samedi 25 juillet 2015

Le militantisme stade suprême de l'aliénation

[Contre Capital] - Après l'hiver 1995. La décennie quatre-vingt-dix fut elle aussi un long hiver. Nous ne fûmes plus sur le territoire rance que quelques groupes autonomes isolés les uns des autres (s'ignorant complètement ou se méprisant sublimement) sans aucun désir de communiquer dans l'hiver froid du reflux des luttes de l'après-82. Quelques étincelles pratiques (n'était-ce pas là l'essentiel d'ailleurs ?) : les cheminots ici, les infirmières là, quelques postiers. Après l'hiver 1995. La deuxième moitié de la décennie est bien morne. Ne subsistent que le gauchisme alimentaire de la LCR et l'anarchisme fédéré du Folklore Anarchiste (ou bien est-ce l'inverse ?), leur point commun : distiller l'ennui groupusculaire et le conformisme pragmatique (par exemple le programme de transition comme fin permanente, la transition permanente quoi). Il fallait refaire vivre notre courant aussi radical qu'iconoclaste. Un activiste d'aujourd'hui aurait bien du mal à comprendre la morosité conformiste qui imprégnait la sphère radicalo-groupusculaire et surtout l'absence presque totale de groupes radicaux authentiques. Tandis que certains libertaires barbotaient derrière la LCR d'autres réduisaient leur activité à un camping estival (tant mieux c'est là où l'on préfère voir la crétinerie sous-libertaire : dans les camps de l'entre-soi groupusculaire). Nous créâmes l'Association document édition liaison. Vite ! Boulimie de textes. Qu'importe. Les Conseils ouvriers surtout ! La prose de notre courant était oubliée, les quelques Spartacus recouverts de poussière dans l'arrière boutique des librairies rââââdicâââles môôôôôsieur. Publier. Diffuser. Discuter. Publier. Diffuser. Discuter. Même des textes qui nous laissaient sceptiques. Aucune importance. Tic tac tic tac tic tac. Nos brochures fleurirent alors sur les étalages d'une grande librairie déjantée parisienne, et puis des copains photocopiaient les textes de leurs côtés et les diffusaient gratuitement. On vilipendait le léninisme/bolchévisme, on engueulait l'anarchisme, on méprisait le militantisme aliéné ... Quelques vingt-cinq années après sa première parution nous décidions alors de publier la brochure de l'Organisation des jeunes travailleurs révolutionnaires. Le militantisme stade suprême de l'aliénation. Publier. Diffuser. Discuter. Dire que c'est super. Dire que c'est pourri. On s'en foutait. Inciter à se réapproprier la critique radicale. Tic tac tic tac tic tac.


Le révolutionnaire est au militant ce que le loup est à l’agneau.
À la suite du mouvement des occupations de mai 68 on a vu se développer à la gauche du Parti Communiste et de la CGT un ensemble de petites organisations qui se réclament du trotskisme, du maoïsme et de l’anarchisme. Malgré le faible pourcentage de travailleurs qui ont rejoint leurs rangs, elles prétendent disputer aux organisations traditionnelles le contrôle de la classe ouvrière dont elles se proclament l’avant-garde.
Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire ne suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde moderne produit ces bureaucraties extrémistes, et déchirer le voile de leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique véritable. Les révolutionnaires doivent se démarquer le plus possible des organisations gauchistes et montrer que loin de menacer l’ordre du vieux monde l’action de ces groupes ne peut entraîner au mieux que son reconditionnement. Commencer à les critiquer, c’est préparer le terrain au mouvement révolutionnaire qui devra les liquider sous peine d’être liquidé par eux.
La première tentation qui vient à l’esprit est de s’attaquer à leurs idéologies, d’en montrer l’archaïsme ou l’exotisme (de Lénine à Mao) et de mettre en lumière le mépris des masses qui se cache sous leur démagogie. Mais cela deviendrait vite fastidieux si l’on considère qu’il existe une multitude d’organisations et de tendances et qu’elles tiennent toutes à bien affirmer leur petite originalité idéologique. D’autre part cela revient à se placer sur leur terrain. Plus qu’à leurs idées il convient de s’en prendre à l’activité qu’ils déploient au « service de leurs idées » : le MILITANTISME.
Si nous nous en prenons globalement au militantisme ce n’est pas parce que nous nions les différences qui existent entre l’activité des diverses organisations. Mais nous pensons que malgré et même justement à cause de leur importante ces différences ne peuvent bien s’expliquer que si on prend le militantisme à la racine. Les diverses façons de militer ne sont que des réponses divergentes à une même contradiction fondamentale dont aucune ne détient la solution.
En prenant parti de fonder notre critique sur l’activité du militant nous ne sous-estimons pas l’importance du rôle des idées dans le militantisme. Simplement à partir du moment où ces idées sont mises en avant sans êtres reliées à l’activité il importe de savoir ce qu’elles cachent. Nous montrerons le hiatus qu’il y a entre les deux, nous relierons les idées à l’activité et dévoilerons l’impact de l’activité sur les idées : chercher derrière le mensonge la réalité du menteur pour comprendre la réalité du mensonge.
