[tridnivalka] - C’était il y a un quart de siècle, le 7 mars 1991 : le soulèvement
prolétarien en Irak
contre la guerre a montré au prolétariat du monde
entier la seule voie à suivre pour éliminer à jamais les guerres. Comme
toujours, de l’autre côté de la barricade sociale, toutes les forces
mondiales du Capital ont agi comme un seul corps pour liquider
l’autonomie de notre classe. Aujourd’hui, vingt-cinq ans plus tard, la
guerre continue de faire rage dans la région (Irak, Syrie, Kurdistan,
etc.), et plus que jamais toutes les forces bourgeoises et étatiques peu
ou prou coalisées (Turquie, Iran, monarchies du Golfe, USA, Russie,
Union Européenne, Etat Islamique, organisations nationalistes…) se
mobilisent pour écraser notre classe, soit directement et très
prosaïquement sous un déluge de bombes, soit plus indirectement en
réduisant sa lutte contre la misère et l’exploitation en une énième
réforme des rapports sociaux capitalistes.
Nous profitons de cet anniversaire pour republier deux textes qui
font le bilan des luttes extraordinaires qui embrasèrent l’Irak et qui
mirent fin à ladite « Guerre du Golfe ». Le texte « Dix jours qui
ébranlèrent l’Irak » a été publié en 1991 et constitua une des premières
sources d’information en anglais sur les soulèvements en Irak du sud et
au Kurdistan. Il fut plus tard publié dans le magazine du défunt groupe
Wildcat. Le second texte « Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 en Irak », publié par le Groupe Communiste Internationaliste
(GCI), tente de tirer quelques enseignements de ces luttes. Nous
recommandons au passage la lecture des innombrables textes publiés par
le GCI tant avant, pendant et après la « Guerre du Golfe », textes qui
recèlent et révèlent toute la richesse des luttes de classe dans la
région.
Nous insistons spécialement sur les leçons de l’insurrection à
Soulaymania dont l’enjeu a été, comme toujours, comment développer la
révolution dans tous les aspects de la vie sociale une fois cette
insurrection accomplie, comment éviter la confiscation de la révolution
sociale par sa transformation en une simple « révolution » politique, un
simple changement de gouvernement. Ce qui s’est passé en Irak ne montre
pas seulement l’actualité de la contradiction capitalisme vs.
communisme, mais son futur. Partout se développe l’inhumanité
capitaliste, partout se joue la guerre comme alternative à la crise
capitaliste actuelle, et partout inévitablement devra se dessiner et se
développer la réponse communiste à la dictature permanente des rapports
sociaux capitalistes.
Soulignons que ces luttes en Irak en 1991, tant au nord qu’au sud,
ont été immédiatement taxés par tous les moyens de propagande de l’Etat
capitaliste, y compris son important secteur social-démocrate, de luttes
nationalistes (« kurdes ») et religieuses (« chiites »). Il n’y a rien
de nouveau dans ce processus de négation… En effet, beaucoup des luttes
des exploités ont été historiquement, sont encore aujourd’hui et
continueront d’être aisément cataloguées comme des « luttes de
libération nationale » ou des luttes « pour des réformes » sur base non
pas du terreau profond qui les animent (la lutte contre la misère et
l’exploitation, contre la répression), mais bien sur base de la capacité
de certaines fractions bourgeoises à les instrumentaliser, à encadrer
les faiblesses et le manque de perspective de ces luttes, ainsi que leur
isolement, afin de les ramener dans le cadre d’un aménagement du mode
de production et d’exploitation par le biais, ici en l’occurrence, de
« la libération du peuple et de la nation ».
En Irak hier comme dans les luttes actuelles en Syrie ou au Rojava,
une fois de plus, nous voulons mettre l’accent sur la dénonciation des
idolâtres qui confondent révolution sociale, destruction de la propriété
privée et de l’économie, lutte anticapitaliste et antiétatique (même à
un niveau minoritaire et embryonnaire) d’un côté, et de l’autre tout le
ramassis de sociaux-démocrates, réformateurs du vieux monde qui
repeignent en rouge (et noir) la vile et infecte exploitation de notre
classe et qui prétendent ainsi faire œuvre de révolution alors qu’ils ne
font que vider notre lutte de sa substance subversive pour mieux en
prendre la tête.
Pour notre part, nous continuons à dénoncer le soutien inconditionnel
apporté par le gauchisme international (dont d’importants secteurs de
« l’anarchisme » ainsi que toutes les chapelles marxistes-léninistes qui
se situent sur la même ligne) à des groupes, des organisations, des
structures réformistes qu’ils présentent effrontément et faussement
comme étant révolutionnaires, antiétatiques, anticapitalistes. Nous ne
pouvons qu’afficher notre profond mépris à tous ces charlatans de la
lutte de classe et leurs innombrables impostures. Mais nous adressons
également toute notre solidarité militante aux prolétaires en lutte à
contre-courant, que ce soit au Rojava en particulier, au Kurdistan et au
Moyen-Orient en général, et partout ailleurs dans ce monde infâme de
l’exploitation. Nous voulons aussi développer la critique communiste
avec eux. Car nous savons que derrière les analyses sociologiques et les
étiquettes politiques que nos ennemis collent sur nos luttes, c’est
encore et toujours la lutte de classe, la guerre de classe qui se
matérialise.
# Guerre de Classe – Mars 2016 #
# # #
Dix jours qui ébranlèrent l’Irak
(Wildcat – 1991)
La guerre du Golfe ne prit pas fin par la victoire de l’Amérique et
des alliés. Elle prit fin par la désertion en masse de milliers de
soldats irakiens. Le refus de combattre pour l’Etat irakien de la part
des conscrits était si écrasant que, contrairement à toutes les
prévisions, pas un seul soldat allié ne fut tué par des tirs hostiles
lors de la phase finale de l’assaut terrestre pour reconquérir le
Koweït. En effet, l’ampleur absolue de cette mutinerie est peut-être
sans précédent dans l’histoire militaire moderne.
Mais ces troupes mutinées ne firent pas que s’enfuir vers l’Irak. Sur
leur retour, beaucoup d’entre elles tournèrent leurs armes contre
l’Etat irakien, allumant un soulèvement simultané à la fois dans le sud
de l’Irak et dans le Kurdistan au nord. Seule la région centrale demeura
fermement dans les mains de l’Etat dans les deux semaines qui suivirent
la fin de la guerre.
Depuis le tout début, les médias occidentaux ont grossièrement
déformé ces soulèvements. Le soulèvement dans le sud, centré à Bassorah,
fut montré comme une révolte des musulmans chiites tandis que
l’insurrection dans le nord était relatée exclusivement comme un
soulèvement nationaliste kurde qui ne demandait rien de plus qu’une
région kurde autonome au sein de l’Irak.
La vérité est que ces soulèvements au nord comme au sud de l’Irak étaient des insurrections prolétariennes.
Bassorah est une des zones les plus sécularisée du Moyen Orient.
Presque personne ne va dans les mosquées à Bassorah. Les traditions
radicales dans cette zone ne sont pas celles du fondamentalisme
islamique mais plutôt celles du nationalisme arabe et du stalinisme. Le
Parti Communiste Irakien est le seul parti bourgeois avec une influence
signifiante dans la région. Les villes de Bassorah, Nasiriyah et Hillah
sont connues depuis longtemps comme la région du parti communiste et ont
une longue histoire de rébellion à la fois contre la religion et
l’Etat. La classe ouvrière « irakienne » a toujours été une des plus
remuantes dans cette région explosive.
Dans le nord, il y a peu de sympathie pour les partis nationalistes,
le PDK et l’UPK, et leurs peshmergas (mouvements de guérilla) à cause
des échecs répétés de leurs compromis avec l’Etat irakien. Cela est
particulièrement vrai dans la zone de Sulaymaniyah. Les habitants de
cette zone ont été spécialement hostiles aux nationalistes depuis le
massacre de Halabja. Avant l’attaque chimique par l’aviation irakienne
contre les déserteurs et les civils de la ville de Halabja en 1988, les
peshmergas avaient d’abord dissuadé les gens de fuir et, ensuite, ils
vinrent piller et violer ceux qui avaient survécu au massacre. En
conséquence, de nombreux villageois ont depuis lors refusé de nourrir et
d’abriter les peshmergas nationalistes. Comme dans le sud, le Parti
Communiste et ses peshmergas sont plus populaires.
