tag:blogger.com,1999:blog-40455690369877804532024-03-13T10:44:52.261-07:00Conseils Ouvriersinternationalisme conseils ouvriers autonomie ouvrièreConseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comBlogger224125tag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-75738169993052385422019-04-22T02:48:00.000-07:002019-04-22T02:48:02.448-07:00Organisation et spontanéité<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhKVK1X7Ekkej18m9e5gN1NQ7m64ayn9IegDt-vIkbLyOGOfLddCTpzeHgWsXdl50lfVXXTzAonOKLYLeXuXvuhwdYVR66761CJkMXAtL7cjZNifOe911yGXVhdQtn54hFRZ46Jwq7iJ-Wo/s1600/e79d80c2a8eb934a8e0204532632e7110ec6d499.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="576" data-original-width="1024" height="225" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhKVK1X7Ekkej18m9e5gN1NQ7m64ayn9IegDt-vIkbLyOGOfLddCTpzeHgWsXdl50lfVXXTzAonOKLYLeXuXvuhwdYVR66761CJkMXAtL7cjZNifOe911yGXVhdQtn54hFRZ46Jwq7iJ-Wo/s400/e79d80c2a8eb934a8e0204532632e7110ec6d499.jpg" width="400" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><i>Manifestation spontanée des ouvrières du textile en grève - Bangladesh, janvier 2019</i></td></tr>
</tbody></table>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La question de l’organisation et de la spontanéité a
toujours été posée au sein du mouvement ouvrier comme un problème de
conscience de classe, lié aux rapports de la minorité des
révolutionnaires avec la grande masse d’un prolétariat imbu d’idéologie
capitaliste. Tout portait à croire, disait-on, que la conscience
révolutionnaire fût le propre seulement d’une minorité, laquelle, en
s’organisant, l’entretiendrait et la traduirait en actes. Quant aux
masses ouvrières, ce n’est que contraintes et forcées qu’elles
passeraient à l’action révolutionnaire. Lénine envisageait cette
situation avec optimisme. D’autres, à l’instar de Rosa Luxemburg,
étaient d’un avis tout différent. Le premier visant à instaurer une
dictature de parti, accordait une primauté absolue aux questions
d’organisation. A l’inverse, Rosa Luxemburg, voulant parer au danger
d’une nouvelle dictature sur les travailleurs, mettait l’accent sur la
spontanéité. Ils étaient toutefois persuadés l’un comme l’autre que si
dans certaines conditions, la bourgeoisie déterminait les idées et le
comportement des masses laborieuses, dans d’autres conditions, une
minorité révolutionnaire pourrait en faire autant. Mais, à l’époque même
où Lénine considérait cela comme un facteur on ne peut plus favorable à
la réalisation du socialisme, Rosa Luxemburg ne cachait pas ses
craintes de voir une minorité quelconque, ayant accédé à la position de
classe dominante, penser et agir à la manière exacte de la bourgeoisie
d’hier.</div>
<a name='more'></a><br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
A là base de cette attitude se trouvait, dans les deux
cas, la conviction que le développement économique du capitaliste
obligerait les masses à se dresser contre le système. Lénine, tout en
tablant dessus, craignait les révolutions d’origine spontanée. Aussi,
pour justifier la nécessité d’une intervention consciente dans des
mouvements de ce type, il invoquait le degré d’arriération des masses
prolétariennes qui faisait de la spontanéité un élément sans doute
important, mais destructif et non point constructif. Plus le mouvement
spontané se révélait puissant, plus donc il était indispensable de
l’encadrer et de le diriger, cette mission incombant, selon Lénine, à un
parti hiérarchisé et agissant en fonction d’un plan d’ensemble. Il
fallait en quelque sorte défendre les ouvriers contre leurs propres
impulsions, faute de quoi, en raison de leur ignorance, ils courraient à
la défaite et, consumant en vain leurs forces, fraieraient la voie à la
contre-révolution.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Rosa Luxemburg soutenait une conception opposée, certaine
comme elle l’était que la contre-révolution habitait déjà les
organisations et les instances traditionnelles et risquait fort de se
propager au sein du mouvement révolutionnaire lui-même. Elle espérait
que les mouvements spontanés viendraient mettre un terme à l’influence
de ces organisations qui n’aspiraient qu’à une chose
: centraliser le pouvoir dans leurs mains. Bien qu’aux yeux de Luxemburg
comme à ceux de Lénine, l’accumulation du capital fût par excellence un
processus générateur de crises, la première tenait les crises pour un
phénomène infiniment plus catastrophique que le second ne le croyait.
Pour elle, plus une crise aurait des effets dévastateurs, plus amples et
plus vigoureuses seraient les actions spontanées ; moindre aussi serait
la nécessité d’une orientation consciente des luttes et de leur
direction centralisée, le prolétariat ayant dans un tel cas des
possibilités plus grandes d’apprendre à penser et à agir conformément à
ses besoins historiques. Selon Rosa Luxemburg, les organisations
devaient se borner à déclencher l’essor des forces créatrices inhérentes
aux actions de masse pour se fondre ensuite dans les tentatives
indépendantes du prolétariat cherchant à jeter les bases d’une société
nouvelle. Cette conception présupposait non une conscience
révolutionnaire, à la fois tranchée et omnisciente, mais une classe
ouvrière hautement développée, capable de mettre au service de la
société socialiste et l’appareil productif et ses aptitudes propres.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les petites organisations ouvrières insistaient
volontiers sur le rôle du facteur de la spontanéité. Ainsi des
syndicalistes révolutionnaires français, et du théoricien Georges Sorel,
qui voyaient dans la grève spontanée et sa systématisation le grand
moyen d’apprentissage de la révolution sociale. Mais. par là, ces
organisations ne faisaient que rationaliser leur faiblesse. Ne sachant
comment transformer la société, elles laissaient à l’avenir le soin de
résoudre le problème. Telle perspective n’était pas sans fondement, eu
égard au développement de facteurs comme les progrès rapides de la
technologie, la concentration et la centralisation du capital allant de
pair avec l’essor de la production, la fréquence accrue des conflits
sociaux, etc. Mais, en vérité, c’était là un simple espoir, destiné
surtout à compenser la faiblesse de ces organisations et l’incapacité où
elles se trouvaient d’agir efficacement. En invoquant la spontanéité,
on cherchait à donner un tant soit peu de
« réalité » à une mission qu’elles étaient bien en peine de remplir, à
excuser leur inactivité forcée, à justifier leur intransigeance.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Quant aux grandes organisations, elles avaient tendance à
faire fi de la spontanéité. Trouvant dans leurs succès des raisons de
se montrer optimistes, elles ne songeaient guère au concours que des
mouvements spontanés seraient susceptibles de leur apporter à une date
peut-être lointaine encore. Leurs dirigeants soutenaient ou bien que
seule la force organisée est capable de vaincre la force organisée, ou
bien que la voie de l’action quotidienne, sous la direction du parti et
des syndicats, amènerait un nombre d’ouvriers toujours plus grand à
prendre conscience de la nécessité inéluctable de changer les rapports
sociaux existants. Pour eux, croissance régulière des organisations et
développement de la conscience de classe étaient une seule et même chose
et, à certains moments, ils caressaient l’idée de voir un jour ces
organisations englober la classe ouvrière dans son ensemble.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Cependant, toutes les organisations ouvrières doivent
s’insérer dans les structures sociales. Loin de jouir d’une
« indépendance » absolue, elles sont déterminées par la société et la
détermine à leur tour. Au sein du capitalisme, aucune organisation ne
peut durablement faire preuve d’un anticapitalisme intransigeant. L’
« intransigeance » est le fait d’une activité idéologique limitée et
l’apanage de sectes et d’individus isolés. Lorsqu’elles veulent acquérir
une importance au niveau de la société globale, les organisations
doivent se rallier à l’opportunisme tant pour affecter le processus de
la vie sociale que pour atteindre leurs objectifs propres.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Opportunisme et « réalisme » sont apparemment une seule
et même chose. Le premier ne saurait être vaincu par des groupes
radicaux, dont l’idéologie attaque de front les rapports sociaux
existants sous tous leurs aspects. Il est impossible de rassembler petit
à petit les forces révolutionnaires dans le cadre d’organisations
puissantes, prêtes à passer à l’action le moment venu. Toutes les
tentatives esquissées en ce sens ont échoué. Seules ont pu prendre une
importance quelconque les organisations qui ne gênaient pas la bonne
marche de l’ordre établi. Chaque fois qu’elles ont pris pour point de
départ un corps d’idées révolutionnaires, leur croissance a engendré par
la suite une antinomie grandissante entre l’idéologie et la fonction
pratique. Opposées au capitalisme, mais aussi organisées en son sein,
elles n’ont pu éviter de soutenir leurs adversaires. Après avoir résisté
victorieusement aux assauts de leurs rivaux politiques, elles ont fini,
en raison de leurs propres succès, par succomber aux forces du
capitalisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Voici donc le dilemme que les groupements d’inspiration
radicale affrontent inévitablement
: pour avoir un écho suffisant au niveau de la société globale, les
actions doivent être organisées ; mais les actions organisées se
transforment en moyens d’intégration au capitalisme. Désormais, tout se
passe comme si pour pouvoir faire quelque chose, il fallait faire le
contraire de ce qu’on voulait, et comme si pour ne pas faire de faux
pas, il fallait ne rien faire du tout. Est-il sort plus lamentable que
celui du militant aux idées radicales qui se sait utopiste et va d’échec
en échec? Aussi, par un réflexe d’autodéfense, le radical, sauf s’il
est un mystique, place toujours la spontanéité au premier plan, tout en
restant plus ou moins convaincu en son for intérieur que c’est un
non-sens que cela. Mais son obstination semble indiquer qu’il ne cesse
jamais de percevoir quelque sens caché dans ce non-sens.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Le fait de se réfugier ainsi dans l’idée de spontanéité
dénote une inaptitude réelle ou imaginaire à constituer des
organisations efficaces et un refus de s’opposer de manière
« réaliste » aux organisations en place. En effet, pour combattre avec
succès ces dernières, il faudrait créer des contre-organisations dont
l’existence, en soi, irait à l’encontre de leur raison d’être. Opter
pour la
« spontanéité », c’est donc une façon négative d’aborder le problème de
la transformation sociale ; toutefois, mais seulement dans un sens
idéologique, cette attitude a des aspects positifs, étant donné qu’elle
implique un divorce mental d’avec le type d’activités qui tendent à
renforcer l’ordre établi. Aiguisant la faculté de critique, elle mène à
se désintéresser d’entreprises futiles et d’organisations dont on ne
peut plus rien attendre. Elle permet de distinguer l’apparence d’avec la
réalité ; bref, elle est liée à l’orientation révolutionnaire. Puisque
d’évidence certaines forces, organisations et rapports sociaux sont
voués à disparaître et que d’autres tendent à les remplacer, ceux qui
tablent sur l’avenir, sur les forces en gestation, mettent l’accent sur
la spontanéité ; en revanche, ceux qui se rattachent étroitement aux
forces du vieux monde insistent sur la nécessité de l’organisation.</div>
<br />
<br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Il apparaît à l’examen, même superficiel, que toute
organisation importante, quelle que soit son idéologie, contribue à
maintenir le statu quo ou, dans le meilleur des cas, à promouvoir un
développement des plus limités, dans le cadre des conditions générales
caractérisant une société déterminée à une époque donnée. Le terme de
statu quo permet assez bien de tirer au clair le concept d’immobilisme
dans le changement. Il est possible de l’utiliser en faisant totalement
abstraction de ses implications philosophiques, à la manière de
n’importe quel autre instrument d’analyse. Si transformées quelles
puissent être en effet, les conditions précapitalistes sont intégrées
aux conditions capitalistes et, de la même façon, les conditions
postcapitalistes se manifestent sous une forme ou sous une autre au sein
du capitalisme. C’est là chose évidente mais concernant l’évolution
sociale en général ; or l’activité pratique des hommes sépare
continuellement le général d’avec le spécifique, bien que l’un et
l’autre soient en fin de compte indissociables.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Quand on parle ici de statu quo, c’est par rapport à la
société capitaliste, et donc par rapport à une période historique au
cours de laquelle les ouvriers, dans le cadre d’une interdépendance
sociale complexe, se trouvent séparés des moyens de production et, par
voie de conséquence, asservis à une classe dominante. Les traits
distinctifs du pouvoir politique sont fonction des traits distinctifs du
pouvoir économique. Tant que la vie sociale reste déterminée par la
relation capital-travail, la société demeure, inchangée, sur le plan
fondamental, quand bien même elle se montrerait changée sur d’autres. Le
capitalisme du laissez-faire, celui des monopoles, ou encore le
capitalisme d’État, sont autant de stades évolutifs au sein du statu
quo. Sans contester l’existence de différences entre ces stades, il est
nécessaire de faire ressortir leur identité de base et, en s’opposant à
leurs caractéristiques communes, de s’opposer non seulement à l’un ou à
l’autre, mais aussi à tous simultanément.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Du point de vue des classes dominées, conditionné par
l’époque, le développement ou le progrès élémentaire dans le cadre du
statu quo peut paraître
« bon » ou « mauvais ». On donnera comme exemple de « bon »
développement, la lutte victorieuse des ouvriers pour des conditions de
vie meilleures et des libertés politiques accrues, et comme exemple de
« mauvais », la perte des unes et des autres par suite de l’avènement du
fascisme - indépendamment de la question de savoir si le premier fut ou
ne fut pas la cause du second. L’adhésion active à des organisations,
cherchant à promouvoir le développement dans le cadre du statu quo, est
souvent une nécessité inéluctable. Il est donc parfaitement vain de
vouloir s’opposer à de telles organisations sur la base d’un programme
réalisable uniquement en dehors de ce cadre. Néanmoins, avant de décider
d’entrer dans une organisation
« réaliste » ou d’y rester, il faut se demander dans quel sens vont les
changements survenant au sein du statu quo et dans quelle mesure ils
sont susceptibles d’affecter la population laborieuse.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les syndicats et les partis ouvriers ont depuis longtemps
cessé d’agir en conformité avec les intentions radicales qui furent
leurs à l’origine. Les
« questions immédiates » ont fini par les métamorphoser et par entraîner
la disparition de toute organisation ouvrière
« réelle », malgré la foule de pseudo-organisations qui subsistent.
L’aile socialiste du mouvement elle-même considère les réformes sociales
non plus comme une voie de passage au socialisme, mais comme un moyen
d’améliorer le capitalisme, de le rendre plus agréable à vivre, et cela
bien que ses porte-parole continuent souvent d’utiliser une phraséologie
socialiste.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La lutte pour des conditions de vie meilleures dans le
cadre de l’économie de marché, c’est-à-dire pour vendre au meilleur prix
la marchandise force de travail, a transformé l’ancien mouvement
ouvrier en un mouvement capitaliste des travailleurs. Plus la pression
du prolétariat était énergique, plus les capitalistes se voyaient
contraints d’élever la productivité du travail tant grâce à la
technologie et à la rationalisation que grâce à l’essor des échanges
nationaux et internationaux. De même que la concurrence en général. la
lutte prolétarienne elle aussi a servi d’instrument pour accélérer le
rythme de l’accumulation du capital. Et, à mesure que l’expansion
progressait ainsi, le mouvement ouvrier - non seulement ses cadres
dirigeants mais aussi ses militants de base renonçait à ses aspirations
révolutionnaires d’autrefois. Bien que les salaires eussent diminué en
valeur relative par rapport à la production, ils s’étaient accrus en
valeur absolue, le niveau de vie des ouvriers d’industrie augmentant du
même coup dans les principaux pays capitalistes. En outre, le commerce
extérieur et l’exploitation des colonies avaient pour effet d’accroître
les profits et d’accélérer la formation du capital. Ceci n’alla pas sans
créer des conditions favorables à l’apparition d’une
« aristocratie ouvrière ». De temps à autre, des crises et des
dépressions venaient interrompre cette évolution et, bien qu’échappant à
toute espèce de contrôle, servaient de facteurs coordonnant le
processus de restructuration du capital. A la longue cependant, l’appui
que l’expansion capitaliste, fondée sur le jeu de la concurrence,
trouvait dans les rangs de la classe laborieuse aboutit à une complète
fusion d’intérêts entre les organisations ouvrières et les détenteurs du
capital.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Certes, il y eut des organisations qui se dressèrent
contre l’intégration du mouvement ouvrier à la structure capitaliste.
Voyant dans les réformes une étape en direction de la révolution, elles
essayèrent de poursuivre des activités revendicatives sur le terrain du
système, tout en conservant leurs objectifs révolutionnaires. La fusion
du capital et de l’ancien mouvement ouvrier constituait à leurs yeux un
phénomène provisoire dont il fallait s’accommoder ou tirer parti tant
qu’il durait. Leur peu d’empressement à collaborer avec le capital les
empêchait toutefois d’acquérir une importance en tant qu’organisation et
cela, à son tour, les poussait à exalter la spontanéité. Les
socialistes de gauche et les syndicalistes révolutionnaires rentrent
dans cette catégorie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Certains pays bénéficient de niveaux de vie supérieurs à
ceux des autres, et la haute paie versée à certaines couches de
travailleurs a pour effet de diminuer le salaire des autres. Mais les
tendances à la péréquation des taux de productivité, de profit et de
salaires, inhérentes au capitalisme de la concurrence, ne manquent pas
de jouer et de menacer les intérêts particuliers et les privilèges
spéciaux. De même que les capitalistes s’efforcent d’échapper à ce
processus niveleur au moyen de la monopolisation de l’économie, de même
les ouvriers privilégiés tentent de sauvegarder leur situation aux
dépens du prolétariat dans son ensemble. On finit ainsi par confondre
intérêt particulier et intérêt
« national ». En appuyant leurs organisations politiques, syndicales et
autres, pour conserver les avantages socio-économiques dont ils
jouissent, les ouvriers défendent non seulement ce stade particulier du
capitalisme auquel ils doivent leur situation privilégiée, mais aussi la
politique impérialiste de leur pays.</div>
<br />
<br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les rapports sociaux de base sont constamment organisés
et réorganisés de façon plus
« efficace », à dessein de maintenir le statu quo. Ce genre de
réorganisation tend maintenant, au sein de la société structurée en
classes, à prendre un caractère totalitaire. L’idéologie, à la fois
condition préalable et produit de cette réorganisation, se fait elle
aussi totalitaire. Et, en vue de survivre, les organisations jusqu’alors
exemptes de ce trait suivent à leur tour le courant. Dans les pays
totalitaires, les organisations dites ouvrières sont directement au
service de la classe dirigeante. Il en est de même dans les pays
« démocratiques », mais sous une forme plus voilée sans doute et sur la
base d’une idéologie en partie différente. Visiblement, il n’existe plus
le moindre moyen qui permette de remplacer ces organisations par
d’autres, d’un caractère révolutionnaire indiscutable - situation sans
issue pour ceux qui voudraient organiser la société nouvelle dans le
sein de l’ancienne comme pour ceux qui continuent de préconiser ces
« améliorations » dans le cadre du statu quo, étant donné qu’il est
désormais impossible de réaliser des réformes autrement que par le biais
de méthodes totalitaires. La démocratie bourgeoise liée au
« laissez-faire » - c’est-à-dire les conditions sociales propices à la
formation et à l’essor des organisations ouvrières de type traditionnel -
ou bien n’existe plus ou bien est en voie de disparition. Le vieux
débat, organisation ou spontanéité, qui passionna tellement l’ancien
mouvement ouvrier, a perdu toute espèce de sens. Les deux sortes
d’organisation, celles qui prenaient la spontanéité pour base et celles
qui cherchaient à l’ordonner, n’ont-elles pas volé en éclats l’une et
l’autre? Inviter à créer des organisations nouvelles, c’est nourrir un
pieux espoir, celui de les voir apparaître spontanément un jour, rien de
plus. Aussi bien, face à la réalité totalitaire en voie d’émergence,
les tenants de l’organisation sont des
« utopistes », ni plus ni moins que les fervents de la spontanéité.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Aux yeux de certains toutefois, l’existence de la Russie
bolcheviste paraît infirmer et la thèse de la disparition totale de
l’ancien mouvement ouvrier, et l’idée selon laquelle la dégradation des
conditions sociales rend désormais futile toute discussion sur la valeur
respective de l’organisation et de la spontanéité. Car, en fin de
compte, les champions du principe d’organisation l’ont emporté en Russie
et continuent d’exercer le pouvoir au nom du socialisme. Rien ne les
empêche donc de considérer leur succès comme une vérification de leur
théorie et de même en ce qui concerne les organisations réformistes
devenues des partis de gouvernement, tel le parti travailliste anglais.
Et rien ne les empêche non plus de voir dans leur situation actuelle non
la résultante d’une transformation du système capitaliste dans un sens
totalitaire, mais au contraire une étape en direction de sa
socialisation.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Pourtant, le gouvernement travailliste anglais et les
organisations qui le soutiennent ne font que démontrer à quel point leur
triomphe a mis fin à l’ancien mouvement ouvrier. N’est-il pas avéré en
effet que les travaillistes au pouvoir n’ont d’autre souci que de
maintenir le statu quo? Certes, ils cherchent à remodeler la structure
politique et administrative du pays, mais du même coup défendre le
capitalisme équivaut pour eux à défendre leur existence propre. Et
défendre le capitalisme, cela signifie poursuivre et accélérer la
concentration et la centralisation de l’économie et du pouvoir
politique, camouflées sous l’étiquette de
« nationalisation » des industries clés. Ce processus implique des
changements sociaux, lesquels tout à la fois accroissent la capacité de
manipulation et de direction autoritaire du Capital et de l’État, et
intègrent le mouvement ouvrier au réseau en expansion des organisations
totalitaires uniquement dévouées à la cause de la classe dirigeante.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Si les organisations ouvrières, du type prédominant en
Angleterre, acquièrent un poids politique aussi considérable sans le
mettre au service de. leurs fins révolutionnaires, ce n’est nullement
parce que leur
« idéologie démocratique » leur interdit de prendre en main le pouvoir
réel, en tant qu’il diffère du pouvoir gouvernemental, par des moyens
qui ne seraient pas ceux de la majorité Parlementaire. Elles n’ont en
effet de démocratique que le nom, rigoureusement soumises comme elles le
sont à une bureaucratie mettant en oeuvre des rouages calqués sur ceux
du capitalisme et qui, pour
« démocratiques » qu’ils soient, présupposent la domination absolue des
maîtres du capital. Elles n’ont pas non plus à craindre ce qui peut
rester de force à leurs adversaires capitalistes au conservatisme
révolu, propre au stade prétotalitaire du développement capitaliste.
L’évolution de ces organisations dans un sens totalitaire reproduit en
petit la transformation de la société libérale en société autoritaire.
