiques et de leurs projets de développement;
- une cotisation économique qui viendrait abonder un fonds social d’investissement destiné à financer la reproduction élargie (l’accumulation) des moyens sociaux de production, étant entendu que ce financement se ferait sans remboursement ni versement d’aucun intérêt;
- une cotisation sociale, enfin, qui financerait la production et la reproduction des moyens socialisés de consommation (équipements collectifs et services publics, étendus au logement, au transport et à la culture) dont l’usage serait évidemment gratuit.
Les entreprises en question seraient toutefois autorisées à conserver
par-devers elles une faible part de leur valeur ajoutée pour
autofinancer directement leurs projets de développement ou de
reconversion, lesquels seront décidés dans le cadre démocratique
présidant à leur autogestion, dès lors qu’il s’agit d’entreprises
collectives.
De la sorte, Bernard Friot nous promet la disparition des institutions clefs de «la convention capitaliste du travail»:
la propriété privée lucrative que constitue le capital à laquelle se
substituerait une propriété d’usage collective de moyens de production,
le marché du travail (car, même licencié, un travailleur resterait
salarié puisqu’il disposerait par convention d’un salaire à vie), le
crédit lucratif (le prêt à intérêt ou crédit bancaire) et le type de
création monétaire auquel il donne lieu.
Qui n’a, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, imaginé ce que
pourrait être une société débarrassée des rapports d’exploitation, de
domination et d’aliénation imposés par le capital ne peut qu’accueillir
avec sympathie certaine ces propositions. Mais cette sympathie ne
dispense en rien d’un examen critique de leur fondement, portée et
cohérence.
• En premier lieu, Bernard Friot ne précise pas comment il conçoit de
créer globalement le rapport de forces qui permettrait seul d’engager
et de mener à son terme le processus susceptible de produire
l’universalisation de la qualification et de la cotisation. Processus
proprement révolutionnaire («Faire la révolution» est d’ailleurs
ce que propose explicitement Bernard Friot à différentes reprises:
pages 126, 145, 167) puisqu’il n’impliquerait pas moins que
l’expropriation des capitalistes à travers l’institution d’une propriété
sociale des moyens de production, de l’autogestion des entreprises par
les travailleurs qui y opèrent et de la socialisation du produit du
travail social. Tout juste est-il fait allusion en passant à la
possibilité de «(…) transformer l’exaspération populaire devant
l’impudence de la propriété lucrative en bataille politique pour son
remplacement total par une ponction sur la valeur ajoutée qui, à hauteur
de 30 % par exemple, ira au salaire socialisé pour financer
l’investissement.» (page 137)
On conviendra que le propos reste vague et ne dessine pas à
proprement parler une stratégie politique dessinant les voies et
désignant les moyens de la réalisation des propositions précédentes. Du
coup, celles-ci risquent d’apparaître quelque peu utopiques, au plus
mauvais sens du terme. Mais Bernard Friot nous répondra peut-être que là
n’était pas son propos: avant de tracer la voie qui y mène et de
déterminer les moyens qui permettent de l’atteindre, il faut sans doute
fixer le but du processus révolutionnaire pour désigner les axes de
transformation sociale des luttes collectives.
• En deuxième lieu, Bernard Friot ne nous dit explicitement rien non
plus sur l’espace sociopolitique au sein duquel il envisage la
réalisation d’un pareil projet. Implicitement, il se réfère à l’espace
de l’Etat-nation, plus exactement même d’un Etat-nation bien
défini, en l’occurrence la France. Toute son analyse se limite en effet
au cadre français, si l’on vient excepter de très rares et brèves
allusions à l’étranger (à l’Allemagne page 85, à la Suède page 117, par
exemple). D’ailleurs, le lecteur qui n’est pas familiarisé avec les
arcanes du système salarial et social français aura quelque mal par
moments à suivre ses développements[5]. Pourtant, la mise en œuvre des
axes de transformation sociale présentés par Bernard Friot, au niveau
d’un Etat comme la France, supposerait aujourd’hui de tenir compte du
haut degré d’internationalisation et même de transnationalisation des
rapports économiques – y compris du salariat – et des obstacles mais
aussi éventuellement des leviers qui en résultent pour la transformation
révolutionnaire des rapports capitalistes de production. On ne trouve
rien de tel dans l’ouvrage de Bernard Friot.
• En troisième lieu, il est très curieux de constater de même
l’absence chez lui de toute référence au socialisme ou au communisme,
alors même pourtant que l’ensemble de ses propositions dessine le projet
d’une transformation socialiste de la société. Cette omission est sans
doute à rapprocher de celle, relevée plus haut, de certains des concepts
marxistes qui permettent traditionnellement d’analyser les rapports
capitalistes de production, à commencer par celui d’expropriation,
tandis que d’autres subissent les torsions ou détournements qu’on a vus.