Le soulèvement dans le nord n’était pas nationaliste. A son début,
les officiels baasistes et les membres de la police secrète furent
exécutés, les dossiers de la police furent détruits et les prisons
ravagées. Les gens étaient ouvertement hostiles aux politiques
bourgeoises des nationalistes kurdes. A Sulaymaniyah, les peshmergas
nationalistes furent exclus de la ville et le leader en exil de l’Union
Patriotique du Kurdistan, Jalal Talabani, fut dissuadé de revenir dans
sa ville natale. Quand le dirigeant du Parti Démocratique kurde, Massoud
Barzani, vint à Chamcharnal, près de Sulaymaniyah, il fut attaqué et
deux de ses gardes du corps furent tués. Quand les nationalistes
diffusèrent le slogan : « Il est temps de tuer les baasistes ! », le
peuple de Sulaymaniyah répondit avec le slogan : « Il est temps pour les
nationalistes de piller les Porsches ! », signifiant que les
nationalistes étaient uniquement intéressés par le pillage.
Un groupe révolutionnaire, « Perspective Communiste », joua un rôle
majeur dans l’insurrection. Dans leur publication, « Prolétariat », ils
défendirent la mise en place de conseils ouvriers. Cela provoqua la peur
et la colère parmi les nationalistes aussi bien que parmi le Parti
Communiste et ses groupes scissionnistes.
Confrontés à ces soulèvements prolétariens, les divers intérêts
bourgeois dans la région durent suspendre les hostilités et s’unir pour
les supprimer. Il est bien connu que l’Occident, mené par les USA, a
longtemps soutenu le régime brutal de Saddam Hussein. Ils l’ont soutenu
durant la guerre contre l’Iran.
En soutenant Saddam, la classe dirigeante occidentale reconnaissait
aussi que le parti Baas, en tant que parti fasciste de masse, était la
seule force en Irak capable de réprimer de manière impitoyable le
prolétariat de la production pétrolière.
Toutefois, l’ultime stratégie de Saddam pour maintenir la paix
sociale en Irak était une campagne de guerre permanente et la
militarisation de la société. Mais une telle stratégie pouvait seulement
mener à une ruine économique plus importante et à l’intensification des
antagonismes de classe. Au printemps 1990, la contradiction était
devenue explosive. L’économie irakienne était anéantie après huit ans de
guerre avec l’Iran. La production pétrolière, la principale source de
devises fortes, était réduite tandis que les prix du pétrole étaient
relativement bas. Les seules options, une fois la paix revenue, pour
tenir les promesses de prospérité faites en temps de guerre étaient une
hausse du prix du pétrole ou une nouvelle guerre. Le dernier choix était
bloqué par le Koweït et l’Arabie Saoudite. Le saut audacieux de Saddam
pour sortir de l’impasse fut d’annexer le Koweït et ses riches champs de
pétrole.
Cela donna à l’Amérique l’opportunité de réaffirmer son hégémonie
politique, pas seulement au Moyen Orient, mais aussi dans le monde
entier. Avec l’espoir d’exorciser le spectre de la guerre du Vietnam, le
régime de Bush prépara la guerre totale. L’administration Bush espérait
une victoire rapide et décisive qui expulserait l’Irak du Koweït tout
en laissant le régime irakien intact. Toutefois, afin de mobiliser le
front intérieur pour la guerre, Bush devait assimiler Saddam à Hitler et
il s’engagea ainsi de plus en plus publiquement en faveur du
renversement du leader irakien.
Avec cet engagement le gouvernement américain cherchait maintenant à
imposer une telle défaite militaire au parti baasiste qu’il serait
obligé de remplacer Saddam par quelqu’un d’autre. En effet, le régime de
Bush invitait ouvertement les cercles dirigeants en Irak à remplacer
Saddam Hussein à l’approche de la guerre terrestre en mars. Toutefois la
désertion en masse des conscrits irakiens et les soulèvements
ultérieurs volèrent le gouvernement américain d’une telle victoire
commode. Au lieu de cela, il devait faire face à la perspective d’un
soulèvement tournant à la révolution prolétarienne de grande envergure,
avec toutes les conséquences terribles que cela pouvait avoir pour
l’accumulation du capital au Moyen Orient.
La dernière chose que le gouvernement américain voulait, c’était être
embarqué dans une occupation militaire prolongée de l’Irak dans le but
d’en finir avec les soulèvements. Il était beaucoup plus efficace de
soutenir l’Etat en place. Mais il n’était alors plus temps d’insister
sur le renversement de Saddam Hussein. Il pouvait difficilement se
permettre la perturbation que cela causerait. De là, l’hostilité de Bush
au boucher de Bagdad s’évapora, presque du jour au lendemain. Les deux
bouchers rivaux devinrent partenaires.
Leur première tâche fut d’écraser le soulèvement dans le sud qui
était grossi par les énormes colonnes de déserteurs remontant en flots
vers le nord depuis le Koweït. Même si ces conscrits irakiens en fuite
ne constituaient pas une menace militaire pour les troupes alliées, ni
pour l’objectif de « libérer » le Koweït, la guerre fut prolongée
suffisamment longtemps pour qu’ils puissent être écrasés sous un tapis
de bombe par la RAF et l’USAF sur la route de Bassorah. Ce massacre de
sang-froid ne servait pas d’autre but que préserver l’Etat irakien des
déserteurs mutinés et en armes.
Après ce massacre, les forces terrestres alliées, qui s’étaient
emparées du sud de l’Irak pour encercler le Koweït, stoppèrent près de
Bassorah et lâchèrent la bride aux Gardes Républicains, les troupes
d’élite loyales au régime irakien, qui écrasèrent les insurgés. Toutes
les propositions d’infliger une défaite décisive aux Gardes Nationaux ou
à avancer vers Bagdad pour renverser Saddam furent vite oubliées. Lors
des négociations de cessez le feu, les forces alliées insistèrent sur le
maintien au sol de tous les avions mais l’utilisation des hélicoptères,
vitaux pour la contre-insurrection, fut autorisée pour des « buts
administratifs ». Cette « concession » fit la preuve de son importance
dès lors que le soulèvement dans le sud fut écrasé et que l’Etat irakien
put tourner son attention sur l’insurrection qui avançait dans le nord.
Alors que le soulèvement à Bassorah fut écrasé presque à ses débuts,
le soulèvement au nord eut plus de temps pour se développer. Il commença
à Raniah et s’étendit à Sulaymaniyah et Kût, et à son apogée, il menaça
de s’étendre au-delà du Kurdistan vers la capitale. Le but originel du
soulèvement était exprimé par le slogan : « Nous célèbrerons notre
nouvel an avec les arabes à Bagdad ! ». La défaite de cette rébellion
est due autant aux nationalistes kurdes qu’aux pouvoirs occidentaux et à
l’Etat irakien.
Comme tous les mouvements nationalistes, les nationalistes kurdes
défendent les intérêts des classes possédantes contre la classe
ouvrière. La plupart des leaders nationalistes kurdes viennent de très
riches familles. Par exemple, Talabani vient d’une dynastie mise en
place à l’origine par les anglais et ses parents possèdent des hôtels de
luxe en Angleterre. Le PDK fut créé par de riches exilés chassés du
Kurdistan par les soulèvements de masse de la classe ouvrière en 1958
lorsque des centaines de propriétaires terriens et de capitalistes
furent pendus. Ces évènements agités eurent comme conséquence une
rencontre de bourgeois exilés à Rezaieh, en Iran, qui organisèrent des
escadrons de la mort pour tuer des militants de la lutte des classes au
Kurdistan irakien. Plus tard, ils se livrèrent à des meurtres racistes
d’arabes. Durant la guerre Irak-Iran, très peu de déserteurs
rejoignirent les nationalistes et l’UPK reçut une amnistie de la part de
l’Etat irakien pour avoir réprimé les déserteurs.