Il s’agit là d’un processus lent et contradictoire, impliquant à la fois
une lutte à l’échelle internationale et une lutte entre groupements
politiques au niveau national. Ce processus se déroule en un moment où
le caractère international que la concentration du capital prend
toujours davantage, métamorphose les intérêts monopolistes en intérêts
nationaux, où l’économie mondiale se trouve monopolisée par quelques
Etats ou blocs de puissances et où le contrôle direct de la production
et du marché par les monopoles, qui existe dans chaque pays avancé,
s’étend de plus en plus au monde entier. Dans ces conditions, le
mouvement ouvrier perd la possibilité, qu’il avait eue jusqu’alors, de
contribuer à l’expansion du capital par le seul fait qu’il défendait ses
intérêts de groupe social spécifique. Il lui faut passer au
nationalisme et participer à la réorganisation de l’économie en fonction
de rapports de forces changés. Ce n’est pas sans mal toutefois que le
mouvement ouvrier, lié tout autant par ses traditions que par la
nécessité de sauvegarder les avantages acquis, parvient à se transformer
et, de nationaliste bon enfant qu’il était hier, à devenir aujourd’hui
un pilier de l’impérialisme. De nouvelles tendances politiques font
alors leur apparition en vue d’exploiter ce manque de souplesse et, si
ce dernier persiste, les organisations traditionnelles doivent céder la
place à un mouvement de type national-socialiste.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
A coup sûr, le national-socialisme n’est « national » que
pour mener une politique impérialiste. L’
»internationalisme bourgeois », c’est-à-dire le marché « libre »
mondial, ne fut jamais qu’une fiction.
« Libre », ce marché ne l’était en effet que dans la mesure où la
concurrence entre les principaux pays industriels et entre les monopoles
internationaux n’atteignait pas encore une sévérité excessive. Or
l’expansion du capital a pour effet simultané de restreindre et de
stimuler la concurrence. Les vieilles positions de monopole sont
liquidées au profit de groupements monopolistes nouveaux. En intervenant
sur le marché
« libre » mondial, les monopoles freinent l’expansion du capital mais,
du même coup, ils ouvrent à de nouveaux pays la voie du développement ;
les intérêts privés qui, dès lors, peuvent prendre leur essor,
instaurent leurs propres systèmes de restrictions monopolistes à la
concurrence afin de se tailler une place au soleil.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La lutte pour prendre pied sur le marché mondial (et la
lutte pour repousser les intrus qui va de pair avec elle) devait donc
accélérer le développement général du capitalisme au prix de
disproportions toujours accrues au sein de l’économie mondiale. Entre
l’essor continu des forces sociales de production, d’une part et
l’organisation à base privée et nationale de la production et du
commerce mondiaux, d’autre part, apparut une contradiction qui ne fit
que s’aggraver au fur et à mesure des progrès du capitalisme. Les
réorganisations de l’économie mondiale, rendues nécessaires par les
changements survenus dans la répartition de la puissance économique, ne
suffirent plus à arrêter la croissance des forces productives, due à une
concurrence qui continuait de battre son plein ; dès lors, cette
fonction de blocage revint aux crises et aux guerres. Voilà qui provoqua
à son tour une nouvelle flambée de nationalisme, bien que toutes les
questions politiques et économiques découlent de la nature capitaliste
de l’économie mondiale. Le nationalisme est essentiellement un
instrument pour la concurrence à grande échelle, le seul
« internationalisme » dont la société capitaliste soit capable.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
L’internationalisme prolétarien, quant à lui, était fondé
sur l’idée (fausse) selon laquelle le principe bourgeois du
« libre échange » correspondait à la réalité. On voyait dans le
développement international une simple extension quantitative d’un
phénomène que le développement national avait rendu familier. De même
que l’entreprise capitaliste avait fini par ne plus connaître de
frontières nationales, de même, pensait-on, le mouvement ouvrier allait
acquérir une base internationale sans changer de forme ni de type
d’activités. Le grand changement qualitatif, que cette évolution
quantitative ne manquerait pas d’engendrer, ce serait la révolution
prolétarienne, et cela en raison de la polarisation croissante de la
société en deux classes fondamentales, un nombre toujours plus réduit de
dirigeants devant faire face à la masse toujours plus grande des
dirigés. En bonne logique, ce processus ne pouvait aboutir qu’à
l’alternative
: ou bien l’absurdité totale, ou bien l’expropriation sociale des
expropriateurs individuels.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Ancré de la sorte dans la conviction que la lutte pour
vendre la force de travail au meilleur prix entraînerait le
développement graduel de la conscience de classe du prolétariat et la
création d’une base objective pour le socialisme, on voyait également un
phénomène salutaire dans le processus de concentration du capital,
considéré comme un préalable obligé à l’évolution en direction de la
société nouvelle. L’apparition du Grand Capital, la cartellisation, la
multiplication des trusts et des prises de contrôle financier, les
interventions de l’État, l’essor du nationalisme, voire même celui de
l’impérialisme, tout cela constituait autant d’indices d’une
« maturation » de la société capitaliste, au terme de laquelle surgirait
la révolution sociale. Pour les réformistes, cet état de choses
confirmait leur théorie
: la transformation de la société avait pour condition nécessaire et
suffisante leur arrivée au pouvoir par des moyens légaux. Mais les
révolutionnaires étaient amenés de leur côté à croire que, même dans des
conditions de
« maturité » moins grande, il leur suffirait de s’emparer du pouvoir
d’État pour réaliser le socialisme. Socialistes et bolcheviks se
heurtaient à propos de questions d’ordre tactique, mais ces querelles ne
concernaient nullement le postulat fondamental qui leur restait commun
: le pouvoir d’État était l’instrument qui permettrait de passer du
« stade suprême » du capitalisme à la société nouvelle. Si les
socialistes inclinaient à laisser le progrès suivre son cours, persuadés
qu’ils étaient que toutes les fonctions gouvernementales finiraient
ainsi par tomber sous leur coupe, les bolcheviks entendaient, quant à
eux, mettre la main à la pâte et accélérer l’évolution sociale.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
En 1917, la défaite des armées tsaristes vint rendre plus
impérieuse que jamais la nécessité, déjà- très largement ressentie en
Russie, de
« moderniser » le pays afin de raffermir sa chancelante indépendance
nationale. Après qu’une révolution eut balayé le régime, le gouvernement
échut aux
« éléments progressistes ». Et l’aile marchante du mouvement socialiste
ne tarda guère à concentrer tous les pouvoirs dans ses mains. Voulant
hâter le processus de socialisation, les bolcheviks forcèrent la
population à exécuter point par point leur programme politique. De leur
point de vue, peu importait que les décisions du gouvernement fussent
encore empreintes d’un caractère capitaliste du moment qu’elles
restaient dans le droit fil d’une évolution qui poussait au capitalisme
d’État et qu’elles avaient pour effet d’augmenter la production et de
conserver le pouvoir au parti dirigeant. Car seul un gouvernement
bolchevique était en mesure, pensait-on, d’implanter le socialisme par
en haut, à grand renfort de décrets, et cela malgré les fautes et les
compromis inévitables, malgré toutes les concessions à faire aux
principes capitalistes et aux puissances impérialistes. La grande
question, c’était en effet d’avoir un gouvernement qui ne risquerait pas
de dévier de la ligne révolutionnaire, un gouvernement maître d’un
appareil d’État qui garderait son caractère révolutionnaire du fait que
ses membres se verraient inculquer systématiquement une idéologie aux
fondements rigides. En favorisant le développement d’un fanatisme à
toute épreuve, les bolcheviks cherchaient à doter les organes politiques
et administratifs du pays d’une cohésion et, par là, d’une puissance
supérieure à celles de leurs ennemis propres. Ainsi la dictature du
gouvernement, appuyée sur un parti dirigé par des méthodes dictatoriales
et sur un système de privilèges hautement hiérarchisé,
apparaissait-elle comme une première étape qu’il fallait nécessairement
franchir avant d’arriver au socialisme. Dès cette époque, une tendance à
la gestion totalitaire, allant de pair avec l’essor des monopoles, les
interventions de l’État dans l’économie et les exigences de
l’impérialisme moderne en ce qui concerne la structuration du monde,
était à l’oeuvre dans tous les pays, plus particulièrement dans ceux qui
se trouvaient en état de crise plus ou moins
« permanente ». De même que l’économie, les crises du capitalisme sont
internationales, mais il ne s’ensuit nullement qu’elles frappent tous
les pays avec une égale vigueur et d’une manière identique. Certaines
régions sont
« riches » et d’autres « pauvres » en matières premières, en
main-d’oeuvre et en capital. Les crises et les guerres provoquent un
remaniement des rapports entre puissances et ouvrent des voies nouvelles
au développement politique et économique du monde. Elles peuvent avoir
pour effet d’instaurer un nouvel équilibre des forces ou d’y contribuer.
Dans un cas comme dans l’autre, le monde capitaliste subit des
changements décisifs et se retrouve ensuite organisé sur des bases
différentes. Sous l’impact de la concurrence, ces transformations
structurelles se généralisent, mais en revêtant des aspects qui sont
très loin d’être partout les mêmes. Dans certains pays, les nouvelles
formes de domination sociale, consécutives à l’apparition d’un degré
élevé de concentration du capital, peuvent prendre un caractère avant
tout économique ; dans d’autres, elles auront des dehors plus
politiques. De fait, les organes de direction centralisée ont toutes
chances d’être plus perfectionnés dans le premier cas que dans le
second. Dès lors cependant, les pays les moins bien pourvus sur ce plan
se voient contraints d’accroître les pouvoirs de l’appareil d’État. Un
régime fasciste est le produit de luttes sociales engendrées par des
difficultés d’ordre intérieur autant que par la nécessité de compenser,
au moyen de l’organisation de l’économie, des faiblesses structurelles
qu’ignorent les pays les plus forts du point de vue capitaliste. Le
régime autoritaire a pour mission de remédier à l’absence d’un système
de prise de décision centralisé et résultant d’un
« libre » cours des choses.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Si le totalitarisme découle de changements survenus au
sein de l’économie mondiale, il est aussi à l’origine d’une nouvelle et
universelle tendance à parfaire la puissance économique par des moyens
politiques. En d’autres termes, l’essor du totalitarisme n’est
compréhensible qu’en fonction de la situation mondiale du capitalisme.
Le bolchevisme, le fascisme et le nazisme ne se sont pas formés de
manière autonome, dans le cadre de l’évolution d’un pays donné. Ils ont
constitué en réalité autant de réactions de type national à la
transformation des conditions de la concurrence internationale,
exactement comme les tendances des nations
« démocratiques » au totalitarisme représentent une réaction à des
pressions en sens opposés, pour et contre les menées impérialistes.
Seules les grandes puissances capitalistes sont en mesure de rivaliser
de façon indépendante pour la maîtrise du monde, cela va de soi. Quant à
la plupart des petites nations, déjà hors de course, elles ne font que
s’adapter à la structure sociale des puissances hégémoniques. Pourtant
les structures totalitaires modernes sont apparues pour la première fois
dans les pays capitalistes les plus faibles et non, comme tout portait à
le croire, dans ceux où le pouvoir économique se trouvait concentré à
l’extrême. Les bolcheviks, formés à l’école de l’Occident, voyaient dans
le capitalisme d’Etat le stade ultime du développement capitaliste, une
voie de passage au socialisme. Pour emprunter cette voie, il fallait
selon eux, recourir à des moyens purement politiques, à la dictature en
l’occurrence, et pour que cette dictature fût efficace, il fallait
recourir au totalitarisme. Les régimes fascistes d’Allemagne, d’Italie
et du Japon ont incarné des tentatives de suppléer par l’organisation à
tout ce qui manquait d’éléments de force capitaliste traditionnelle à
leurs pays respectifs et de court-circuiter la concurrence à grande
échelle, le développement économique général les empêchant de se tailler
désormais une place plus grande sur le marché mondial, voire de la
conserver.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Vu sous cet angle, l’évolution globale du capitalisme n’a
cessé de tendre au totalitarisme. Cette tendance devint sensible dès le
début de notre siècle. Elle a pris corps au travers des crises, des
guerres et des révolutions. Loin de n’intéresser que des classes
spécifiques et des nations particulières, elle affecte le monde entier.
Et, dans cette perspective, on peut ajouter qu’un capitalisme
« intégralement développé » serait ni plus ni moins qu’un capitalisme
mondial géré de façon centralisée sur un mode totalitaire. S’il était
réalisable, il correspondrait au but que socialistes et bolcheviks
s’assignaient
: la création d’un gouvernement mondial planifiant la vie sociale dans
son ensemble. Il correspondrait aussi à l’
« internationalisme » restreint des capitalistes, des fascistes, des
socialistes et des bolcheviks, et à leurs projets d’organisation
partielle - citons pèle-mêle
: le paneuropéannisme ; le panslavisme ; la latinité ; les
Internationales II, III<sup style="font-size: 80%;">ème</sup> et autres
; le Commonwealth ; la doctrine de Monroe ; la Charte de l’Atlantique ;
les Nations Unies et ainsi de suite - tous conçus comme autant de
préalables à l’établissement d’un gouvernement mondial.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Lorsqu’on l’examine à la lumière de l’histoire
contemporaine, le capitalisme du siècle dernier apparaît comme un
capitalisme sortant tout juste de l’enfance, n’ayant pas encore réussi à
s’émanciper complètement de son passé féodal. Le capitalisme, qui ne
mettait pas en question l’exploitation en général, mais seulement le
règne exclusif d’une forme particulière d’exploitation, peut vraiment se
développer
« dans le sein » de l’ancienne société. A cette époque l’action
révolutionnaire visait la prise du pouvoir dans le seul but d’éliminer
les pratiques restrictives propres au monde féodal et de défendre la
« liberté d’entreprise ». Elargir le marché mondial, stimuler le
développement du prolétariat et de l’industrie, accélérer Il
accumulation du capital, telle était alors la grande affaire des
capitalistes et, certes, ils avaient sur ce plan toutes raisons d’être
satisfaits. La
« liberté économique », tel était leur leitmotiv et, pour autant que
l’Etat les laissait poursuivre en paix l’exploitation des travailleurs,
ils ne se souciaient ni de sa composition ni de son autonomie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toutefois, loin d’être l’une des caractéristiques
essentielles du capitalisme, l’indépendance relative de l’Etat était
liée à la croissance du système dans des conditions de maturité encore
très imparfaites. Plus ces conditions mûrissaient, plus l’Etat prenait
un caractère capitaliste. Ce qu’il perdait en
« autonomie », il le regagnait en puissance
; ce que les capitalistes se voyaient contraints d’abandonner, ils le
retrouvaient sur un autre plan, grâce au perfectionnement des mécanismes
de gestion de la vie sociale. A la longue, les intérêts de l’Etat et du
Capital finirent par se confondre aux yeux de tous, fait dénotant que
le mode de production capitaliste et son système de concurrence
jouissaient du consentement général. Appuyé sur l’Etat et organisé à
l’échelon national, le capitalisme marquait plus nettement que jamais
qu’il avait subjugué toute opposition, que la société dans son ensemble,
y compris le mouvement ouvrier - et pas seulement le patronat -, était
devenue capitaliste. Cette intégration du mouvement ouvrier au système
se manifestait entre autres dans l’intérêt grandissant qu’il portait à
l’Etat conçu comme un instrument d’émancipation. Etre
« révolutionnaire », voilà qui signifiait désormais rompre avec la
« conscience trade-unioniste » bornée propre à l’ère du « libre-échange
» et lutter pour la conquête de l’Etat tout en cherchant constamment à
augmenter les prérogatives de celui-ci. La fusion du Capital et de
l’Etat s’accompagnait ainsi d’une fusion de l’un et de l’autre avec le
Travail, c’est-à-dire l’ancien mouvement ouvrier organisé.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La Russie bolcheviste est le premier en date des systèmes
ou la fusion du Capital, du Travail et de l’Etat fut réalisée sous la
direction de l’aile radicale de l’ancien mouvement ouvrier. Depuis
longtemps, Lénine était convaincu que la bourgeoisie se trouvait
dorénavant dans l’incapacité absolue de révolutionner la société.
L’époque de la révolution capitaliste au sens traditionnel était
terminée. Au stade du capitalisme impérialiste, les pays arriérés,
voulant échapper à la colonisation, étaient en effet obligés de prendre
pour point de départ de leur évolution l’état de choses considéré
jusqu’alors, dans le cadre du laissez-faire, comme le point
d’aboutissement possible du processus de la concurrence. Dès lors, il
était vain d’attendre l’émancipation d’un développement s’effectuant par
les voies traditionnelles
; seules des luttes politiques, du type mis en avant par les bolcheviks,
pouvaient créer les conditions nécessaires au développement
capitaliste, base même de l’indépendance nationale. S’attaquant non pas
au système d’exploitation capitaliste en général, mais seulement à sa
forme restreinte, à l’exploitation pratiquée par des groupes
particuliers d’industriels et de financiers, le parti bolchevik s’empara
de l’Etat et du même coup prit en main la gestion des moyens de
production. Point n’était besoin de se plier au schéma historique -
faire du profit et accumuler des capitaux - pour s’approprier les
leviers de commande. Cessant d’être liée aux pratiques du laissez-faire
et de la concurrence, l’exploitation reposait désormais sur le pouvoir
de gestion des moyens de production. Elle promettait même d’être plus
rentable et plus sûre avec un système de gestion unifiée et centralisée
qu’elle ne l’avait été dans le passé par le biais du contrôle indirect
du marché et des interventions sporadiques de l’Etat.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Si en Russie l’initiative totalitaire fut prise par le
mouvement ouvrier extrémiste, ce fut en raison de la proximité de
l’Europe occidentale où des processus analogues étaient à l’oeuvre,
quoique dans un cadre réformiste, non révolutionnaire. Au Japon,
l’initiative vint de l’Etat et le processus suivit un cours différent,
les anciennes classes dirigeantes s’étant métamorphosées en organes
d’exécution de la politique de l’Etat. En Europe de l’Ouest,
l’intégration de l’ancien mouvement ouvrier - et ses conséquences quant à
la conduite de l’Etat - atteint un degré tel, surtout pendant la
guerre, que ce mouvement perdit complètement l’initiative en matière de
changement social. Il ne pouvait venir à bout de la stagnation sociale
(causée en partie par sa propre existence et accentuée par les séquelles
du conflit mondial) sans se transformer d’abord radicalement lui-même.
Mais les essais de bolchevisation échouèrent. En effet, la bourgeoisie
ouest-européenne, contrairement à la bourgeoisie russe, bénéficiait,
grâce à ses institutions démocratiques
« progressistes », d’une grande liberté de manoeuvre et d’une base
sociale très large et intégrée. Ce fut en Allemagne, la plus puissante,
du point de vue capitaliste, de toutes les nations vaincues et privées
de part de butin, qu’en désespoir de cause se produisit l’essor du
nazisme. La révolution russe avait montré au monde comment un parti peut
s’assurer une emprise totalitaire sur un pays
; le régime bolcheviste avait mis en évidence la possibilité d’un
capitalisme de parti. De nouvelles formations politiques, mi-bourgeoises
mi-plébéiennes, aux idéologies nationalistes et impérialistes et aux
programmes plus ou moins capitalistes d’Etat, vinrent se poser en forces
« révolutionnaires » face aux anciennes organisations. Moins respectueux
de la légalité et des modes d’intervention traditionnels, ces partis,
dotés d’une base de masse qu’une crise insoluble alimentait en
permanence, et appuyés par tous les éléments qui poussaient à résoudre
la crise par des méthodes impérialistes, réussirent à l’emporter,
d’abord en Italie, puis en Allemagne. Même aux Etats-Unis, la plus
grande puissance capitaliste, on s’efforça pendant la Grande crise de
raffermir l’autorité accrue, dont l’Etat jouissait depuis peu de temps,
en faisant tout pour gagner les masses à la politique du gouvernement,
axée sur la collaboration des classes.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
L’effondrement des pays fascistes à l’issue de la
deuxième guerre mondiale n’a pas modifié la tendance au totalitarisme.
Si les vaincus ont perdu leur indépendance, ils ont gardé cependant leur
structure autoritaire. Seuls n’ont pas survécu, qu’ils aient été
détruits ou subordonnés aux exigences des vainqueurs, les aspects de
leur régime totalitaire liés au maintien d’un potentiel de guerre
propre. Malgré le changement du rapport des forces et la mise en oeuvre
de méthodes nouvelles, l’autoritarisme est plus grand dans le monde
d’aujourd’hui qu’il ne le fut avant et pendant la dernière guerre. Qui
plus est, des pays
« victorieux », comme la France et l’Angleterre, se trouvent
présentement dans la situation même que les pays vaincus traversèrent à
la fin de la première guerre mondiale. Et tout semble indiquer que
l’évolution que l’Europe centrale connut entre les deux guerres va s’y
répéter.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Cependant, le totalitarisme a cessé d’être l’apanage
exclusif d’organisations nouvelles
; on le voit prôné maintenant par toutes les forces politiques actives.
Pour faire face sur le plan intérieur à la concurrence des formations
fascistes ou bolchevistes, les organisations en place ont dû s’adapter à
leurs méthodes. En outre, toutes les luttes internes reflétant des
rivalités d’ordre impérialiste, la préparation à la guerre a pour effet
de pousser plus encore la société dans la voie du totalitarisme. Etant
donné que l’Etat prend en charge des secteurs de plus en plus étendus de
la vie sociale et économique, le capital privé et monopoliste doit,
pour se défendre, suivre plus que jamais ses propres penchants au
centralisme. Bref, les forces sociales dont les deux guerres ont
accouchées, et qui visent à trouver des solutions dans le cadre du statu
quo, tendent toutes à appuyer et à accélérer les progrès du capitalisme
totalitaire.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Dans ces conditions, une résurrection du mouvement
ouvrier, tel qu’il fut autrefois, et tel qu’il subsiste encore çà et là
sous une forme rabougrie, est purement et simplement hors de question.