Sans vouloir défendre une quelconque orthodoxie en la matière, ce
silence est étonnant; il dispense en tout cas Bernard Friot d’avoir à se
confronter à la riche tradition des auteurs, marxistes ou non au
demeurant, qui ont tenté de penser les problèmes du socialisme, à la
lumière non seulement des «pères fondateurs», mais de l’expérience historique des luttes pour le socialisme, de leurs réussites et aussi de leurs échecs.
C’est en me référant à cette tradition que j’aimerais, en dernier
lieu, porter une appréciation globale sur les propositions formulées par
Bernard Friot. Elles me paraissent discutables d’un double point de
vue. D’une part, contrairement au courant marxiste, Bernard Friot pense
le socialisme non pas comme une abolition du salariat mais
littéralement, à travers l’universalisation de deux de ses institutions
présentes, comme son assomption et son triomphe. Cela ne peut se
comprendre qu’à partir de la méconnaissance, déjà mentionnée, de cette
condition du salariat qu’est l’expropriation des producteurs, qui fait ipso facto
du travail salarié une situation de domination et d’exploitation[6],
ainsi qu’à partir du «récit» enchanté et enchanteur qu’il nous fait des
transformations que le salariat a connues, notamment en France, au cours
des fameuses «trente glorieuses» dans le cadre de ce qu’il est
convenu de nommer le compromis fordiste (ou social-démocrate). Ce qui le
conduit notamment à écrire:
«Non, le salaire n’est pas affaire de pouvoir d’achat, ce n’est
pas un revenu voué à sécuriser le destin de mineurs sociaux. Le rêve du
capital d’en faire le prix de forces de travail à la recherche d’emploi
sur un marché maîtrisé par les propriétaires lucratifs, ce rêve a
échoué. Toute déterminée qu’elle soit, l’entreprise réformatrice de
réhabilitation de la convention capitaliste du travail montre
aujourd’hui à l’évidence ses impasses.» (page 124)
«Pourquoi avons-nous tant de mal à être révolutionnaires
aujourd’hui? Parce que nous adhérons peu ou prou au récit que fait le
capital de la lutte des classes. Ce récit fige le salaire dans le
pouvoir d’achat, les salariés dans la subordination, le salariat dans la
minorité sociale, la mesure de la valeur dans le temps de travail. Ce
récit est contraire au fait.» (pages 125-126)
Là encore, on ne saurait mieux inverser les rapports réels en présentant la réalité du rapport salarial comme un simple rêve capitaliste. Car si, comme tout rapport social, le rapport salarial est en proie à la lutte des classes et s’est transformé notamment
sous l’effet des luttes des salarié-e-s, les institutions qui en ont
résulté n’ont pas pour autant aboli, de loin, la domination capitaliste.
C’est en disant le contraire, comme le fait ici Bernard Friot, qu’on
donne dans ce trope postmoderniste consistant à dissoudre la réalité
dans «le récit» qu’on peut en faire et qu’on laisse accroître que tout ne serait qu’affaire de «récit».
D’autre part, si l’on se réfère toujours à ses définitions
traditionnelles comme phase de transition entre le capitalisme et le
communisme, le socialisme se laisse définir par la conjonction de la
socialisation des moyens de production, de l’autogestion des unités de
production par les travailleurs et travailleuses et de la planification
démocratique de la production sociale. Les deux premiers moments sont
incontestablement inclus dans les propositions de Bernard Frio; le
dernier, par contre, brille par son absence. Or, il se trouve qu’il a
aussi constitué au cours de la brève histoire (un siècle et demi à deux
siècles, qu’est-ce au regard des dix mille ans d’histoire humaine?) du
socialisme, son point d’achoppement. Il aurait été heureux que Bernard
Friot s’exprimât sur ce sujet.
En fait, son omission même est parlante. Le débat entre partisans (et
même certains adversaires) du socialisme tourne autour de la question
de la place et de l’importance que doit et peut continuer à occuper,
concurremment à la planification et à la coopération (entre unités de
production), les rapports marchands voire le(s) marché(s) comme mode de
socialisation des travaux particuliers effectués par les différentes
unités de production autogérées. L’enjeu de ce débat est tout simplement
de savoir comment (sur quels modes, sous quelles formes, par
l’intermédiaire de quelles pratiques, relations, institutions sociales)
les différents travaux particuliers (menées au sein des différentes
unités de production) se trouvent validés comme travail social. La
question n’est pas posée explicitement comme telle par Bernard Friot.