Si la critique et la condamnation du militantisme est une tâche indispensable pour la théorie révolutionnaire, elle ne peut être faite que du « point de vue » de la révolution. Les idéologues bourgeois peuvent traiter les militants de voyous dangereux, d’idéalistes manipulés, leur conseiller d’occuper leur temps à travailler ou à le passer au Club Méditerranée ; ils ne peuvent pas s’attaquer au militantisme en profondeur car cela revient à mettre en lumière la misère de toutes activités que permet la société moderne. Nous ne cachons pas notre parti pris, notre critique ne sera pas « objective et valable de tous les points de vue ».
Cette critique du militantisme est inséparable de la construction des organisations révolutionnaires, non seulement parce que les organisations de militants devront être combattues sans relâche, mais aussi parce que la lutte contre la tendance au militantisme devra être menée au sein même des organisations, révolutionnaires. Cela sans doute parce que ces organisations, tout au moins au départ, risquent d’être composées pour une part non négligeable d’anciens militants « repentis », mais aussi parce que le militantisme se base sur l’aliénation de chacun d’entre nous. L’aliénation ne s’élimine pas d’un coup de baguette magique et le militantisme est le piège particulier que le vieux monde tend aux révolutionnaires.
Ce que nous disons des militants est dur et sans appel. Nous ne sommes prêts effectivement à aucun compromis avec eux, ce ne sont pas des révolutionnaires qui se trompent ou des semi révolutionnaires, mais des gens qui restent en deçà de la révolution. Mais cela ne veut nullement dire que 1° nous nous mettons en dehors de cette critique, si nous tenons à être clairs et nets, c’est d’abord à l’égard de nous-mêmes, et que 2° nous condamnons le militant en tant qu’individu et faisons de cette condamnation une affaire morale. Il ne s’agit pas de retomber dans la séparation des bons et des méchants. Nous ne sous estimons pas la tentation du : « plus je gueule contre les militants, plus je prouve que je n’en suis pas et plus je me mets à l’abri de la critique ! »

LE MASOCHISME
Faisons l’effort de surmonter l’ennui que secrète naturellement les militants. Ne nous contentons pas de déchiffrer la phraséologie de leurs tracts et de leurs discours. Interrogeons-les sur les raisons qui les ont poussés, eux, personnellement, à militer. Il y n’a pas de question qui puisse embarrasser plus un militant. Au pire ils vont partir dans des baratins interminables sur l’horreur du capitalisme, la misère des enfants du tiers monde, les bombes à fragmentation, la hausse des prix, la répression... Au mieux ils vont expliquer que ayant pris conscience - ils tiennent beaucoup à cette fameuse « prise de conscience » - de la véritable nature du capitalisme ils ont décidé de lutter pour un monde meilleur, pour le socialisme (le vrai pas l’autre). Enthousiasmés par ces perspectives exaltantes ils n’ont pu résister au désir de se jeter sur la manivelle de la ronéo la plus proche. Essayons d’approfondir la question et portons nos regards non plus sur ce qu’ils disent mais sur ce qu’ils vivent.
Il y a une énorme contradiction entre ce qu’ils prétendent désirer et la misère et l’inefficacité de ce qu’ils font. L’effort auquel ils s’astreignent et la dose d’ennui qu’ils sont capables de supporter ne peuvent laisser aucun doute : ces gens là sont d’abord des masochistes. Non seulement au vu de leur activité on ne peut croire qu’ils puissent désirer sincèrement une vie meilleure, mais encore leur masochisme ne manifeste aucune originalité. Si certains pervers mettent en œuvre une imagination qui ignore la pauvreté des règles du vieux monde, ce n’est pas le cas des militants ! Ils acceptent au sein de leur organisation la hiérarchie et les petits chefs dont ils prétendent vouloir débarrasser la société, et l’énergie qu’ils dépensent se moule spontanément dans la forme du travail. Car le militant fait partie de cette sorte de gens à qui 8 ou 9 heures d’abrutissement quotidien ne suffisent pas.
Lorsque les militants tentent de se justifier ils n’arrivent qu’à étaler leur manque d’imagination. Ils ne peuvent concevoir autre chose, une autre forme d’activité que ce qui existe actuellement. Pour eux, la division entre le sérieux et l’amusant, les moyens et les buts n’est pas liée a une époque déterminée. Ces catégories sont éternelles et indépassables : on ne pourra être heureux plus tard que si on se sacrifie maintenant. Le sacrifice sans récompense de millions de militants ouvriers, des générations de l’époque stalinienne ne fait rien bouger dans leurs petites têtes. Ils ne voient pas que les moyens déterminent les fins et qu’en acceptant de se sacrifier aujourd’hui ils préparent les sacrifices de demain.
On ne peut qu’être frappé par les innombrables ressemblances qui rapprochent militantisme et activité religieuse. On retrouve les mêmes attitudes psychologiques : esprit de sacrifice, mais aussi intransigeance, volonté de convertir, esprit de soumission. Ces ressemblances s’étendent au domaine des rites et des cérémonies : prêches sur le chômage, processions pour le Vietnam, références aux textes sacrés du marxisme-léninisme, culte des emblèmes (drapeaux rouges). Les églises politiques n’ont-elles pas aussi leurs prophètes, leurs grands prêtres, leurs convertis, leurs hérésies, leurs schismes, leurs pratiquants-militants et leurs non-pratiquants-sympathisants ! Mais le militantisme révolutionnaire n’est qu’une parodie de la religion. La richesse, la démence, la démesure des projets religieux lui échappent ; il aspire au sérieux, il veut être raisonnable, il croit pouvoir gagner en échange un paradis ici-bas. Cela ne lui est même pas donné. Jésus Christ ressuscite et monte au ciel, Lénine pourrit sur la Place Rouge.
