[Contre Capital] - Après l'hiver 1995. La décennie quatre-vingt-dix fut elle aussi un long hiver. Nous ne fûmes plus sur le territoire rance que quelques groupes autonomes isolés les uns des autres (s'ignorant complètement ou se méprisant sublimement) sans aucun désir de communiquer dans l'hiver froid du reflux des luttes de l'après-82. Quelques étincelles pratiques (n'était-ce pas là l'essentiel d'ailleurs ?) : les cheminots ici, les infirmières là, quelques postiers. Après l'hiver 1995. La deuxième moitié de la décennie est bien morne. Ne subsistent que le gauchisme alimentaire de la LCR et l'anarchisme fédéré du Folklore Anarchiste (ou bien est-ce l'inverse ?), leur point commun : distiller l'ennui groupusculaire et le conformisme pragmatique (par exemple le programme de transition comme fin permanente, la transition permanente quoi). Il fallait refaire vivre notre courant aussi radical qu'iconoclaste. Un activiste d'aujourd'hui aurait bien du mal à comprendre la morosité conformiste qui imprégnait la sphère radicalo-groupusculaire et surtout l'absence presque totale de groupes radicaux authentiques. Tandis que certains libertaires barbotaient derrière la LCR d'autres réduisaient leur activité à un camping estival (tant mieux c'est là où l'on préfère voir la crétinerie sous-libertaire : dans les camps de l'entre-soi groupusculaire). Nous créâmes l'Association document édition liaison. Vite ! Boulimie de textes. Qu'importe. Les Conseils ouvriers surtout ! La prose de notre courant était oubliée, les quelques Spartacus recouverts de poussière dans l'arrière boutique des librairies rââââdicâââles môôôôôsieur. Publier. Diffuser. Discuter. Publier. Diffuser. Discuter. Même des textes qui nous laissaient sceptiques. Aucune importance. Tic tac tic tac tic tac. Nos brochures fleurirent alors sur les étalages d'une grande librairie déjantée parisienne, et puis des copains photocopiaient les textes de leurs côtés et les diffusaient gratuitement. On vilipendait le léninisme/bolchévisme, on engueulait l'anarchisme, on méprisait le militantisme aliéné ... Quelques vingt-cinq années après sa première parution nous décidions alors de publier la brochure de l'Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires. Le militantisme stade suprême de l'aliénation. Publier. Diffuser. Discuter. Dire que c'est super. Dire que c'est pourri. On s'en foutait. Inciter à se réapproprier la critique radicale. Tic tac tic tac tic tac.
Le révolutionnaire est au militant ce que le loup est à l’agneau.
À la suite du mouvement des occupations de mai 68 on a vu se
développer à la gauche du Parti Communiste et de la CGT un ensemble de
petites organisations qui se réclament du trotskisme, du maoïsme et de
l’anarchisme. Malgré le faible pourcentage de travailleurs qui ont
rejoint leurs rangs, elles prétendent disputer aux organisations
traditionnelles le contrôle de la classe ouvrière dont elles se
proclament l’avant-garde.
Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire ne
suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde
moderne produit ces bureaucraties extrémistes, et déchirer le voile de
leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique véritable. Les
révolutionnaires doivent se démarquer le plus possible des organisations
gauchistes et montrer que loin de menacer l’ordre du vieux monde
l’action de ces groupes ne peut entraîner au mieux que son
reconditionnement. Commencer à les critiquer, c’est préparer le terrain
au mouvement révolutionnaire qui devra les liquider sous peine d’être
liquidé par eux.
La première tentation qui vient à l’esprit est de s’attaquer à leurs
idéologies, d’en montrer l’archaïsme ou l’exotisme (de Lénine à Mao) et
de mettre en lumière le mépris des masses qui se cache sous leur
démagogie. Mais cela deviendrait vite fastidieux si l’on considère qu’il
existe une multitude d’organisations et de tendances et qu’elles
tiennent toutes à bien affirmer leur petite originalité idéologique.
D’autre part cela revient à se placer sur leur terrain. Plus qu’à leurs
idées il convient de s’en prendre à l’activité qu’ils déploient au
« service de leurs idées » : le MILITANTISME.
Si nous nous en prenons globalement au militantisme ce n’est pas
parce que nous nions les différences qui existent entre l’activité des
diverses organisations. Mais nous pensons que malgré et même justement à
cause de leur importante ces différences ne peuvent bien s’expliquer
que si on prend le militantisme à la racine. Les diverses façons de
militer ne sont que des réponses divergentes à une même contradiction
fondamentale dont aucune ne détient la solution.
En prenant parti de fonder notre critique sur l’activité du militant
nous ne sous-estimons pas l’importance du rôle des idées dans le
militantisme. Simplement à partir du moment où ces idées sont mises en
avant sans êtres reliées à l’activité il importe de savoir ce qu’elles
cachent. Nous montrerons le hiatus qu’il y a entre les deux, nous
relierons les idées à l’activité et dévoilerons l’impact de l’activité
sur les idées : chercher derrière le mensonge la réalité du menteur pour
comprendre la réalité du mensonge.