Ces nationalistes kurdes, comme la bourgeoisie internationale,
reconnaissaient l’importance d’un État irakien fort dans le but de
maintenir l’accumulation du capital contre une classe ouvrière
militante. Et ce à un tel point, en fait, qu’ils demandaient simplement
le statut de région autonome à l’intérieur d’un Irak uni.
Durant le soulèvement, ils firent de leur mieux pour défendre l’Etat
irakien. Ils sont activement intervenus pour empêcher la destruction des
dossiers de la police et des propriétés d’Etat, y compris les bases
militaires. Les nationalistes empêchèrent les déserteurs arabes de se
joindre au soulèvement « kurde », ils les désarmèrent et les renvoyèrent
vers Bagdad pour y être arrêtés. Ils firent tout ce qu’ils pouvaient
pour éviter que le soulèvement ne s’étende au-delà des « frontières » du
Kurdistan, ce qui constituait son unique espoir de succès. Quand l’Etat
irakien commença à s’occuper du soulèvement au Kurdistan, les stations
de radios nationalistes n’encouragèrent pas, ni ne coordonnèrent la
résistance. Au contraire, elles exagérèrent la menace représentée par
les troupes irakiennes démoralisées qui étaient encore loyales au
gouvernement et conseillèrent aux gens de fuir dans les montagnes. Ce
qu’ils firent finalement. Rien de tout cela n’est surprenant si l’on
analyse l’histoire des nationalistes.
Bien qu’il y ait beaucoup d’hostilité envers les nationalistes
kurdes, comme nous l’avons vu, ils furent capables de prendre le
contrôle et de stopper l’insurrection au Kurdistan grâce à leur
organisation et à leurs ressources matérielles importantes. Ayant été
longtemps soutenus par l’occident, le PDK par les USA et l’UPK par la
Grande-Bretagne, les partis nationalistes kurdes étaient en mesure de
contrôler l’approvisionnement en nourriture et l’information. Cela était
vital car après des années de privations, exacerbées par la guerre, la
recherche de nourriture était un souci primordial. De nombreuses
personnes furent satisfaites principalement par les pillages de
nourriture plutôt que par le maintien d’une organisation révolutionnaire
et le développement de l’insurrection. Cette faiblesse permit aux
organisations nationalistes d’intervenir avec leurs importants
approvisionnements en nourriture et leurs stations de radio bien
établies.
La guerre dans le Golfe prit fin du fait du refus de combattre de la
classe ouvrière irakienne et par les soulèvements qui en découlèrent en
Irak. Mais ces actions prolétariennes furent écrasées par les efforts
combinés de nombreuses et diverses forces bourgeoises nationales et
internationales. Une fois de plus le nationalisme a constitué la pierre
d’achoppement de l’insurrection prolétarienne. Il est important de
souligner que la politique au Moyen Orient n’est pas dominée par le
fondamentalisme islamique et le nationalisme arabe, comme cela est
d’ordinaire affirmé par la presse bourgeoise, mais qu’elle repose sur le
conflit de classe. Il faut dire également que les perspectives
immédiates concernant le développement de la lutte de la classe ouvrière
en Irak sont, pour l’heure, lugubres.
La guerre n’eut pas pour seul résultat la défaite de la classe
ouvrière irakienne, elle révéla aussi l’état de défaite de la classe
ouvrière aux USA et, à un moindre degré, en Europe. Le mouvement
anti-guerre occidental ne se transforma jamais en une opposition massive
de la classe ouvrière à la guerre. Il demeura opposé par une
orientation pacifiste qui « s’opposa » à la guerre dans les termes d’un
intérêt national alternatif : « La paix est patriotique ». Bien qu’il
exprima de l’horreur pour l’holocauste des alliés, il n’y opposa rien
qui puisse l’amener à une confrontation avec l’Etat. Au lieu de cela il
se concentra sur de futiles protestations symboliques qui favorisèrent
le sentiment d’impuissance face à la machine de guerre étatique.
A la suite de la défaite de l’insurrection, la déformation des faits
par les médias occidentaux continua. Le prolétariat fut représenté par
des victimes sans ressources, mûres pour la condescendance et la
charité, reconnaissantes pour les spectacles de pop stars enfourchant
une nouvelle fois le cheval du Live Aid. Pour ceux qui se souvenaient du
soulèvement, un tee-shirt « Let It Be… Kurdistan » constitua la réponse
évidente. Pendant que le soulèvement était défait, nous ne pûmes éviter
que ses objectifs et la manière utilisée pour l’écraser soient déformés
sans coup férir, d’où ce texte.
L’incapacité de la classe ouvrière à reconnaître ses propres intérêts
de classe comme étant différents de « l’intérêt national » et à saboter
l’effort de guerre peut seulement aboutir à approfondir, au sein de
notre classe internationale, les divisions le long de lignes nationales.
Nos dirigeants seront désormais beaucoup plus confiants dans la
conduite, sans opposition, de guerres meurtrières ailleurs dans le
monde, une confiance qui leur faisait défaut depuis que la classe
ouvrière avait mis fin à la guerre du Vietnam par des mutineries, des
désertions, des grèves et des émeutes.
L’opposition à la guerre en Irak
Il y a eu une longue tradition de lutte de classe en Irak,
particulièrement depuis la révolution de 1958. Avec la stratégie de
Saddam de mener une politique guerrière permanente en vue de maintenir
la paix sociale, cette lutte a souvent pris la forme d’une désertion en
masse de l’armée. Durant la guerre Irak-Iran, des dizaines de milliers
de soldats ont déserté l’armée. Cela a grossi l’opposition de masse de
la classe ouvrière à la guerre. Avec le manque de fiabilité de l’armée,
il devint progressivement difficile pour l’Etat irakien d’écraser ces
rébellions de la classe ouvrière. C’est pour cette raison que Saddam
Hussein utilisa des armes chimiques contre la ville d’Halabja en 1988.
A la suite de l’invasion du Koweït, il y eut beaucoup de
manifestations contre la poursuite de son occupation. Même le parti Baas
dirigeant fut obligé d’organiser de telles manifestations sous le
slogan : « Non au Koweït : nous voulons seulement Saddam et l’Irak ! »,
et ce dans le but de prendre la tête du sentiment anti-guerre. Avec la
hausse dramatique du prix des produits de première nécessité – rien que
les prix de la nourriture augmentèrent de 20 fois par rapport à leurs
niveaux d’avant l’invasion – il y avait peu d’enthousiasme pour la
guerre. L’attitude commune à travers l’Irak était le défaitisme.
Malgré une augmentation de 200% de la solde, la désertion de l’armée
devint commune. Rien que dans la ville de Sulaymaniyah, on estimait à
30.000 le nombre de déserteurs. A Kût, ils étaient 20.000. La désertion
était si répandue qu’il devint relativement aisé pour les soldats de
soudoyer leurs officiers pour quitter l’armée. Mais ces conscrits de la
classe ouvrière ne faisaient pas que déserter, ils s’organisaient. A
Kût, des milliers d’entre eux marchèrent sur le commissariat local et
forcèrent la police à mettre fin au harcèlement des déserteurs.
Deux jours après le début du conflit, des émeutes anti-guerre éclataient à Raniah et plus tard à Sulaymaniyah.
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Notes additionnelles à propos de l’insurrection de mars 1991 en Irak
(Groupe Communiste Internationaliste – 1996)
Quelques notes sur les shoras : associationnisme prolétarien et récupération bourgeoise
Les shoras en Irak, comme tout type de regroupement élémentaire du
prolétariat, sont une forme nécessaire du processus de centralisation de
la force du prolétariat, et souffrent de toutes les contradictions que
notre classe contient elle-même en tant que classe, en tant que force
antagonique au Capital dominée idéologiquement par la bourgeoisie. Ainsi
par exemple, les soviets en Russie. En 1905 comme en 1917, ils
constituèrent des structures de lutte prolétarienne contribuant à
l’insurrection sans opérer, ni en 1905 ni 12 ans plus tard les
nécessaires ruptures avec le terrain du socialisme démocratique
bourgeois et sans prendre leur indépendance vis à vis des organisations
politiques qui les dirigeaient. Cela leur valu, en dernière instance,
d’être totalement récupérées par l’organisation capitaliste et
démocratique de l’Etat, sous le règne du léninisme et du post-léninisme.