Si le militant peut être assimilé au croyant en ce qui concerne la candeur de ses illusions il convient de le considérer tout autrement en ce qui concerne son attitude réelle. Le sacrifice de la carmélite qui s’emprisonne pour prier pour le salut des âmes a des répercussions très limitées sur la réalité sociale. Il en va tout autrement pour le militant. Son sacrifice risque d’avoir des conséquences fâcheuses pour l’ensemble de la société.

LE DÉSIR DE LA PROMOTION
Le militant parle beaucoup des masses. Son action est centrée sur elles. Ils s’agit de les convaincre, de leur faire « prendre conscience ». Et pourtant le militant est séparé des masses et de leurs possibilités de révolte. Et cela parce qu’il est SEPARÉ DE SES PROPRES DESIRS.
Le militant ressent l’absurdité de l’existence que l’on nous impose. En « décidant » de militer, il tente d’apporter une solution à l’écart qui existe entre ses désirs et ce qu’il a réellement la possibilité de vivre. C’est une réaction contre sa prolétarisation contre la misère de sa vie. Mais il s’engage dans une voie sans issue.
Bien qu’insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître et d’affronter ses désirs. IL EN A HONTE. Cela l’entraîne à remplacer la promotion de ses désirs par le désir de sa promotion. Mais les sentiments de culpabilité qu’il entretient sont tels qu’il ne peut envisager une promotion hiérarchique dans le cadre du système, ou plutôt il est prêt à lutter pour une bonne place si il gagne en même temps la garantie que ce n’est pas pour son propre compte. Son militantisme lui permet de s’élever, de se mettre sur un piédestal, sans que cette promotion apparaisse aux autres et à lui-même pour ce qu’elle est. (Après tout, le pape n’est lui aussi que le serviteur des serviteurs de Dieu !)
Se mettre au service de ses désirs ne revient nullement à se réfugier dans sa coquille et n’a rien à voir avec l’individualisme petit bourgeois. Tout au contraire cela ne peut passer que par la destruction de la carapace d’égoïsme dans laquelle nous enferme la société bourgeoise et le développement d’une véritable solidarité de classe. Le militant qui prétend se mettre au service du prolétariat (« Les ouvriers sont nos maîtres » Geismar) ne fait que se mettre au service de l’idée qu’il a des intérêts du prolétariat. Ainsi par un paradoxe qui n’est qu’apparent, en se mettant véritablement au service de soi-même on en revient à aider véritablement les autres et cela sur une base de classe, et en se mettent au service des autres on en vient à protéger une position hiérarchique personnelle.
Militer, ce n’est pas s’accrocher à la transformation de sa vie quotidienne, ce n’est pas se révolter directement contre ce qui opprime, c’est au contraire fuir ce terrain. Or ce terrain est le seul qui soit révolutionnaire pourvu que l’on sache que notre vie de tous les jours est colonisée par le capital et régie par les lois de la production marchande. En se politisant, le militant est à la recherche d’un rôle qui le mette au-dessus des masses. Que ce « au-dessus » prenne des allures « d’avant-gardisme » ou d’« éducationnisme » ne change rien à l’affaire. Il n’est déjà plus le prolétaire qui n’a rien d’autre à perdre que ses illusions ; il a un rôle à défendre. En période de révolution, quand tous les rôles craquent sous la poussée du désir de vivre sans entrave, le rôle de « révolutionnaire conscient » est celui qui survit le mieux.
En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve un sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui-même dans la réalité de sa subjectivité, mais dans la soumission à des nécessités extérieures. De même que dans le travail il est soumis à un but et à des règles qui lui échappent, il obéit en militant aux « nécessités de l’histoire ».
Évidemment, on ne peut pas mettre tous les militants sur le même plan. Tous ne sont pas atteints aussi gravement. On trouve parmi eux quelques naïfs qui, ne sachant comment utiliser leurs loisirs, poussés par la solitude et trompés par la phraséologie révolutionnaire se sont égarés ; ils saisiront le premier prétexte venu pour s’en aller. L’achat de la télévision, la rencontre de l’âme sœur, la nécessité de faire des heures supplémentaires pour payer la voiture déciment les rangs de l’armée des militants !
Les raisons qui poussent à militer ne datent pas d’aujourd’hui. En gros elles sont les mêmes pour les militants syndicalistes, catholiques et révolutionnaires. La réapparition d’un militantisme révolutionnaire de masse est liée à la crise actuelle des sociétés marchandes et au retour de la vieille taupe révolutionnaire. La possibilité d’une révolution sociale apparaît suffisamment sérieuse pour que les militants misent sur elle. Le tout est renforcé par l’écroulement des religions.