Si la critique et la condamnation du militantisme est une tâche
indispensable pour la théorie révolutionnaire, elle ne peut être faite
que du « point de vue » de la révolution. Les idéologues bourgeois
peuvent traiter les militants de voyous dangereux, d’idéalistes
manipulés, leur conseiller d’occuper leur temps à travailler ou à le
passer au Club Méditerranée ; ils ne peuvent pas s’attaquer au
militantisme en profondeur car cela revient à mettre en lumière la
misère de toutes activités que permet la société moderne. Nous ne
cachons pas notre parti pris, notre critique ne sera pas « objective et
valable de tous les points de vue ».
Cette critique du militantisme est inséparable de la construction des
organisations révolutionnaires, non seulement parce que les
organisations de militants devront être combattues sans relâche, mais
aussi parce que la lutte contre la tendance au militantisme devra être
menée au sein même des organisations, révolutionnaires. Cela sans doute
parce que ces organisations, tout au moins au départ, risquent d’être
composées pour une part non négligeable d’anciens militants
« repentis », mais aussi parce que le militantisme se base sur
l’aliénation de chacun d’entre nous. L’aliénation ne s’élimine pas d’un
coup de baguette magique et le militantisme est le piège particulier que
le vieux monde tend aux révolutionnaires.
Ce que nous disons des militants est dur et sans appel. Nous ne
sommes prêts effectivement à aucun compromis avec eux, ce ne sont pas
des révolutionnaires qui se trompent ou des semi révolutionnaires, mais
des gens qui restent en deçà de la révolution. Mais cela ne veut
nullement dire que 1° nous nous mettons en dehors de cette critique, si
nous tenons à être clairs et nets, c’est d’abord à l’égard de
nous-mêmes, et que 2° nous condamnons le militant en tant qu’individu et
faisons de cette condamnation une affaire morale. Il ne s’agit pas de
retomber dans la séparation des bons et des méchants. Nous ne sous
estimons pas la tentation du : « plus je gueule contre les militants,
plus je prouve que je n’en suis pas et plus je me mets à l’abri de la
critique ! »
LE MASOCHISME
Faisons l’effort de surmonter l’ennui que secrète naturellement les
militants. Ne nous contentons pas de déchiffrer la phraséologie de leurs
tracts et de leurs discours. Interrogeons-les sur les raisons qui les
ont poussés, eux, personnellement, à militer. Il y n’a pas de question
qui puisse embarrasser plus un militant. Au pire ils vont partir dans
des baratins interminables sur l’horreur du capitalisme, la misère des
enfants du tiers monde, les bombes à fragmentation, la hausse des prix,
la répression... Au mieux ils vont expliquer que ayant pris conscience -
ils tiennent beaucoup à cette fameuse « prise de conscience » - de la
véritable nature du capitalisme ils ont décidé de lutter pour un monde
meilleur, pour le socialisme (le vrai pas l’autre). Enthousiasmés par
ces perspectives exaltantes ils n’ont pu résister au désir de se jeter
sur la manivelle de la ronéo la plus proche. Essayons d’approfondir la
question et portons nos regards non plus sur ce qu’ils disent mais sur
ce qu’ils vivent.
Il y a une énorme contradiction entre ce qu’ils prétendent désirer et
la misère et l’inefficacité de ce qu’ils font. L’effort auquel ils
s’astreignent et la dose d’ennui qu’ils sont capables de supporter ne
peuvent laisser aucun doute : ces gens là sont d’abord des masochistes.
Non seulement au vu de leur activité on ne peut croire qu’ils puissent
désirer sincèrement une vie meilleure, mais encore leur masochisme ne
manifeste aucune originalité. Si certains pervers mettent en œuvre une
imagination qui ignore la pauvreté des règles du vieux monde, ce n’est
pas le cas des militants ! Ils acceptent au sein de leur organisation la
hiérarchie et les petits chefs dont ils prétendent vouloir débarrasser
la société, et l’énergie qu’ils dépensent se moule spontanément dans la
forme du travail. Car le militant fait partie de cette sorte de gens à
qui 8 ou 9 heures d’abrutissement quotidien ne suffisent pas.
Lorsque les militants tentent de se justifier ils n’arrivent qu’à
étaler leur manque d’imagination. Ils ne peuvent concevoir autre chose,
une autre forme d’activité que ce qui existe actuellement. Pour eux, la
division entre le sérieux et l’amusant, les moyens et les buts n’est pas
liée a une époque déterminée. Ces catégories sont éternelles et
indépassables : on ne pourra être heureux plus tard que si on se
sacrifie maintenant. Le sacrifice sans récompense de millions de
militants ouvriers, des générations de l’époque stalinienne ne fait rien
bouger dans leurs petites têtes. Ils ne voient pas que les moyens
déterminent les fins et qu’en acceptant de se sacrifier aujourd’hui ils
préparent les sacrifices de demain.
On ne peut qu’être frappé par les innombrables ressemblances qui
rapprochent militantisme et activité religieuse. On retrouve les mêmes
attitudes psychologiques : esprit de sacrifice, mais aussi
intransigeance, volonté de convertir, esprit de soumission. Ces
ressemblances s’étendent au domaine des rites et des cérémonies :
prêches sur le chômage, processions pour le Vietnam, références aux
textes sacrés du marxisme-léninisme, culte des emblèmes (drapeaux
rouges). Les églises politiques n’ont-elles pas aussi leurs prophètes,
leurs grands prêtres, leurs convertis, leurs hérésies, leurs schismes,
leurs pratiquants-militants et leurs non-pratiquants-sympathisants !