Lorsqu’on fait l’apologie des soviets, on oublie toujours, comme par
enchantement, que le Congrès des Soviets approuva et outilla tous les
niveaux de la politique stalinienne. La même chose se produit en
Allemagne avec les conseils ouvriers entre 1918 et 1921. Effectivement
surgis comme structures de la lutte en dehors et contre les syndicats,
les conseils n’en finirent pas moins dominés par la démocratie
bourgeoise incarnée par les différentes forces sociale-démocrates, et
ils se transformèrent en structures de l’organisation de l’Etat
bourgeois contre le prolétariat.
En Irak également (tout comme en Iran entre 1979 et 1982), les
shoras, surgis du feu de la lutte, contiennent d’énormes contradictions,
et les oppositions de classe entre révolution et contre-révolution se
délimitent en leur sein même. C’est pourquoi, contrairement aux
conseillistes, aux soviétistes,… qui font l’apologie acritique des
shoras, nous avons tenté de saisir, dans ce processus, les forces et les
faiblesses du prolétariat, en soutenant et en agissant ouvertement dans
le sens de l’affirmation du pôle révolutionnaire.
Comme on a pu le constater au travers de leurs consignes et drapeaux,
les shoras concentrent le même type de forces et de faiblesses que les
conseils, les soviets et autres organisations prolétariennes
caractéristiques des moments insurrectionnels. A côté d’un ensemble de
demandes démocratiques, nationalistes et même parfois ouvertement
conservatrices, on trouve un ensemble de consignes exprimant la
combativité, la force et la détermination classiste des prolétaires en
lutte.
Les shoras se structurent dans et pour la lutte. Néanmoins cela ne
veut pas dire qu’ils aient surgis de façon spontanée, comme le
prétendent toujours les tenants du spontanéisme ou du conseillisme. La
nécessité historique spontanée, comme dans le cas des soviets de Russie
ou des conseils dans d’autres pays, se concrétise toujours dans des
hommes et des femmes de chair et de sang qui, de façon consciente et
volontaire, organisent ces structures. Comme nous le verrons plus loin,
le surgissement des shoras fut précédé par une « ligue » ou comité formé
d’une minorité insurrectionnaliste organisée pour la préparation
insurrectionnelle.
De quelques éléments de la conspiration révolutionnaire et de l’insurrection à Soulaymania
Lors que dans les différents quartiers de Soulaymania les prolétaires
se préparent, s’arment, un ensemble de militants regroupés dès avant la
lutte ouverte en une « Ligue du soulèvement insurrectionnel » appellent
à la création de shoras dans les quartiers et les usines. On arrive
ainsi à la constitution d’un véritable comité insurrectionnel grâce
auquel s’unifie la décision du déclenchement de l’insurrection pour un
moment précis. Ce comité est composé d’un ensemble d’organisations
politiques existantes ainsi que de militants indépendants. Il planifie
l’éclatement simultané de l’insurrection en 53 points névralgiques de la
ville (carrefours clés, rotondes, points centraux des quartiers,…) qui
constitueront par la suite la base des shoras. Pour le moment, les
nationalistes ne participent pas en tant que tel au comité et ne
s’affichent pas dans les différents centres des quartiers de
l’insurrection.
Seule une minorité de prolétaires est armée et organisée, et c’est
pourquoi le comité lance un ensemble d’appels et de directives pour
récupérer les armes là où elles se trouvent. En même temps, un ensemble
d’organisations révolutionnaires assument l’indispensable rôle de
s’armer et d’armer le prolétariat. « Perspective Communiste », par
exemple, se charge de répartir quelques grenades, armes et munitions aux
points névralgiques, ainsi que d’armer certains membres du comité.
D’autres groupes, comme le « Groupe d’Action Communiste » (G.A.C.), qui
participent au comité ainsi qu’aux différentes structures de quartiers
et aux shoras, se donnent pour tâche d’exproprier les chefs de clans de
leurs maisons et de leurs centres armés pour récupérer les armes et
armer le prolétariat. Sans la préalable action conspiratrice et cette
action d’avant-garde organisée, il n’aurait pas été possible de gagner
la bataille insurrectionnelle de mars 1991 à Soulaymania.
Voici ce que nous en dit un camarade :
« Le prolétariat cherchait désespérément des armes mais seules les
forces communistes, marxistes armèrent le prolétariat et décidèrent
l’insurrection. Les nationalistes n’y participèrent pas. Nous, nous nous
sommes organisés par groupes pour attaquer les maisons des chefs de
clans. En général chaque détachement ne possédait qu’un seul bazooka et
des armes légères. L’attaque commença au bazooka et on chercha à
atteindre le plus vite possible les dépôts d’armes. Il y avait déjà pas
mal de temps que nous en avions fait l’inventaire et c’est pourquoi nous
savions où se trouvaient les armes. Un autre aspect important de la
préparation effectuée par les groupes révolutionnaires fut la mise à
disposition de l’insurrection d’un ensemble « d’hôpitaux » de campagne
pour soigner les blessés. »
Mais, malgré tout cela, l’organisation et l’armement restent
nettement insuffisant, ce qui, dans certain cas, se paye du côté du
prolétariat par des morts et des blessés et par des défaites partielles.
Un autre camarade nous donne sa version :
« Je ne me suis rendu compte de la préparation de l’action
insurrectionnelle que deux jours avant, lorsqu’un camarade
révolutionnaire me donna différentes consignes précises : je devais
aller le 7 à 8h du matin à tel endroit armé comme je le pouvais. Quand
je suis arrivé à la concentration, nous n’étions que 7. A ce moment-là,
je me suis dit qu’on ne pourrait pas gagner ; plus tard, j’ai su que la
majorité du comité avait lâché l’insurrection, pensant, elle aussi,
qu’on ne pourrait pas triompher, mais que de toute façon ce serait un
pas important dans la lutte et l’autonomie du prolétariat. Un instant
plus tard apparurent deux camarades de Rawti (« Perspective
Communiste »), nous appelant et nous encourageant à nous rassembler pour
l’insurrection. Ils distribuèrent des grenades. Tous ensemble nous
avons parcouru les rues proches de cet endroit en appelant à la lutte et
nous avons réuni en un instant quelques 50 à 60 personnes. C’est alors
qu’arrivèrent deux peshmerghas bien armés[1].
Les insurgés les appelèrent et leur crièrent de se joindre au mouvement
mais ils ne le firent pas. Bien que nous étions un petit groupe et en
infériorité totale point de vue armement, nous attaquâmes la caserne du
quartier. Mais elle était trop bien protégée. Nous avons fui, repoussés
et pourchassés ensuite. Notre camarade Bakiry Kassab, militant de
« Perspective Communiste », mourut au cours de cette attaque. Nous nous
sommes dispersés de manière tout à fait désordonnée et on a couru aussi
vite qu’on pouvait. L’ennemi, mieux armé, nous poursuivait et nous fûmes
encerclés jusqu’à ce que nous arrivions sur le grand boulevard. Une
fois arrivés là, une grande surprise nous attendait : l’insurrection
gagnait du terrain et c’étaient les baasistes qui reculaient. »
Ces faits comme tant d’autres que nous ont rapportés différents
camarades ou structures de lutte, nous permettent d’affirmer que, malgré
l’existence de ce comité insurrectionnel, d’abord dynamisateur de la
structure des shoras, puis centralisateur de ces derniers, malgré
l’existence de ce comité, la centralisation réelle reste très relative.
