« Cinq essais philosophiques constituent ce livre, qui forment les moments d'une même réflexion critique et constructive. Avec clarté, sans concessions aux modes dominantes, Jean-Marie Vincent s'y confronte aux questions urgentes de notre présent : la " crise du sens ", la répétivité des mécanismes de domination et de technisation qui prétendent normaliser l'avenir, la perte de réalité de la politique. Ce qu'il refuse : le dogmatisme, enfermé dans les certitudes d'une " conception du monde ", fût-elle révolutionnaire ; l'éclectisme post-moderne, méconnaissant l'apport des grands rationalismes dialectiques des XIX e et XX e siècles ; l'alternative abstraite de la société et de l'individu, de la norme et de la pratique. Ce qu'il propose : une relecture des essais les plus hardis d'actualisation du marxisme (Lukàcs, Bloch, Habermas), pour découvrir leurs limites ; une confrontation serrée de la critique marxienne de l'économie politique et de la déconstruction heideggerienne de l'ontologie techniciste : une prospective raisonnée de l'agir, libérée du productivisme. Au coeur du problème : l'analyse du travail comme " abstraction réelle " dominant les pratiques de l'oeuvre et de la communication, au travers de l'impérialisme de la valeur (auquel Marx lui-même n'a pas échappé) ; l'exploration résolue des voies d'une politique dans l'élément de la finitude, d'une démocratie comme transformation de l'action elle-même, d'un art comme art de vivre, par-delà l'esthétisme et le mercantilisme. »
[Variations] - Les belles pages qu'offre Jean-Marie Vincent dans Critique du travail. Le faire et l'agir, furent publiées pour la première fois en 1987, il y a vingt-cinq ans, aux PUF. Variations,
revue dont l’auteur fut le fondateur, réédite aujourd’hui ce livre
recherché mais introuvable, avec l’aimable accord d’Isabelle Vincent.
Le livre se situe à la croisée des
chemins, entre la fin d’un monde et la quête d’un nouveau souffle
critique. La gauche est alors en train de péricliter. Le gouvernement
socialiste vient d’organiser le « tournant de la rigueur » sous
Mitterrand, tandis que le communisme stalinien livre une dernière parade
triste avant la chute du mur de Berlin. Sur le plan intellectuel,
nombre d’anciens marxistes épousent le tournant culturaliste qui évacue
la critique du capitalisme de la scène théorique (Alain Touraine),
lorsqu’ils ne se livrent pas à des confusions idéologiques sous l’égide
des nouveaux philosophes, qui ont fini en vieux sarkozystes (André
Glucksmann, Alain Finkielkraut). Tout devait disparaître, les utopies,
le prolétariat, la critique et même l’art contemporain, emportés par la
mort des grands récits. « Les lignes que l’on va lire (…) ne
veulent pas se situer dans les courants dominants à l’heure actuelle,
si souvent marqués par la passion réactionnelle et réactionnaire face au
passé récent, ou encore si marqués par la résignation désabusée devant
les faits accomplis du présent et la marche folle des sociétés actuelles. »,
avertissait Jean-Marie Vincent. Écrire un livre qui vise à dépasser les
carcans doctrinaires du marxisme avec les concepts de Marx est alors un
acte gratuit, un acte de résistance. Jean-Marie Vincent disposait de
l’obstination nécessaire, matinée de rigidité pour ceux qui ne le
connaissaient pas de près, pour faire face à l’éboulement du terrain
politique et mental de ces heures noires. Sa grande culture historique
lui a permis de cerner l’arrivée de Mai 68, le déclin de l’Etat social
hérité de l’après-guerre et l’épuisement du socialisme bureaucratique.
Il a surtout bénéficié d’une double culture germanophone et francophone,
venue de sa jeunesse lorraine, qui l’a préservé du nombrilisme
universitaire parisien. Sa thèse à l’Institut de sciences politiques de
Paris sous la direction d’Alfred Grosser avait porté sur la formation
d’une nouvelle gauche en Allemagne de l’Ouest pendant la Guerre Froide.
Les expériences vivantes d’un marxisme critique lui ont permis de
recevoir la Théorie critique de l’Ecole de Francfort.
Pour toutes ces raisons, le livre
ne fut nullement un baroud d’honneur mais inaugura au contraire un
espace de discussion aux côtés de Toni Negri, André Gorz, Michael Löwy,
de féministes comme Jacqueline Heinen et d’autres universitaires
attachés à l’esprit de l’Université de Vincennes. Le département de
sciences politiques, que dirigeait alors Jean-Marie Vincent, vit ainsi
naître la revue Futur antérieur qui, sous sa direction, anima
les débats de la gauche critique jusqu’en 1999, date de l’essor du
mouvement altermondialiste à Seattle. Puis Vincent prolongea avec Variations l'expérience d’un Futur antérieur qui engendre aujourd’hui encore quelques légendes urbaines.