Tous les mouvements ayant le vent en poupe cherchent - quelle que soit
leur étiquette - à se conformer aux principes autoritaires. La
domination sociale peut prendre des formes extrêmement diverses, allant
de la combinaison Etat-monopoles au fascisme et au capitalisme de parti,
mais, en tout état de cause, les détenteurs du pouvoir disposent
désormais de moyens tels que cela signifie la fin du laissez-faire et
l’extension du capitalisme autoritaire.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Certes, il est hors de doute que le capitalisme ne
parviendra jamais au stade du totalitarisme absolu, pas plus qu’il ne
fut jamais un système de laissez-faire au plein sens du terme. Tout ce
que ces vocables désignent, ce sont les pratiques dominantes dans le
cadre d’une multiplicité de pratiques et de différenciations en matière
d’organisation, conformes cependant les unes et les autres à la pratique
maîtresse. Il n’en demeure pas moins que les nouveaux pouvoirs de
l’Etat, le capitalisme extrêmement concentré, la technologie moderne, la
monopolisation de l’économie mondiale, l’ère des guerres impérialistes
et tout ce qui s’ensuit, rendent indispensable au maintien du statu quo
capitaliste une organisation sociale sans opposition, un contrôle
centralisé et systématique des activités humaines ayant des effets
sociaux.</div>
<br />
<br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Si la fin de l’ancien mouvement ouvrier a privé de
fondement la question de l’organisation et de la spontanéité, telle du
moins qu’elle fut conçue et débattue au sein de ce mouvement, la
question peut pourtant conserver son intérêt dans un sens plus large,
abstraction faite des problèmes spécifiques aux organisations ouvrières
du passé. De même que les explosions révolutionnaires, il faut voir dans
les crises et les guerres des événements eux aussi spontanés. Mais,
s’agissant de ces dernières, on a bien plus d’informations, accumulé
bien plus d’expériences, qu’en ce qui concerne la révolution.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
En système capitaliste, le soin de déterminer les
exigences fondamentales de la société qui devront être satisfaites en
priorité par l’appareil de production et les besoins sociaux en fonction
desquels il faudra moduler la masse du travail social, revient pour la
plus grande part aux automatismes du marché. Ces mécanismes,
l’intervention des monopoles en trouble le fonctionnement mais, même en
l’absence de pareilles interférences, ce type de pratiques
socio-économiques ne peut servir que les besoins
« sociaux » spécifiques du système. Les automatismes du marché
établissent entre l’offre et la demande un genre de rapport indirect qui
a pour référent et pour déterminant le profit et les nécessités de
l’accumulation du capital. Si les monopoles, par leur intervention
consciente, mettent un tant soit peu d’
« ordre » dans ce chaos, ils le font en fonction de leurs seuls intérêts
particuliers et, par conséquent, accroissent l’ irrationnalité du
système pris comme un tout. Et la planification capitaliste d’Etat
elle-même a pour objet avant toute autre chose de satisfaire les besoins
et de garantir la sécurité des groupes sociaux dirigeants et
privilégiés, non de couvrir les besoins réels de la société. Etant donné
que le comportement des capitalistes est dicté par la nécessité de
faire du profit et par des intérêts particuliers, non par des intérêts
sociaux, il arrive que les conséquences effectives de leurs décisions
diffèrent de leurs intentions premières
; les résultats sociaux d’une foule de décisions, prises à l’échelon
individuel, sont ainsi susceptibles de perturber la stabilité de la
société et de déjouer les projets de leurs auteurs. Seuls certains
résultats de ces décisions sont prévisibles, mais pas tous. Il y a en
effet incompatibilité entre les intérêts privés et un type
d’organisation sociale permettant autant que faire se peut des
prévisions en ce domaine. D’où des frictions et des disproportions de
plus en plus fréquentes, et l’ajournement perpétuel de remises en ordre
pourtant indispensables, qui finissent par provoquer de violents
affrontements entre intérêts anciens et nouveaux, des crises et des
dépressions qui semblent surgir spontanément, faute d’un type
d’organisation donnant la possibilité de gérer la société sur une base
sociale, et non sur une base de classe.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toute organisation des activités sociales en fonction des
intérêts de la société globale est par définition exclue dans le cadre
du statu quo. La mise en place de formes nouvelles d’organisation ne
fait que sanctionner les changements survenus dans la situation
respective de chaque classe et laisse intacts les rapports sociaux
fondamentaux. De nouvelles minorités dirigeantes succèdent aux
anciennes, la classe prolétarienne se morcèle en catégories de condition
différente, et, tandis que certaines couches de la petite bourgeoisie
disparaissent, d’autres voient leur influence grandir. Toute activité
pratique, concrète, n’étant sociale, dans la mesure où elle peut l’être,
que par ses effets, et non en fonction d’intentions arrêtées - par
« accident » en quelque sorte -, il n’existe au sein de la société
aucune force dont la croissance continue serait de nature à restreindre
l’
»anarchie » sociale et à provoquer une prise de conscience plus nette
des besoins de tous et des moyens de les satisfaire, premier pas vers la
libre disposition des hommes et vers une société conçue par et pour les
hommes. En un sens, donc, c’est la multiplicité et la variété des
organisations en système capitaliste qui interdisent d’organiser la
société. Il s’ensuit non seulement que toutes les activités non
coordonnées et contradictoires aboutissent en fin de compte à des crises
attendues ou imprévues, mais aussi que chacun, du fait de ses
activités, est plus ou moins
« responsable » de ces explosions spontanées qui prennent la forme de la
crise ou de la guerre.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toutefois, il est impossible de donner du processus, qui a
débouché sur la crise ou la guerre, un tableau précis, retenant tous
ses aspects essentiels, et d’expliquer ainsi, après coup, les concours
de circonstances qui, dans le cadre de processus évolutifs, ont engendré
la catastrophe. La solution de facilité (très suffisante du point de
vue capitaliste) consiste à choisir arbitrairement un point de départ -
par exemple, que la guerre a entraîné la crise et la crise la guerre -
ou, plus niaisement, à invoquer l’état mental d’Hitler ou la soif
d’immortalité de Roosevelt. La guerre apparaît tout à la fois comme une
éruption spontanée et comme une entreprise organisée. On accuse tels ou
tels pays, gouvernements, groupes de pressions, monopoles et autres de
l’avoir déclenchée, chacun en particulier. Mais faire d’organisations et
de politiques spécifiques les seuls fauteurs de crises et de guerres,
c’est passer à côté du problème réel et se révéler incapable de le
traiter. Incriminer des facteurs institutionnels de ce genre, en
oubliant que dans le contexte général d’
»anarchie », inhérent à la société capitaliste, leur influence est
forcément limitée, c’est croire et faire croire que d’
»autres organisations » et d’ »autres politiques » auraient pu prévenir
de telles catastrophes sociales sans même sortir du statu quo, c’est
propager une illusion. Car le statu quo est en définitive synonyme de
crise et de guerre.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
L’observation du système capitaliste permet d’y déceler à
coup sûr l’existence d’un certain type d’
»ordre » et d’une tendance évolutive fondée sur cet « ordre » qui tire
son origine de la productivité croissante du travail. Démarrant dans une
ou plusieurs sphères de production la productivité accrue a
radicalement métamorphosé le potentiel social de production et provoqué
des modifications correspondantes de toutes les relations
socio-économiques. Cette évolution devait transformer, à leur tour, les
rapports politiques et avoir pour effet de changer la relation, plus ou
moins contradictoire, entre la structure de classe et les forces
productives de la société.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Qu’est-ce que les forces de production? Manifestement, il
s’agit du travail, de la technologie et de l’organisation
; moins directement, des affrontements de classes et donc des
idéologies. En d’autres termes, on désigne par forces productives des
actions humaines, et non des facteurs distincts de ces actions et les
déterminant. Par conséquent, une ligne de développement suivie jusqu’à
un certain seuil n’est pas forcément suivie une fois ce seuil franchi.
Une évolution sociale peut s’arrêter, ou des conditions nouvelles
peuvent s’établir, avec pour conséquence la destruction de ce qui avait
été précédemment édifié. Mais si le
« but social » était l’extension et la continuation d’une tendance
évolutive déjà à l’oeuvre, l’Histoire pourrait bien être celle du
« progrès social » tel qu’il résulte du déploiement des capacités
productives de la société.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Que le capitalisme ait fait son apparition, voilà qui
supposait acquis un certain essor des forces sociales productives et
l’existence d’une masse de surtravail permettant notamment d’entretenir
une classe de non-producteurs en voie d’augmentation. Considérer la
« croissance des forces productives » comme le facteur déterminant le
développement global de la société était chose particulièrement
judicieuse à l’ère du laissez-faire, soumis au fétichisme de la
marchandise. En effet, vu l’individualisme économique qui régnait alors
en maître, tout portait à croire que les
« forces productives » s’épanouissaient indépendamment des voeux des
capitalistes et des besoins du système. Les exigences insatiables de
l’accumulation avaient pour effet l’expansion vigoureuse et rapide de
ces forces, laquelle permettait de procéder en permanence à des
réorganisations de la structure socio-économique, réorganisations qui, à
leur tour, servaient de base à un nouvel essor de la productivité
sociale. On disait qu’historiquement parlant le capitalisme se trouvait
justifié parce qu’il était la cause efficiente du développement des
forces productives dont le moderne prolétariat d’industrie était
considéré comme la plus grande.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Quand bien même il crèverait les yeux que le déploiement
total des capacités productives rendrait possible la formation et le bon
fonctionnement d’une société sans classes, il est on ne peut plus
évident que les classes directement privilégiées ne renonceront jamais
au pouvoir pour cette seule et unique raison. En tout cas, sur ce
chapitre, les propriétaires et les gestionnaires des moyens de
production ne sauraient agir
« en tant que classe »
; l’idée d’une « révolution par consentement » est tout bonnement
absurde. L’accumulation pour l’accumulation se poursuit et continue de
pousser à la concentration du capital et du pouvoir, c’est-à-dire à la
destruction du capital, aux crises, aux dépressions et aux guerres. Car
le capitalisme accélère et freine en même temps l’essor des forces
productives et élargit le fossé séparant la production effective de la
production virtuelle. La contradiction entre la structure de classe et
les forces productives exclut tout à la fois le
« gel » de la production au niveau qu’elle a présentement atteint, et
son expansion en direction d’une abondance réelle.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Tout semble donc indiquer qu’à la façon du passé immédiat
le proche avenir sera caractérisé par la croissance des forces
productives, ne serait-ce qu’en raison de la force des habitudes. Voilà
qui implique un redoublement de la concurrence, malgré la monopolisation
intégrale ou partielle de la production. Bien que les grandes unités
capitalistes aient absorbé une foule d’entreprises plus petites - le
pouvoir des monopoles étant ainsi provisoirement assis dans les divers
secteurs et combinaison de secteurs industriels -, ce processus ne fait
qu’intensifier la concurrence internationale et la lutte entre les
entreprises non monopolisées qui survivent encore. Dans le cadre du
capitalisme d’Etat, la concurrence prend une forme différente, bien plus
intégrée en raison de l’atomisation complète de la masse de la
population, que l’appareil bureaucratique d’Etat réalise au moyen de la
terreur, et au sein de la bureaucratie elle-même, à cause de sa
structure hiérarchisée.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
En même temps que la mise en oeuvre des forces
technologiques nouvelles et des forces productives créées par la
réorganisation du capital exige un renforcement des instances de
direction de la société, la désorganisation du prolétariat marque le
début d’un processus qui aboutit à l’atomisation totale de la population
et au monopole d’Etat de l’organisation. Toute la force organisée est
concentrée à un pôle de la société, tandis qu’à l’autre vit une masse
amorphe, incapable de s’unir pour défendre ses intérêts propres. Dans la
mesure où cette masse est organisée, elle l’est par ses dirigeants
; dans la mesure où elle a voix au chapitre, c’est la volonté de ses
maîtres qu’elle exprime. Dans toutes les organisations, la masse
atomisée se trouve toujours face à un seul et unique ennemi l’Etat
totalitaire.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
L’atomisation de la société ne va pas sans une
organisation étatique de caractère tentaculaire. Socialistes et
bolcheviks jugeaient la société insuffisamment organisée sur le plan de
la production et de l’échange, ainsi qu’en d’autres domaines,
extra-économiques ceux-là. A leurs yeux, organiser la société revenait à
mettre en place des instances de contrôle social. Le socialisme,
c’était au premier chef l’organisation rationnelle de la société
globale. Et une société organisée exclut par définition les actions
imprévisibles susceptibles de déboucher sur des séquences d’événements
spontanés. Il fallait donc évacuer de la vie sociale cet élément
spontané, par le biais de la planification de la production et d’une
répartition centralisée des biens. Tant que leur pouvoir n’était pas
absolu, les bolcheviks - et aussi les fascistes - parlaient volontiers
de spontanéité. Mais, après s’être assujettis toutes les catégories
sociales ils devaient se transformer en organisateurs minutieux de la
société. Et c’est précisément cette activité organisatrice que, les uns
et les autres, ils appelaient socialisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toutefois, la contradiction entre la structure de classe
et les forces productives subsiste et, par là, l’inéluctabilité de la
crise et de la guerre. Bien que les masses entretenues dans l’apathie ne
puissent plus résister au totalitarisme par les moyens traditionnels
d’organisation, et qu’elles n’aient pas mis au point des méthodes et des
formes d’action appropriées à leurs tâches nouvelles, les
contradictions inhérentes à la structure de classe de la société ne sont
pas surmontées pour autant. Le système autoritaire, fondé sur le règne
de la terreur, s’il établit des conditions de sécurité, toutes
provisoires d’ailleurs, n’en reflète pas moins l’insécurité croissante
du capitalisme totalitaire. Du fait qu’elle donne le jour à des
activités incontrôlées ou incontrôlables, la défense du statu quo
conduit à la rupture du statu quo. Et, même si face à toutes ces
organisations il y a désormais une organisation unique, la société
capitaliste n’a jamais été aussi mal organisée qu’aujourd’hui, où elle
est complètement organisée.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Rien certes ne garantit que le cours suivi par le
développement général de la société va nécessairement engendrer le
socialisme et, pas plus, rien ne permet de supposer que le monde va
sombrer dans la barbarie totalitaire. L’organisation du statu quo ne
peut en empêcher la désagrégation. Le totalitarisme absolu restant
impossible, il contient en lui-même les germes de sa subversion
éventuelle. Certes, si les faiblesses du système sont d’ores et déjà
perceptibles, leur signification exacte du point de vue social demeure
obscure. Bien que concevables théoriquement, certains facteurs de
désagrégation ne sont pas discernables encore et il n’est possible de
les décrire qu’en termes généraux. Pour être formulée, la théorie
moderne de la lutte des classes exigeait comme un préalable obligé non
seulement que le capitalisme eût pris son essor, mais aussi que des
luttes prolétariennes eussent fait leur apparition effective en son sein
; de même, tout porte à croire qu’il faudra assister à mainte rébellion
de masse contre le totalitarisme avant de pouvoir élaborer des plans
d’action spécifiques, préconiser des formes de résistance efficaces,
découvrir et exploiter les faiblesses du système.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Tout mouvement à ses débuts paraît dérisoire au regard
des objectifs qu’il se donne
; mais si réduit, si infime qu’il soit, ce n’est pas là une raison de
désespérer. Ni le pessimisme ni l’optimisme ne permettent d’aborder les
problèmes réels de l’action sociale. Ces deux attitudes n’affectent pas
d’une manière décisive les actions et les réactions des individus,
déterminées qu’elles sont par des forces sociales que ces individus ne
sauraient maîtriser. L’interdépendance de toutes les activités sociales,
si elle offre un moyen de dominer les hommes, assigne également des
limites à cette domination. Etant donné que, sur le plan de la
technologie comme sur celui de l’organisation, le processus du travail
dépend simultanément de forces anonymes et de décisions d’ordre
personnel, il est doué en raison de sa souplesse d’une autonomie
relative, laquelle suffit à rendre malaisée sa manipulation totalitaire.
Les manipulateurs eux-mêmes ne peuvent en effet sortir du cadre
spécifique qui découle de la division du travail, et qui restreint
souvent les pouvoirs des instances de contrôle centralisées. Ils doivent
compter avec le degré atteint par l’industrialisation, faute de quoi
leur domination sera mise en cause. En ce cas, la résistance prendra des
formes multiples, tantôt absurdes ou vouées d’emblée à l’échec, tantôt
efficaces. Alors que certaines formes présentes d’action peuvent n’avoir
aucune espèce de portée, des formes anciennes peuvent ressurgir du fait
de certaines affinités entre la structure totalitaire et les régimes
autoritaires du passé. Si la politique des syndicats ouvriers a cessé de
signifier l’action
« sur le tas » pour se borner à des tractations entre autorités
constituées, des méthodes de sabotage et de lutte aussi nouvelles
qu’efficaces sont parfaitement susceptibles d’apparaître dans
l’industrie et, dans la production en général. Et si les partis
politiques sont autant d’expressions de la tendance au totalitarisme, il
reste possible de concevoir toute une gamme de formes d’organisation
capables de rassembler les forces anticapitalistes en vue d’actions
concertées. Pour que ces actions soient adaptées aux réalités du système
totalitaire et mènent à son renversement, il faudra mettre au premier
plan l’autodétermination, l’entente mutuelle, la liberté et la
solidarité.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Trouver les moyens de mettre un terme au capitalisme
totalitaire
; d’inciter ceux qui ne disposent pas de la moindre parcelle de pouvoir à
agir par et pour eux-mêmes
; d’en finir avec le règne de la concurrence et avec l’exploitation et
les guerres qui lui sont inhérentes
; de jeter les bases d’un monde rationnel où les individus, loin d’être
amenés à se dresser contre la société, auront conscience de former une
entité effective tant sur le plan de la production que sur celui de la
répartition, d’un monde qui permette à l’humanité de progresser sans
affrontements sociaux, tout cela ne peut se faire que pas à pas et sur
la base d’une réflexion empirique, scientifique. Il semble évident
toutefois que pendant un certain temps encore il faudra qualifier de
spontanés tous les types de résistance et de lutte sociales, quand bien
même il s’agisse en vérité d’action concertée ou d’inactivité
volontaire. En ce sens, parler de spontanéité ne fait que révéler notre
inaptitude à traiter de manière scientifique, empirique, des phénomènes
liés au fonctionnement de la société capitaliste. Les changements
sociaux surviennent comme autant d’explosions couronnant une phase de
formation du capital de désorganisation, de concurrence frénétique et de
longue accumulation de revendications qui finissent par trouver une
expression organisée. Leur spontanéité démontre rien de moins que le
caractère foncièrement antisocial de l’organisation sociale capitaliste.
Il y aura antithèse entre l’organisation et la spontanéité tant que se
perpétueront et la société de classes et les tentatives de l’abattre.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Paul%20Mattick" target="_blank">Paul Mattick</a> </div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-70283225670226029212019-03-31T04:22:00.000-07:002019-03-31T05:15:19.721-07:00Le Groupe des communistes internationalistes de Hollande<h3 style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjQEmW6nsi0onVxYWdVvsML4K5INDzZ6eRgygGuarpm0yrALcyhRaprdtNHVDvujIP_5T_qczCw0xPOe8Ceg533rwWS__j3kC7_ZvAt8eJh9jSYf37-ONKRw3h-RiGWmdXlXe1JBeUz0RJW/s1600/ccabf9d43ec2c5ed6bfd4730bdb15aa6.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="450" data-original-width="600" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjQEmW6nsi0onVxYWdVvsML4K5INDzZ6eRgygGuarpm0yrALcyhRaprdtNHVDvujIP_5T_qczCw0xPOe8Ceg533rwWS__j3kC7_ZvAt8eJh9jSYf37-ONKRw3h-RiGWmdXlXe1JBeUz0RJW/s400/ccabf9d43ec2c5ed6bfd4730bdb15aa6.jpg" width="400" /></a></div>
</h3>
<h3 style="text-align: justify;">
Le Groupe des communistes internationalistes de Hollande 1934-1939 </h3>
<div style="text-align: justify;">
C’est le spirituel trotskyste hollandais Sneevliet (1) qui, dans
les années 1930, qualifia un jour, avec ce sens de la formule qui le
caractérisait, le « Groupe des communistes
internationalistes » de Hollande de « moines du marxisme ». Le
trait était évidemment caricatural, mais il était plein d’esprit, et
c’est pourquoi il fut précisément estimé à sa juste valeur au sein du
groupe. Comme toute caricature, celle-ci contenait un certain
pourcentage d’une vérité qui était, pour Sneevliet, politiquement
inacceptable, mais aussi, pour le groupe lui-même, historiquement
irréfutable. Il s’agissait d’un point - entre autres - sur lequel il
y avait une nette séparation entre Sneevliet et le GIC. En tant que
dirigeant d’un parti parlementaire, qui collaborait en outre
étroitement avec un mouvement syndical bien précis, tous ses
efforts tendaient avant tout vers l’action politique. Sneevliet ne
pouvait à vrai dire pas situer un groupe se comportant tout
autrement au sein du mouvement ouvrier de l’époque, un groupe pour
lequel l’important n’était absolument pas là, mais qui s’efforçait au
contraire de tirer des leçons des expériences des luttes passées et
par conséquent de l’évolution économique actuelle du capitalisme.
Il le pouvait encore d’autant moins que ce bilan théorique mettait
justement en question l’activité politique en tant que telle, et
donc directement les formes organisationnelles traditionelles
qu’elle présuppose.<br />
<a name='more'></a><br />
<a href="https://www.blogger.com/null" name="more"></a></div>
<div style="text-align: justify;">
Les Communistes internationalistes n’étaient pas constitués en
un groupe qui aurait éprouvé, sans plus, le besoin d’analyser
théoriquement la période révolutionnaire de 1917-1923. Ils étaient
en même temps indirectement le produit de cette période-là. Toute
tentative à la Sneevliet de décrire ce groupe comme un quelconque
cercle d’études, ou de rapporter son origine à des contradictions
internes à la social-démocratie d’avant 1914 (2), ne tient pas compte
d’un fait : du rapport de son entrée en scène avec les luttes
prolétariennes qui ont suivi la fin de la première guerre mondiale.
En Allemagne, à laquelle je voudrais me limiter ici pour plus de
commodité, sans pour le moins déprécier les expériences russe,
hongroise ou italienne, se manifestèrent, en novembre 1918 et dans
les années suivantes, dans des fractions non négligeables de la
classe ouvrière, des tendances antiparlementaires et
antisyndicales, sur lesquelles s’étaient d’ailleurs depuis
longtemps déjà greffées d’autres choses. Les ouvriers allemands
s’étaient forgé de nouveaux instruments sous la forme de leurs
conseils et, en comparaison, les organisations traditionnelles
apparaissaient d’emblée insuffisantes et même inadaptées. Au
niveau organisationnel, ceci avait conduit, comme on le sait, à la
naissance du KAPD * et de l’AAU et, dans le domaine théorique, à la
thèse avancée pour la première fois par Otto Rühle ** que « la
révolution [n’était] pas une affaire de parti » (3).</div>
<div style="text-align: justify;">
Toutefois, l’action du KAPD (et de son parti-frère fondé aux
Pays-Bas, le KAPN) était encore totalement en contradiction avec la
logique
historico-dialectique sans faille de Rühle ; ce qui l’amena à en
sortir.
Malgré les efforts incessants de ce parti pour mettre au premier plan
ce qui le distinguait effectivement des autres partis - tels que le
SPD, l’USP, le KPD, etc. -, les traditions organisationnelles
continuaient quand même de peser sur sa structure. Quoique parti d’un
nouveau type, il n’en
était toujours pas moins un <i>parti,</i> et manifestait aussi la
volonté d’en être un. L’exemple de ce qui lui est advenu confirme de
façon éclatante la valeur de la thèse de Rühle. Le KAPD voulait tirer
un trait sur le passé sans avoir fondamentalement rompu avec
celui-ci, eu égard aux tâches réelles de la révolution ouvrière à
venir. Par conséquent, il se retrouva pris sous la pierre du moulin et
fut broyé. Avant même de disparaître formellement de l’horizon,
ses contradictions internes l’avaient en fait déjà conduit à sa
perte.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le GIC, qui s’éleva sur ses ruines, adopta une toute autre position. Bien loin de <i>sacrifier</i> une activité politique à l’étude théorique ou d’y <i>renoncer</i> à cause d’elle, il s’en abstenait au contraire <i>par principe.</i>
Dépassant justement le KAPD et le KAPN, non seulement il affirmait
que l’émancipation de la classe ouvrière serait l’œuvre de la classe
elle-même, mais il était dans le même temps convaincu qu’il n’y avait
besoin pour cela d’aucune avant-garde, ne fût-elle même que purement
propagandiste, mais qu’il fallait au contraire un nouveau
mouvement des ouvriers, qui se dépouillerait de son enveloppe
politique et des formes traditionnelles avant-gardistes, un
mouvement radicalement différent du mouvement ouvrier
traditionnel.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le GIC ne pouvait ni reproduire de nouveau les contradictions du
KAP et de l’AAU, ni se proclamer lui-même comme ce nouveau
mouvement ouvrier, dont il savait trop bien qu’il ne pourrait naître
que des expériences qui seraient accumulées au cours de luttes à long
terme. Il acceptait la raillerie ingénieuse de Sneevliet avec
détachement, convaincu qu’en dernière instance, avec son parti et ses
conceptions de la révolution, celui-ci s’avançait sur un terrain qui
n’avait rien à voir avec la lutte pour l’émancipation de la classe
ouvrière d’Europe occidentale.