Le capitalisme n’a plus besoin des systèmes de compensation religieux. Parvenu à maturité, il n’a pas à offrir un supplément de bonheur dans l’au-delà mais tout le bonheur ici-bas, dans la consommation de ses marchandises matérielles, culturelles et spirituelles (l’angoisse métaphysique fait vendre !). Dépassés par l’histoire, les religions et leurs fidèles n’ont plus qu’à passer à l’action sociale ou au... maoïsme.
Le militantisme gauchiste touche essentiellement des catégories sociales en voie de prolétarisation accélérée (lycéens, étudiants, enseignants, personnels socio-éducatifs....) qui n’ont pas la possibilité de lutter concrètement pour des avantages à court terme et pour lesquels devenir véritablement révolutionnaire suppose une remise en question personnelle très profonde. L’ouvrier est beaucoup moins complice de son rôle social que l’étudiant ou l’éducateur. Militer est pour ces derniers une solution de compromis qui leur permet d’épauler leur rôle social vacillant. Ils retrouvent dans le militantisme une importance personnelle que la dégradation de leur position sociale leur refusait. Se dire révolutionnaire, s’occuper de la transformation de l’ensemble de la société, permet de faire l’économie de la transformation de sa propre condition et de ses illusions personnelles.
Dans la classe ouvrière le syndicalisme a le quasi-monopole du militantisme, il assure au militant des satisfactions immédiates et une position dont l’avantage peut se mesurer concrètement. L’ouvrier tenté par le militantisme se tournera très probablement vers le syndicalisme. Même les comités de lutte antisyndicaux ont tendance à devenir un syndicalisme nouvelle manière. L’activité politique n’est pour les militants ouvriers que le prolongement de l’action syndicale. Le militantisme tente peu les ouvriers et notamment les jeunes ouvriers parce que ce sont les prolétaires les plus lucides en ce qui concerne la misère de leur travail en particulier et de leur vie en général. Déjà peu tentés, dans leur ensemble, par le syndicalisme, ils le sont encore moins par un gauchisme aux avantages fumeux.
Ceci dit, quand dans la tourmente révolutionnaire le règne des marchandises et de la consommation s’écoulera, le syndicalisme dont le sérieux se basait sur la revendication sera prêt pour survivre à passer au militantisme révolutionnaire. Il reprendra les mots d’ordre les plus extrémistes et sera alors beaucoup plus dangereux que les groupes gauchistes. Déjà ne voit-on pas, à la suite de mai 68, la CFDT mêler le mot d’autogestion à son charabia néo-bureaucratique !



LE TRAVAIL POLITIQUE
Le temps « libre » que lui laissent ses obligations professionnelles ou scolaires, le militant va le consacrer à ce qu’il appelle lui-même le « travail politique ». Il faut tirer et distribuer des tracts, fabriquer et coller des affiches, faire des réunions, prendre des contacts, préparer des meetings... Mais ce n’est pas telle ou telle action considérée isolement qui suffit à caractériser le travail militant. Le simple fait de composer un tract dans le but de le tirer et de le distribuer ne peut être considéré en soi comme un acte militant. Si il est militant c’est parce qu’il s’insère dans une activité qui a une logique particulière.
C’est parce que l’activité du militant n’est pas le prolongement de ses désirs, c’est parce qu’elle obéit à une logique qui lui est extérieure, qu’elle se rapproche du travail. De même que le travailleur ne travaille pas pour lui, le militant ne milite pas pour lui. Le résultat de son action ne peut donc pas être mesuré au plaisir qu’il en retire. Il va donc l’être suivant le nombre d’heures dépensées, le nombre de tracts distribués. La répétition, la routine dominent l’activité du militant. La séparation entre exécution et décision renforce le côté fonctionnaire du militant.
Mais si le militantisme se rapproche du travail il ne peut pas lui être assimilé. Le travail est l’activité sur laquelle se fonde le monde dominant, il produit et reproduit le capital et les rapports de production capitalistes ; le militantisme lui n’est qu’une activité mineure. Si le résultat du travail et son efficacité, par définition, ne se mesurent pas à la satisfaction du travailleur ils ont l’avantage d’être mesurables économiquement. La production marchande, par le biais de la monnaie et du profit crée ses étalons et ses instruments de mesure. Elle a sa logique et sa rationalité qu’elle impose au producteur et au consommateur. Au contraire, l’efficacité du militantisme, « l’avancée de la révolution », n’ont pas encore trouvé leurs instruments de mesure. Leur contrôle échappe aux militants et à leurs dirigeants. Dans l’hypothèse, évidemment, où ces derniers se soucient encore de la révolution ! On en est donc réduit à comptabiliser le matériel produit et distribué, le recrutement, les actions menées ; ce qui évidemment ne mesure jamais ce que l’on prétend mesurer. Tout naturellement on en vient à considérer que ce qui est mesurable est une fin en soi. Imaginez le capitaliste qui ne trouvant pas de moyen d’évaluer la valeur de sa production déciderait de se rabattre sur la mesure des quantités d’huile consommées par des machines. Très vite, sous la pression de contre-maîtres consciencieux, les ouvriers videraient de l’huile dans le caniveau pour faire progresser... la production. Incapable de poursuivre le but proclamé, le militantisme ne fait que singer le travail.