Mais le militantisme révolutionnaire n’est qu’une parodie de la
religion. La richesse, la démence, la démesure des projets religieux lui
échappent ; il aspire au sérieux, il veut être raisonnable, il croit
pouvoir gagner en échange un paradis ici-bas. Cela ne lui est même pas
donné. Jésus Christ ressuscite et monte au ciel, Lénine pourrit sur la
Place Rouge.
Si le militant peut être assimilé au croyant en ce qui concerne la
candeur de ses illusions il convient de le considérer tout autrement en
ce qui concerne son attitude réelle. Le sacrifice de la carmélite qui
s’emprisonne pour prier pour le salut des âmes a des répercussions très
limitées sur la réalité sociale. Il en va tout autrement pour le
militant. Son sacrifice risque d’avoir des conséquences fâcheuses pour
l’ensemble de la société.
LE DÉSIR DE LA PROMOTION
Le militant parle beaucoup des masses. Son action est centrée sur
elles. Ils s’agit de les convaincre, de leur faire « prendre
conscience ». Et pourtant le militant est séparé des masses et de leurs
possibilités de révolte. Et cela parce qu’il est SEPARÉ DE SES PROPRES
DESIRS.
Le militant ressent l’absurdité de l’existence que l’on nous impose.
En « décidant » de militer, il tente d’apporter une solution à l’écart
qui existe entre ses désirs et ce qu’il a réellement la possibilité de
vivre. C’est une réaction contre sa prolétarisation contre la misère de
sa vie. Mais il s’engage dans une voie sans issue.
Bien qu’insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître et
d’affronter ses désirs. IL EN A HONTE. Cela l’entraîne à remplacer la
promotion de ses désirs par le désir de sa promotion. Mais les
sentiments de culpabilité qu’il entretient sont tels qu’il ne peut
envisager une promotion hiérarchique dans le cadre du système, ou plutôt
il est prêt à lutter pour une bonne place si il gagne en même temps la
garantie que ce n’est pas pour son propre compte. Son militantisme lui
permet de s’élever, de se mettre sur un piédestal, sans que cette
promotion apparaisse aux autres et à lui-même pour ce qu’elle est.
(Après tout, le pape n’est lui aussi que le serviteur des serviteurs de
Dieu !)
Se mettre au service de ses désirs ne revient nullement à se réfugier
dans sa coquille et n’a rien à voir avec l’individualisme petit
bourgeois. Tout au contraire cela ne peut passer que par la destruction
de la carapace d’égoïsme dans laquelle nous enferme la société
bourgeoise et le développement d’une véritable solidarité de classe. Le
militant qui prétend se mettre au service du prolétariat (« Les ouvriers
sont nos maîtres » Geismar) ne fait que se mettre au service de l’idée
qu’il a des intérêts du prolétariat. Ainsi par un paradoxe qui n’est
qu’apparent, en se mettant véritablement au service de soi-même on en
revient à aider véritablement les autres et cela sur une base de classe,
et en se mettent au service des autres on en vient à protéger une
position hiérarchique personnelle.
Militer, ce n’est pas s’accrocher à la transformation de sa vie
quotidienne, ce n’est pas se révolter directement contre ce qui opprime,
c’est au contraire fuir ce terrain. Or ce terrain est le seul qui soit
révolutionnaire pourvu que l’on sache que notre vie de tous les jours
est colonisée par le capital et régie par les lois de la production
marchande. En se politisant, le militant est à la recherche d’un rôle
qui le mette au-dessus des masses. Que ce « au-dessus » prenne des
allures « d’avant-gardisme » ou d’« éducationnisme » ne change rien à
l’affaire. Il n’est déjà plus le prolétaire qui n’a rien d’autre à
perdre que ses illusions ; il a un rôle à défendre. En période de
révolution, quand tous les rôles craquent sous la poussée du désir de
vivre sans entrave, le rôle de « révolutionnaire conscient » est celui
qui survit le mieux.
En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve un
sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui-même dans la réalité de
sa subjectivité, mais dans la soumission à des nécessités extérieures.
De même que dans le travail il est soumis à un but et à des règles qui
lui échappent, il obéit en militant aux « nécessités de l’histoire ».
Évidemment, on ne peut pas mettre tous les militants sur le même
plan. Tous ne sont pas atteints aussi gravement. On trouve parmi eux
quelques naïfs qui, ne sachant comment utiliser leurs loisirs, poussés
par la solitude et trompés par la phraséologie révolutionnaire se sont
égarés ; ils saisiront le premier prétexte venu pour s’en aller. L’achat
de la télévision, la rencontre de l’âme sœur, la nécessité de faire des
heures supplémentaires pour payer la voiture déciment les rangs de
l’armée des militants !
Les raisons qui poussent à militer ne datent pas d’aujourd’hui. En
gros elles sont les mêmes pour les militants syndicalistes, catholiques
et révolutionnaires. La réapparition d’un militantisme révolutionnaire
de masse est liée à la crise actuelle des sociétés marchandes et au
retour de la vieille taupe révolutionnaire. La possibilité d’une
révolution sociale apparaît suffisamment sérieuse pour que les militants
misent sur elle. Le tout est renforcé par l’écroulement des religions.