J’entrai en contact pour la première fois avec le GIC au début de l’été
1934. La crise qui avait éclaté en 1929 aux Etats-Unis se répandait
sur le Vieux Continent et s’approfondissait de plus en plus. Des
files d’attente de chômeurs s’allongeaient devant les bureaux de
chômage. Leur espoir dans le capitalisme et la prospérité se
ratatinait dans la mesure même où se réduisaient de jour en jour
leurs conditions d’existence. Dans le même temps, leur position à
l’extérieur du procès de production leur donnait un écrasant
sentiment d’impuissance, renforcé encore par ce qui se passait en
Europe centrale. En février 1934, les canons de Dollfuss avaient abattu
la social-démocratie autrichienne. Une année auparavant, la
social-démocratie allemande avait péri sans gloire. La prise du
pouvoir par Hitler datait déjà, au moment où j’entrais en contact avec
le GIC, de presque un an et demi. De l’autre côté de la frontière
hollandaise orientale, le fascisme était passé « comme un
effroyable tank sur les crânes et les colonnes vertébrales » des
ouvriers.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je connaissais la brochure de Trotsky où il avait littéralement
prédit la catastrophe, au cas où le KPD et ceux qui en tiraient les
ficelles au Kremlin persisteraient dans leur politique fatale de
division des travailleurs (4). J’avais alors sans aucun doute de
vagues sympathies pour le trotskysme. Dans une réunion publique, je
m’engageai dans un débat avec un quelconque bureaucrate stalinien.
Derrière moi étaient assis un ouvrier d’une laiterie et un
métallurgiste, qui m’accostèrent ensuite et qui me firent connaître
le communisme de conseil. Il apparut plus tard que l’un d’entre eux
était en relation avec le groupe dont nous nous occupons ici.</div>
<div style="text-align: justify;">
Durant tout cet été et cet automne-là, j’allais chez lui presque
chaque soir. Les discussions duraient au moins jusqu’à minuit et
allaient au fin fond des choses. Ce dont on n’avait pas parlé, je
l’acquérais par mon travail à la maison à partir des écrits du GIC
qu’on me mettait dans les mains. J’avais le sentiment d’être passé
d’une crèche politique à une espèce d’université.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le GIC n’accordait aucune valeur à de stupides rabâchages. Il
exigeait une pensée indépendante. Il ne propageait aucun mot
d’ordre, mais la connaissance de la sociologie de Marx. Ce n’était
nullement par suite d’une passion pour l’économie ni à plus forte
raison dû au hasard. Ce sont simplement les expériences de la
révolution bolchevique en Russie qui obligèrent le groupe à revoir
le marxisme de fond en comble. Il considérait une telle révision comme
une question de vie ou de mort pour le mouvement ouvrier.</div>
<div style="text-align: justify;">
Gorter * avait déjà, dix ans auparavant, caractérisé la révolution
russe comme une révolution bourgeoise et paysanne. Cette
caractérisation avait été constamment corroborée par le GIC et
approfondie. Juste à l’époque où je connus le groupe, il publiait les <i>Thesen über den Bolschewismus</i> (5). Peu après suivait une traduction en hollandais des <i>Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes</i> (<i>Grundprinzipien kommunistischer Produktion und Verteilung</i>)
(6), parus précédemment en Allemagne, où l’on avait soumis une fois
de plus la révolution russe en général, et la politique économique
bolchevique en particulier, à une analyse marxiste radicale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Puis ce travail théorique fut peaufiné et mené à terme avec un
exposé de base des différences entre Rosa Luxemburg et Lénine, et
l’ouvrage Lénine philosophe
(7) de J. Harper. Ce n’était, à ce moment-là déjà, un secret pour
personne au sein du groupe, que l’auteur de ce dernier texte n’était
autre qu’Anton Pannekoek. Mais ce n’est que plusieurs années après que
je sus que les Thesen, si je ne me trompe, venaient d’Alexander Schwab
**, et l’article sur Lénine et Luxemburg de Paul Mattick.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le texte de Paul Mattick n’était pas seulement important parce
qu’il dévoilait les arrière-plans sociaux des principes
organisationnels de Lénine. Il traitait aussi de la différence
fondamentale entre révolution prolétarienne et révolution
bourgeoise. Mattick démontrait que Lénine, qui « ne [pouvait]
concevoir une révolution prolétarienne sans une conscience
intellectuelle, ce qui [faisait] de toute la révolution une
question d’intervention consciente de “ceux qui savent” ou des
“révolutionnaires professionnels” , [tombait] au rang d’un
révolutionnaire bourgeois » ; et il critiquait dans le même temps
« l’importance excessive (qu’accordait Lénine) au facteur
politique, au facteur subjectif », ce qui pour lui (Lénine)
« [faisait] de l’organisation du socialisme un acte politique »
(8).</div>
<div style="text-align: justify;">
A la conception de la révolution prolétarienne comme acte
politique, Mattick opposait l’intelligence de son caractère social.
Contrairement à Lénine, qui regardait la conscience politique - que
la classe ouvrière était hors d’état de développer par elle-même -
comme le présupposé d’une révolution purement politique, Mattick
montrait que, selon Marx, la révolution ouvrière n’avait précisément
pas du tout besoin de ce genre de conscience élaborée par une
avant-garde politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les avant-gardistes de toute nuance politique furent ainsi avisés
que la révolution prolétarienne était quelque chose de totalement
différent de la révolution bourgeoise du XIX<sup class="typo_exposants">e</sup>
siècle dont ils étaient toujours en train de rêver. C’était, une fois
de plus, une réponse claire à ceux qui demandaient pourquoi le GIC ne
faisait, et ne voulait pas faire, un travail politique, pourquoi
il ne pouvait pas être une « avant-garde » au sens traditionnel.</div>
<div style="text-align: justify;">
J’avais le sentiment à l’époque que le niveau théorique élevé
d’une telle explication distinguait le GIC et le différenciait par
là de toutes les tendances du mouvement ouvrier traditionnel. Il
s’en différenciait également à un autre égard, à savoir par son
interprétation des crises. Dans toutes les réunions politiques de
l’époque et dans tous les hebdomadaires ou périodiques de gauche,
la crise économique capitaliste était bien entendu un sujet
récurrent. Dans tous les débats, chez les sociaux-démocrates, les
socialistes de gauche, les anarcho-syndicalistes, les
trotskystes ou les staliniens, elle était, quasiment sans
exception, soit interprétée d’une façon ou d’une autre dans le sillage
des économistes bourgeois comme une conséquence de la
surproduction, soit (de façon plus ou moins métaphysique) tenue
pour une crise mortelle du système, assurément non sans que chacun des
partisans de cette idée ait fait le vœu d’en être pris pour le père.
L’une comme l’autre de ces interprétations menait directement ou
indirectement à dédaigner complètement la lutte de classe du
prolétariat, que ce soit d’un point de vue réformiste ou que ce soit
d’un point de vue fataliste absolu.</div>
<div style="text-align: justify;">
Face à cela, le GIC défendait des analyses qui expliquaient la
crise
à partir des tendances propres à l’accumulation capitaliste, une
explication que le groupe opposait non seulement à la théorie des
crises du réformisme, mais aussi aux illusions auxquelles se
cramponnaient les masses dans leur impuissance d’alors. C’était par
exemple très clairement le cas dans le texte qu’il avait rédigé sur
les « Lois de la circulation de la vie économique du capital » (<i>Bewegungsgesetze des kapitalistischen Wirtschaftslebens</i>) où, à l’aide de données économiques, il battait
en brèche cette croyance erronée que la crise était issue de la surproduction.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne s’agit pas de dire par là que le GIC aurait eu une
interprétation totalement homogène de la crise. Je me rappelle très
bien combien on discutait passionnément à l’intérieur du groupe sur
la crise et la théorie de l’effondrement et combien cette
discussion se répercutait dans ses publications (9). L’ouvrage de
Grossmann <i>Das Akkumulations und Zusammenbruchsgesetz des kapitalistischen Systems</i>
(10), qui jouissait au début d’une grande autorité dans le GIC, était
au cœur de cette discussion. Lorsque Pannekoek critiqua
extrêmement vivement ce livre par écrit ainsi que dans un exposé oral -, les opinions furent très divergentes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Certains tinrent l’attaque de Pannekoek pour erronée, d’autres pour
que trop justifiée, et d’autres encore partageaient ses vues sur de
nombreux aspects, mais estimaient quand même que les analyses de
Grossmann étaient « remarquables » et maintenaient qu’elles étaient
« d’une portée extraordinaire », comme me l’a déclaré littéralement
une fois Henk Canne Meijer*, mort en 1962, qu’on peut avec raison appeler l’âme du GIC (11).</div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai dans ma vie rencontré vraiment très peu de gens qui, comme
Canne Meijer, étaient capables d’éclaircir les problèmes les plus
difficiles de façon telle qu’ils devenaient compréhensibles pour
véritablement n’importe qui. D’abord métallurgiste, il était devenu
instituteur, et se distinguait
dans le groupe par ses dons didactiques, dont d’innombrables
camarades ont tiré profit. Des articles instructifs basés sur la
philosophie de Josef Dietzgen *, et qui contribuèrent de manière
essentielle à une meilleure compréhension de la méthode de Marx,
proviennent, entre autres, de sa plume.</div>
<div style="text-align: justify;">
Rien ne serait cependant plus inexact que d’en déduire que le GIC
ne s’occupait que de recherches purement théoriques. Ce que le
groupe assimilait théoriquement, il l’utilisait dans la pratique
quotidienne. Les événements de tous les jours l’y forçaient aussi en
permanence. En France, à partir de 1934, fut élaborée la politique
du Front populaire qui permit l’arrivée au pouvoir en 1936 du
gouvernement du réformiste Léon Blum - qui se montra aussitôt
hostile aux ouvriers. Ce furent les années de la révolution
espagnole, des occupations d’usines en France, en Belgique et dans
les entreprises automobiles américaines, des procès de Moscou,
des tentatives de planification économique de Roosevelt, des
grèves « sauvages » qui s’étendaient, du déclin croissant du
mouvement ouvrier traditionnel, du mouvement stakhanoviste
russe, de la conférence sur l’étalon-or, de la course à l’armement qui
allait conduire à la deuxième guerre mondiale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le GIC prenait position sur tous ces sujets, position dont la
substance était invariablement qu’il fallait combattre la
politique autoritaire des partis parlementaires et des
syndicats et que les travailleurs devaient prendre eux-mêmes en main
l’administration et la direction de la production et de la
distribution pour réaliser une société communiste sans
exploitation ni travail salarié, c’est-à-dire une association de
producteurs libres et égaux ; que le mot d’ordre de lutte n’était ni
politique de front populaire ni planification économique, mais,
au contraire : « Tout le pouvoir aux conseils ouvriers ». C’est ce qui
était également inscrit en tête de sa presse.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous ne restions pas, à cette époque, assis ensemble dans un salon à
discuter passionnément. Les « frères » se rendaient aussi hors
« des murs du monastère » dans des réunions publiques, devant les
bâtiments des journaux et les bureaux de chômage, là où les
travailleurs exprimaient clairement leur opposition aux
bureaucrates syndicaux ou discutaient la question de savoir si
l’URSS, malgré toutes les informations contraires, était encore un
Etat ouvrier. Alors, comprendre que le bolchevisme russe n’avait
jamais rien eu à voir avec la lutte de classe prolétarienne ni avec le
socialisme contribuait à éclairer les cerveaux. Cette
compréhension était d’ailleurs avant tout destinée à favoriser une
pensée et une activité autonomes, qui étaient systématiquement
écartées par les partis et les syndicats. J’ai conservé divers
comptes rendus succints de tels débats. Ils prouvent sans ambiguïté
le caractère essentiel de cette propagande orale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pannekoek avait conclu sa critique de Grossmann par l’idée que
l’effondrement du capitalisme, cela voulait dire
l’auto-émancipation du prolétariat, que les travailleurs eux-mêmes,
dans leur ensemble, devaient mener le combat et qu’ils devaient pour
cela trouver de nouvelles formes de lutte. Les comités d’action des
grèves « sauvages » représentaient pour le GIC le modèle concret de
ces nouvelles formes de lutte et d’organisation. Ils se formaient à
l’époque au cours de presque toutes les luttes ouvrières et
possédaient leur propre histoire. D’abord très primitifs, dans la
mesure où les grèves « sauvages » se multipliaient, ils
constituaient de plus en plus clairement pour les ouvriers le moyen à
l’aide duquel ils pouvaient se défendre contre les réductions de
salaire ou contre la dégradation des conditions de travail - ainsi
qu’ils le voulaient, mais l’exigeaient en vain de leurs
« dirigeants ». Même si cela aboutissait souvent à un échec, les
comités ouvraient toutefois en pratique des voies menant à une
organisation du pouvoir, organisation que les syndicats
n’étaient pas en mesure d’assurer. Plus ils apparaissaient
fréquemment, mieux ils s’organisaient, plus ils allaient de l’avant
sans s’occuper de rien - avec pour garantie finale une « démocratie
prolétarienne par en bas » - alors, plus leur similitude avec les
conseils des temps révolutionnaires faisait son chemin dans les
consciences.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le GIC suivait cette évolution avec attention, remettait sans
cesse la discussion sur sa signification et reliait étroitement
cette pratique des ouvriers avec l’ascension, qu’il tenait pour
inéluctable, d’une nouvelle forme à venir d’organisation de la
classe prolétarienne. Henk Canne Meijer dédiait à celle-ci son
article : « Das Werden einer neuer Arbeiterbewegung » (12). Ce texte se
classait d’emblée à part, en ceci que l’auteur ne rendait pas la
confusion du mouvement ouvrier de son temps responsable de son
impuissance, mais appréhendait au contraire sa confusion comme le
résultat de son impuissance. Les points principaux qu’il
développait, à savoir que le mouvement ouvrier du futur se
différencierait et se séparerait fondamentalement du mouvement
passé par l’activité autonome de tous les membres de la classe
prolétarienne, revenaient dans les diverses analyses des grèves ou
divers commentaires faits à propos des luttes quotidiennes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les activités du GIC embrassaient plusieurs domaines. Le groupe
organisait des cours - principalement le dimanche matin. Hormis
sa presse mensuelle et ses innombrables brochures, il distribuait
chaque semaine devant un bureau de chômage d’Amsterdam un petit
journal régulier très populaire, rédigé du début à la fin dans la
langue des travailleurs : Proletenstemmen (« Les voix des
prolétaires »). Il parut sans interruption durant environ deux ans,
en nombre sans cesse croissant d’exemplaires ; il était fabriqué par
un petit noyau de gens et provoquait - non sans raison - la rage
folle des staliniens et des réformistes, parce qu’il mettait en
lumière avec une logique simple et sous une forme sarcastique
brillante les conséquences dévastatrices et le caractère
anti-ouvriers de leur politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il était principalement rédigé par un camarade d’Amsterdam
extrêmement intelligent et de grande valeur qui était capable,
pamphlétaire né, de trouver des expressions ou des exemples à la
portée de chacun et justes qui convainquaient immédiatement et
restaient longtemps en mémoire.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le camarade dont je parle ici était alors chômeur - je pourrais
presque dire : cela va de soi. Il consacrait toute sa force et tout
son temps à Proletenstemmen. Il passait aussi une part considérable
des autres jours devant ce même bureau de chômage, devant lequel était
distribuée la petite feuille chaque vendredi. Il écoutait les
discussions et obtenait ainsi des informations de première main
liées directement à la vie des travailleurs. Il ne manquait pas de
les utiliser avec profit dans ses textes. C’est finalement ce qui
devait à ce modeste journal d’avoir une influence considérable.
Proletenstemmen ne contribua pas peu à faire connaître les conceptions
du GIC dans des cercles plus étendus. Et ceci particulièrement, à
mon avis, grâce à une série d’articles qui y parurent sous le titre :
« Les comités de lutte des grèves sauvages ». Il s’agissait là
concrètement d’un échange d’expériences dans le sens où
l’envisageait le GIC.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les efforts des camarades de Proletenstemmen étaient à vrai dire
une réponse, au demeurant tout à fait spontanée, à une question qui
avait été soulevée quelques années auparavant dans le groupe. Durant
l’été 1935, pour être exact, des camarades à La Haye, Leyde et
Groningue avaient reproché à leurs amis politiques d’Amsterdam de
n’avoir aucune solution suffisamment satisfaisante au problème de
l’activité pratique. Ils constataient dans une « résolution » que
le GIC n’avait jusqu’alors accompli qu’un travail d’information. Sa
fonction dans le processus de transformation révolutionnaire
avait été d’avoir dégagé des expériences des révolutions passées les
conditions nécessaires des transformations futures. Aussi
longtemps qu’une réorientation théorique avait encore été la chose
la plus importante, il y avait eu un équilibre au sein du GIC ; le
travail théorique était alors en harmonie avec l’organisation
pratique. Mais, poursuivait la résolution, la « pratique » était
maintenant propulsée au premier plan par l’évolution de la société.
D’où il s’ensuivait une situation conflictuelle car le groupe ne
s’était pas adapté. Il était vrai qu’il cherchait à développer des
formules théoriques pour un nouveau mouvement ouvrier (on pensait
ici naturellement au texte de Canne Meijer), mais il ne comprenait
pas que la classe ouvrière passerait à l’action totalement
indépendamment des groupes d’études.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les auteurs de la « résolution » tiraient de leurs constatations
la conclusion que le GIC était « positivement mort ». Ce qui eut
pour conséquence que les groupes de La Haye, Leyde (13) et Groningue
se désolidarisèrent du groupe d’Amsterdam. Ils partageaient en
effet, écrivaient-ils, ses conceptions théoriques, mais ne pouvaient
être d’accord avec ses méthodes pratiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
Tout ceci n’eut quasiment aucune conséquence notable. Les
relations personnelles se relâchèrent certainement quelque peu,
cependant elles subsistèrent. Comme auparavant, les camarades à La
Haye et Leyde distribuaient les écrits du groupe d’Amsterdam. Les
Amstellodamois avaient sans doute haussé les épaules, puis poursuivi
leur travail. Ce n’est qu’un peu plus tard, avec la publication de
Proletenstemmen, qu’ils fournirent un exemple qui annihilait la
critique contenue dans la résolution. Les camarades de La Haye
entreprirent de les imiter. Mais leur publication ne pouvait pas
soutenir la comparaison avec Proletenstemmen. Il leur manquait non
seulement les forces mais encore les compétences et les
connaissances.
J’appartenais à l’époque à ceux qui étaient responsables de la
résolution. Presque quarante ans après, ce n’est qu’avec difficulté
que les arrière-plans de celle-ci parviennent à me revenir en
mémoire. Je conserve une idée vague des contradictions
personnelles qui n’étaient pas plus épargnées au GIC qu’à d’autres
groupes, quoique il y ait certaines indications à ce sujet çà et
là dans la résolution.</div>
<div style="text-align: justify;">
Quand je la relis aujourd’hui, c’est avec des sentiments
passablement confus. Que visions-nous, à vrai dire, lorsque nous
exigions que le GIC s’adapte à la pratique que - selon ce que nous
disions - le groupe « savait uniquement mettre en formules » ? J’ai
bien peur - et ceci avec quelque raison - qu’il n’était pas encore
suffisamment clair pour nous que le GIC se différenciait en vérité
fondamentalement du vieux mouvement ouvrier, mais qu’il n’était
dans le même temps en aucun cas le nouveau mouvement ouvrier, et
qu’il ne pouvait pas l’être puisque la constitution de ce dernier
ne pouvait se concevoir que comme un processus de longue durée.</div>
<div style="text-align: justify;">
S’il était exact que l’expérience révolutionnaire avait fait la
preuve que l’émancipation des travailleurs ne pouvait être que
l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, alors on ne devait pas seulement
comprendre que le socialisme ne pouvait pas être apporté de
l’extérieur par un parti ou par un syndicat, mais également que cette
émancipation ne pouvait pas plus être l’œuvre du GIC. En ce sens, le
reproche d’un manque de pratique révolutionnaire était aussi peu
justifié que celui affirmant que le groupe se réfugiait « derrière
les murs du monastère ». Ce n’était pas ce qu’il faisait. Il agissait
dans le monde qui était alors le sien.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce qu’on aurait peut-être pu lui reprocher, c’est qu’il considérait
trop le développement de la conscience de soi des travailleurs comme
une condition de la future lutte de classes, au lieu de la regarder
comme un phénomène concomitant. Mais c’était une remarque qui jadis
ne fut guère prise en considération - autant que je sache - ni à
l’extérieur ni à l’intérieur du groupe d’Amsterdam.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais quoi qu’il ait pu en être, le GIC s’était en tout cas abstenu
d’une « pratique » qui aurait abouti à ce que les tâches qu’il se
serait données n’auraient pas pu être accomplies par un groupe. Et s’il
s’était fourvoyé dans cette voie son travail théorique aurait
immédiatement décliné. Son activité vers l’extérieur n’était pas
dérisoire, comme l’ont affirmé certains critiques. Au contraire !
Mais elle n’avait rien à voir avec un quelconque volontarisme. Si
elle se mouvait effectivement à l’intérieur de certaines limites,
c’était simplement parce que ces limites avaient été trouvées telles
quelles, historiquement déterminées.</div>
<div style="text-align: justify;">
On doit s’en souvenir à une époque où il y a encore des limites du
même genre dont cependant de nombreux groupes sont moins conscients
que le GIC l’était, et, à mon avis, c’est précisément en cela que
réside son importance pour le mouvement ouvrier de demain.<br />
<br />
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Cajo%20Brendel" target="_blank"> Cajo Brendel</a><br />
</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Amersfoort,
mars 1974.<br />
</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>NOTES DU TRADUCTEUR</b></div>
<div style="text-align: justify;">
* Groep van Internationale Communisten/GIC (1927-1940). L’auteur ne
traite ici que de la période (1934-1939) durant laquelle il fut en
contact avec ce groupe. (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
** Cajo Brendel : « Die Gruppe Internationale Kommunisten in Holland.
Persönliche Erinnerungen aus den Jahren 1934-1939 », dans :
Arbeiterbewegung Theorie und Geschichte, Jahrbuch 2, 1974, Fisher
Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, p.253-263. (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
* Herman Gorter (1864-1927). (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
** En fait le brouillon des <i>Thèses sur le bolchevisme</i> est attribué à Helmut Wagner (né à Dresde en 1904). (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
* Voir les explications des sigles ci-dessous.</div>
<div style="text-align: justify;">
** Otto Rühle. Né en 1874 à Grossvoigtsberg en Saxe ; mort en 1943 à Mexico. (NdT)</div>
<div style="text-align: justify;">
* Henk Canne Meijer (1890-1962). Nous ne possédons, à ma connaissance, en français de lui qu’une étude intitulée : <a href="https://contrecapital.blogspot.com/2019/03/le-mouvement-des-conseils-ouvriers-en.html" target="_blank">Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne, par Henk Canne-Meijer (1938)</a>, suivie d’une annexe : <i>Aperçu sur l’histoire des communistes de conseils en Hollande,</i> ainsi que le résumé des <i>Grundprinzipien...</i> cité à la note 6. Ces textes sont parus dans <i>ICO,</i> supplément au n° 101, 1971, p.7-25 ; les deux premiers ont été repris dans une brochure, <i>Vroutsch,</i> série « La Marge », n° 9-11 : « Conseils ouvriers en Allemagne 1917-1921 », 1973, p.12-44. (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
** Josef Dietzgen. Né en 1828 à Blankenberg près de Cologne ; mort à Chicago en 1888. Son ouvrage le plus important : <i>Das Wesen der menschlichen Kopfarbeit</i> [<i>L’Essence du travail intellectuel humain</i>] est traduit en français aux éd. Champ libre, 1973. (NdT.)</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>NOTES DE L’AUTEUR</b></div>
<div style="text-align: justify;">
(1) Henk Sneevliet (1883-1942), membre de la social-démocratie
hollandaise (SDAP [Sociaal-Democratische Arbeiders Partij/Parti
ouvrier social-démocrate (NdT)]) à partir de 1900 ; dirigeant
syndical et journaliste. Rejoignit en 1912 le SDP
[Sociaal-Democratische Partij/Parti social-démocrate (NdT)] fondé en
1909, qui se situait à l’époque à l’extrême-gauche. Participa plus tard à
la lutte anticoloniale en Indonésie et fut un des fondateurs de
l’Union social-démocrate indonésienne [ISDV/Indische
Sociaal-Democratische Vereniging (NdT)]. Bolchevik à partir de 1919.
