Proposition de loi au Parlement visant à décriminaliser les personnes prostituées et à pénaliser les clients, rétablissement par le Sénat du délit de racolage, affaire du Carlton, proxénétisme... Quelles sont les réalités sociales derrière les images chocs et les présentations glamour ? Qu’en est-il du détournement du slogan féministe « Notre corps nous appartient » dans l’oubli de « Notre corps n’est pas une marchandise » ? Sur la base de témoignages des personnes prostituées – celles que l’on n’entend jamais car elles n’osent pas témoigner publiquement –, Claudine Legardinier aborde, sans concession ni misérabilisme, les multiples facettes du système prostitutionnel, les réalités des vies des personnes prises au piège de la prostitution. L’auteure souligne les discours à double face, la tolérance revendiquée et la condamnation réelle des personnes prostituées, les discours sur la liberté pour le seul bénéfice des clients, les violences déqualifiées en actes consentis. Le monde prostitutionnel est d’abord un monde de violences, violence d’une situation sociale, violences des clients, des proxénètes et des tenanciers, violences entraînant « une destruction incolore et inodore » des personnes prostituées. Dans un contexte de crises, de conflits, de guerres propre à fabriquer des accidentées de la vie, les femmes représentent un vivier toujours renouvelé pour l’industrie du sexe, l’industrie du crime. Et, derrière les nouvelles formes du libéralisme, la prostitution reste l’emblème de l’ordre ancien, de la politique de libre appropriation du corps des femmes par les hommes, politique favorisée par les institutions.
Le livre pose la question des bénéficiaires de cet ordre construit contre les femmes ; des arrangements pour militaires, sportifs et hommes d’affaires ; de l’histoire des bordels dans les colonies, les régimes totalitaires et l’Europe d’aujourd’hui ; du silence ou du déni toujours renouvelé sur les réalités de violences, de souffrances. Car, il faut garder en tête que la prostitution est un secteur économique en pleine expansion, un moteur pour la machine capitaliste, à la fois rente pour les proxénètes et ressource taxée pour les États. Migrations et endettement pour les unes, machine à fric pour les autres, sans oublier le lobbying et la corruption pour favoriser les réglementations, les autorisations de bordels... Un secteur économique travesti en activité épanouissante, valorisé par des personnalités intellectuelles et artistiques, avec le concours zélé de médias toujours pressés de renvoyer les femmes au statut éternel de prostituées : un archaïsme remis au goût du jour pour le plus grand profit de la société marchande. Les politiques réglementaires en Europe sont un échec, tant pour la sécurité que pour la santé des personnes prostituées. Elles ont contribué à accroître la demande, à banaliser l’achat d’êtres humains, à renforcer le proxénétisme et l’industrie criminelle. Loin des facilités, des raccourcis, des stéréotypes, Claudine Legardinier invite à une réflexion renouvelée ouvrant sur un autre horizon, sur un programme d’avenir, un nécessaire tournant de civilisation : l’abolition.