Le capitalisme n’a plus besoin des systèmes de compensation
religieux. Parvenu à maturité, il n’a pas à offrir un supplément de
bonheur dans l’au-delà mais tout le bonheur ici-bas, dans la
consommation de ses marchandises matérielles, culturelles et
spirituelles (l’angoisse métaphysique fait vendre !). Dépassés par
l’histoire, les religions et leurs fidèles n’ont plus qu’à passer à
l’action sociale ou au... maoïsme.
Le militantisme gauchiste touche essentiellement des catégories
sociales en voie de prolétarisation accélérée (lycéens, étudiants,
enseignants, personnels socio-éducatifs....) qui n’ont pas la
possibilité de lutter concrètement pour des avantages à court terme et
pour lesquels devenir véritablement révolutionnaire suppose une remise
en question personnelle très profonde. L’ouvrier est beaucoup moins
complice de son rôle social que l’étudiant ou l’éducateur. Militer est
pour ces derniers une solution de compromis qui leur permet d’épauler
leur rôle social vacillant. Ils retrouvent dans le militantisme une
importance personnelle que la dégradation de leur position sociale leur
refusait. Se dire révolutionnaire, s’occuper de la transformation de
l’ensemble de la société, permet de faire l’économie de la
transformation de sa propre condition et de ses illusions personnelles.
Dans la classe ouvrière le syndicalisme a le quasi-monopole du
militantisme, il assure au militant des satisfactions immédiates et une
position dont l’avantage peut se mesurer concrètement. L’ouvrier tenté
par le militantisme se tournera très probablement vers le syndicalisme.
Même les comités de lutte antisyndicaux ont tendance à devenir un
syndicalisme nouvelle manière. L’activité politique n’est pour les
militants ouvriers que le prolongement de l’action syndicale. Le
militantisme tente peu les ouvriers et notamment les jeunes ouvriers
parce que ce sont les prolétaires les plus lucides en ce qui concerne la
misère de leur travail en particulier et de leur vie en général. Déjà
peu tentés, dans leur ensemble, par le syndicalisme, ils le sont encore
moins par un gauchisme aux avantages fumeux.
Ceci dit, quand dans la tourmente révolutionnaire le règne des
marchandises et de la consommation s’écoulera, le syndicalisme dont le
sérieux se basait sur la revendication sera prêt pour survivre à passer
au militantisme révolutionnaire. Il reprendra les mots d’ordre les plus
extrémistes et sera alors beaucoup plus dangereux que les groupes
gauchistes. Déjà ne voit-on pas, à la suite de mai 68, la CFDT mêler le
mot d’autogestion à son charabia néo-bureaucratique !
LE TRAVAIL POLITIQUE
Le temps « libre » que lui laissent ses obligations professionnelles
ou scolaires, le militant va le consacrer à ce qu’il appelle lui-même le
« travail politique ». Il faut tirer et distribuer des tracts,
fabriquer et coller des affiches, faire des réunions, prendre des
contacts, préparer des meetings... Mais ce n’est pas telle ou telle
action considérée isolement qui suffit à caractériser le travail
militant. Le simple fait de composer un tract dans le but de le tirer et
de le distribuer ne peut être considéré en soi comme un acte militant.
Si il est militant c’est parce qu’il s’insère dans une activité qui a
une logique particulière.
C’est parce que l’activité du militant n’est pas le prolongement de
ses désirs, c’est parce qu’elle obéit à une logique qui lui est
extérieure, qu’elle se rapproche du travail. De même que le travailleur
ne travaille pas pour lui, le militant ne milite pas pour lui. Le
résultat de son action ne peut donc pas être mesuré au plaisir qu’il en
retire. Il va donc l’être suivant le nombre d’heures dépensées, le
nombre de tracts distribués. La répétition, la routine dominent
l’activité du militant. La séparation entre exécution et décision
renforce le côté fonctionnaire du militant.
Mais si le militantisme se rapproche du travail il ne peut pas lui
être assimilé. Le travail est l’activité sur laquelle se fonde le monde
dominant, il produit et reproduit le capital et les rapports de
production capitalistes ; le militantisme lui n’est qu’une activité
mineure. Si le résultat du travail et son efficacité, par définition, ne
se mesurent pas à la satisfaction du travailleur ils ont l’avantage
d’être mesurables économiquement. La production marchande, par le biais
de la monnaie et du profit crée ses étalons et ses instruments de
mesure. Elle a sa logique et sa rationalité qu’elle impose au producteur
et au consommateur. Au contraire, l’efficacité du militantisme,
« l’avancée de la révolution », n’ont pas encore trouvé leurs
instruments de mesure. Leur contrôle échappe aux militants et à leurs
dirigeants. Dans l’hypothèse, évidemment, où ces derniers se soucient
encore de la révolution ! On en est donc réduit à comptabiliser le
matériel produit et distribué, le recrutement, les actions menées ; ce
qui évidemment ne mesure jamais ce que l’on prétend mesurer. Tout
naturellement on en vient à considérer que ce qui est mesurable est une
fin en soi. Imaginez le capitaliste qui ne trouvant pas de moyen
d’évaluer la valeur de sa production déciderait de se rabattre sur la
mesure des quantités d’huile consommées par des machines. Très vite,
sous la pression de contre-maîtres consciencieux, les ouvriers
videraient de l’huile dans le caniveau pour faire progresser... la
production. Incapable de poursuivre le but proclamé, le militantisme ne
fait que singer le travail.