Actif en Chine en tant que délégué du Comintern sous le nom de Maring,
il fut cofondateur du PC chinois. Se rangea au côté de l’Opposition
russe à partir de 1927. Fonda ensuite en Hollande le petit Parti
socialiste-révolutionnaire [RSP/Revolutionair Socialistische Partij
(NdT)] qui fusionna en 1935 avec l’aile gauche de la social-démocratie
sortie du SDAP en 1932. Eut vers 1937 des divergences d’opinion avec
Trotsky, qui ne voulut alors plus le reconnaître comme représentant
officiel du trotskysme en Hollande. Fut fusillé le 13 avril 1942 par
un peloton de la puissance occupante allemande pour cause
d’activité socialiste-révolutionnaire.</div>
<div style="text-align: justify;">
(2) Tel que par exemple Gottfried Mergner, Gruppe internationale Kommunisten Hollands, Reinbek, 1971, p.8.</div>
<div style="text-align: justify;">
(3) Otto Rühle, Die Revolution ist keine Parteisache !,
Berlin-Wilmersdorf, 1920. A paru comme article sous le titre : « Eine
neue kommunistische Partei ? » dans : Die Aktion 17/18, 1920.
Republié dans : Dokumente der Weltrevolution, Sonderband : Die Linke
gegen die Parteiherrschaft, Olten und Breisgau, 1970, p. 329 et suiv.
[traduction française dans : Denis Authier, La Gauche allemande,
supplément au n° 2 d’Invariance, année V, série II, 1973, p.112-122.
(NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(4) L. Trotsky, Soll der Faschismus wirklich siegen ? Wie wird der
Nationalsozialismus geschlagen ?, Berlin-Neukölln, 1932, p.23.</div>
<div style="text-align: justify;">
(5) Réédition, Berlin, s.d. [Traduction française :Thèses sur le
bolchevisme. Korsch/Mattick/ Pannekoek/Rühle/Wagner, La
Contre-révolution bureaucratique, éd. 10/18, 1973, p. 23 à 54
(NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(6) Réédition, Berlin-Wilmersdorf, 1970. [« Principes fondamentaux
de la production et de la distribution communistes ». Il existe
un résumé de ce texte en français dans le supplément au n° 101 d’ICO
[Informations correspondances ouvrières], 1971, p.29-47 (NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(7) Réédition, Berlin-Wilmersdorf, 1970. [Traduction française : <i>Lénine philosophe,</i> cahiers Spartacus, n° B 34, juin 1970 (NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(8) Paul Mattick, « Die Gegensätze zwischen Luxemburg und Lenin », <i>in</i> : <i>Partei und Revolution,</i>
Berlin, s.d., p.152/153. [Traduction française : « Les divergences
de principe entre Rosa Luxemburg et Lénine » (1935), dans : Paul
Mattick, <i>Intégration capitaliste et rupture ouvrière,</i> EDI [Etudes et documentation internationales], 1972, p.138. Les phrases citées ici se trouvent p.33. (NdT.) ]</div>
<div style="text-align: justify;">
(9) Cf. Korsch-Mattick-Pannekoek, Zusammenbruchstheorie des
Kapitalismus oder Revolutionärer Subjekt, Berlin, 1973, p.20-45 et
p.4770. [« Théorie de l’effondrement du capitalisme ou sujet
révolutionnaire ». Je ne possède pas le texte allemand et ne connais
par conséquent pas les textes que ce recueil contient. Selon S.
Bricianier (Karl Korsch, <i>Marxisme et contre-révolution,</i> éd. du
Seuil, 1975, note 2, p. 166 et note 1, p. 177), ce recueil contient le
texte de K. Korsch traduit dans l’ouvrage cité, p.166-178 : « La
théorie de l’effondrement du système capitaliste » (1933), un texte
de Pannekoek : « Die Zusammenbruchstheorie des Kapitalismus » (1934)
[traduit sous le titre : « La théorie de l’écroulement du
capitalisme », dans Denis Authier/Jean Barrot, La Gauche communiste
en Allemagne 1918-1921, éd. Payot, 1976] et une réponse de Mattick
(1934). (NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(10) Première édition : 1929 ; réédition : Frankfurt, 1967. [« La
loi de l’accumulation et de l’effondrement du système
capitaliste ». Ce texte n’est, à ma connaissance, pas traduit en
français. Par contre, il existe une traduction d’un autre ouvrage
d’Henrik Grossmann : Marx, l’économie politique classique et le
problème de la dynamique [Marx, die klassische Nationalökonomie und
das Problem der Dynamik], éd. Champ libre, 1975. (NdT.)]</div>
<div style="text-align: justify;">
(11) Ainsi que le fait, par exemple, l’ex-membre du GIC, le D<sup class="typo_exposants">r</sup>. Ben Seijes, dans un récit de la vie de Canne Meijer. Cf. Mergner, Internationale Kommunisten, p.209 et suivantes.</div>
<div style="text-align: justify;">
(12) Réédité dans : <i>Partei und Revolution,</i> Berlin, s.d.</div>
<div style="text-align: justify;">
(13) Seul un camarade de Leyde vota à l’époque contre ladite résolution.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>SIGLES DES ORGANISATIONS ET PARTIS</b></div>
<div style="text-align: justify;">
AAU : Allgemeine Arbeiter Union/Union Générale des Travailleurs.</div>
<div style="text-align: justify;">
KAPD : Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands/Parti ouvrier communiste d’Allemagne.</div>
<div style="text-align: justify;">
KAPN : Kommunistische Arbeiter Partei Niederlande/Parti ouvrier communiste des Pays-Bas.</div>
<div style="text-align: justify;">
KPD : Kommunistische Partei Deutschlands/Parti communiste d’Allemagne.</div>
<div style="text-align: justify;">
SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands/Parti social-démocrate d’Allemagne.</div>
<div style="text-align: justify;">
USP : Unabhängige Sozialdemokratische Partei/Parti social-démocrate indépendant.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-70885259877046461442019-03-24T08:59:00.001-07:002019-03-24T10:33:52.713-07:00Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjI8s69YIZ5gs5YDyUJaLcKHed6Q0ADxlP3jwj6eIWDcQHZdTog0-ef1Y2mpA5NgIn2VazGR_n8_2stHZN9N0ryGToW59WKwoL1_HxqpPQbU5r2BxBvkJornMyyuV_2pYxSCnMvQhSISjBu/s1600/collage-dada.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="365" data-original-width="584" height="250" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjI8s69YIZ5gs5YDyUJaLcKHed6Q0ADxlP3jwj6eIWDcQHZdTog0-ef1Y2mpA5NgIn2VazGR_n8_2stHZN9N0ryGToW59WKwoL1_HxqpPQbU5r2BxBvkJornMyyuV_2pYxSCnMvQhSISjBu/s400/collage-dada.jpg" width="400" /></a></div>
<h3>
Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne (1919-1935)</h3>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA REVOLUTION ÉCLATE</h3>
<div style="text-align: justify;">
En novembre 1918, le front allemand s’effondra. Les soldats
désertèrent par milliers. Toute la machine de guerre craquait.
Néanmoins, à Kiel, les officiers de la flotte décidèrent de livrer une
dernière bataille : pour sauver l’honneur. Alors, les marins
refusèrent de servir. Ce n’était pas leur premier soulèvement, mais
les tentatives précédentes avaient été réprimées par les balles et
les bonnes paroles. Cette fois-ci, il n’y avait plus d’obstacle
immédiat ; le drapeau rouge monta sur un navire de guerre, puis sur les
autres. Les marins élurent des délégués qui formèrent un Conseil.</div>
<div style="text-align: justify;">
Désormais les marins étaient obligés de tout faire pour généraliser
le mouvement. Ils n’avaient pas voulu mourir au combat contre
l’ennemi ; mais ils demeuraient dans l’isolement, les troupes dites
loyales interviendraient et, de nouveau, ce serait le combat, la
répression. Aussi les matelots débarquèrent et gagnèrent Hambourg ;
de là, par le train ou par tout autre moyen, ils se répandirent dans
toute l’Allemagne. Le geste libérateur était accompli. Les événements
s’enchaînaient maintenant rigoureusement. Hambourg accueillit les
marins avec enthousiasme ; soldats et ouvriers se solidarisaient
avec eux, ils élirent eux aussi des Conseils. Bien que cette forme
d’organisation ait été jusque-là inconnue dans la pratique, un
vaste réseau de Conseils ouvriers et de Conseils de soldats couvrit
promptement, en quatre jours, le pays. Peut-être avait-on entendu
parler des Soviets russes de 1917, mais alors très peu : la censure
veillait. En tout cas, aucun parti, aucune organisation n’avait
jamais proposé cette nouvelle forme de lutte.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a href="https://www.blogger.com/null" name="more"></a><br />
<a name='more'></a><br />
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
PRÉCURSEURS DES CONSEILS</h3>
<div style="text-align: justify;">
Toutefois, pendant la guerre en Allemagne, des organismes assez
analogues avaient fait leur apparition dans les usines. Ils étaient
formés au cours des grèves par des responsables élus, appelés hommes
de confiance. Chargés par le syndicat de petites fonctions sur le
tas, ces derniers, dans la tradition syndicale allemande, devaient
assurer un lien entre la base et les centrales, transmettre aux
centrales les revendications des ouvriers. Pendant la guerre, ces
griefs étaient nombreux (les principaux portaient sur
l’intensification du travail et l’augmentation des prix). Mais
les syndicats allemands - comme ceux des autres pays - avaient
constitué un front unique avec le gouvernement, afin de lui
garantir la paix sociale en échange de menus avantages pour les
ouvriers et de la participation des dirigeants syndicaux à divers
organismes officiels. Aussi les hommes de confiance frappaient-ils à
la mauvaise porte. Les « fortes têtes » étaient, tôt ou tard,
expédiées aux armées, dans les unités spéciales. Il était donc
difficile de prendre position, publiquement, contre les
syndicats.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les hommes de confiance cessèrent donc de renseigner les
centrales syndicales - cela n’en valait pas la peine - mais la
situation,et par conséquent, les revendications ouvrières, n’en
demeurait pas moins ce qu’elle était, ils se réunirent
clandestinement. En 1917, un flot de grèves sauvages déferla sur
le pays. Spontanés, ces mouvements n’étaient pas dirigés par une
organisation stable et permanente ; s’ils se déroulaient avec un
certain ensemble, c’est qu’ils avaient été précédés de discussions
et d’accords entre diverses usines, les contacts préliminaires aux
actions étant pris par les hommes de confiance de ces usines.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans ces mouvements, provoqués par une situation intolérable,
en l’absence de toute organisation à laquelle accorder une confiance
si limitée fût-elle, les conceptions différentes (sociale-démocrate,
religieuse, libérale, anarchiste, etc.) des ouvriers devaient
s’effacer ,devant les nécessités de l’heure ; les masses laborieuses
étaient obligées de décider par elles-mêmes, sur la base de l’usine. A
l’automne 1918, ces mouvements, jusqu’alors sporadiques et
cloisonnés plus ou moins les uns par rapport aux autres, prirent une
forme précise et généralisée. Aux côtés des administrations
classiques (police, ravitaillement, organisation du travail,
etc.) parfois même - en partie - à leur place, les Conseils ouvriers
prirent le pouvoir dans les centres industriels importants : à
Berlin, à Hambourg, Brème, dans la Ruhr et dans le centre de
l’Allemagne, en Saxe. Mais les résultats furent minces. Pourquoi ?</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
UNE FACILE VICTOIRE</h3>
<div style="text-align: justify;">
Cette carence provient de la facilité même avec laquelle se
formèrent les Conseils ouvriers. L’appareil d’Etat avait perdu toute
autorité ; s’il s’écroulait, ici et 1à, ce n’était pas en conséquence
d’une lutte acharnée et volontaire des travailleurs. Leur mouvement
rencontrait le vide et s’étendait donc sans difficultés, sans qu’il
fût nécessaire de combattre et de réfléchir sur ce combat. Le seul
objectif dont on parlait était celui de l’ensemble de la
population : la paix.</div>
<div style="text-align: justify;">
II y avait là une différence essentielle avec la révolution russe.
En Russie, la première vague révolutionnaire, la Révolution de
Février, avait balayé le régime tsariste ; mais la guerre continuait.
Le mouvement des travailleurs unis trouvait ainsi une raison
d’accentuer sa pression, de se montrer de plus en plus hardi et
décidé. Mais en Allemagne, l’aspiration première de la population,
la paix, fut immédiatement comblée ; le pouvoir impérial laissait
place à la république. Quelle serait cette république ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Avant la guerre, il n’y avait sur ce point aucune divergence entre
les travailleurs. La politique ouvrière, en pratique comme en
théorie, était faite par le parti social-démocrate et les syndicats,
adoptée et approuvée par la majorité des travailleurs organisés. Pour
les membres du mouvement socialiste, au cours de la lutte pour la
démocratie parlementaire et les réformes sociales, ne songeant
qu’à cette lutte, l’Etat démocratique bourgeois devait être un jour
le levier du socialisme. Il suffirait d’acquérir une majorité au
Parlement, et les ministres socialistes nationaliseraient, pas à
pas, la vie économique et sociale ; ce serait le socialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
II y avait aussi, sans doute, un courant révolutionnaire, dont
Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg étaient les représentants les plus
connus. Toutefois ce courant ne développa jamais des conceptions
nettement opposées au socialisme d’Etat ; il ne constituait qu’une
opposition au sein du vieux parti, du point de vue de la base ce
courant ne se distinguait pas clairement de l’ensemble.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
CONCEPTIONS NOUVELLES</h3>
<div style="text-align: justify;">
Pourtant des conceptions nouvelles virent le jour pendant les
grands mouvements de masse de 1918-1921. Elles n’étaient pas la
création d’une prétendue avant-garde, mais bien créées par les masses
elles-mêmes. Dans la pratique, l’activité indépendante des ouvriers
et des soldats avait reçu sa forme organisationnelle : les
Conseils, ces nouveaux organes agissant dans un sens de classe. Et,
parce qu’il y a une liaison étroite entre les formes prises par la
lutte de classe et les conceptions de l’avenir, il va sans dire que, ça
et là, les vieilles conceptions commençaient d’être ébranlées. A
présent, les travailleurs dirigeaient leurs propres luttes en dehors
des appareils des partis et des syndicats ; aussi l’idée prenait
corps que les masses devaient exercer une influence directe sur la vie
sociale par le moyen des Conseils. Il y aurait alors « dictature du
prolétariat » comme on disait ; une dictature qui ne serait pas
exercée par un parti, mais serait l’expression de l’unité enfin
réalisée de toute la population travailleuse. Certes, une telle
organisation de la société ne serait pas. Démocratique au sens
bourgeois du terme, puisque la partie de la population qui ne
participait pas à la nouvelle organisation de la vie sociale
n’aurait voix ni dans les discussions ni dans les décisions.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous disions que les vieilles conceptions commençaient d’être
ébranlées. Mais il devint vite évident que les traditions
parlementaires et syndicales étaient trop profondément
enracinées dans les masses pour être extirpées à bref délai. La
bourgeoisie, le parti social démocrate et les syndicats firent
appel à ces traditions pour battre en brèche les nouvelles
conceptions. Le parti, en particulier, se félicitait en paroles de
cette nouvelle façon que les masses avaient de s’imposer dans la vie
sociale. II allait jusqu’à exiger que cette forme de pouvoir direct
soit approuvée et codifiée par une loi. Mais, s’il leur témoignait
ainsi sa sympathie, l’ancien mouvement ouvrier, en entier,
reprochait aux Conseils de ne pas respecter la démocratie, tout en
les excusant en partie à cause d’un manque d’expérience dû à leur
naissance spontanée.En réalité, les anciennes organisations
trouvaient que les Conseils ne leur faisaient pas une place assez
grande et voyaient en eux des organismes concurrents. En se
prononçant pour la démocratie ouvrière, les vieux partis et les
syndicats revendiquaient en fait pour tous les courants du
mouvement ouvrier le droit d’être représentés dans les Conseils,
proportionnellement à leur importance numérique respective.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE PIÈGE</h3>
<div style="text-align: justify;">
La plus grande partie des travailleurs était incapable de réfuter
cet argument : il correspondait trop à leurs anciennes habitudes.
Les Conseils ouvriers rassemblèrent donc des représentants du parti
social-démocrate, des syndicats, des social-démocrate de gauche, des
coopératives de consommation etc. ainsi que des délégués d’usine.
II est évident que de tels Conseils n’étaient pas les organes d’équipes
des travailleurs, réunis par la vie à l’usine, mais des formations
issues de l’ancien mouvement ouvrier et œuvrant à la restauration
du capitalisme sur la base du capitalisme d’Etat démocratique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cela signifiait la ruine des efforts ouvriers. En effet, les
délégués aux Conseils ne recevaient plus leurs directives de la
masse, mais de leurs différentes organisations. Ils adjuraient les
travailleurs de respecter et de faire régner « l’ordre »,
proclamant que « dans le désordre, pas de socialisme ». Dans ces
conditions, les Conseils perdirent rapidement toute valeur aux yeux
des ouvriers. Les institutions bourgeoises se remirent à
fonctionner, sans se soucier de l’avis des Conseils ; tel était
précisément le but de l’ancien mouvement ouvrier.</div>
<div style="text-align: justify;">
L’ancien mouvement ouvrier pouvait être fier de sa victoire. La
loi votée par le Parlement fixait dans le détail les droits et les
devoirs des Conseils. Ils auraient pour tâche de surveiller
l’application des lois sociales. Autrement dit les Conseils
devenaient à leur façon des rouages de l’Etat ; ils participaient à
sa bonne marche, au lieu de le démolir. Cristallisées dans les masses,
les traditions se révélaient plus puissantes que les résultats de
l’action spontanée.
Malgré cette « révolution avortée », on ne peut dire que la victoire
des éléments conservateurs ait été simple et facile. La nouvelle
orientation des esprits, tout de même assez forte pour que des
centaines de milliers d’ouvriers luttent avec acharnement afin que
les Conseils gardent leur caractère de nouvelles unités de classe.
II fallut cinq ans de conflits incessants, pour que le mouvement des
Conseils soit définitivement vaincu par le front unique de la
bourgeoisie, de l’ancien mouvement ouvrier et des gardes-blancs,
formés par les hobereaux prussiens et les étudiants réactionnaires.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
COURANTS POLITIQUES</h3>
<div style="text-align: justify;">
On peut distinguer, en gros, quatre courants politiques du côté des ouvriers :</div>
<div style="text-align: justify;">
a) <i>les sociaux-démocrates :</i></div>
<div style="text-align: justify;">
ils voulaient nationaliser graduellement les grandes
industries en utilisant la voie parlementaire. Ils tendaient
également à réserver aux syndicats le rôle d’intermédiaires
exclusifs entre les travailleurs et le capital d’Etat.</div>
<div style="text-align: justify;">
b) <i>les communistes :</i></div>
<div style="text-align: justify;">
s’inspirant plus ou moins de l’exemple russe, ce courant
préconisait une expropriation directe des capitalistes par les
masses. Selon eux, les ouvriers révolutionnaires avaient pour devoir
de « conquérir » les syndicats et de les « rendre
révolutionnaires ».</div>
<div style="text-align: justify;">
c) <i>les anarcho-syndicalistes :</i></div>
<div style="text-align: justify;">
ils s’opposaient à la prise du pouvoir politique et à tout Etat.
D’après eux, les syndicats représentaient la formule de l’avenir ;
il fallait lutter pour que les syndicats prennent une extension
telle qu’ils seraient en mesure, alors, de gérer toute la vie
économique. L’un des théoriciens les plus connus de ce courant,
Rudolf Rocker, écrivait en 1920 que les syndicats ne devaient pas être
considérés comme un produit transitoire du capitalisme, mais bien
comme les germes d’une future organisation socialiste de la société.
II sembla tout d’abord en 1919, que l’heure de ce mouvement était
venue. Les syndicats anarchistes se gonflèrent dès l’écroulement
de l’Empire allemand. En 1920, ils comptaient autour de deux cent
mille membres.</div>
<div style="text-align: justify;">
d) Toutefois, cette année 1920, les effectifs des syndicats
révolutionnaires se réduisirent. Une grande partie de leurs
adhérents se dirigeaient maintenant vers une toute autre forme
d’organisation, mieux adaptée aux conditions de la lutte : <i>l’organisation révolutionnaire d’usine.</i>
Chaque usine avait ou devait avoir sa propre organisation, agissant
indépendamment des autres, et qui même, dans un premier stade,
n’était pas reliée aux autres. Chaque usine faisait donc figure de
« république indépendante », repliée sur elle-même.</div>
<div style="text-align: justify;">
Sans doute ces organismes d’usines étaient-ils une réalisation
des masses ; cependant, il faut souligner qu’ils apparaissaient
dans le cadre d’une révolution, sinon vaincue, du moins stagnante. Il
devint vite évident que les ouvriers ne pouvaient pas, dans
l’immédiat, conquérir et organiser le pouvoir économique et
politique au moyen des Conseils ; il faudrait tout d’abord soutenir
une lutte sans merci contre les forces qui s’opposaient aux Conseils.
Les ouvriers révolutionnaires commençaient donc à rassembler leurs
propres forces dans toutes les usines, afin de rester en prise directe
sur la vie sociale. Par leur propagande, ils s’efforçaient d’éveiller
la conscience des ouvriers, les invitaient à sortir des syndicats
et adhérer à l’organisation révolutionnaire d’usine ; les ouvriers
comme un tout pourraient alors diriger eux-mêmes leurs propres
luttes, et conquérir le pouvoir économique et politique sur toute
la Société.
En apparence, la classe ouvrière faisait ainsi un grand pas en arrière
sur le terrain de son organisation. Tandis qu’auparavant, le
pouvoir des ouvriers était concentré dans quelques puissantes
organisations centralisées, il se désagrégeait à présent dans des
centaines de petits groupes, réunissant quelques centaines ou
quelques milliers d’adhérents, selon l’importance de l’usine. En
réalité, cette forme se révélait la seule qui permit de poser les jalons
d’un pouvoir ouvrier direct ; aussi, bien que relativement
petites, ces nouvelles organisations effrayaient la bourgeoisie,
la social-démocratie, et les syndicats.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
DÉVELOPPEMENT DES ORGANISATIONS D’USINES</h3>
<div style="text-align: justify;">
Toutefois, ce n’est pas par principe que ces organisations se
tenaient isolées les unes des autres. Leur apparition s’était
effectuée ça et là, de façon spontanée et séparée, au cours de grèves
sauvages (parmi les mineurs de la Ruhr, en 1919, par exemple). Une
tendance se fit jour en vue d’unifier tous ces organismes et
d’opposer un front cohérent à la bourgeoisie et à ses acolytes.