Mais il y répond bien pourtant: en ne faisant allusion ni à la
planification ni à la coopération, c’est bien au marché et au seul marché
qu’il s’en remet pour résoudre le problème. C’est qu’il tient – et là
explicitement – les relations et les catégories marchandes comme
indépassables, même si ces prises de position sur le sujet sont des plus
confuses, comme on l’a déjà vu:
«La convention salariale du travail [qui est censée se substituer à la convention capitaliste – AB] n’élimine
ni le prix, ni la monnaie, ni l’échange: elle élimine la marchandise,
c’est-à-dire la dictature du temps qu’introduit la mesure de la valeur
par le temps de production.» (page 113).
Mais que peut bien signifier éliminer la marchandise sans éliminer la
monnaie et le prix? S’il n’y a plus de marchandise, de quoi la monnaie
est-elle l’équivalent général et de quoi le prix est-il le prix? C’est
vouloir maintenir les conséquences alors qu’on a supprimé les prémices.
De pareilles inconséquences font douter, une fois encore, de la
maîtrise par Bernard Friot du concept de valeur. On est dès lors aussi
en droit de douter de ce qu’il ait conscience de la contradiction dans
laquelle il s’enferme en tentant de concevoir un modèle du socialisme
dans lequel les rapports de valeur (au sens de la valeur comme forme
fétichiste du travail social abstrait – le seul sens et contenu de la valeur, comme nous l’avons vu au début de cet article) sont déclarés indépassables: «Je
crois à la nécessité du travail abstrait, et je ne vois pas comment on
peut échapper à la valorisation (monétaire) de l’activité.» (page 175).
Car, si l’on peut à la rigueur admettre la persistance de mécanismes
de marché au cours de la phase socialiste de transition (sur la base de
la possession sinon de la propriété par les travailleurs associés de
leurs entreprises qui les autoriseraient à engager des forces
productives sociales d’une manière autonome pour produire des valeurs
d’usage sociales), concurremment à ces autres modes de socialisation du
travail que seraient la coopération directe entre entreprises et la
planification (sectorielle et territoriale, à différentes échelles), et
si l’on doit reconnaître qu’il n’existe aucun consensus entre les
différents auteurs qui se sont penchés sur la question (y compris les «pères fondateurs»)
sur la part relative qui devrait leur revenir et que cette part serait
sans doute variable d’une expérience socialiste à l’autre [7], le
consensus s’est cependant établi parmi eux pour juger que ces différents
modes, concurrents, seraient sans doute, pour partie, complémentaires,
mais qu’ils seraient aussi contradictoires et que le sens général de la
transition socialiste serait de faire régresser et même disparaître la
socialisation marchande au profit de la coopération et de la
planification. Inversement, déclarer la première indépassable, sans
autre forme de procès, c’est nécessairement limiter a priori la portée
des deux autres et risquer de compromettre en définitive toute la
dynamique socialiste. (Alain Bihr,11 juin 2013)
[1] Cf. Puissances du salariat, Paris, La Dispute, 1998, 2e édition augmentée, 2012 ; Et la cotisation créera l’emploi, Paris, La Dispute, 1999.
[2] L’enjeu des retraites, Paris, La Dispute, 2010.
[3] L’enjeu du salaire, Paris, La Dispute, 2012.
[4] Ce qui vaut à Bernard Friot cette question ironique de la part de Jean-Marie Harribey: « Autrement
dit, imaginons qu’un individu à la retraite décide de s’enfermer chez
lui jusqu’au terme de sa vie et de ne rien faire sinon respirer, le fait
de percevoir une pension serait-il la preuve de sa contribution à la
création de valeur et qu’en aucun cas cette pension ne proviendrait d’un
transfert de valeur créée par les cotisants ? » La richesse, la valeur et l’inestimable. Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Ed. Les liens qui libèrent, Paris, 2013, page 377.
[5] Pourtant, alors que, avec les rapports capitalistes de
production, c’est le salariat qui s’universalise aujourd’hui, on serait
en droit d’attendre d’un ouvrage intitulé L’enjeu du salaire
qu’il ne se limite pas à l’exemple d’un seul Etat-nation. D’autant plus
si, comme c’est le cas avec la France, son système de protection social
est hors norme comparé à ceux de la plupart des autres Etats-nations
capitalistes développés. A moins de considérer que la France serait en
avance sur tous les autres États du point de vue de la subversion, par
son système social, de la « norme capitaliste du travail »…
[6] La terminologie allemande, utilisée par Marx, est sous ce rapport beaucoup plus explicite: le salarié est un Lohnabhängig, un dépendant du salaire.
[7] On trouvera une bonne synthèse de la question dans Tony Andréani, Le socialisme est (a)venir, Paris, Editions Syllepse, tome 1 «L’inventaire», 2001 et tome 2 « Les modèles», 2004.
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