S’appliquant consciencieusement à imiter le travail, les militants
sont fort mal placés pour comprendre les perspectives ouvertes d’un côté
par le mépris de plus en plus répandu à l’égard de toutes les
contraintes et de l’autre par les progrès du savoir et de la technique.
Les plus intelligents d’entre eux se rangent aux côtés des idéologues de
la bourgeoisie moderniste, pour demander que l’on réduise les horaires
ou que l’on humanise la répugnante activité. Que ce soit au nom du
capital ou de la révolution, tous ces gens-là se montrent incapables de
voir au-delà de la séparation entre temps de travail et temps de
loisirs, entre activité consacrée à la production et activité consacrée à
la consommation.
Si nous sommes obligés de travailler, la cause n’est pas naturelle,
elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair. Le maître
veut voir l’esclave produire parce que seul ce qui est produit est
appropriable. La joie, le plaisir que l’on trouve dans une activité
quelconque, cela ne peut être capitalisé, accumulé, traduit en argent
par le capitaliste, alors il s’en fout. Lorsque nous travaillons nous
sommes entièrement soumis à une autorité, à une loi extérieure, notre
seule raison d’être c’est ce que nous produisons. Toute usine est un
racket, où l’on pompe notre sueur et notre vie pour les transformer en
marchandises.
Le temps passé à travailler est un temps où nous devons non pas
satisfaire directement nos désirs mais sacrifier en attendant cette
réparation ultérieure qu’est le salaire. C’est exactement le contraire
du jeu, où le déroulement et le rythme de ce qu’on fait a pour maître le
plaisir que l’on y prend. Le prolétariat en s’émancipant abolira le
travail. La production des denrées nécessaires à notre survie biologique
ne sera plus alors que le prétexte à la libération de nos passions.
LA RÉUNIONITE
Une caractéristique significative du militantisme est le temps passée
en réunions. Laissons de côté les débats consacrés à la grande
stratégie : où en sont nos camarades de Bolivie, à quand la prochaine
crise économique mondiale, la construction du parti révolutionnaire
avance-t-elle... Contentons nous de nous pencher sur les réunions
concernant le « travail quotidien ». C’est peut-être là que s’étale le
mieux la misère du militantisme. À part quelques cas désespérés, les
militants eux-mêmes se plaignent du nombre de ces « réunions qui
n’avancent pas ». Même si les militants aiment se réchauffer entre eux
ils ne peuvent pas ne pas souffrir de la contradiction évidente entre
d’une part leur volonté d’agir et d’autre part le temps perdu en de
vaines discussions, en des débats sans issue. Ils sont condamnés à
rester dans une impasse car ils s’en prennent à la « réunionite » sans
voir que c’est tout le militantisme qui est en cause. La seule façon
d’éliminer la réunionite revient à fuir dans un activisme de moins en
moins en prise sur la réalité.
QUE FAIRE ? COMMENT S’ORGANISER ? Voilà les questions qui
sous-tendent et provoquent les réunions. Or ces questions ne peuvent
jamais, être réglées, leur solution n’avance jamais, parce que lorsque
les militants se les posent, ils se les posent comme séparées de leur
vie. La réponse n’est pas au rendez-vous parce que la question n’est pas
posée par celui qui possède la solution concrète. On peut se réunir
pendant des heures, se triturer le cerveau, cela ne fera pas surgir le
support pratique qui manque aux idées. Alors que ces questions sont des
bagatelles pour le prolétariat révolutionnaire, parce que pour lui les
problèmes de l’action et de l’organisation se posent concrètement, font
partie de sa lutte, ils deviennent le PROBLÈME pour les militants. La
réunionite est le complément nécessaire de l’activisme. En fait, le
problème posé est toujours celui-là : comment fusionner avec le
mouvement des masses tout en restant séparé de lui. La solution de ce
dilemme est soit de fusionner réellement avec les masses en retrouvant
la réalité de ses désirs et les possibilités de leur réalisation, soit
de renforcer leur pouvoir en tant que militants, en se rangeant au côté
du vieux monde contre le prolétariat. Les grèves sauvages montrent qu’il
y a des risques !
Dans ses rapports avec les masses, le militantisme reproduit ses
tares internes, notamment ses tendances à la réunionite. On rassemble
des gens et on les compte. Pour certains du genre AJS, se montrer et se
compter devient même le summum de l’action !
Ces questions de l’action et de l’organisation, séparées déjà du
mouvement réel, se trouvent mécaniquement séparées entre elles. Les
diverses orientations du gauchisme concrétisent cette séparation. On
trouve d’un côté avec les maos et l’ex-GP [Gauche prolétarienne] le pôle
de l’action, et de l’autre avec les trotskistes et la Ligue Communiste
[ancêtre de la LCR] le pôle de l’organisation. On fétichise soit
l’action, soit l’organisation pour sortir de l’impasse où en se séparant
des masses le militantisme s’est plongé. Chacun protège sa crétinerie
particulière en se gaussant de l’orientation des groupes concurrents.
LA BUREAUCRATIE
Les organisations de militants sont toutes hiérarchisées. Certaines
organisations non seulement ne s’en cachent pas mais auraient même
plutôt tendance à s’en vanter. D’autres se contentent d’en parler le
moins possible. Enfin certains petits groupes essaient de le nier.