L’initiative partit des grands ports, Hambourg et Brême ; en avril
1920, une première conférence d’unification se tint à Hanovre. Des
délégations venues des principales régions industrielles de
l’Allemagne y participèrent. La police intervint et dispersa le
congrès. Mais elle arrivait trop tard. En effet, l’organisation
générale, unifiée était déjà fondée ; elle avait pu mettre au net les
plus importants de ses principes d’action. Cette organisation
s’était donnée le nom d’Union générale des travailleurs d’Allemagne :
AAUD (Allemeine Arbeiter Union-Deutschlands). L’AAUD avait pour
principe essentiel la lutte contre les syndicats et les Conseils
d’entreprise légaux, ainsi que le refus du parlementarisme. Chacune
des organisations, membre de l’Union, avait droit au maximum
d’indépendance et à la plus grande liberté de choix dans sa
tactique.</div>
<div style="text-align: justify;">
A cette époque en Allemagne, les syndicats comptaient plus de
membres qu’ils n’en avaient jamais eu et qu’ils ne devaient en avoir
depuis. Ainsi, en 1920, les syndicats d’obédience socialiste
regroupaient presque huit millions de cotisants dans 52
associations syndicales ; les syndicats chrétiens avaient plus
d’un million d’adhérents ; et les syndicats maison, les jaunes, en
réunissaient près de 300 000. En outre, il y avait des organisations
anarcho-syndicalistes (FAUD) et aussi quelques autres qui, un peu
plus tard, devaient adhérer à l’ISR (Internationale syndicale rouge,
dépendant de Moscou). Tout d’abord, l’AAUD ne rassembla que 80 000
travailleurs (avril 1920) ; mais sa croissance fut rapide et, à la fin
de 1920, ce nombre passa à 300 000. Certaines des organisations qui
la composaient affirmaient, il est vrai, une égale sympathie pour
la FAUD ou encore pour l’LSR.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais dès décembre 1920, des divergences politiques
provoquèrent une grande scission au sein de l’AAUD : de nombreuses
associations adhérentes la quittèrent pour former une nouvelle
organisation dite unitaire : l’AAUD-E. Après cette rupture, l’AAUD
déclarait compter encore plus de 200 000 membres, lors de son 4<sup class="typo_exposants">e</sup>
Congrès (juin 1921). En réalité, ces chiffres n’étaient déjà plus
exacts : au mois de mars 1921, l’échec de l’insurrection d’Allemagne
centrale avait littéralement décapité et démantelé l’AAUD Encore
faible, l’organisation ne put résister de manière efficace à une
énorme vague de répression policière et politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (KPD)</h3>
<div style="text-align: justify;">
Avant d’examiner les diverses scissions dans le mouvement des
organisations d’usines, il est nécessaire de parler du parti
communiste (KPD). Pendant la guerre, le parti social-démocrate se
tint aux côtés - ou plutôt derrière - des classes dirigeantes et fit
tout pour leur assurer la « paix sociale » ; à l’exception
toutefois d’une mince frange de militants et de fonctionnaires du
parti, dont les plus connus étaient Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.
Ces derniers faisaient de la propagande contre la guerre et
critiquaient violemment le parti social-démocrate. Ils n’étaient
pas tout à fait seuls. Outre leur groupe, la Ligue Spartacus, il y
avait, entre autres, des groupes comme les « Internationalistes » de
Dresde et de Francfort, les « radicaux de gauche » de Hambourg ou
« Politique ouvrière » de Brême. Dès novembre 1918 et la chute de
l’empire, ces groupes, formés à l’école de la « gauche »
social-démocrate, se prononcèrent pour une lutte « dans la rue »
destinée à forger une organisation nouvelle, politique et qui
s’orienterait dans une certaine mesure sur la révolution russe.
Finalement, un Congrès d’unification se tint à Berlin et, dès le
premier jour (30 décembre 1918), fut fondé le parti communiste [1].
Ce parti devint immédiatement un lieu de rassemblement pour nombre
d’ouvriers révolutionnaires qui exigeaient « tout le pouvoir aux
Conseils ouvriers ».</div>
<div style="text-align: justify;">
II faut noter que les fondateurs du KPD formèrent, en quelque
sorte par droit de naissance, les cadres du nouveau parti ; ils y
introduisirent donc souvent, avec eux, l’esprit de la vieille
social-démocratie. Les ouvriers qui affluaient maintenant au KPD et
se préoccupaient en pratique des nouvelles formes de lutte
n’osaient pas toujours affronter leurs dirigeants, par respect de la
discipline, et se pliaient fréquemment à des conceptions périmées.
« Organisations d’usines », ce mot recouvre en effet des notions très
dissemblables. Il peut désigner, comme le pensaient les fondateur
du KPD, une simple forme d’organisation, sans plus, et donc soumise à
des directives qui sont décidées en dehors d’elle : c’était la
vieille conception. Il peut aussi renvoyer à un ensemble tout
différent d’attitudes et de mentalités. Dans ce sens nouveau, la
notion d’organisation d’usines implique un bouleversement des
idées admises jusqu’alors à propos de :</div>
<div style="text-align: justify;">
a) l’unité de la classe ouvrière ;</div>
<div style="text-align: justify;">
b) la tactique de lutte ;</div>
<div style="text-align: justify;">
c) les rapports entre les masses et sa direction ;</div>
<div style="text-align: justify;">
d) la dictature du prolétariat ;</div>
<div style="text-align: justify;">
e) les rapports entre l’Etat et la Société ;</div>
<div style="text-align: justify;">
f) le communisme en tant que système économique et politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Or, ces problèmes se posaient dans la pratique des luttes
nouvelles ; il fallait tenter de les résoudre ou disparaître en
tant que forces neuves. La nécessité d’un renouvellement des idées,
par conséquent, se faisait pressante ; .mais les cadres du parti -
s’ils avaient eu le courage de quitter leurs anciens postes - ne
pensaient plus maintenant qu’à reconstituer le nouveau parti sur
le modèle de l’ancien, en évitant ses mauvais côtés, en peignant ses
buts en rouge et non plus en rose et blanc. D’autre part, il va sans
dire que les idées nouvelles souffraient d’un manque d’élaboration
et de netteté, qu’elles ne se présentaient pas comme un tout
harmonieux, tombé du ciel ou d’un cerveau unique. Plus
prosaïquement, elles provenaient en partie du vieux fond
idéologique, le neuf y côtoyait l’ancien et s’y mêlait. En bref, les
jeunes militants du KPD ne s’opposaient pas de façon massive et
résolue à leur direction, mais ils étaient faibles et divisés sur bien
des questions.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE PARLEMENTARISME</h3>
<div style="text-align: justify;">
Le KPD, dès sa formation, se divisa sur l’ensemble des problèmes
soulevés par la notion nouvelle des « organisations d’usines ». Le
gouvernement provisoire, dirigé par le social-démocrate Ebert,
avait annoncé des élections pour une Assemblée constituante. Le jeune
parti devait-il participer à ces élections, même pour les dénoncer ?
Cette question provoqua des discussions très vives au Congrès.</div>
<div style="text-align: justify;">
La grande majorité des ouvriers exigeait le refus de toute
participation aux élections. Au contraire, la direction du parti, y
compris Liebknecht et Luxembourg, se prononçait pour une campagne
électorale. La direction fut battue aux voix, la majorité du parti
se déclara anti-parlementaire. Selon cette majorité, la
Constituante n’avait pas d’autre objet que de consolider le pouvoir
de la bourgeoisie en lui donnant une base « légale ». A l’inverse,
les éléments prolétariens du KPD tenaient surtout à rendre plus
actifs, « activer » les Conseils ouvriers existants et à naître ; ils
voulaient donc mettre en valeur la différence entre démocratie
parlementaire et démocratie ouvrière en répandant le mot d’ordre :
« Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers ».</div>
<div style="text-align: justify;">
La direction du KPD voyait dans cet antiparlementarisme, non
pas un renouvellement, mais une régression vers des conceptions
syndicalistes et anarchistes, comme celles qui se manifestèrent
au début du capitalisme industriel. En réalité,
l’anti-parlementarisme du nouveau courant n’avait pas grande chose
de commun avec le « syndicalisme révolutionnaire » et
l’« anarchisme ». Il en représentait même, à bien des égards, la
négation. Tandis que l’anti-parlementarisme des libertaires
s’appuyait sur le refus du pouvoir politique, et en particulier de
la dictature du prolétariat, le nouveau courant considérait
l’anti-parlementarisme comme une condition nécessaire à la prise
du pouvoir politique. Il s’agissait donc d’un
anti-parlementarisme « marxiste ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LES SYNDICATS</h3>
<div style="text-align: justify;">
Sur la question des activités syndicales, la direction du KPD
avait, naturellement, une façon de voir différente de celle du
courant « organisations d’usines ». Cela donna lieu également à des
discussions peu de temps après le Congrès (et aussi l’assassinat de
Karl et de Rosa) [2].</div>
<div style="text-align: justify;">
Les propagandistes des Conseils mettaient en avant le mot
d’ordre « Sortez des syndicats ! Adhérez aux organisations
d’usines ! Formez des Conseils ouvriers ». Mais la direction du KPD
déclarait : « Restez dans les syndicats. » Elle ne pensait pas, il
est vrai, « conquérir » les centrales syndicales, mais elle croyait
possible de « conquérir » la direction de quelques branches
locales. Si ce projet prenait corps, alors on pourrait réunir ces
organisations locales dans une nouvelle centrale qui, elle, serait
révolutionnaire.
Là encore, la direction du KPD essuya une défaite. La plupart de ses
sections refusèrent d’appliquer ses instructions. Mais la direction
décida de maintenir ses positions, fût ce au prix de l’exclusion de
la majorité de ses membres ; elle fut soutenue par le parti russe
et son chef, Lénine ; qui rédigea à cette occasion sa néfaste
brochure sur <i>La Maladie infantile</i> [3].
Cette opération se fit au Congrès de Heidelberg (octobre 1919) où,
par diverses, machinations, la direction parvint à exclure de façon
« démocratique » plus de la moitié du parti... Désormais le Parti
communiste allemand était en mesure de mener sa politique
parlementaire et syndicale (avec des résultats- plutôt piteux) ;
l’exclusion des révolutionnaires lui permit de s’unir, un peu plus
tard (octobre 1920) avec une partie des socialistes de gauche (et de
quadrupler en nombre : mais pour trois ans seulement). En même
temps, le KPD perdait ses éléments les plus combatifs et devait se
soumettre inconditionnellement aux volontés de Moscou.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE PARTI OUVRIER COMMUNISTE (KAPD)</h3>
<div style="text-align: justify;">
Quelque temps après, les exclus formèrent un nouveau parti : le
KAPD. Ce parti entretenait des rapports étroits avec l’AAUD Dans les
mouvements de masse, qui eurent lieu au cours des années suivantes,
le KAPD fut une force qui compta. On redoutait autant sa volonté et sa
pratique d’actions directes et violentes que sa critique des
partis et des syndicats, sa dénonciation de l’exploitation
capitaliste sous toute ses formes, et d’abord à l’usine, bien
entendu ; sa presse et ses publications diverses participent
souvent de ce que la littérature marxiste offrait de meilleur, à
cette époque de décadence du mouvement ouvrier marxiste, et cela,
bien que le KAPD s’embarrassât encore de vieilles traditions.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE KAPD ET LES DIVERGENCES AU SEIN DE L’AAUD</h3>
<div style="text-align: justify;">
Quittons maintenant les partis, et revenons au mouvement des
« organisations d’usines ». Ce jeune mouvement démontrait que
d’importants changements s’étaient produits dans la conscience du
monde ouvrier. Mais ces transformations avaient eu des conséquences
variées ; différents courants de pensée se révélaient très
distinctement dans l’AAUD L’accord était général sur les points
suivants :</div>
<div style="text-align: justify;">
a) la nouvelle organisation devait s’efforcer de grandir ;</div>
<div style="text-align: justify;">
b) sa structure devait être conçue de manière à éviter la constitution d’une nouvelle clique de dirigeants ;</div>
<div style="text-align: justify;">
c) cette organisation devrait organiser la dictature du
prolétariat lorsqu’elle rassemblerait des millions de membres.</div>
<div style="text-align: justify;">
Deux points provoquaient des antagonismes insurmontables :</div>
<div style="text-align: justify;">
a) nécessité ou non d’un parti politique en dehors de l’AAUD ;</div>
<div style="text-align: justify;">
b) gestion de la vie économique et sociale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Au début, l’AAUD n’avait que des rapports assez vagues avec le KPD ;
aussi ces divergences n’avaient-elles pas de portée pratique. Les
choses changèrent avec la fondation du KAPD. L’AAUD coopéra
étroitement avec le KAPD et ceci contre la volonté d’un grand nombre
de ses adhérents, surtout en Saxe, à Francfort, Hambourg, etc. (il ne
faut pas oublier que l’Allemagne était encore extrêmement
décentralisée, et ce découpage se répercutait aussi sur la vie des
organisations ouvrières). Les adversaires du KAPD dénoncèrent la
formation en son sein d’une « clique de dirigeants » et, en
décembre 1920, formèrent l’AAUD-E (« E » pour
« Einheitsorganisation », organisation unitaire), qui repoussait
tout isolement d’une partie du prolétariat dans une organisation
« spécialisée », un parti politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA PLATE-FORME COMMUNE</h3>
<div style="text-align: justify;">
Quels étaient les arguments des trois courants en présence ? II y
avait unité de vue dans l’analyse du monde moderne. En gros, tout le
monde reconnaissait que la société avait changé : au XIX<sup class="typo_exposants">e</sup>
siècle, le prolétariat ne formait qu’une minorité restreinte dans
la société ; il ne pouvait lutter seul et devait chercher à se
concilier d’autres classes, d’où la stratégie démocratique de Marx.
Mais ces temps étaient révolus à tout jamais, du moins dans les pays
développés d’Occident. Là le prolétariat constituait maintenant la
majorité de la population, tandis que toutes les couches de la
bourgeoisie s’unifiaient derrière le grand Capital, lui-même unifié.
Désormais, la révolution était l’affaire du prolétariat seul. Elle
était inévitable, car le capitalisme était entré dans sa crise
mortelle (on n’oubliera pas que cette analyse date des années 1920 à
1930).</div>
<div style="text-align: justify;">
Si la société avait changé, en Occident du moins, alors la
conception même du communisme devait changer, elle aussi. II se
révélait, d’ailleurs, que les vieilles idées, appliquées par lès
vieilles organisations, représentaient tout le contraire d’une
émancipation sociale. C’est par exemple, ce que soulignait en 1924
Otto Rühle, l’un des principaux théoriciens de l’AAUD-E.</div>
<div style="text-align: justify;">
« La nationalisation des moyens de production, qui continue
d’être le programme de la social-démocratie en même temps que celui
des communistes, n’est pas la socialisation. A travers la
nationalisation des moyens de production, on peut arriver à un
capitalisme d’Etat fortement centralisé, qui aura peut-être
quelque supériorité sur le capitalisme privé, mais qui n’en sera pas
moins un capitalisme. »</div>
<div style="text-align: justify;">
Le communisme résulterait de l’action des ouvriers, de leur lutte
active et surtout « par eux-mêmes ». Pour cela, il fallait d’abord
que se créent de nouvelles organisations. Mais que seraient ces
organisations ? Là les opinions divergeaient et ces antagonismes
aboutissaient à des scissions. Elles furent nombreuses. Tandis que
la classe ouvrière cessait progressivement d’avoir une activité
révolutionnaire, que ses formations officielles n’avaient
d’action que spectaculaire autant que dérisoire, ceux qui voulaient
agir ne faisaient qu’exprimer, à leur corps défendant, la
décomposition générale du mouvement ouvrier. Néanmoins, il n’est
pas inutile de rappeler, ici, leurs divergences.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA DOUBLE ORGANISATION</h3>
<div style="text-align: justify;">
Le KAPD repoussait l’idée de parti de masse, dans le style
léniniste qui prévalut après la révolution russe, et soutenait
qu’un parti révolutionnaire est nécessairement le parti d’une
élite, petit donc, mais basé sur la qualité et non sur le nombre. Le
parti, rassemblant les éléments les mieux éduqués du prolétariat,
devrait agir comme un levain dans les masses, c’est-à-dire diffuser la
propagande, entretenir la discussion politique, etc. La
stratégie qu’il recommandait, c’était la stratégie classe contre
classe, basée à la fois sur la lutte dans les usines et le soulèvement
armé - parfois même, en préliminaire, l’action terroriste (actions
à la bombe, pillage des banques, des wagons-postaux, coffres
d’usines, etc. fréquents au début des années 1920). La lutte dans les
usines, dirigée par des comités d’action, aurait pour effet de créer
l’atmosphère et la conscience de classe nécessaires aux actions de
masse et d’amener des masses toujours plus larges de travailleurs à se
mobiliser pour les luttes décisives.</div>
<div style="text-align: justify;">
Herman Gorter, l’un des principaux théoriciens de ce courant,
justifiait ainsi la nécessité d’un petit parti politique
communiste :</div>
<div style="text-align: justify;">
« La plupart des prolétaires sont dans l’ignorance. Ils ont de
faibles notions d’économie et de politique, ne savent pas
grand-chose des événements nationaux et internationaux, des
rapports qui existent entre ces derniers et de l’influence qu’ils
exercent sur la révolution. Ils ne peuvent accéder au savoir en
raison de leur situation de classe. C’est pourquoi ils ne peuvent
agir au moment qui convient. Ils se trompent très souvent. »</div>
<div style="text-align: justify;">
Ainsi, le parti sélectionné aurait une mission éducatrice, il
ferait office de catalyseur au niveau des idées. Mais la tâche de
regrouper progressivement les masses, de les organiser,
reviendrait à l’AAUD, appuyée sur un réseau d’organisations
d’usines, et dont l’objectif essentiel serait de contrebattre et de
ruiner l’influence des syndicats ; par la propagande, certes, mais
aussi et surtout par des actions acharnées, celles « d’un groupe qui
montre dans sa lutte ce que doit devenir la masse » disait encore
Gorter [4].
Finalement, au cours de la lutte révolutionnaire, les
organisations d’usines se transformeraient en Conseils ouvriers,
englobant tous les travailleurs et directement soumis à leur
volonté, à leur contrôle. En bref, la « dictature du prolétariat » ne
serait rien d’autre qu’une AAUD étendue à l’ensemble des usines
allemandes.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LES ARGUMENTS DE L’AAUD-E</h3>
<div style="text-align: justify;">
Opposée au parti politique séparé des organisations d’usines,
l’AAUD-E voulait édifier une grande organisation unitaire qui
aurait pour tâche de mener la lutte pratique directe des masses et
aussi, plus tard, d’assumer la gestion de la société sur la base du
système des Conseils ouvriers. Ainsi donc la nouvelle organisation
aurait-elle des objectifs à la fois économiques et politiques. D’un
côté cette conception différait du « vieux syndicalisme
révolutionnaire » qui s’affirmait hostile à la constitution d’un
pouvoir politique spécifiquement ouvrier et à la dictature du
prolétariat. D’un autre côté, l’AAUD-E, tout en admettant que le
prolétariat est faible, divisé et ignorant, et qu’un enseignement
continu lui est donc nécessaire, ne voyait pas pour autant l’utilité
d’un parti d’élite, style KAPD. Les organisations d’usines
suffisaient à ce rôle d’éducation puisque la liberté de parole et de
discussion y était assurée.</div>
<div style="text-align: justify;">
II est caractéristique que l’AAUD-E adressait au KAPD une
critique dans « l’esprit KAP » : d’après l’AAUD-E, le KAPD était un
parti centralisé, doté de dirigeants professionnels et de
rédacteurs appointés, qui ne se distinguait du parti communiste
officiel que par son rejet du parlementarisme ; « double
organisation » n’étant rien d’autre alors que l’application d’une
politique de la « double mangeoire » au profit des dirigeants. La
plupart des tendances de l’AAUD-E, quant à elles, repoussaient
l’idée de dirigeants rémunérés : « Ni cartes, ni statuts, ni rien de
ce genre », disait-on. Certains allèrent même jusqu’à fonder des
organisations anti-organisations...</div>
<div style="text-align: justify;">
En gros donc, l’AAUD-E soutenait que si le prolétariat est trop
faible ou trop aveugle pour prendre des décisions au cours de ses
luttes, ce n’est pas une décision prise par un parti qui pourra y
remédier. Personne ne peut agir à la place du prolétariat et il doit,
par lui-même, surmonter ses propres défauts, sans quoi il sera vaincu
et paiera lourdement le prix de son échec. La double organisation
est une conception périmée, vestige de la tradition : parti
politique et syndicats.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette séparation entre les trois courants : KAP, AA et AAU-E, eut
des conséquences dans la pratique. Ainsi, lors de l’insurrection
d’Allemagne centrale, en 1921, qui fut déclenchée et menée en grande
partie par des éléments armés du KAPD (alors encore
reconnus comme sympathisants de la III<sup class="typo_exposants">e</sup>
Internationale),
l’AAUD-E. refusa de participer à cette lutte destinée, d’après elle,
à camoufler les difficultés russes et la répression de Cronstadt.</div>
<div style="text-align: justify;">
Malgré un émiettement continu, que précipitaient des polémiques
très vives et trop souvent embrouillées par des questions de
personnes, en dépit d’outrances provoquées par une déception et un
désespoir profonds, « l’esprit KAP », c’est-à-dire l’insistance sur
l’action directe et violente, la dénonciation passionnée du
capitalisme et de ses lieutenants ouvriers de toutes couleurs
politiques et syndicales (y compris les « maires du palais » de
Moscou), exerça longtemps une influence sensible dans les masses. Il
faut ajouter que toutes ces tendances disposaient d’une presse
importante [5],
généralement alimentée en argent par des moyens illégaux, et que
souvent réduits aux chômage, en raison de leur comportement
subversif, leurs membres étaient extrêmement actifs, dans la rue,
dans les réunions publiques, etc.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE MÉCOMPTE</h3>
<div style="text-align: justify;">
On avait cru que la soudaine croissance des organisations
d’usines, en 1919 et 1920, continuerait à peu près à la même cadence
au cours des luttes à venir. On avait cru que les organisations
d’usines deviendraient un grand mouvement de masses, groupant « des
millions et des millions de communistes conscients », lequel
contrebalancerait le pouvoir des syndicats prétendument
ouvriers. Partant de cette juste hypothèse que le prolétariat ne peut
lutter et vaincre que comme classe organisée, on croyait que les
travailleurs élaboreraient chemin faisant une nouvelle et toujours
croissante organisation permanente. C’est à la croissance de
l’AAU et de l’AU-E qu’on pouvait mesurer le développement de la
combativité et de la conscience de classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Après une période d’expansion économique accélérée (1923-1929)
une nouvelle période s’ouvrit qui devait aboutir en 1933 à la prise
du pouvoir, légale, par les hitlériens. Cependant, l’AAU, le KAP et
l’AAU-E se repliaient de plus en plus sur eux-mêmes. A la fin, il ne
restait plus que quelques centaines d’adhérents, vestige des
grandes organisations d’usines d’antan, ce qui signifiait
l’existence de petits noyaux, ça et là, sur un total de 20 millions de
prolétaires. Les organisations d’usines n’étaient plus des
organisations générales des travailleurs, mais des noyaux de
communistes-de-conseils conscients. Dès lors, l’AAUD comme l’AAUD-E
revêtaient le caractère de petits partis politiques, même si leur
presse prétendait le contraire.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LES FONCTIONS</h3>
<div style="text-align: justify;">
Est-ce spécialement le petit nombre de leurs adhérents qui
transforma à la longue les organisations d’usines en parti
politique ? Non. C’était un changement de fonction. Quoique les
organisations d’usines n’eussent jamais eu pour tâche proclamée de
diriger une grève, de négocier avec les patrons, de formuler des
revendications (c’était l’affaire des grévistes), l’AAU et l’AA-E
étaient des organisations de lutte pratique. Elles se bornaient à
des activités de propagande et de soutien. Toutefois, la grève étant
déclenchée, les organisations d’usines s’occupaient en grande
partie de l’organisation de la grève ; elles organisaient les
assemblées de grève et les orateurs y étaient très souvent des
membres de l’AAU ou de l’AAU-E. Mais la charge de conduire les
négociations avec les patrons revenait au comité de grève où les
membres de l’organisation d’usines ne représentaient pas leur
groupe comme tel, mais les grévistes qui les avaient élus et devant
lesquels ils étaient responsables.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le parti politique KAPD avait une autre fonction. Sa tâche
consistait surtout en propagande, en analyse économique et
politique. Au moment des élections, il faisait de la propagande
anti-parlementaire pour dénoncer la politique bourgeoise des
autres partis, appeler à former des comités d’action dans les usines,
sur les marchés, parmi les chômeurs, etc. dont le but était d’inciter
les masses, qui « cherchent instinctivement de nouveaux
rivages », à se libérer des vieilles organisations.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
CHANGEMENT DE FONCTION</h3>
<div style="text-align: justify;">
Mais en fait, après l’échec et la répression sanglante de 1921,
puis avec la vague de prospérité qui ne tarda pas de se manifester,
ces fonctions devinrent purement théoriques. Dès lors, l’activité
de ces organisations fut réduite à la propagande pure et à
l’analyse, c’est-à-dire à une activité de groupement politique.