Il y a énormément d’aspects chaotiques et beaucoup de combattants
prolétariens sortent dans les rues avec ce qu’ils ont sous la main, sans
autre structure de centralisation que celle rencontrée « spontanément »
dans la rue, sans autre consigne que celle donnée par un ami d’aller à
tel endroit. Les détachements de prolétaires armés se constituent très
rapidement pour faire telle ou telle action et puis se dispersent ;
souvent les camarades qui se trouvent du même côté de la tranchée sans
se connaître au préalable tissent des liens profonds et, après
l’insurrection, se structurent en organisation politique. C’est
précisément l’existence de tous ces groupes d’action hétérogènes
participant à des actions tellement différentes, qui empêche de se faire
une idée globale du mouvement : il n’y a pas deux protagonistes qui
aient vécu la même situation et encore bien moins qui aient perçu
politiquement la même chose. Ainsi par exemple, certaines versions
insistent beaucoup sur l’autonomie opérationnelle des petits groupes
centralisés par différentes structures combattantes (« Perspective
Communiste », G.A.C.,…) comme élément décisif de l’insurrection,
d’autres insistent plus sur la force des quelques 30.000 prolétaires
(dont seuls quelques-uns possèdent une arme) qui répondent à l’appel
d’un shora et se rassemblent dans leur « quartier général », l’école
Awat. D’après ces derniers, cette assemblée sera décisive dans la
dynamisation de tout le processus parce que c’est de là qu’on partira et
qu’on gagnera les batailles importantes. Pour donner une idée de la
conscience qui anime ces prolétaires (tant comme force que comme
faiblesse), voici quelques-unes des consignes qui prédominèrent dans
l’assemblée :
« La conscience de classe est l’arme de la liberté ! »
« Ceci est notre quartier général, la base des conseils ouvriers ! »
« Faites des shoras votre base pour la lutte à long terme ! »
« Formez vos propres conseils ! »
« Apportez les marchandises et la nourriture expropriées, nous la distribuerons ici ! »
« Exploités, révolutionnaires, donnons notre sang pour le succès de la révolution ! Continuons ! Ne le dilapidons pas ! »
Malgré les contradictions, l’insurrection va en s’imposant, les
forces répressives subissent de nombreuses pertes dans plusieurs
affrontements. Souvent, elles sont liquidées dans leur propre maison.
Mais c’est dans le fameux bâtiment rouge et dans les baraquements qui
l’entourent que l’ennemi se concentre pour défendre sa peau, et c’est là
qu’une immense bataille fait rage avec de nombreuses pertes des deux
côtés. Les insurgés attaquent sans plan d’ensemble, ils tirent dans tous
les sens, blessant et tuant de nombreux combattants dans leurs propres
rangs (les nôtres !).
Les forces de sécurité n’ignorent pas que la reddition équivaut à la
mort, aussi jouent-elles le tout pour le tout, sachant parfaitement que,
bien qu’armées jusqu’aux dents, leur tâche sera très difficile.
Jusqu’au dernier moment, elles resteront en communication permanente
avec Bagdad qui promet l’arrivée imminente de renforts. Profitant de la
terrible carence en armes du côté du prolétariat insurgé, les militaires
jettent des armes par les fenêtres de l’édifice rouge. Des centaines et
des centaines de prolétaires se précipitent pour s’en emparer,
s’exposant ainsi, cibles faciles, aux tirs des militaires bien armés et
bien postés. Ce qui accroit encore le nombre de victimes du côté de
l’insurrection[2].
Mais la rage et la détermination du prolétariat est si grande que
finalement la résistance est écrasée et qu’il se rend maître de toute la
ville. Pas à pas, le bâtiment rouge, tous les baraquements et toutes
les maisons du quartier militaire sont conquis. Sur les façades, les
impacts et les trous laissés par les balles témoignent de la guerre de
classe. Les militaires survivants à l’attaque sont sortis un à un et
jugés. Certains camarades avancent aujourd’hui le chiffre de 600
militaires fusillés, d’autres soutiennent qu’il y eut 2.000 militaires
exécutés, mais sans doute parlent-ils de l’ensemble des affrontements et
exécutions de militaires de ces journées dans toute la ville.
Il est important de comprendre que c’est au cœur de l’action, dans
ces moments-mêmes où les prolétaires assument ces actes exemplaires, que
se joue la lutte pour l’autonomie du mouvement. En effet, bien que
pendant tout ce temps les nationalistes ne participent pas de manière
organisée au processus, on n’arrive pas à se passer d’eux et encore
moins à les affronter ouvertement comme le réclament les noyaux
révolutionnaires internationalistes de la région. Ainsi, le fait que
certains combattants prolétariens aillent consulter les chefs de l’Union
Patriotique Kurde (UPK) dans les montagnes pour savoir que faire avec
les militaires et les tortionnaires qui se rendent, reflète et exprime
clairement la contradiction du mouvement et l’ambivalence des shoras.
Noshirwan, le chef militaire de l’UPK, insiste pour que l’ennemi ne soit
pas exécuté, arguant que « l’on pourra l’utiliser plus tard » ( !?!).
Des faits similaires se reproduiront par la suite, exprimant
l’ambivalence de certains shoras. Le manque de confiance du prolétariat
en lui-même l’incite à demander à ses pires ennemis de prendre les
décisions et la direction des opérations ; plusieurs secteurs du
prolétariat, non conscients de leur propre force, se tournent vers
l’opposition officielle qui leur semble sérieuse et efficace. D’autres
membres des shoras adoptent, quant à eux, la position antithétique : ils
veulent tuer les militaires et traîner leur cadavre dans les rues pour
que tout le monde sache « le genre de tortures que ces assoiffés de sang
sont capables d’infliger aux prolétaires ». Finalement, et exception
faites de quelques tortionnaires connus pour leur cruauté qui seront mis
en pièce par les insurgés, c’est la liquidation pure et simple qui
s’impose, non sans problèmes et discussions houleuses au sujet de qui
mérite la mort. En effet, comme dans beaucoup d’autres villes du
Kurdistan, les forces répressives baasistes vivent concentrées dans
leurs quartiers : on y torture, on y tue,… et, à quelques mètres de là,
dorment, mangent, vivent les familles des tortionnaires. Elles sont
tellement haïes qu’elles ne pourraient pas vivre ailleurs. De plus, la
majorité des familles de tortionnaires (et particulièrement les femmes)
participent aux tortures. Les bâtiments (l’édifice central, les lieux
d’interrogatoires, les maisons familiales, les centres de tortures) sont
disposés de manière telle qu’il est difficile d’imaginer que quelqu’un
puisse vivre là sans participer d’une manière ou d’une autre à la
torture et à l’assassinat des prisonniers. Lorsque le prolétariat prend
possession de ces locaux, il arrive qu’il ne prenne pas le temps de
discuter ou de juger, la haine de classe est telle que certains groupes
exécutent tous ceux qui se trouvent à l’intérieur sans autre critère que
celui de la barricade physique. Mais, dans la plupart des cas, des
critères plus classistes sont imposés. Ainsi, à Soulaymania, on laisse
la vie sauve aux enfants et à certaines femmes qui n’ont pas participé
aux tortures et aux exécutions de prisonniers ; ils peuvent sortir du
bâtiment avant l’exécution massive des militaires tortionnaires et de
leur famille complice.
L’insurrection s’étend comme une traînée de poudre, des soulèvements
similaires se produisent dans d’autres villes où l’insurrection triomphe
également. A Arbil, 42 shoras sont créés et en trois heures de combats
seulement les prolétaires armés se rendent maître de la situation.
Ensuite ce sont Kalar, Koya, Shaqlawa, Akra, Duhok, Zakho,… Les casernes
proches des villes, comme les énormes installations militaires de
Soulaymania, centre stratégique de toute la région, sont encerclées par
les déserteurs et d’autres prolétaires en armes. Les forces centrales
parviennent à sauver plusieurs officiers de l’armée en les recueillant
par hélicoptères. Le reste, la masse des soldats, se rend sans combattre
et la majorité passe aux côtés de l’insurrection.
Les limites de l’action prolétarienne et l’action contre-révolutionnaire des nationalistes
Si le niveau de conscience, d’organisation et de centralisation du
prolétariat fut suffisant pour faire triompher l’insurrection, il n’en a
pas été de même en ce qui concerne l’assumation de l’essence de la
révolution, à savoir : organiser la vie quotidienne et s’imposer
dictatorialement contre le Capital dans les endroits où l’on va
triomphant. Comme en d’autres circonstances historiques où la
constitution du prolétariat en parti est insuffisante et où il n’est pas
bien centralisé en une direction communiste, au Kurdistan, les forces
bourgeoises prennent la direction de l’action, liquident l’autonomie du
prolétariat et finissent par exproprier la révolution pour la
transformer en une « révolution » bourgeoise (une « révolution »
exclusivement politique), ou mieux dit, en une anti-révolution, un
ravalement de la façade de l’Etat, un changement de fractions au pouvoir
afin que l’essence de ce système d’exploitation se maintienne.