De même qu’elles reproduisent ou plutôt singent le travail les
organisations militantes ont besoins de « patrons ». Ne pouvant bâtir
leur union à partir de leurs problèmes concrets, les militants sont
naturellement portés à considérer que l’unification des décisions ne
peut découler que de l’existence d’une direction. Ils n’imaginent pas
que la vérité commune puisse jaillir des volontés particulières de
sortir de la merde, elle doit être balancée et imposée du haut. Ils se
représentent donc nécessairement la révolution comme un choc entre deux
appareils d’état hiérarchisés, l’un étant bourgeois, l’autre
prolétarien.
Ils ne savent rien de la bureaucratie, de son autonomie et de la
façon dont elle résout ses contradictions internes. Le militant de base
croit naïvement que les conflits entre dirigeants se réduisent à des
conflits d’idées et que là, où on lui dit qu’il y a unité il y a
effectivement unité. Sa grande fierté est d’avoir su discerner
l’organisation ou la tendance pourvu de LA bonne direction. En adhérant à
telle ou telle chapelle il adopte un système d’idées comme on enfile un
costume. N’en ayant vérifié aucune base il sera prêt à en défendre
toutes les conséquences et à répondre à toutes les objections avec un
dogmatisme incroyable. À une époque où les curés sont déchirés par les
crises spirituelles, le militant conserve la foi.
Forcé de tenir compte du mépris de plus en plus répandu à l’égard de
toute forme d’autorité le militantisme a produit des rejetons d’un type
nouveau. Certaines organisations prétendent qu’elles n’en sont pas et
surtout dissimulent leur direction. Les bureaucrates se cachent pour
mieux pouvoir tirer les ficelles.
Certaines organisations traditionnelles essaient de mettre en place
des formes d’organisation parallèles permanentes ou pas. Elles espèrent,
au nom de « l’autonomie prolétarienne », récupérer ou tout au moins
influencer des gens qui leur auraient autrement échappé.
On peut citer le Secours Rouge, I’OJTR et les Assemblées Ouvriers
Paysans du PSU... De même, certains journaux indépendants ou satellites
d’organisations prétendent n’exprimer que le point de vue des masses
révolutionnaires ou de groupes autonomes de la base. Mentionnons les
Cahiers de Mai, Le technique en Lutte, L’outil des travailleurs... Là où
on refuse de poser clairement et les questions d’organisation et les
questions de théorie sous le prétexte que l’heure de la construction du
parti révolutionnaire n’est pas encore venue ou au nom d’un spontanéisme
de pacotille (« nous ne sommes pas une organisation, mais un
rassemblement de braves mecs, une communauté », etc.) , on peut être sûr
qu’il y a de la bureaucratie et même souvent du maoïsme. L’avantage du
trotskisme, c’est que son fétichisme de l’organisation le contraint à
afficher la couleur ; il récupère en le disant. L’avantage du maoïsme
(nous ne parlons pas de maoïsme pur et archéo-stalinien du genre
Humanité Rouge) c’est qu’il crée les conditions de son propre
débordement ; à force de jouer les équilibristes de la récupération il
va se casser la gueule.
OBJECTIVITÉ ET SUBJECTIVITÉ
Les systèmes d’idées adoptés par les militants varient suivant les
organisations, mais ils sont tous minés par la nécessité de masquer la
nature de l’activité qu’ils cachent et la séparation des masses. Aussi
retrouve-t-on toujours au cœur des idéologies militantes la séparation
entre objectivité et subjectivité conçue de façon mécanique et
ahistorique.
Le militant qui se dévoue au service du peuple, même si il ne nie pas
que son activité a des motivations subjectives, refuse de leur accorder
de l’importance. De toute façon ce qui est subjectif doit être éliminé
au profit de ce qui est objectif. Le militant refusant d’être mu par ses
désirs en est réduit à invoquer les nécessités historiques considérées
comme extérieures au monde des désirs. Grâce au « socialisme
scientifique », forme figée d’un marxisme dégénéré, il croit pouvoir
découvrir le sens de l’histoire et s’y adapter. Il se grise avec des
concepts dont la signification lui échappe : forces productives,
rapports de production, loi de la valeur, dictature du prolétariat etc.
Tout cela lui permet de se rassurer sur le sérieux de son agitation. Se
mettant en dehors de « sa critique » du monde, il se condamne à ne rien
comprendre à la marche de celui-ci.
La passion qu’il n’arrive pas à mettre dans sa vie quotidienne, il la
reporte dans sa participation imaginaire au « spectacle révolutionnaire
mondial ». La terre est ravalée au rang d’un théâtre de polichinelle où
s’affrontent bons et méchants, impérialistes et anti-impérialistes. Il
compense la médiocrité de son existence en s’identifiant aux stars de ce
cirque planétaire. Le comble du ridicule a certainement été atteint
avec le culte du « CHE ». Économiste délirant, piteux stratège, mais
beau gosse, Guevara aura eu au moins la consolation de voir ses talents
hollywoodiens récompensés. Un record dans la vente des posters !
Qu’est-ce que la subjectivité, sinon le résidu de l’objectivité, ce
qu’une société fondée sur la reproduction marchande ne peut intégrer ?