Découragés par l’absence de perspectives révolutionnaires, les
adhérents quittèrent pour la plupart l’organisation. La réduction
des effectifs eut aussi pour conséquence que l’usine ne constituait
plus la base de l’organisation. On se réunissait sur la base du
quartier, dans une brasserie, où l’on chantait parfois, à
l’allemande, en chœur, avec lenteur, les vieux chants ouvriers
d’espoir et de colère.</div>
<div style="text-align: justify;">
II n’y avait plus grande différence entre le KAPD, l’AAUD et
l’AAUD-E. Pratiquement, les membres de l’AU et du KAP se retrouvaient
les mêmes à des réunions nominalement différentes et ceux de
l’AAUD-E étaient membres d’un groupe politique, même s’ils lui
donnaient un autre nom. Anton Pannekoek, le marxiste hollandais qui
fut l’un de leurs inspirateurs théoriques à tous (mais surtout du
KAPD), écrivait à ce propos (1927) :</div>
<div style="text-align: justify;">
« L’AAU, de même que le KAPD, constitue essentiellement une
organisation ayant pour but immédiat la révolution. En d’autres
temps, dans une période de déclin de la révolution, on n’aurait
absolument pas pu penser à fonder une telle organisation. Mais elle
a survécu aux années révolutionnaires ; les travailleurs qui la
fondèrent autrefois et combattirent sous ses drapeaux ne veulent
pas laisser se perdre l’expérience de ces luttes et la conservent
comme une bouture pour les développements à venir. »</div>
<div style="text-align: justify;">
Et, en premier lieu, trois partis politiques de la même couleur,
c’était deux de trop. Avec la montée des périls, tandis que s’affirmait
la lâcheté sans nom des vieilles et soi-disant puissantes
organisations ouvrières, tandis que les nazis entamaient
triomphalement le chemin qui devait les mener où l’on sait
aujourd’hui, l’AAU, en décembre 1931, séparée déjà du KAP, fusionna
avec l’AAU-E. Seuls quelques éléments demeurèrent dans le KAPD, et
quelques autres de l’AAUD-E rejoignirent les rangs anarchistes.
Mais la plupart des survivants des organisations d’usines se
regroupèrent dans la nouvelle organisation, la KAUD (Kommunistische
Arbeiter Union : Union ouvrière communiste), exprimant ainsi l’idée
que cette dernière n’était plus une organisation « générale »
(comme l’était l’AAU, par exemple) réunissant tous les travailleurs
animés d’une volonté révolutionnaire, mais bien des travailleurs
communistes conscients.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA CLASSE ORGANISÉE</h3>
<div style="text-align: justify;">
La KAUD exprimait donc le changement intervenu dans les
conceptions de l’organisation. Ce changement avait un sens ; il
faut se souvenir de ce que signifiait jusqu’alors la notion de
« classe organisée ». L’AAUD et l’AAUD-E avaient cru tout d’abord que
ce seraient elles qui organiseraient la classe ouvrière, que des
millions d’ouvriers adhéreraient à leur organisation. C’était au
fond une idée très proche de celle des syndicalistes
révolutionnaires d’autrefois qui s’attendaient à voir tous les
travailleurs adhérer à leurs syndicats : et qu’alors la classe
ouvrière serait enfin une classe organisée.</div>
<div style="text-align: justify;">
Maintenant la KAUD incitait les ouvriers à organiser eux-mêmes
leurs comités d’action et à créer des liaisons entre ces comités.
Autrement dit, la lutte de classe « organisée » ne dépendait plus
d’une organisation bâtie préalablement à toute lutte. Dans cette
nouvelle conception, la « classe organisée » devenait la classe
ouvrière luttant sous sa propre direction.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce changement de conception avait des conséquences par rapport à
de nombreuses questions : la dictature du prolétariat, par
exemple. En effet, puisque la « lutte organisée » n’était pas
l’affaire exclusive d’organisations spécialisées dans sa
direction, celles-ci ne pouvaient plus être considérées comme les
organes de la dictature du prolétariat. Du même coup
disparaissait le problème qui, jusqu’alors, avait été cause de
multiples conflits, à savoir : qui du KAP ou de l’AAU devait exercer
ou organiser le pouvoir ? La dictature du prolétariat ne serait
plus l’apanage d’organisations spécialisées, elle se trouverait
dans les mains de la classe en lutte, assumant tous les aspects, toutes
les fonctions de la lutte. La tâche de la nouvelle organisation,
la KAUD, se réduirait donc à une propagande communiste,
clarifiant les objectifs, incitant la classe ouvrière à la lutte
contre les capitalistes et les anciennes organisations, au moyen
tout d’abord de la grève sauvage, et tout en lui montrant ses forces
et ses faiblesses. Cette activité n’en était pas moins
indispensable. Et la plupart des membres de la KAU continuaient de
penser que « sans une organisation révolutionnaire capable de
frapper fort, il ne peut y avoir de situation révolutionnaire comme
l’ont démontré la révolution russe de 1917 et, en sens contraire, la
révolution allemande de 1918 » [6].</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA SOCIÉTÉ COMMUNISTE ET LES ORGANISATIONS D’USINES
</h3>
<div style="text-align: justify;">
Cette évolution dans les idées devait nécessairement
s’accompagner d’une révision des notions admises en ce qui concerne
la société communiste. D’une façon générale, l’idéologie qui
dominait dans les milieux politiques et dans les masses était axée
sur la création d’un capitalisme d’Etat. Bien entendu, il y avait des
nuances multiples, mais toute cette idéologie pouvait se ramener à
quelques principes très simples : l’Etat, au travers des
nationalisations, de l’économie dirigée, des réformes sociales,
etc., représente le levier permettant de réaliser le socialisme,
tandis que l’action parlementaire et syndicale représente pour
l’essentiel les moyens de lutte. Dès lors, les travailleurs ne
luttent guère comme une classe indépendante, visant avant tout à
réaliser ses fins propres ; ils doivent confier « la gestion et la
direction de la lutte de classe » à des chefs parlementaires et
syndicaux. Selon cette idéologie, il va donc sans dire que partis et
syndicats devront servir d’éléments de base à l’Etat ouvrier, assumer
en commun la gestion de la société communiste de l’avenir.</div>
<div style="text-align: justify;">
Au cours d’une première phase, celle qui suivit l’échec des
tentatives révolutionnaires en Allemagne, cette tradition
imprégnait encore fortement les conceptions de l’AAU, du KAP et de
l’AAU-E. Tous trois se prononçaient pour une organisation groupant
« des millions et des millions » d’adhérents, afin d’exercer la
dictature politique et économique du prolétariat. Ainsi, en 1922,
l’AAU déclarait qu’elle était en mesure de reprendre à son compte,
sur la base de ses effectifs, « la gestion de 6 % des usines »
allemandes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais ces conceptions chancelaient maintenant. Jusqu’alors, comme
nous l’avons vu, les centaines d’organisations d’usines, réunies
et coordonnées par l’AAU et l’AAU-E, réclamaient le maximum
d’indépendance quant aux décisions à prendre et faisaient de leur
mieux pour éviter la formation d’une « nouvelle clique de
dirigeants ». Serait-il possible, cependant, de conserver cette
indépendance au sein de la vie sociale communiste ? La vie
économique est hautement spécialisée et toutes les entreprises
sont étroitement interdépendantes. Comment pourrait-on gérer la vie
économique si la production et la répartition des richesses
sociales ne revenait pas à quelques instances
centralisatrices ? L’Etat en tant que régulateur de la
production et organisateur de la répartition, l’Etat n’était-il
pas indispensable ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Il y avait là une contradiction entre les vieilles conceptions de
la société communiste et la nouvelle forme de lutte qu’on
préconisait maintenant. On redoutait la centralisation
économique et ses conséquences clairement démontrées par les
événements ; mais on ne savait comment se prémunir contre cela. La
discussion portait sur la nécessité et le degré plus ou moins grands
du « fédéralisme », ou du « centralisme ». L’AAU-E penchait plutôt
vers le fédéralisme ; le KAP-AAU inclinait plus au centralisme. En
1923, Kar1 Schroeder [7], théoricien du KAPD, proclamait que « plus la société communiste sera centralisée et mieux ce sera ».</div>
<div style="text-align: justify;">
En fait, tant qu’on demeurait sur la base des anciennes
conceptions de la « classe organisée », cette contradiction était
insoluble. D’une part, on se ralliait plus ou moins aux vieilles
conceptions du syndicalisme révolutionnaire, la « prise » en
main des usines par les syndicats ; d’autre part, comme les
bolcheviks, on pensait qu’un appareil centralisateur, l’Etat,
doit régler le processus de production et répartir le « revenu
national » entre les ouvriers.</div>
<div style="text-align: justify;">
Toutefois, une discussion au sujet de la société communiste, en
partant du dilemme « fédéralisme ou centralisme », est absolument
stérile. Ces problèmes sont des problèmes d’organisation, des
problèmes <i>techniques,</i> alors que la société communiste est d’abord un problème <i>économique.</i> Au capitalisme doit succéder un autre système <i>économique,</i>
où les moyens de production, les produits, la force de travail ne
revêtent pas la forme de la « valeur » et où l’exploitation de la
population laborieuse au profit de couches privilégiées a disparu.
La discussion sur « fédéralisme ou centralisme » est dépourvue
de sens, si l’on n’a pas montré auparavant quelle sera la base
économique de ce « fédéralisme » ou de ce « centralisme ». En
effet, les formes d’organisation d’une économie donnée ne sont pas
des formes arbitraires ; elles dérivent des principes mêmes de cette
économie. Ainsi, le principe du profit et de la plus-value, de son
appropriation privée ou collective, se trouve-t-il à la base de
toutes les formes revêtues par une économie capitaliste. C’est
pourquoi il est insuffisant de présenter l’économie communiste
comme un système négatif : pas d’argent, pas de marché, pas de
propriété privée ou d’Etat. II est nécessaire de mettre en lumière
son caractère de système positif, montrer quelles seront les lois
économiques qui succéderont à celles du capitalisme. Cela fait, il
est probable que l’alternative « fédéralisme ou centralisme »
apparaîtra comme un faux problème.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LA FIN DU MOUVEMENT EN ALLEMAGNE</h3>
<div style="text-align: justify;">
Avant d’examiner plus longuement cette question, il n’est pas
inutile de rappeler le destin, dans la pratique, du courant issu
des organisations révolutionnaires d’usines.</div>
<div style="text-align: justify;">
L’AAUD commença à se détacher du KAPD vers la fin de 1929. Sa presse
préconisait alors une « tactique souple » : le soutien des luttes
ouvrières ayant uniquement pour but des revendications de salaires
l’aménagement des conditions ou horaires de travail. Plus rigide,
le KAP voyait dans cette tactique l’amorce d’un glissement vers ta
collaboration de classe, la « politique de maquignonnage » [8].</div>
<div style="text-align: justify;">
Un peu plus tard, certains KAPistes en arrivèrent même à prôner le
terrorisme individuel comme moyen d’amener les masses à la
conscience de classe. Marinus van der Lubbe qui, agissant
solitairement, mit le feu au Reichstag, était en liaison avec ce
courant. En incendiant l’immeuble qui abritait le Parlement, il
voulait par un geste symbolique inciter les ouvriers à sortir de
leur léthargie politique... [9].</div>
<div style="text-align: justify;">
Ni l’une ni l’autre de ces tactiques n’eut de résultats.
L’Allemagne traversait alors une crise économique d’une profondeur
extrême, les chômeurs pullulaient : il n’y avait pas de grèves
sauvages, s’il est vrai que nul ne se souciait des directives
syndicales, les syndicats collaborant étroitement avec les
patrons et l’Etat. La presse des communistes de conseils était
fréquemment saisie ; mais de toute façon ses appels à la formation de
comités autonomes d’action ne rencontraient aucun écho. Ironie de
l’histoire : 1a seule grande grève sauvage de l’époque, celle des
transports berlinois (1932), fut soutenue par les bonzes
staliniens et hitlériens contre les bonzes socialistes des
syndicats.</div>
<div style="text-align: justify;">
Après l’accession légale d’Hitler au pouvoir, les militants des
diverses tendances furent traqués et enfermés dans des camps de
concentration où beaucoup d’entre eux disparurent. En 1945,
quelques survivants furent exécutés sur ordre du Guépéou, lors de
l’entrée en Saxe des armées russes. En 1952 encore, à Berlin Ouest, un
ancien chef de l’AAUD, Alfred Weilard, était enlevé en pleine rue et
transféré à l’Est pour s’y voir condamné à une lourde peine de prison.</div>
<div style="text-align: justify;">
A l’heure actuelle, il ne reste plus trace en Allemagne des divers
courants du communisme de conseils en tant que tel. La liquidation
des hommes a entraîné celle des idées dont ils étaient porteurs, tandis
que l’expansion et la prospérité orientaient les esprits dans
d’autres directions. Et, comme on le sait, c’est seulement ces toutes
dernières années que ses conceptions propres de l’action de masse
extra-parlementaire et extra-syndicale connaissent de nouveaux
développements, sans qu’on puisse pour autant parler de « filiation »
idéologique directe. Mais revenons maintenant au problème de
l’économie communiste, pour voir en quoi les réflexions théoriques
de ce mouvement peuvent contribuer à enrichir notre connaissance
de la lutte pour le pouvoir ouvrier.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
FONDEMENTS ÉCONOMIQUES DU COMMUNISME</h3>
<div style="text-align: justify;">
Il fallait, pour approfondir ces problèmes, que l’AAU se fût
libérée des vieilles traditions de la « classe organisée », qu’elle
ait compris que la classe ouvrière ne peut réaliser son unité réelle
que dans sa lutte en masse, globale, et en dehors des organisations
spécialisées qui ne représentent au mieux que les aspects
fragmentaires d’une phase périmée des aspirations et des objectifs
prolétariens. En 1930, l’AAU publia une étude, rédigée par le groupe
des communistes de conseils de Hollande et qui était intitulée : <i>Grundptinzipien kommunistischer Produktion und Verteilung</i> (Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes) [10].</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette analyse n’entend pas proposer un « plan » quelconque,
montrer comment on pourrait édifier une société « plus belle »,
« plus équitable ». Elle ne s’intéresse qu’aux problèmes
d’organisation de l’économie communiste et lie, dans une unité
organique, pratique de la lutte de classe et gestion sociale. Les <i>Principes</i> tirent donc, au niveau théorique, les conséquences <i>économiques</i>
de la lutte éventuellement menée au niveau de l’action politique
par les mouvements de masse indépendants. Lorsque les Conseils
ouvriers auront pris le pouvoir, et parce qu’ils auront appris à
« gérer leur lutte » eux-mêmes directement, par un effort constant,
ils se trouveront contraints de <i>donner de nouvelles bases</i> à
leur pouvoir en introduisant consciemment des lois économiques
nouvelles où la mesure du temps de travail sera le pivot de la
production et de la répartition du produit social global. Les
travailleurs sont capables de gérer eux-mêmes la production, mais
cela n’est possible qu’en calculant le temps de travail dans les
différentes branches de la production, au sens le plus large, et en
répartissant les produits à l’aide de cette mesure.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les « Principes » examinent ce problème du point de vue du
travailleur exploité, qui n’aspire pas seulement à l’abolition de
la propriété privée, mais bien à celle de l’exploitation. Or,
l’histoire de notre époque a montré que la suppression de la
propriété privée, si elle est nécessaire, ne coïncide pas
obligatoirement avec celle de l’exploitation. Aussi doit-on serrer
de plus près cette question.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le mouvement anarchiste a compris cette nécessité beaucoup plus
tôt que les marxistes, et ses théoriciens lui ont accordé une
attention soutenue. Toutefois leurs conceptions, en fin de compte,
n’ont pas été totalement différentes. Si les marxistes,
sociaux-démocrates ou bolcheviks, voulaient faire passer, sans rien
changer de fondamental à ses mécanismes, la production
capitaliste, arrivée au stade des monopoles, sous le contrôle d’un
Etat dit ouvrier, les théoriciens anarchistes préconisaient une
fédération de communes libres et repoussaient tout Etat. C’était
cependant pour le reconstituer sous une autre forme. Ce point étant
souvent contreversé, nous allons en donner ici un exemple.</div>
<div style="text-align: justify;">
L’un des théoriciens les plus connus de l’anarchisme, Sébastien
Faure, exposait que les habitants d’une commune auraient à recenser
leurs besoins et leurs possibilités de productions ; puis,
disposant de « l’état global des besoins de la consommation et des
possibilités de la production, région par région, le Comité
National fixe et fait connaître à chaque comité Régional de quelles
quantités de produits sa région peut disposer et quelle somme de
production elle doit fournir. Muni de ces indications, chaque
comité Régional fait pour sa région le même travail : il fixe et fait
connaître à chaque comité Communal de quoi se commune dispose et ce
qu’elle a à fournir. Ce dernier en fait autant à l’égard des
habitants de la commune [11] ».</div>
<div style="text-align: justify;">
Certes, Sébastien Faure avait auparavant précisé que : « Toute
cette vaste organisation a pour base et principe vérificateur la
libre entente »,mais un système économique exige des principes
économiques et non des proclamations nobles. On peut faire la même
chose à propos de la citation suivante de Hilferding, le célèbre
théoricien social-démocrate, car là aussi le principe économique
manque :</div>
<div style="text-align: justify;">
« Les commissaires communaux, régionaux et nationaux de la
société socialiste décident comment et où, en quelle quantité et par
quels moyens l’on tirera des nouveaux produits des conditions de
production naturelles ou artificielles. A l’aide de
statistiques de production et de consommation couvrant
l’ensemble des besoins sociaux, ils transforment la vie économique
toute entière d’après les besoins qu’expriment ces statistiques [12]. »</div>
<div style="text-align: justify;">
Ainsi la différence entre ces deux points de vue fondamentaux
n’est pas très sensible. Toutefois les anarchistes ont eu le mérite
historique de mettre en avant le mot d’ordre essentiel : « Abolition
du salariat. » Dans cette perspective cependant, le « Comité
National », le « bureau de la statistique », etc., ce que les
marxistes appellent le « gouvernement du peuple », est censé
pratiquer « l’économie en nature » c’est-à-dire une économie où
l’argent n’a plus cours. Le logement, les aliments, le courant
électrique, les transports, etc, tout cela est « gratuit ». Une
certaine part de biens et services demeure toutefois payable en
monnaie (généralement indexée sur le rapport
population-consommation) .</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais en dépit des apparences, cette manière de supprimer le
salaire ne signifie pas l’abolition de l’exploitation et ne
signifie pas non plus la liberté sociale. En effet, plus s’agrandit le
secteur de l’économie « en nature », plus les travailleurs
dépendent de la fixation de leurs « revenus » par l’appareil de
répartition. Il existe un exemple d’économie « sans argent », où les
échanges avaient lieu en « nature », du moins pour la plus grande
partie, avec le logement, l’éclairage, etc., « gratuits ». C’est la
période du « communisme de guerre » en Russie. On a pu voir alors,
non seulement que ce système n’était pas viable durablement, mais
encore qu’il pouvait coexister avec un régime fondé sur une
domination de classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
La réalité nous a donc appris :</div>
<div style="text-align: justify;">
a) qu’il est possible de supprimer la propriété privée sans abolir l’exploitation ;</div>
<div style="text-align: justify;">
b) qu’il est possible de supprimer le salariat sans abolir l’exploitation.</div>
<div style="text-align: justify;">
S’il en est ainsi, le problème de la révolution prolétarienne se pose pour l’exploité dans les termes suivants :</div>
<div style="text-align: justify;">
<img alt="-" class="puce" src="http://www.mondialisme.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-8130d.gif" height="11" style="height: 11px; width: 8px;" width="8" /> quelles sont les conditions économiques qui permettent d’abolir l’exploitation ?</div>
<div style="text-align: justify;">
<img alt="-" class="puce" src="http://www.mondialisme.org/local/cache-vignettes/L8xH11/puce-8130d.gif" height="11" style="height: 11px; width: 8px;" width="8" /> Quelles
sont les conditions économiques qui permettent au prolétariat de
conserver le pouvoir, une fois ce dernier conquis, et de couper les
racines de la contre-révolution ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Bien que les <i>Principes</i> étudient les fondements économiques
du communisme, le point de départ en est plus politique
qu’économique. Pour les ouvriers il n’est pas facile de s’emparer du
pouvoir politique-économique, mais il est encore plus difficile
de le conserver. Or, dans les conceptions présentes du communisme
ou du socialisme, on tend à concentrer - dans les faits sinon dans les
mots - tout le pouvoir de gestion dans quelques bureaux étatiques
ou « sociaux ». A l’inverse, ce livre considère l’économie comme le
prolongement inévitable de la révolution et non comme un état de
chose souhaitable et qui se réalisera dans cent, dans mille ans. Il
s’agit de définir au niveau des principes les mesures à prendre,
non par quelque parti ou organisation, mais par la classe ouvrière
et par ses organes immédiats de lutte : les Conseils ouvriers. La
réalisation du communisme n’est pas l’affaire d’un parti mais celle
de toute la classe ouvrière, délibérant et agissant dans et par ses
Conseils.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
LE PRODUCTEUR ET LA RICHESSE SOCIALE</h3>
<div style="text-align: justify;">
Un des grands problèmes de la révolution est d’instaurer de
nouveaux rapports entre le producteur et la richesse sociale,
rapports qui, au sein de la société capitaliste, s’expriment dans le
salariat. Le régime du salariat est basé sur un antagonisme
profond entre la valeur de la force de travail (salaire) et ce
travail même (le produit du travail). Alors que le travailleur
fournit, par exemple, 50 heures de travail à la société, il ne reçoit
comme salaire que l’équivalent de 10 heures, par exemple. Pour
s’émanciper véritablement le travailleur doit faire en sorte que ce
ne soit plus la valeur de sa force de travail qui détermine la part
qui lui revient de la production sociale, mais que cette part soit
fixée par son travail même. Le travail : mesure de la consommation,
tel est le principe qu’il doit faire triompher.</div>
<div style="text-align: justify;">
La différence entre la quantité de travail fournie et ce que le travailleur reçoit en échange est appelé <i>surtravail</i>
et représente un travail non payé. Les richesses sociales
produites pendant ce temps de travail non payé constituent le <i>surproduit</i> et la valeur incorporée dans ce surproduit est dite <i>plus-value.</i>