S’appliquant consciencieusement à imiter le travail, les militants sont fort mal placés pour comprendre les perspectives ouvertes d’un côté par le mépris de plus en plus répandu à l’égard de toutes les contraintes et de l’autre par les progrès du savoir et de la technique. Les plus intelligents d’entre eux se rangent aux côtés des idéologues de la bourgeoisie moderniste, pour demander que l’on réduise les horaires ou que l’on humanise la répugnante activité. Que ce soit au nom du capital ou de la révolution, tous ces gens-là se montrent incapables de voir au-delà de la séparation entre temps de travail et temps de loisirs, entre activité consacrée à la production et activité consacrée à la consommation.
Si nous sommes obligés de travailler, la cause n’est pas naturelle, elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair. Le maître veut voir l’esclave produire parce que seul ce qui est produit est appropriable. La joie, le plaisir que l’on trouve dans une activité quelconque, cela ne peut être capitalisé, accumulé, traduit en argent par le capitaliste, alors il s’en fout. Lorsque nous travaillons nous sommes entièrement soumis à une autorité, à une loi extérieure, notre seule raison d’être c’est ce que nous produisons. Toute usine est un racket, où l’on pompe notre sueur et notre vie pour les transformer en marchandises.
Le temps passé à travailler est un temps où nous devons non pas satisfaire directement nos désirs mais sacrifier en attendant cette réparation ultérieure qu’est le salaire. C’est exactement le contraire du jeu, où le déroulement et le rythme de ce qu’on fait a pour maître le plaisir que l’on y prend. Le prolétariat en s’émancipant abolira le travail. La production des denrées nécessaires à notre survie biologique ne sera plus alors que le prétexte à la libération de nos passions.

LA RÉUNIONITE
Une caractéristique significative du militantisme est le temps passée en réunions. Laissons de côté les débats consacrés à la grande stratégie : où en sont nos camarades de Bolivie, à quand la prochaine crise économique mondiale, la construction du parti révolutionnaire avance-t-elle... Contentons nous de nous pencher sur les réunions concernant le « travail quotidien ». C’est peut-être là que s’étale le mieux la misère du militantisme. À part quelques cas désespérés, les militants eux-mêmes se plaignent du nombre de ces « réunions qui n’avancent pas ». Même si les militants aiment se réchauffer entre eux ils ne peuvent pas ne pas souffrir de la contradiction évidente entre d’une part leur volonté d’agir et d’autre part le temps perdu en de vaines discussions, en des débats sans issue. Ils sont condamnés à rester dans une impasse car ils s’en prennent à la « réunionite » sans voir que c’est tout le militantisme qui est en cause. La seule façon d’éliminer la réunionite revient à fuir dans un activisme de moins en moins en prise sur la réalité.
QUE FAIRE ? COMMENT S’ORGANISER ? Voilà les questions qui sous-tendent et provoquent les réunions. Or ces questions ne peuvent jamais, être réglées, leur solution n’avance jamais, parce que lorsque les militants se les posent, ils se les posent comme séparées de leur vie. La réponse n’est pas au rendez-vous parce que la question n’est pas posée par celui qui possède la solution concrète. On peut se réunir pendant des heures, se triturer le cerveau, cela ne fera pas surgir le support pratique qui manque aux idées. Alors que ces questions sont des bagatelles pour le prolétariat révolutionnaire, parce que pour lui les problèmes de l’action et de l’organisation se posent concrètement, font partie de sa lutte, ils deviennent le PROBLÈME pour les militants. La réunionite est le complément nécessaire de l’activisme. En fait, le problème posé est toujours celui-là : comment fusionner avec le mouvement des masses tout en restant séparé de lui. La solution de ce dilemme est soit de fusionner réellement avec les masses en retrouvant la réalité de ses désirs et les possibilités de leur réalisation, soit de renforcer leur pouvoir en tant que militants, en se rangeant au côté du vieux monde contre le prolétariat. Les grèves sauvages montrent qu’il y a des risques !
Dans ses rapports avec les masses, le militantisme reproduit ses tares internes, notamment ses tendances à la réunionite. On rassemble des gens et on les compte. Pour certains du genre AJS, se montrer et se compter devient même le summum de l’action !
Ces questions de l’action et de l’organisation, séparées déjà du mouvement réel, se trouvent mécaniquement séparées entre elles. Les diverses orientations du gauchisme concrétisent cette séparation. On trouve d’un côté avec les maos et l’ex-GP [Gauche prolétarienne] le pôle de l’action, et de l’autre avec les trotskistes et la Ligue Communiste [ancêtre de la LCR] le pôle de l’organisation. On fétichise soit l’action, soit l’organisation pour sortir de l’impasse où en se séparant des masses le militantisme s’est plongé. Chacun protège sa crétinerie particulière en se gaussant de l’orientation des groupes concurrents.

LA BUREAUCRATIE
Les organisations de militants sont toutes hiérarchisées. Certaines organisations non seulement ne s’en cachent pas mais auraient même plutôt tendance à s’en vanter. D’autres se contentent d’en parler le moins possible. Enfin certains petits groupes essaient de le nier.