Les nationalistes ne commencent à participer activement à l’action
directe avec présence effective dans la rue que deux ou trois jours
après le triomphe de l’insurrection. Leur premier acte consiste à
prendre l’argent des banques et les véhicules militaires, à occuper les
bâtiments et autres propriétés abandonnés par le gouvernement, dont les
prolétaires se sont emparés et qu’ils ont ensuite abandonnés également[3].
Cet abandon de propriétés, d’armes lourdes, de véhicules,… révèle que
s’il est capable de lutter contre un ennemi, le prolétariat n’a pas
encore la force de lutter pour lui-même, d’assumer la direction de la
révolution qu’il a entamée. Autrement dit, notre classe exprime par là
sa conception de la révolution : une négation encore purement négative
du monde actuel, un simple rejet, une simple négation, sans affirmation
de tout ce que la négation révolutionnaire de ce monde contient de
négation positive. Le prolétariat a la force d’exproprier mais pas celle
de se réapproprier ce qu’il a exproprié ni de le transformer
révolutionnairement en fonction de ses objectifs révolutionnaires
universels. Comme en Russie en 1917, le politicisme constitue une
idéologie dominante au sein même des prolétaires les plus décidés. On
sait quoi faire contre les baasistes mais quand il s’agit d’affronter
socialement le Capital, on est perdu. Cette limite générale résulte
d’une confusion (largement répandue dans notre classe) qui amalgame
systématiquement l’Etat et les baasistes, la lutte contre le Capital et
la lutte contre le gouvernement,… Cette confusion généralisée que les
fractions communistes et internationalistes n’eurent pas la force de
liquider a été précieusement maintenue et développée par les
nationalistes. Et elle leur est aujourd’hui encore d’une toute grande
utilité.
Une fois les centres névralgiques de la ville occupés, les armes
lourdes et les véhicules militaires contrôlés par les nationalistes, le
reste n’est plus qu’une question de temps. En quelques jours (entre le 7
et le 20 mars), les nationalistes, qui n’étaient jusque là qu’une force
peu présente et « suivaient » la masse, prennent progressivement le
contrôle de la situation. Les groupes révolutionnaires et les
prolétaires les plus actifs sont incapables de donner et d’assumer des
directives militaires claires. Ils ne savent que faire des casernes, des
tanks et des véhicules militaires. Ils se contentent de se munir de
munitions et d’armes légères et, dans le meilleur des cas, ils
incendient les véhicules pour empêcher que les nationalistes ne s’en
emparent. Non seulement ils ne se donnent pas les moyens de contrôler la
production et la distribution de ce qui est nécessaire à la vie, mais
en plus ils ne s’approvisionnent même pas du minimum indispensable en
aliments, médicaments, moyens de propagande, etc.
A leur arrivée dans la ville, les nationalistes appellent à la
dissolution des shoras, mais ils n’obtiennent aucun résultat ; plus
tard, en position de force, après s’être emparés des centres
névralgiques, ils utiliseront la méthode beaucoup plus efficace de la
négociation et auront le prolétariat à l’usure. Si, comme on l’a vu plus
haut, il y a des shoras dominés ou fortement influencés par les
positions démocratiques et nationalistes, la Centrale, malgré la
participation de partis et d’organisations bourgeois, se définit « pour
le communisme », pour « l’abolition du travail salarié » et prend
ouvertement position contre les nationalistes.
Peu à peu, et à mesure qu’ils structurent leur pouvoir effectif sur
la ville avec l’appui et la bénédiction des forces d’intervention de la
bourgeoisie mondiale, les nationalistes, qui n’ont toujours pas réussi à
détruire les shoras, tentent de s’en emparer en y intégrant leurs
militants et en y imposant leur propre direction bourgeoise. C’est alors
qu’apparaissent pour la première fois un ensemble de shoras
nationalistes, sociale-démocrates, populistes, partisans du grand front
populaire contre Saddam Hussein.
Au même moment, les nationalistes, désireux de briser la force
exprimée par la Centrale des shoras, lui proposent une négociation qui
va l’entraîner dans la tragédie de tout fonctionnement
assembléisto-démocratique et la placer dans l’incapacité d’adopter une
direction révolutionnaire unique. La Centrale est divisée : d’un côté,
il y a ceux qui considèrent les nationalistes comme des ennemis et
s’opposent à toute négociation ; de l’autre, ceux qui acceptent la
négociation et qui concentrent un ensemble de confusions et
d’inconséquences sur la question du nationalisme, embrassant l’idéologie
d’un grand front populaire antibaasiste.
Il est clair que le problème n’est pas de négocier ou non. Mais,
accepter dans de telles circonstances de négocier avec les nationalistes
contre les baasistes, contient comme présupposé implicite et
indéniable, l’idéologie du moindre mal et, en dernière instance, du
frontisme. Dans les faits, « le réalisme » triomphera, entraînant le
gros du mouvement à renoncer à ses propres intérêts. A partir du moment
où la négociation est acceptée, deux éléments décisifs pour la
liquidation de l’autonomie et des intérêts du prolétariat vont
s’imposer : primo, le fait de considérer Saddam comme ennemi principal
et Kirkuk comme objectif essentiel, et, secundo, la nécessité de faire
régner l’ordre contre le chaos.
Comme le prolétariat n’a pas su imposer sa loi, la résistance
prolétarienne et même les expropriations nécessaires à la survie en
viennent à être considérées comme un chaos, tandis que les nationalistes
se présentent (et sont perçus) comme unique garantie du maintien de
l’ordre. Dans l’immédiat, les peshmerghas commencent à faire respecter
l’ordre capitaliste et la propriété bourgeoise : ils arrêtent les
prolétaires qui « dérobent » un sac de riz pour manger, et,
discrètement, désarment les prolétaires isolés (pour le moment, les
pehsmerghas n’ont ni la force ni le courage de toucher aux groupes
internationalistes).
Nous devons ici faire une parenthèse importante au sujet de la guerre
pour la prise de Kirkuk. Dès le début de l’insurrection à Soulaymania,
les nationalistes pénètrent en force dans la Centrale des shoras à
laquelle, non seulement ils se soumettent, mais dont ils prennent
formellement la direction, utilisant évidement les prolétaires qui se
placent sous leurs ordres comme chair à canon. S’appuyant sur le fait
que, pour les prolétaires, l’extension de la révolte et la solidarité
avec les shoras récemment formés à Kirkuk est un objectif logique, les
nationalistes poursuivent un but totalement différent : il s’agit d’une
part d’assujettir le prolétariat à une guerre structurée attaquant les
positions baasistes d’une ville où ils apparaissent comme la force
militaire la mieux préparée, et, d’autre part, de prendre une place
stratégique dans la guerre impérialiste, d’occuper ce centre pétrolier
de première importance, ce qui augmentera leur pouvoir de négociation
internationale et nationale. Cela constitue pour nous un moment clé dans
la transformation de la guerre de classe en guerre impérialiste. Dès la
prise de Kirkuk, les nationalistes négocient ouvertement avec les
baasistes sous l’œil bienveillant des forces de la coalition. Ils sont
pour la première fois reconnus comme force crédible, non seulement parce
qu’ils contrôlent territorialement un centre capitaliste aussi
important que Kirkuk, mais aussi parce qu’ils apparaissent pour la
première fois comme une force capable de disputer au prolétariat le
contrôle de la situation dans les villes insurgées, et donc comme une
fraction efficace de l’ordre bourgeois international pour contrôler le
prolétariat, préoccupation centrale de la Coalition à la fin de la
guerre.