La subjectivité de l’artiste s’objective dans l’œuvre d’art. Pour le
travailleur séparé des moyens de production et de l’organisation de sa
propre production, la subjectivité reste à l’état de manies, de
fantasmes... Ce qui s’objective le fait par la grâce du capital, et
devient lui même capital. L’activité révolutionnaire comme le monde
qu’elle préfigure dépasse la séparation entre objectivité et
subjectivité. Elle objective la subjectivité et investit subjectivement
le monde objectif. La révolution prolétarienne c’est l’irruption de la
subjectivité !
Il ne s’agit pas de retomber dans le mythe d’une « vraie nature
humaine », de l’« essence éternelle » de l’homme qui, réprimé par la
Société, chercherait à revenir au grand jour. Mais si la forme et le but
de nos désirs varient, ils ne se réduisent nullement au besoin de
consommer tel ou tel produit. Déterminée historiquement par l’évolution
et les nécessités de la production marchande, la subjectivité ne se plie
nullement aux besoins de la consommation et de la production. Pour
récupérer les désirs des consommateurs la marchandise doit s’adapter
sans cesse. Mais elle reste incapable de satisfaire la volonté de vivre
en réalisant totalement et directement nos désirs. À l’avant-garde de la
provocation marchande, les vitrines subissent de plus en plus souvent
la critique du pavé !
Ceux qui refusent de tenir compte de la réalité de LEURS désirs au
nom de la « Pensée matérialiste » risquent de ne pas voir le poids de
NOS désirs leur retomber sur la gueule.
Les militants et leurs idéologues, même diplômés de l’université,
sont de moins en moins aptes à comprendre leur époque et à coller à
l’histoire. Incapables de sécréter une pensée un tant soit peu moderne,
ils en sont réduits à aller fouiller dans les poubelles de l’histoire
pour y récupérer des idéologies qui ont fait, déjà depuis un certains
temps, la preuve de leur échec : anarchisme, léninisme, trotskisme...
Pour rendre le tout plus digeste ils l’assaisonnent d’un peu de maoïsme
ou de castrisme mal compris. Ils se réclament du mouvement ouvrier mais
confondent son histoire avec la construction d’un capitalisme d’état en
Russie ou l’épopée bureaucratique-paysanne de « la longue marche » en
Chine. Ils se prétendent marxistes, mais ne comprennent pas que le
projet marxiste d’abolition du salariat, de la production marchande et
de l’État, est indissociable de la prise du pouvoir par le prolétariat.
Les penseurs « marxistes » sont de plus en plus incapables de
reprendre l’analyse des contradictions fondamentales du capitalisme
qu’avait inaugurée Marx. Ils vont s’engluer sur le terrain de l’économie
politique bourgeoise, tout en rabâchant des bêtises sur la loi de la
valeur travail, la baisse tendancielle du taux de profit, la réalisation
de la plus-value. Malgré leurs prétentions, ils ne comprennent rien à
la marche du capitalisme moderne. Se croyant obligés d’utiliser un
vocabulaire marxiste, dont ils ne connaissent pas le mode d’emploi, ils
se coupent des quelques possibilités d’analyse qui restent à l’économie
politique. Leurs « recherches » ne valent pas celles du premier disciple
de Keynes venu.
MILITANTS ET CONSEILS OUVRIERS
Les organisation militantes s’autonomisent au-dessus des masses
qu’elles ont la prétention de représenter. Elles sont naturellement
amenées à considérer que ce n’est pas la classe ouvrière qui fait la
révolution mais « les organisations de la classe ouvrière ». Il convient
donc de renforcer ces dernières. Le prolétariat devient à la limite une
matière brute, du fumier sur lequel va pouvoir s’épanouir cette rose
rouge qu’est le Parti Révolutionnaire. Les nécessités de la récupération
exigent qu’on ne parle pas trop de ça à l’extérieur ; c’est là que
commence la démagogie.
L’autonomie des buts des organisations militantes doit être
dissimulée. L’idéologie sert à ça. L’on proclame bien haut que l’on est
au service du peuple, que l’on n’agit pas pour son bien propre et que si
jamais pendant un court moment on est obligé de prendre le pouvoir on
n’en abusera pas. Une fois que la classe ouvrière aura été bien éduquée
on se dépêchera de lui rendre.
L’histoire des conseils ouvriers montre que systématiquement les
organisations dites ouvrières ont cherché à jouer leur propre jeu et
tirer les marrons du feu ; cela pour les meilleurs motifs évidemment.
Pour assurer leur pouvoir, elles ont cherché à limiter, à récupérer et à
détruire les formes d’organisation que le prolétariat s’était données :
soviets territoriaux, comités d’usine.
Les soviets russes ont été magouillés, puis liquidés par le parti et
l’État bolchevique. En 1905 Lénine ne leur accorde pas d’importance. En
1917, au contraire, on proclame : « tout le pouvoir au soviets ». En
1921 les soviets qui ont servi de marchepied pour prendre le pouvoir
deviennent gênants ; les ouvriers et les marins de Cronstadt qui
réclament des soviets libres sont écrasés par l’armée rouge.
En Allemagne, le gouvernement social-démocrate des « commissaires du
peuple » se charge de liquider les conseils ouvriers au nom de la
révolution.
En Espagne, de nouveau les communistes s’occupent de faire
disparaître les formes de pouvoir populaire. Cela devait permettre de
mieux développer la lutte contre le fascisme !
Ce n’est pas la peine d’accumuler les exemples. Toutes les
expériences historiques ont confirmé l’antagonisme qui oppose
prolétariat révolutionnaire et organisation militante. L’idéologie la
plus extrémiste peut cacher la position la plus contre-révolutionnaire.