De même qu’elles reproduisent ou plutôt singent le travail les organisations militantes ont besoins de « patrons ». Ne pouvant bâtir leur union à partir de leurs problèmes concrets, les militants sont naturellement portés à considérer que l’unification des décisions ne peut découler que de l’existence d’une direction. Ils n’imaginent pas que la vérité commune puisse jaillir des volontés particulières de sortir de la merde, elle doit être balancée et imposée du haut. Ils se représentent donc nécessairement la révolution comme un choc entre deux appareils d’état hiérarchisés, l’un étant bourgeois, l’autre prolétarien.
Ils ne savent rien de la bureaucratie, de son autonomie et de la façon dont elle résout ses contradictions internes. Le militant de base croit naïvement que les conflits entre dirigeants se réduisent à des conflits d’idées et que là, où on lui dit qu’il y a unité il y a effectivement unité. Sa grande fierté est d’avoir su discerner l’organisation ou la tendance pourvu de LA bonne direction. En adhérant à telle ou telle chapelle il adopte un système d’idées comme on enfile un costume. N’en ayant vérifié aucune base il sera prêt à en défendre toutes les conséquences et à répondre à toutes les objections avec un dogmatisme incroyable. À une époque où les curés sont déchirés par les crises spirituelles, le militant conserve la foi.
Forcé de tenir compte du mépris de plus en plus répandu à l’égard de toute forme d’autorité le militantisme a produit des rejetons d’un type nouveau. Certaines organisations prétendent qu’elles n’en sont pas et surtout dissimulent leur direction. Les bureaucrates se cachent pour mieux pouvoir tirer les ficelles.
Certaines organisations traditionnelles essaient de mettre en place des formes d’organisation parallèles permanentes ou pas. Elles espèrent, au nom de « l’autonomie prolétarienne », récupérer ou tout au moins influencer des gens qui leur auraient autrement échappé.
On peut citer le Secours Rouge, I’OJTR et les Assemblées Ouvriers Paysans du PSU... De même, certains journaux indépendants ou satellites d’organisations prétendent n’exprimer que le point de vue des masses révolutionnaires ou de groupes autonomes de la base. Mentionnons les Cahiers de Mai, Le technique en Lutte, L’outil des travailleurs... Là où on refuse de poser clairement et les questions d’organisation et les questions de théorie sous le prétexte que l’heure de la construction du parti révolutionnaire n’est pas encore venue ou au nom d’un spontanéisme de pacotille (« nous ne sommes pas une organisation, mais un rassemblement de braves mecs, une communauté », etc.) , on peut être sûr qu’il y a de la bureaucratie et même souvent du maoïsme. L’avantage du trotskisme, c’est que son fétichisme de l’organisation le contraint à afficher la couleur ; il récupère en le disant. L’avantage du maoïsme (nous ne parlons pas de maoïsme pur et archéo-stalinien du genre Humanité Rouge) c’est qu’il crée les conditions de son propre débordement ; à force de jouer les équilibristes de la récupération il va se casser la gueule.

OBJECTIVITÉ ET SUBJECTIVITÉ
Les systèmes d’idées adoptés par les militants varient suivant les organisations, mais ils sont tous minés par la nécessité de masquer la nature de l’activité qu’ils cachent et la séparation des masses. Aussi retrouve-t-on toujours au cœur des idéologies militantes la séparation entre objectivité et subjectivité conçue de façon mécanique et ahistorique.
Le militant qui se dévoue au service du peuple, même si il ne nie pas que son activité a des motivations subjectives, refuse de leur accorder de l’importance. De toute façon ce qui est subjectif doit être éliminé au profit de ce qui est objectif. Le militant refusant d’être mu par ses désirs en est réduit à invoquer les nécessités historiques considérées comme extérieures au monde des désirs. Grâce au « socialisme scientifique », forme figée d’un marxisme dégénéré, il croit pouvoir découvrir le sens de l’histoire et s’y adapter. Il se grise avec des concepts dont la signification lui échappe : forces productives, rapports de production, loi de la valeur, dictature du prolétariat etc. Tout cela lui permet de se rassurer sur le sérieux de son agitation. Se mettant en dehors de « sa critique » du monde, il se condamne à ne rien comprendre à la marche de celui-ci.
La passion qu’il n’arrive pas à mettre dans sa vie quotidienne, il la reporte dans sa participation imaginaire au « spectacle révolutionnaire mondial ». La terre est ravalée au rang d’un théâtre de polichinelle où s’affrontent bons et méchants, impérialistes et anti-impérialistes. Il compense la médiocrité de son existence en s’identifiant aux stars de ce cirque planétaire. Le comble du ridicule a certainement été atteint avec le culte du « CHE ». Économiste délirant, piteux stratège, mais beau gosse, Guevara aura eu au moins la consolation de voir ses talents hollywoodiens récompensés. Un record dans la vente des posters !
Qu’est-ce que la subjectivité, sinon le résidu de l’objectivité, ce qu’une société fondée sur la reproduction marchande ne peut intégrer ? La subjectivité de l’artiste s’objective dans l’œuvre d’art. Pour le travailleur séparé des moyens de production et de l’organisation de sa propre production, la subjectivité reste à l’état de manies, de fantasmes... Ce qui s’objective le fait par la grâce du capital, et devient lui même capital. L’activité révolutionnaire comme le monde qu’elle préfigure dépasse la séparation entre objectivité et subjectivité. Elle objective la subjectivité et investit subjectivement le monde objectif. La révolution prolétarienne c’est l’irruption de la subjectivité !