Bien sûr, certains shoras, comme celui de « Perspective Communiste »
et d’autres dans lesquelles la présence de militants internationalistes
est importante, tentent de participer à l’action de façon autonome. Mais
les nationalistes prennent rapidement le dessus. S’étant tout
approprié, ce sont eux qui détiennent l’argent, les locaux pour se
réunir, les indispensables armes lourdes, les médicaments et autres
équipements pour soigner les blessés, et donc la force matérielle
d’imposer leurs directives. De nombreux camarades internationalistes
reprochent à « Perspective Communiste » et à d’autres groupes de n’avoir
pas totalement rompu avec les shoras à ce moment-là et d’avoir continué
à participer au comité. Il s’agit en effet d’un moment clé dans lequel
se vérifient les faiblesses programmatiques des groupes d’avant-garde
dans la région. Comme certains d’entre eux le reconnaîtront par la
suite, cela ne suffisait pas de définir le nationalisme kurde et le
mouvement chiite comme des mouvements sociaux bourgeois, encore
fallait-il évaluer correctement la possibilité que ces forces
s’imposent. Il était indispensable de les affronter dans l’action
pratique quotidienne tout autant que les baasistes.
Situation actuelle et perspectives : les nouvelles guerres
inter-bourgeoises dans la région et les tâches du prolétariat
internationaliste
Toutes les informations qui sont parvenues d’Irak en 1995/1996
indiquent que la situation matérielle, sociale et politique du
prolétariat a continué à empirer. Misère croissante, isolement,
répression, mobilisation militaire permanente, lutte armée entre
fractions bourgeoises, recrutement forcé, etc. La survie est une
aventure et chacun est soumis à un danger permanent. Chaque jour des
prolétaires sont tués par des balles perdues ou dans les affrontements
entre fractions bourgeoises. Pour survivre, on vend les meubles, la
vaisselle, tout ce qu’on a. Le problème, c’est qu’il n’y a pas
d’acheteur. De plus, il n’est pas rare que les peshmerghas responsables
du maintien de l’ordre, désireux de posséder l’un des objets mis en
vente, fassent jeter le vendeur en prison afin de s’emparer très
légalement de l’objet convoité.
Au Kurdistan, la situation est infernale : manque de nourriture,
pénurie d’eau, détérioration violente du niveau d’hygiène,… la peur des
pillages a déchaîné la guerre ouverte entre fractions bourgeoises, entre
nationalistes, et entre certaines de ces fractions (l’UPK) et les
islamistes.
Les contradictions entre le Parti Démocrate du Kurdistan Irakien
(PDKI) et l’Union Patriotique Kurde (UPK) sont à ce point explosives que
le Kurdistan est actuellement divisé en deux régions sur pied de
guerre. Pour la première fois dans l’histoire, ces deux régions sont
devenues l’arène de rivalités politiques. Le développement du
régionalisme, ici comme partout, constitue une force de déstructuration
de la lutte du prolétariat. Ainsi aujourd’hui, il y a d’un côté Soran,
avec pour « capitale » Soulaymania, contrôlée par l’UPK (Talabani), et
de l’autre Badinan (région d’origine de la famille de Barzani), où se
trouvent Zakho et Duhok, sous contrôle du PDKI. Arbil est la seule ville
qui se trouve sous le contrôle simultané et contradictoire des deux
forces bourgeoises et elle constitue en même temps une frontière entre
les deux régions en conflit.
La lutte inter-bourgeoise prend des formes très violentes, les deux
fractions du capital tentant de mobiliser le prolétariat à son service
et de canaliser en son sens toutes les contradictions de classe qui
normalement se développent contre la propriété privée et l’Etat. Un
exemple : après la guerre, beaucoup d’habitants de Soulaymania et
d’autres villes de la région sont partis à la campagne où ils se sont
installés pour bâtir une ferme et cultiver la terre. Ces terres
appartenaient à de grandes familles bourgeoises (dans ce cas, au PDKI de
Barzani) qui, maintenant, veulent les récupérer et en expulser les
occupants. Mais certains ont décidé de refuser l’expulsion et pour se
faire se sont organisés et se sont défendus les armes à la main : les
affrontements provoquèrent de nombreux morts des deux côtés. L’UPK,
profitant de l’occasion, s’est présenté comme le porte-parole de la
lutte contre les expulsions intentées par le PDKI, et sur cette base, il
encadre (et/ou prétend encadrer) cette lutte élémentaire pour la survie
tout en essayant de l’entraîner sur le terrain de la guerre
inter-fractions. Mais même ainsi, l’affrontement génère des
contradictions des deux côtés. Par exemple, lors du conflit armé,
Talabani, qui se trouvait en Hollande, n’osa pas rentrer au Kurdistan de
peur de se faire descendre, y compris par ses propres troupes.
La route vers Soran a été bloquée par le PDKI pendant 2 mois sous
prétexte de guerre, avec pour conséquence directe que les vivres
n’entraient plus dans la région, que les commerces se vidèrent et que
les gens moururent de faim. Les déplacements entre les deux zones sont
difficiles et dangereux parce que, bien que la frontière ait été
officiellement réouverte depuis peu, la situation reste si explosive que
les gens de Soran ne s’aventurent plus dans la région de Badinan, et
vice-versa. Il y a eu des dizaines de cessez-le-feu et de traités de
paix, mais les affrontements ne cessent pas. Officiellement, le nombre
de tués dans les derniers combats est estimé à 2.500, les différents
quartiers généraux du PDKI dans la région de Soran ont été attaqués et
pillés par l’UPK, la même chose s’est produit dans l’autre région en
sens inverse…
La vie quotidienne s’est transformée en cauchemar : tandis que se
multiplient les échauffourées entre le PDKI et l’UPK, les prix triplent
tous les trois mois… Cet enfer pousse de nombreuses personnes à
s’enrôler chez les peshmerghas car cela leur assure de la nourriture et
de l’argent trois ou quatre fois par mois ainsi que l’autorisation de
garder des armes en leur possession, armes qui, si elles ne sont pas
utilisées contre leurs propres officiers, servent à ces peshmerghas à
défendre leur vie.
Voilà un moment, en effet, que ni le PDKI, ni l’UPK ne contrôlent
plus leurs troupes. Elles se sont autonomisées et imposent la loi de la
jungle pour pouvoir survivre : elles ont inventé de nouveaux impôts et
se livrent à toutes sortes d’extorsion au nom de leur organisation sans
l’en avertir. Ainsi, à Arbil, les peshmerghas pillent les commerces en
plein jour, ce qui n’est nullement la politique officielle du PDKI ou de
l’UPK. C’est une pratique courante et les gens sont obligés de défendre
leur maison les armes à la main.
Pourtant, alors qu’on annonçait la tenue d’élections pour le mois de
mars 1995, les deux fractions bourgeoises les plus importantes du
Kurdistan tentèrent de réorganiser leurs troupes pour faire face à
l’ennemi en même temps qu’elles essayaient d’améliorer leurs relations
avec la bourgeoisie occidentale et se disputaient le soutien du
Département d’Etat américain et des divers services de l’appareil
militaire occidental. En fonction de leurs capacités respectives de
contrôler les prolétaires et en regard de l’état de leurs relations avec
les forces de l’ordre impérialiste mondial, ces deux fractions
oscillaient entre une politique agressive et une politique pacifique.
Ainsi, alors que Barzani se déclarait en faveur de la paix, pour réunir
les familles, par respect pour les commerçants, pour arriver à un
compromis qui permette la tenue de ces élections, apparaissant ainsi
comme le tenant de la conciliation nationale kurde, Talabani, qui
contrôlait encore moins ses troupes, mais percevait sans doute plus
clairement l’incapacité de la bourgeoisie à offrir une alternative
valable à la lutte prolétarienne (bourgeoisie qui ne voit de possibilité
de paix sociale que dans la repolarisation bourgeoise et la guerre),
Talabani se présentait beaucoup plus comme partisan de la solution
militaire tant contre Barzani que contre les baasistes. Il parlait
ouvertement d’une offensive militaire et de l’occupation de Kirkuk.
Mais, comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, il est absurde
de parler de fraction bourgeoise plus agressive, plus militariste ou
plus impérialiste que l’autre. C’est le Capital qui est militariste et
agressif et, généralement, la fraction la plus forte sur le plan
militaire, celle qui obtient de bons résultats sur ce terrain fait
apparaître l’autre comme la plus militariste (comme cela s’est passé
lors de la « Seconde » guerre mondiale). Et c’est sans grande surprise
que l’on constatera que la fraction qui donne le saut de qualité dans
les hostilités se trouve dans un relatif isolement sur le plan
international (indépendamment des rumeurs circulant sur le fait que
untel ou untel « est soutenu par la CIA », il est difficile de connaître
les alliances et les engagements car ils se nouent dans le plus grand
secret) et stratégiquement bien faible pour contrôler les siens et
imposer ses intérêts.