Si certaines organisations ont pu cependant se battre à coté du
prolétariat jusqu’à la défaite commune comme la Ligue Spartacus et la
CNT-FAI anarcho-syndicaliste, rien ne prouve que ces organisations
n’aurait pas commencé à lutter pour leur propre pouvoir une fois
l’adversaire vaincu.
La chine n’est ni plus ni moins qu’un vulgaire capitalisme d’État. La production marchande et l’esclavage salarié n’ont pas été abolis par la prise de pouvoir « communiste ».Au contraire, en rompant avec le pillage de la Chine par les impérialistes, cette prise du pouvoir pouvait seule permettre d’accumuler le capital et d’industrialiser sur place. Le culte de la personnalité et les pressions idéologiques pour faire participer le peuple à la « lutte sur le front de la production » n’ont pas éliminé des méthodes plus classiques. Témoin cette publicité [reproduite en illustration sur une demie page de la brochure originale] pour des savonnettes.
Nos bureaucrates locaux qui s’extasient devant la « dialectique » de Mao et le renouveau de la théorie qu’apporterait le soi-disant anti-bureaucratisme de la révolution culturelle, seront déçus par la Chine rouge comme ils ont été déçus par la Russie stalinienne.
Les militants pour s’être cloîtrés en politique n’en restent pas
moins des individus sociaux, soumis à l’influence de leur milieu.
Lorsque ça chauffe, beaucoup peuvent passer dans le camp de la
révolution. On a bien vu des délégués syndicaux prendre la tête de
séquestrations ! Mais la désertion massive des militants sera d’autant
plus probable que les conseils et les révolutionnaires conseillistes
seront plus forts. Le mouvement peut être aidé dans ses succès par le
renfort de nombreux militants, mais en cas d’erreurs ou de flottements
le balancier jouera dans l’autre sens. Les organisations militantes
seront renforcées par l’apport de prolétaires cherchant à se rassurer.
La liquidation des conseils ouvriers a été rendu possible par leur
faiblesse, leur incapacité de faire appliquer en leur sein les règles de
la démocratie directe et à prendre effectivement tout le pouvoir en
écrasant tous les pouvoirs qui leur étaient extérieurs. Les
organisations militantes ne sont en fait que la propre faiblesse
extériorisée du prolétariat qui se retourne contre lui.
Les travailleurs feront de nouveau des erreurs. Ils ne trouveront pas
immédiatement la forme adéquate de leur pouvoir. Moins les masses
auront d’illusions sur le militantisme, plus le pouvoir des conseils
aura de chance de se développer. Discréditer et ridiculiser les
militants, voilà la tâche qui revient dès maintenant aux
révolutionnaires. Cette tâche sera parachevée par la critique en acte
que constituera la naissance d’organisations conseillistes. Ces
organisations sauront très bien se passer d’une direction et d’un
appareil bureaucratique. Produit de la solidarité de travailleurs
combatifs, elles seront de libres associations d’individus autonomes.
Rien ne leur sera plus étranger que l’endoctrinement idéologique ou
l’embrigadement organisationnel. Elles montreront par leurs idées, mais
surtout par leur comportement dans les luttes, qu’elles ne risquent
jamais de poursuivre des intérêts distincts de ceux de l’ensemble du
prolétariat.
Le développement du capitalisme moderne qui se traduit par
l’occupation de tout l’espace social par les marchandises, par la
généralisation du travail salarié, mais aussi par la dégradation des
valeurs morales, le mépris du travail et des idéologies, augmentera la
violence du choc. Les prolétaires iront beaucoup plus vite et beaucoup
plus loin que par le passé. Si des organisations de militants ont pu
jadis jouer un rôle révolutionnaire pendant un certains temps, cela ne
sera plus possible. Ces organisations ne pourront être rapidement que de
plus en plus contre-révolutionnaires lors des prochaines grandes
batailles de la lutte des classes. Coincés entre le prolétariat et le
vieux monde, elles ne pourront survivre qu’en servant de rempart à ce
dernier.
Si les syndicalistes et autres militants essaient de prendre en main
le ravitaillement puis l’organisation de la production et du maintien de
l’ordre pour répondre aux « défaillances » du capital et de l’État et
se mettent au « service des ménagères », il faudra les traiter pour ce
qu’ils sont : une nouvelle classe dirigeante en formation. Les
conseillistes devront se battre pour que les commissions et délégués
affectés à des tâches particulières soient responsables UNIQUEMENT
devant les assemblées générales de la base et révocables à tout moment.
Les adhérents d’une organisation quelconque, élus au sein des conseils
n’auront pas à être les représentants de leur organisation mais les
délégués des ouvriers. Les conseils doivent être TOUT LE POUVOIR ET NON
UN SIMULACRE DE POUVOIR affaibli de l’intérieur par la division et les
tentatives d’accaparement des organisations. On ne nous refera pas le
coup des soviets russes transformés en foire politicarde par les Partis
ou des colonnes armées communistes, socialistes, anarchistes,
trotskistes s’affrontant et se disputant armes et influence pendant la
guerre d’Espagne. Les conseils devront prendre en main et unifier toutes
les tâches que nécessitera la destruction de l’ordre bourgeois et
traiter en ennemis tous ceux qui leur contesteraient ce droit !