Il ne s’agit pas de retomber dans le mythe d’une « vraie nature humaine », de l’« essence éternelle » de l’homme qui, réprimé par la Société, chercherait à revenir au grand jour. Mais si la forme et le but de nos désirs varient, ils ne se réduisent nullement au besoin de consommer tel ou tel produit. Déterminée historiquement par l’évolution et les nécessités de la production marchande, la subjectivité ne se plie nullement aux besoins de la consommation et de la production. Pour récupérer les désirs des consommateurs la marchandise doit s’adapter sans cesse. Mais elle reste incapable de satisfaire la volonté de vivre en réalisant totalement et directement nos désirs. À l’avant-garde de la provocation marchande, les vitrines subissent de plus en plus souvent la critique du pavé !
Ceux qui refusent de tenir compte de la réalité de LEURS désirs au nom de la « Pensée matérialiste » risquent de ne pas voir le poids de NOS désirs leur retomber sur la gueule.
Les militants et leurs idéologues, même diplômés de l’université, sont de moins en moins aptes à comprendre leur époque et à coller à l’histoire. Incapables de sécréter une pensée un tant soit peu moderne, ils en sont réduits à aller fouiller dans les poubelles de l’histoire pour y récupérer des idéologies qui ont fait, déjà depuis un certains temps, la preuve de leur échec : anarchisme, léninisme, trotskisme... Pour rendre le tout plus digeste ils l’assaisonnent d’un peu de maoïsme ou de castrisme mal compris. Ils se réclament du mouvement ouvrier mais confondent son histoire avec la construction d’un capitalisme d’état en Russie ou l’épopée bureaucratique-paysanne de « la longue marche » en Chine. Ils se prétendent marxistes, mais ne comprennent pas que le projet marxiste d’abolition du salariat, de la production marchande et de l’État, est indissociable de la prise du pouvoir par le prolétariat.
Les penseurs « marxistes » sont de plus en plus incapables de reprendre l’analyse des contradictions fondamentales du capitalisme qu’avait inaugurée Marx. Ils vont s’engluer sur le terrain de l’économie politique bourgeoise, tout en rabâchant des bêtises sur la loi de la valeur travail, la baisse tendancielle du taux de profit, la réalisation de la plus-value. Malgré leurs prétentions, ils ne comprennent rien à la marche du capitalisme moderne. Se croyant obligés d’utiliser un vocabulaire marxiste, dont ils ne connaissent pas le mode d’emploi, ils se coupent des quelques possibilités d’analyse qui restent à l’économie politique. Leurs « recherches » ne valent pas celles du premier disciple de Keynes venu.

MILITANTS ET CONSEILS OUVRIERS
Les organisation militantes s’autonomisent au-dessus des masses qu’elles ont la prétention de représenter. Elles sont naturellement amenées à considérer que ce n’est pas la classe ouvrière qui fait la révolution mais « les organisations de la classe ouvrière ». Il convient donc de renforcer ces dernières. Le prolétariat devient à la limite une matière brute, du fumier sur lequel va pouvoir s’épanouir cette rose rouge qu’est le Parti Révolutionnaire. Les nécessités de la récupération exigent qu’on ne parle pas trop de ça à l’extérieur ; c’est là que commence la démagogie.
L’autonomie des buts des organisations militantes doit être dissimulée. L’idéologie sert à ça. L’on proclame bien haut que l’on est au service du peuple, que l’on n’agit pas pour son bien propre et que si jamais pendant un court moment on est obligé de prendre le pouvoir on n’en abusera pas. Une fois que la classe ouvrière aura été bien éduquée on se dépêchera de lui rendre.
L’histoire des conseils ouvriers montre que systématiquement les organisations dites ouvrières ont cherché à jouer leur propre jeu et tirer les marrons du feu ; cela pour les meilleurs motifs évidemment. Pour assurer leur pouvoir, elles ont cherché à limiter, à récupérer et à détruire les formes d’organisation que le prolétariat s’était données : soviets territoriaux, comités d’usine.
Les soviets russes ont été magouillés, puis liquidés par le parti et l’État bolchevique. En 1905 Lénine ne leur accorde pas d’importance. En 1917, au contraire, on proclame : « tout le pouvoir au soviets ». En 1921 les soviets qui ont servi de marchepied pour prendre le pouvoir deviennent gênants ; les ouvriers et les marins de Cronstadt qui réclament des soviets libres sont écrasés par l’armée rouge.
En Allemagne, le gouvernement social-démocrate des « commissaires du peuple » se charge de liquider les conseils ouvriers au nom de la révolution.
En Espagne, de nouveau les communistes s’occupent de faire disparaître les formes de pouvoir populaire. Cela devait permettre de mieux développer la lutte contre le fascisme !