Guerres locales, blocus, faim,… et terrorisme d’Etat sont les grandes
perspectives que continue d’offrir le capitalisme dans la région.
Toutes les fractions bourgeoises, qu’elles soient islamistes,
nationalistes, baasistes ou autres… implorent la population de respecter
les camions chargés de vivres venant de Turquie qui traversent
quotidiennement le Kurdistan en direction de Bagdad, et il n’y a rien
que de très logique dans le fait qu’elles s’associent pour priver le
prolétariat de toute propriété, y compris de ce qui est nécessaire à sa
survie. Mais, heureusement, il y a toujours des prolétaires qui font fi
de ces consignes et qui s’affrontent à la sacro-sainte propriété privée.
A ce propos, voici une histoire réelle et exemplaire qui remonte à
1993. Non loin de Soulaymania, sur la route qui passe à proximité d’un
quartier retiré, plusieurs camions transportant des vivres avaient été
attaqués et pillés. Pour tenter de faire cesser ces assauts, les
autorités envoyèrent dans le quartier plusieurs délégations chargées de
renouer le dialogue et d’enrayer les pillages. Chaque tentative échoua,
l’une après l’autre. Plus tard, les secteurs organisés qui réalisaient
ces expropriations firent un pas en plus en déclarant que pour leur
subsistance, à partir de ce jour, ils s’empareraient systématiquement
d’un camion sur trois. Alors, les nationalistes de Soulaymania
envoyèrent l’un de leur plus populaire leader, un de ceux qui s’était
distingué par son courage dans la lutte contre les baasistes, et ils lui
confièrent pour mission de trouver une solution avec les gens dudit
quartier. Lorsqu’il s’y présenta, entouré de ses gardes du corps, il fut
reçu à coups de fusil. Un de ses gardes y laissa la vie, deux autres
furent blessés et le quartier continua à piller un camion sur trois pour
assurer sa subsistance.
Aujourd’hui encore les attaques de camions, les prises de dépôts de
vivres, les expropriations de commerces et autres pillages mais aussi
les explosions sociales, les attaques de locaux officiels,
l’expropriation d’organismes humanitaires, les grèves et les
manifestations violentes,… restent monnaie courante. Il y a un peu
partout des petites bandes armées qui attaquent les propriétés des
bourgeois dans la région.
En ce qui concerne les groupes de militants qui se définissent par
l’internationalisme, cela fait déjà un moment que s’est ouverte une
période de ruptures, de bilans, de décantation, de convergences
nouvelles, etc. qui se traduit par un changement permanent impossible à
résumer. Les fusions qui donnèrent naissance au Parti Communiste
Ouvrier, par exemple, se firent sur base de rejets programmatiques
importants de la part de structures ou de fractions d’organisations qui
jusque-là convergeaient et ne furent pas capables d’offrir une
alternative révolutionnaire à la guerre impérialiste qui se développait
entre les fractions nationalistes kurdes : leurs locaux se vidèrent, les
militants de ces groupes se dispersèrent.
Ceci, ajouté à la difficulté toujours plus grande d’assumer une
action publique, à l’insécurité permanente des déplacements, à la
rupture des communications, à la nécessité d’un bilan et d’une
autocritique sur de nombreuses erreurs,… a fait que les noyaux
révolutionnaires les plus intéressants et ayant le plus de perspectives
internationalistes dédient, dans cette phase, le meilleur de leurs
forces à la formation, à la réalisation d’un bilan de la lutte et à la
discussion théorique ainsi qu’à la difficile tâche de maintenir des
contacts internationaux. Il est évident que ce processus recèle aussi de
la dispersion, de l’isolement, du découragement et de la
désorganisation. Beaucoup de camarades cherchent à sortir de la région
(ce qui est très difficile car ceux qui échappent aux forces répressives
des nationalistes au Kurdistan ne peuvent « disparaître » dans les pays
limitrophes : en Turquie, Irak,… il suffit d’être « kurde » pour être
considéré suspect et subversif par les services de police), mais cela
n’a pas empêché qu’une poignée de camarades restent en contact et
assurent les tâches de toujours en publiant des manifestes et des tracts
révolutionnaires contre la guerre (spécialement le groupe « Lutte
Prolétarienne », ex-« Groupe d’Action Communiste », ainsi que nos
camarades du GCI sur place). Ils ont même réussi à faire connaître les
thèses et les positions de notre groupe dans la région, tant en kurde
qu’en arabe, et ce malgré toutes les falsifications et les provocations
dont nous fûmes l’objet[4].
Pour terminer, il est indispensable d’insister sur la situation
critique des camarades internationalistes de la région. Situation
critique du fait de la misère, de la difficulté d’agir, de communiquer,
de résister au désarmement, mais aussi du fait de la difficulté
d’exprimer, à contre-courant des polarisations basées sur les nouvelles
guerres inter-bourgeoises, une issue révolutionnaire et
internationaliste.
Et ce sont ces camarades eux-mêmes qui nous somment d’agir. Il faut
mener l’action internationaliste contre notre propre bourgeoisie où que
nous nous trouvions. Il faut donner le meilleur de nos forces pour
diffuser cet exemple extraordinaire du prolétariat au Kurdistan,
désintégrant une armée, tuant les militaires, les assassins et les
tortionnaires. Car si l’on s’est tant acharné à cacher ce qui se passait
en Irak en mars 1991, c’est parce que la bourgeoisie du monde entier
tremble d’horreur à l’idée que cela puisse se produire ailleurs.
Notre tâche est d’œuvrer à ce que la révolution se développe partout,
pour empêcher que, comme par le passé, la bourgeoisie isole la lutte à
un seul pays, pour que tant quantitativement que qualitativement nous
allions plus loin encore, pour que le prolétariat de tous les pays lutte
contre sa propre bourgeoisie et détruise ses bastions, fasse sauter les
commissariats, ouvre les prisons, détruise l’armée et la police,
exécute les tortionnaires, et surtout, prenne en main la révolution
communiste, en s’appropriant tout le pouvoir de la société, tous les
moyens de production pour détruire le salariat, la marchandise, les
classes sociales, l’Etat,… enfin, pour réduire à néant ce monde carcéral
de pénurie, de misère, de guerre,… et se constituer en véritable
COMMUNAUTÉ HUMAINE MONDIALE.
[1]
Comme nous l’avons déjà précisé en d’autres occasion, « peshmerghas »
signifie combattant, guérillero. Ici il s’agit clairement de deux
prolétaires, encadrés par les forces nationalistes qui, comme une grande
majorité de peshmerghas, profitaient de la désorganisation des forces
baasistes pour descendre des montagnes proches où ils séjournaient en
visite dans leur famille.
[2]
Nous profitons de cette occasion pour cracher encore une fois à la
gueule de tous les antiterroristes et « antisubstitutionnistes » opposés
à l’armement préalable et à la préparation indispensablement
clandestine de l’insurrection. Ce sont eux les coupables de ce type de
massacre dans nos rangs. Moins l’insurrection aura de puissance de feu,
moins sa direction sera centralisée et plus il y aura de morts, de
blessés et d’invalides dans ses rangs.
[3]
Seul le bâtiment rouge, vu sans doute les souvenirs qu’il charrie, ne
sera pas occupé et, au cours des mois qui suivent, il se transformera en
logement pour des familles n’ayant pas d’autre toit.
[4]
Des tracts ont été diffusés, des positions ont été prises à la radio et
à la télévision au nom du Groupe Communiste Internationaliste,
prétendant que nous soutenions telle force pour les élections ou telle
position d’auto-détermination nationale. Toutes ces positions sont à ce
point en antagonisme total avec nos thèses programmatiques qu’il ne fait
aucun doute que ces accusations recèlent une volonté de semer le doute
et la confusion. Par ailleurs, les informations que possèdent nos
camarades indiquent que dans certains cas des personnages importants du
nationalisme, ennemis directs (programmatiques et personnels) des
militants internationalistes intervinrent directement sur la diffusion
de ces falsifications.