Depuis quelques temps on voit
apparaître parmi les expressions militantes d’organisations anticapitalistes la
revendication d’un droit de véto des travailleurs sur les licenciements dans
les entreprises. Venant de militants sincères de l’émancipation sociale il ne
fait aucun doute que cela part d’une bonne intention, l’intention manifeste que
cette revendication n’entre non seulement pas en contradiction avec les
objectifs de transformation sociale, mais, de plus, qu’elle s’articule avec
celle-ci. Pourquoi pas, surtout lorsque l’on connaît le périlleux danger à être
à côté de la plaque avec des slogans pseudo-radicaux (dont l’utilité ne sert
finalement qu’à se reconnaître entre
initiés tout en continuant à prêcher au milieu du désert de la solitude sectaire)
ou bien à renforcer l’idéologie dominante en voulant à tout prix « coller
aux masses » (la science mystérieuse des opportunistes gauchistes est
alors dotée d’un équipement sophistiqué leur permettant de mesurer le degré de
conscience de classe) quitte à étaler des revendications bien en dessous de la
conscience ouvrière moyenne mais c’est un autre sujet.
Cependant ici la revendication
d’un « droit de véto » pour les salariés dans leur entreprise ne peut
pas faire l’économie d’un débat entre militants autogestionnaires. Non
seulement pour mettre en débat cette revendication en soi mais également ses
modalités concrètes d’application. On demande ainsi aux travailleurs d’avoir un droit dans la gestion capitaliste. A
première vue le principe est peu applicable dans le contexte codifié (la
fameuse légitimité des travailleurs à travers un système de représentation) du
droit bourgeois du travail. Ainsi on passe rapidement d’un droit de véto par les travailleurs à un droit de véto par les comités d’entreprises. A moins
que ces comités d’entreprise ne soient l’aboutissement d’organisations
ouvrières réellement démocratiques on ne voit pas en quoi cela changerait la
moindre chose dans la gestion des licenciements : entre les élus au comité
qui bouffent au râtelier du patron (ou du cartel industriel), ceux qui seront
convaincus qu’il faut être raisonnables pour pouvoir négocier autre chose, etc
… bref toute la cuisine interne courante du monde merveilleux de l’entreprise
capitaliste, de sa coercition patronale jusqu’à la corruption bureaucratique,
on voit mal en quoi cela peut s’articuler à ne revendication plus globale de
transformation de la société.
On voit donc tout d’abord que le
problème n’est pas là : il faudrait d’abord que les « comités
d’entreprise » soient conquis réellement par les travailleurs et en soient
une « expression démocratique », il n’en est rien, bien au contraire.
Des élus à la solde de l’ « esprit d’entreprise » aux salariés sans
contrôle sur des organes créés par le droit capitaliste il n’y a que
l’expression d’une impuissance de classe. Là où l’autonomie ouvrière est
absente il n’y a qu’une acceptation logique aux mécanismes du capital, là où
elle se met au jour les salariés créent leurs propres organes de lutte qui ne
recoupent pas forcément le même contenu que l’ensemble des organes de cogestion
ou de « collaboration de classe » : les travailleurs en lutte
dépassent dans la pratique le droit
bourgeois et rendent obsolètes les instances de représentation classiques du
salariat. La revendication d’un droit de véto aux licenciements par les comités
d’entreprise n’est donc opératoire ni dans sa finalité immédiate ni dans son
objectif à long terme. Aboutir à un droit de véto de l’ensemble des salariés
c’est ignorer la pénétration de l’idéologie capitaliste dans notre classe,
c’est faire l’impasse sur la capacité du capital à jouer des divisions pour
parvenir à ses fins. C’est également oublier que réduire un phénomène social à
l’entreprise seule n’aboutit qu’à une forme larvée de cogestion donc, au final,
à la victoire du capital.
Nos revendications immédiates ne doivent alors pas
porter sur la façon de gérer avec le capital en s’appuyant sur des formes de
décision qui ne sont pas l’expression de l’autonomie ouvrière (l’un et
l’autre ne pouvant cohabiter),
mais ouvrir des perspectives donnant une vision globale, à la fois économique
et politique, c'est-à-dire dépassant les limites des casernes-entreprises
capitalistes et amorcer une lutte contre l’ultime « gestionnaire » de
l’oppression économique : le marché. Etablir des revendications immédiates
et concrètes c’est alors ne pas oublier l’objectif final tout en restant
conscient des modalités opératoires de leur application.