Ce n’est pas la peine d’accumuler les exemples. Toutes les expériences historiques ont confirmé l’antagonisme qui oppose prolétariat révolutionnaire et organisation militante. L’idéologie la plus extrémiste peut cacher la position la plus contre-révolutionnaire. Si certaines organisations ont pu cependant se battre à coté du prolétariat jusqu’à la défaite commune comme la Ligue Spartacus et la CNT-FAI anarcho-syndicaliste, rien ne prouve que ces organisations n’aurait pas commencé à lutter pour leur propre pouvoir une fois l’adversaire vaincu.
La chine n’est ni plus ni moins qu’un vulgaire capitalisme d’État. La production marchande et l’esclavage salarié n’ont pas été abolis par la prise de pouvoir « communiste ».Au contraire, en rompant avec le pillage de la Chine par les impérialistes, cette prise du pouvoir pouvait seule permettre d’accumuler le capital et d’industrialiser sur place. Le culte de la personnalité et les pressions idéologiques pour faire participer le peuple à la « lutte sur le front de la production » n’ont pas éliminé des méthodes plus classiques. Témoin cette publicité [reproduite en illustration sur une demie page de la brochure originale] pour des savonnettes.
Nos bureaucrates locaux qui s’extasient devant la « dialectique » de Mao et le renouveau de la théorie qu’apporterait le soi-disant anti-bureaucratisme de la révolution culturelle, seront déçus par la Chine rouge comme ils ont été déçus par la Russie stalinienne.
Les militants pour s’être cloîtrés en politique n’en restent pas moins des individus sociaux, soumis à l’influence de leur milieu. Lorsque ça chauffe, beaucoup peuvent passer dans le camp de la révolution. On a bien vu des délégués syndicaux prendre la tête de séquestrations ! Mais la désertion massive des militants sera d’autant plus probable que les conseils et les révolutionnaires conseillistes seront plus forts. Le mouvement peut être aidé dans ses succès par le renfort de nombreux militants, mais en cas d’erreurs ou de flottements le balancier jouera dans l’autre sens. Les organisations militantes seront renforcées par l’apport de prolétaires cherchant à se rassurer.
La liquidation des conseils ouvriers a été rendu possible par leur faiblesse, leur incapacité de faire appliquer en leur sein les règles de la démocratie directe et à prendre effectivement tout le pouvoir en écrasant tous les pouvoirs qui leur étaient extérieurs. Les organisations militantes ne sont en fait que la propre faiblesse extériorisée du prolétariat qui se retourne contre lui.
Les travailleurs feront de nouveau des erreurs. Ils ne trouveront pas immédiatement la forme adéquate de leur pouvoir. Moins les masses auront d’illusions sur le militantisme, plus le pouvoir des conseils aura de chance de se développer. Discréditer et ridiculiser les militants, voilà la tâche qui revient dès maintenant aux révolutionnaires. Cette tâche sera parachevée par la critique en acte que constituera la naissance d’organisations conseillistes. Ces organisations sauront très bien se passer d’une direction et d’un appareil bureaucratique. Produit de la solidarité de travailleurs combatifs, elles seront de libres associations d’individus autonomes. Rien ne leur sera plus étranger que l’endoctrinement idéologique ou l’embrigadement organisationnel. Elles montreront par leurs idées, mais surtout par leur comportement dans les luttes, qu’elles ne risquent jamais de poursuivre des intérêts distincts de ceux de l’ensemble du prolétariat.
Le développement du capitalisme moderne qui se traduit par l’occupation de tout l’espace social par les marchandises, par la généralisation du travail salarié, mais aussi par la dégradation des valeurs morales, le mépris du travail et des idéologies, augmentera la violence du choc. Les prolétaires iront beaucoup plus vite et beaucoup plus loin que par le passé. Si des organisations de militants ont pu jadis jouer un rôle révolutionnaire pendant un certains temps, cela ne sera plus possible. Ces organisations ne pourront être rapidement que de plus en plus contre-révolutionnaires lors des prochaines grandes batailles de la lutte des classes. Coincés entre le prolétariat et le vieux monde, elles ne pourront survivre qu’en servant de rempart à ce dernier.
Si les syndicalistes et autres militants essaient de prendre en main le ravitaillement puis l’organisation de la production et du maintien de l’ordre pour répondre aux « défaillances » du capital et de l’État et se mettent au « service des ménagères », il faudra les traiter pour ce qu’ils sont : une nouvelle classe dirigeante en formation. Les conseillistes devront se battre pour que les commissions et délégués affectés à des tâches particulières soient responsables UNIQUEMENT devant les assemblées générales de la base et révocables à tout moment. Les adhérents d’une organisation quelconque, élus au sein des conseils n’auront pas à être les représentants de leur organisation mais les délégués des ouvriers. Les conseils doivent être TOUT LE POUVOIR ET NON UN SIMULACRE DE POUVOIR affaibli de l’intérieur par la division et les tentatives d’accaparement des organisations. On ne nous refera pas le coup des soviets russes transformés en foire politicarde par les Partis ou des colonnes armées communistes, socialistes, anarchistes, trotskistes s’affrontant et se disputant armes et influence pendant la guerre d’Espagne. Les conseils devront prendre en main et unifier toutes les tâches que nécessitera la destruction de l’ordre bourgeois et traiter en ennemis tous ceux qui leur contesteraient ce droit !