Toute société, quelle qu’elle soit, et donc aussi la société
communiste, repose sur la formation d’un surproduit, parce que sur
l’ensemble des travailleurs effectuant un travail nécessaire ou
utile, certains ne produisent pas de biens tangibles. Leurs
conditions de vie sont donc produites par d’autres travailleurs (il
en est de même pour les services de santé, l’entretien des infirmes,
des enfants et des vieillards, les services administratifs, les
savants, etc.). Mais c’est la façon dont ce surproduit se forme, celle
dont il est réparti, qui constituent l’exploitation capitaliste.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le travailleur reçoit un salaire qui, dans le meilleur des cas, lui
suffit tout juste pour vivre dans des conditions données. Il sait qu’il
a donné 50 heures de travail, mais il ne sait pas combien d’heures
lui reviennent dans son salaire. Il ignore le montant de son
surtravail. En revanche, on sait comment la classe possédante
consomme ce surproduit : mis à part les « services sociaux » qui en
reçoivent une certaine partie, ce sont les mines qui l’utilisent
pour s’agrandir, les exploiteurs qui en vivent, l’administration,
la police et l’armée qui en dissipent la substance.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans cette discussion, deux caractères du surproduit nous
intéressent particulièrement. D’abord, le fait que la classe
ouvrière n’a pas à décider, ou presque pas, du produit de son travail
non payé. Ensuite,qu’il est impossible d’évaluer l’importance de ce
surtravail. Nous recevons un salaire, un point c’est tout ; nous ne
pouvons rien sur la production et la répartition de la richesse
sociale. La classe qui dispose des moyens de production, la classe
possédante, est maîtresse du processus de travail, y compris le
surtravail ; elle nous fait chômer quand elle l’estime nécessaire à
ses intérêts, nous fait matraquer par sa police ou massacrer dans ses
guerres. L’autorité exercée par la bourgeoisie dérive du fait
qu’elle dispose du travail, du surtravail, du surproduit. C’est ce
qui nous réduit à l’impuissance dans la société et fait de nous une
classe opprimée.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette analyse nous révèle que l’oppression est tout aussi forte,
qu’elle soit exercée par le capitalisme privé ou par l’Etat. On entend
souvent dire que l’exploitation dès travailleurs est supprimée en
Russie, parce que le capital privé y est aboli et parce que tout le
surproduit est à la disposition de l’Etat qui le répartit dans la
société en promulguant de nouvelles lois sociales et en créant de
nouvelles usines, en développant la production.</div>
<div style="text-align: justify;">
Acceptons ces arguments, c’est-à-dire laissons de côté le fait que
la classe dominante ,la bureaucratie, chargée de la répartition du
produit social, s’enrichit par des salaires exorbitants, qu’elle se
reproduit au pouvoir en assurant à ses membres le monopole de
l’éducation supérieure, et que les lois de succession lui
garantissent les richesses accumulées « pour sa famille ». Allons
même jusqu’à supposer que cet appareil n’exploite pas la
population.</div>
<div style="text-align: justify;">
En serait-il ainsi, qu’en Russie la bureaucratie demeure maîtresse
du processus du travail, y compris le surtravail, qu’elle. dicte,
par la voix des syndicats étatisés, entre autres les conditions de
travail, comme on le voit faire également en Occident. La fonction de
la bureaucratie dirigeante est fondamentalement identique à
celle de la bourgeoisie qui dirige le capitalisme privé. Dès lors,
si la bureaucratie n’exploitait pas la population, cela ne saurait
venir que de sa bonne volonté, du fait qu’elle <i>refuse l’occasion</i>
qui lui en est offerte. Le développement de la société ne serait plus
fonction de nécessités économiques et sociales ; il dépendrait
des « bons » ou des « mauvais » sentiments des dirigeants. En
d’autres termes, les rapports des travailleurs avec la richesse
sociale continuent, même dans ce cas, d’être arbitrairement fixés et
les travailleurs ne peuvent rien sur ces rapports, sauf à espérer
que les « mauvais » dirigeants deviendront « bons ».</div>
<div style="text-align: justify;">
En conclusion, l’abolition du salaire n’est pas la condition
nécessaire et suffisante pour que les travailleurs reçoivent la
part du produit social qui leur revient, qu’ils ont créée par leur
travail. Certes, cette part peut augmenter ; mais une véritable
abolition du salaire sous toutes ses formes a un tout autre
caractère : sans cette abolition, la classe ouvrière ne peut
maintenir son pouvoir. Une révolution « trahie » mène à un Etat
totalitaire capitaliste.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il y a une autre conclusion à tirer. L’une des tâches essentielles
incombant à un groupe de travailleurs qui veulent mettre fin
radicalement à l’exploitation capitaliste - un groupe
révolutionnaire, comme on disait autrefois - c’est de chercher le
moyen d’asseoir économiquement le
pouvoir conquis par des moyens d’action politiques. Le temps est
passé où il suffisait d’exiger la suppression de la propriété
privée des moyens de production. Il est également insuffisant de
réclamer l’abolition du salariat. Cette revendication, en soi,
n’a pas plus de consistance qu’une bulle de savon, si l’on ne sait
comment jeter les bases d’une économie où le salaire est supprimé. Un
groupe se prétendant révolutionnaire et qui se refuserait à
élucider cette question essentielle n’a pas grand chose à dire en
réalité, parce qu’il est incapable de proposer l’image d’un monde
nouveau.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les <i>Principes de la production et de la répartition communistes</i>
partent de l’idée suivante : tous les biens produits par le travail
de l’homme se valent qualitativement, car ils représentent tous
une portion de travail humain. Seule la <i>quantité</i> de travail
différente qu’ils représentent les rend dissemblables. La mesure du
temps que chaque travailleur individuellement consacre au
travail est <i>l’heure de travail.</i> De même, la mesure destinée à mesurer la quantité de travail que représente tel ou tel objet doit être <i>l’heure de travail social moyen.</i>
C’est cette mesure qui servira à établir la somme de richesse dont
dispose la société, de même que les rapports des diverses
entreprises entre elles et enfin la part de ces richesses qui revient
à chaque travailleur. Sur cette base, les <i>Principes</i>
développent une analyse et une critique des différentes théories -
et aussi des pratiques - des différents courants qui se réclament
du- marxisme, de l’anarchisme ou du socialisme en général. On y trouve
en somme un exposé plus précis des principes concis de Marx et
d’Engels tels qu’ils nous les ont laissés dans <i>Le Capital,</i> la <i>Critique du programme de Gotha</i> et <i>L’Anti-Dühring.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Bien entendu, les <i>Principes</i> ne se bornent pas à étudier
l’unité de calcul dans le communisme ; ils analysent aussi son
application dans la production et la répartition du produit
social et dans les « services publics », examinent les règles
nouvelles de la comptabilité sociale, l’extension de la
production et son contrôle par les travailleurs, la disparition du
marché et, enfin, l’application du communisme dans l’agriculture
par l’intermédiaire de coopératives agricoles qui calculent elles
aussi leurs récoltes en temps de travail.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ainsi les <i>Principes</i> ont-ils pour point de départ le fait
empirique que, lors de la prise de pouvoir par le prolétariat, les
moyens de production se trouvent entre les mains des organisations
d’entreprise. C’est de la conscience communiste du prolétariat,
conscience née de sa lutte même, que dépendra le sort ultérieur de ces
moyens de production, le fait de savoir si le prolétariat les
gardera en main ou non. Aussi, le problème capital que la révolution
prolétarienne devra résoudre sera de fixer des rapports immuables
entre les producteurs et le produit social, ce qui ne peut se faire
qu’en introduisant le calcul du temps de travail dans la production
et la distribution. C’est la revendication la plus élevée que le
prolétariat puisse formuler... mais en même temps c’est le minimum
de ce qu’il peut réclamer. Et donc une question de pouvoir que seul
le prolétariat est à même de régler sans appui aucun de la part
d’autres groupes sociaux. Le prolétariat ne peut conserver les
entreprises que s’il s’en assure la gestion et la direction
autonomes. C’est aussi la seule manière de pouvoir appliquer
partout le calcul du temps de travail. Tel est l’ultime message
laissé au monde par les mouvements révolutionnaires prolétariens
de la première moitié du XX<sup class="typo_exposants">e</sup> siècle.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Henk%20Canne-Meijer" target="_blank"><span style="font-weight: normal;">Henk Canne-Meijer</span></a></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<b><span style="color: #cc0000;"><u>A suivre :</u> Mouvement pour les Conseils ouvriers - 2 :</span></b></div>
<div style="text-align: justify;">
<b><span style="color: #cc0000;">Le Groupe des communistes internationalistes en Hollande, 1934-1939</span></b></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-weight: normal;"><br /></span></div>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
***</h3>
<h3 class="spip" style="text-align: center;">
ABRÉVIATIONS</h3>
<div style="text-align: justify;">
<i>NOTA : la lettre D, dans l’ensemble de ces sigles, signifie
Deutschlands (d’Allemagne). Dans le cours du texte, elle est souvent
omise lors de la désignation d’un groupe. Par exemple : KP au lieu de
KPD, ou AAUE au lieu de AAUDE.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<b>SPD</b> (Sozialdemokratische Partei Deutschlands), parti social-démocrate allemand.</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>USPD</b> (Unhabhängige Sozialdemakratische Partei
Deutschlands), parti social-démocrate indépendant d’Allemagne formé en
avril 1917, regroupait divers éléments sortis du SPD.</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>KPD</b> (Kommunistische Partei Deutschlands), Parti
communiste d’Allemagne, formé à la fin de 1918 par des éléments de
toute l’ancienne gauche du SPD, dont :</div>
<div style="text-align: justify;">
l’<b>IKD</b> (Internationalen Kommunistischen
Deutschlands), communistes internationaux d’Allemagne et
Linksradikaler (radicaux de gauche).</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>KAPD</b> (Kommunistischen Arbeiter Partei Deutschlands),
Parti ouvrier communiste d’Allemagne, né en avril 1920 de la
scission entre la gauche ouvrière et la direction parlementaire du
parti communiste (KPD). Le KAPD avait des rapports étroits avec
l’AAUD.</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>AAUD</b> (Allgemeine Arbeiter Union Deutschlands), Union
ouvrière d’Allemagne issue des organisations d’usine créées pendant
la guerre et immédiatement après.</div>
<div style="text-align: justify;">
Vers la fin de 1920, de ces deux derniers groupes sortit :</div>
<div style="text-align: justify;">
<b>AAUDE</b> (AAUD Einheitsorganisation -
AAUD-organisation unitaire) qui refusait une organisation
ouvrière distincte de l’organisation politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ces derniers regroupements, penchant vers le fédéralisme,
s’opposaient au centralisme de l’ensemble KAP-AAU. Toutefois, avec
l’évolution de la situation politique, ces noyaux KAP-AAU d’une part
et AAUDE d’autre part s’amenuisèrent : la montée du fascisme amena
des fusions.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le <b>KAUD</b> (Kommunistische Arbeiter Union
Deutschlands), Union ouvrière communiste d’Allemagne, regroupa les
membres de ces trois derniers groupes.</div>
<div style="text-align: justify;">
La <b>FAUD</b> (Freien Arbeiter Union Deutschlands), union
ouvrière libre d’Allemagne, regroupa en 1919 des membres des
organisations d’usine et ceux de la centrale syndicale
anarcho-syndicaliste des localistes.</div>
<div style="text-align: justify;">
La quasi-totalité des forces orgnisées du communisme de conseils
disparurent après l’instauration du national-socialisme (30
janvier 1933). Quelques rares groupes continuèrent, hors d’Allemagne,
à se manifester à cette époque par une activité tant théorique que
pratique. Parmi ceux-ci :</div>
<div style="text-align: justify;">
le <b>GLC</b> (Groep van Internationale Communisten),
désigné en Allemagne sous les initiales GLKH ou GLK (Gruppe
Internationaler Kommunisten (Holland), fut un des groupes se réclamant
du communisme de conseil. Le seul qui eut une productivité
théorique réelle et originale jointe à une activité pratique.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<b><span style="color: #cc0000;">A suivre : Mouvement pour les Conseils ouvriers - 2 :Le Groupe des communistes internationalistes en Hollande, 1934-1939</span></b></div>
<span style="font-size: xx-small;"></span><br />
<div class="notes surlignable">
<h2 class="posttext pas_surlignable">
<span style="font-size: xx-small;">Notes</span></h2>
<span style="font-size: xx-small;">[1]
On trouvera la traduction du compte rendu de ce congrès, réunie à
d’autres matériaux intéressants, dans A. et D. Prudhommeaux, <i>Spartacus et la Commune de Berlin,</i> éd. Spartacus.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[2] Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par les corps-francs à Berlin le 15 janvier 1919.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[3] <i>La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »)</i> a été terminé par Lénine en mai 1920. Ce texte sera distribué à tous les délégués au II<sup class="typo_exposants">e</sup> Congrès de l’Internationale communiste. Lénine y exprime sa vision de la lutte politique en vue d’une prise de pouvoir.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[4] (1)Herman Gorter, <i>Réponse à Lénine</i> (1920) Paris, 1930. Texte en ligne : <a class="spip_out" href="http://www.left-dis.nl/f/herman.htm" rel="external">www.left-dis.nl/f/herman.htm</a>.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[5]
On considérait dans le KAP que la réaction des journaux devait être
« tournante », c’est-à-dire prise en charge à tour de rôle par les
différentes sections locales du parti, ceci afin d’éviter la formation
d’une « clique » spécialisée dans la manipulation.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[6] <i>Rätekorrespondenz,</i>
n° 2, novembre 1932 (organe clandestin, ronéoté, de la KAU, dont la
presse, dès ce moment, était régulièrement saisie par ordre des
autorités social-démocrates de Prusse).</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[7]
Karl Schroeder (1854-1950) combattant spartakiste, dont la tête fut
mise à prix en 1919, puis dirigeant professionnel du KAPD, en fut exclu
en 1924 ; il devint ensuite fonctionnaire du Parti socialiste. II fut
l’un des rares dirigeants de ce parti à organiser une « résistance » au
nazisme. Condamné en 1936 avec d’autres anciens du KAP, il tient
aujourd’hui une place honorable dans le « martyrologue » du socialisme
allemand.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[8]
Ainsi l’un des dirigeants du parti fut exclu sous prétexte qu’il avait
pactisé avec l’ennemi en publiant un roman dans la maison d’édition du
Parti communiste allemand. Il s’agissait d’Adam Scharrer (1889-1948)
ouvrier serrurier, puis combattant spartakiste. Ensuite dirigeant
professionnel du KAPD, dont il fut exclu en 1930. Comme Schroeder, il
est romancier, mais il s’oriente dans l’autre direction : à partir de
1933, il réside à Moscou. Il était considéré en Allemagne de l’Est comme
un « pionnier de la littérature prolétarienne ». II va sans dire que
certains traits de son passé restaient cachés au public.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[9] Voir <i>Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag et autres écrits,</i> de Marinus van der Lubbe, éd. Verticales, 2003 ; <i>Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag,</i>
de Nico Jassies, Editions antisociales, 2004 ; « L’acte personnel » et
« La destruction comme moyen de lutte », d’Anton Pannekoek, <i>Echanges</i> n° 90 (printemps-été 1999).</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[10] Traduction sur <a class="spip_out" href="http://www.left-dis.nl/f/gictabma.htm" rel="external">www.left-dis.nl/f/gictabma.htm</a>.
Un résumé sous le titre <i>Principes de base</i>, d’abord paru dans les nos 19, 20 et 21 de <i>Bilan</i>, a été publié dans le n° 11 des <i>Cahiers du Communisme de Conseil</i>.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[11] Sébastien Faure (1858-1942), <i>Mon Communisme : le Bonheur universel,</i> Paris 1921, page 227.</span><br />
<span style="font-size: xx-small;">[12] Rudolf Hilferding, <i>Das Finanzkapital,</i> page 1. (<i>Le Capital financier,</i> trad. française aux Editions de Minuit,1970, épuisée.)</span></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-35627477607069382892019-03-17T10:37:00.000-07:002019-03-17T10:37:12.480-07:00Les divergences de principe entre Rosa Luxemburg et Lénine<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_7wapli5UP3EPPGC0J-FELHrOJ1Dw7dxGkffCKtKDSFqO0oLf-FV_qivuxQN3ZX68nsxYYTDn_TsTydPD4L6oMbcz4ErJUR-xnLE3EDL8lvKGDnNLN5HNqOn9gKmc4uvxNqGGyxBkb2oS/s1600/tag-rl.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="394" data-original-width="700" height="225" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_7wapli5UP3EPPGC0J-FELHrOJ1Dw7dxGkffCKtKDSFqO0oLf-FV_qivuxQN3ZX68nsxYYTDn_TsTydPD4L6oMbcz4ErJUR-xnLE3EDL8lvKGDnNLN5HNqOn9gKmc4uvxNqGGyxBkb2oS/s400/tag-rl.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
Rosa Luxemburg
et Lénine se sont formés l’un comme l’autre au sein de la
social-démocratie dont ils furent des figures éminentes. Leurs œuvres à
chacun devaient non seulement exercer une influence considérable sur les
mouvement ouvriers russe, polonais et allemand, mais encore avoir une
portée historique universelle. Car tous deux incarnèrent l’opposition au
révisionnisme et au réformisme inhérents à la II° Internationale, et
leurs noms restent indissolublement liés à la réorganisation du
mouvement ouvrier pendant et après la guerre mondiale. Ces marxistes, à
la personnalité d’une trempe exceptionnelle, qui ne séparèrent jamais la
théorie d’avec la pratique, furent – pour reprendre une expression
chère à Rosa Luxemburg – des « chandelles brûlant par les deux bouts ».</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="text-align: justify;">
Tout en s’étant assignés une mission
identique – à savoir: faire sortir le mouvement ouvrier du marais où il
se trouvait enlisé et le lancer à l’assaut du capitalisme – Luxemburg et
Lénine empruntèrent des voies différentes, sinon même opposées. Sans
que faiblisse l’estime qu’ils éprouvèrent toujours l’un pour l’autre,
ils se heurtèrent vivement à propos des questions fondamentales de la
stratégie et des principes révolutionnaires. Il est permis d’affirmer
d’emblée que sur bien des points essentiels leurs conceptions
respectives diffèrent comme le jour et la nuit ou, plus exactement,
comme les problèmes de la révolution bourgeoise et les problèmes de la
révolution prolétarienne. Maintenant que tous deux ont disparu, il n’est
pas rare de voir des léninistes inconséquents s’efforcer, pour des
raisons politiques, de concilier Lénine et Rosa Luxemburg, et de
minimiser ce qui les opposa; mais il s’agit là tout bonnement
d’incroyables falsifications de l’histoire, qui ne servent que les
falsificateurs et pour un temps seulement.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce qui unit Luxemburg et Lénine, ce fut
la lutte contre le réformisme d’avant 1914 et contre le chauvinisme dans
lequel la social-démocratie internationale bascula dès la déclaration
de guerre. Mais ce coude-à-coude ne devait pas empêcher la controverse
de battre son plein entre eux. Leurs divergences concernaient le cours à
prendre par la révolution et donc, la tactique étant inséparable des
principes, le contenu et la forme du nouveau mouvement ouvrier. S’il est
notoire qu’il furent tous deux des ennemis jurés du révisionnisme (ce
qui conduit souvent à associer leurs noms), il n’en demeure pas moins
qu’on peut difficilement aujourd’hui se faire une idée précise de ces
divergences. Depuis une dizaine d’années, la III° Internationale a sans
doute usé et abusé du nom de Rosa Luxemburg, dans le cadre des crises
politiques qui la secouent en permanence et, plus particulièrement, de
l’offensive qu’elle a lancé contre le « luxembourgisme
contre-révolutionnaire », comme on se plaît à l’appeler [1]. Mais rien
n’a été fait pour tirer au clair le différend. On ne tient pas du tout,
en général, à « déterrer » le passé. A l’instar de la social-démocratie
allemande qui, alléguant le « manque d’argent », refusa un jour de
publier les œuvres de Luxemburg [2], la III° Internationale a fini par
renier la promesse – faite en son nom par Clara Zetkin [3] – d’assurer
la publication de ces mêmes œuvres. Pourtant, face à la concurrence, la
III° Internationale ne manque pas de se réclamer de Rosa Luxemburg,
chaque fois que cela lui semble opportun. Quant à la social-démocratie,
elle a souvent le front de parler avec des larmes dans la voix de « la
grande révolutionnaire qui s’est trompée » et qui est tombée victime de
sa « fougue » et non des mercenaires infâmes de Noske, le vieux camarade
de parti [4]. Lorsque après l’expérience de ces deux Internationales
d’aucuns prétendent non seulement de construire un mouvement nouveau et
réellement révolutionnaire, mais aussi de tirer profit des leçons du
passé, ils se bornent à réduire les divergences en question à un
désaccord sur la question nationale, lequel, qui plus est, aurait touché
exclusivement des problèmes d’ordre tactique relatif à l’indépendance
de la Pologne. A cette fin, on se donne un mal fou pour atténuer le
différend, pour en faire un cas d’espèce et pour conclure en proclamant,
contrairement à l’évidence que Lénine est sorti vainqueur de la
polémique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cependant, la question nationale reste
indissociable des autres problèmes au sujet desquels Luxemburg et Lénine
se sont combattus. Elle se rattache en effet, le plus étroitement, à
toutes les autres questions concernant la révolution mondiale; mais elle
a l’avantage de faire mieux ressortir la divergence fondamentale:
l’antagonisme irréconciliable de la conception jacobine de la révolution
et de sa conception prolétarienne. Quand, face aux errements
nationalistes de l’ère stalinienne de la III° Internationale, on croit
bon, à l’instar de Max Shachtman [5], de reprendre à son compte les
idées de Rosa Luxemburg, on se doit aussi de les considérer comme
justifiées par rapport à celles de Lénine. La politique de la III°
Internationale a sans doute changé sur bien des points depuis la mort de
Lénine, mais sur la question nationale elle est restée foncièrement
léniniste. Un léniniste ne peut prendre qu’une position opposée à celle
de Luxemburg dont il n’est pas seulement l’adversaire en matière de
théorie, mais aussi l’ennemi mortel. A l’inverse, la position de
Luxemburg est incompatible avec le bolchevisme léniniste et, par
conséquent, quiconque se réclame de Lénine ne saurait en même temps
invoquer Rosa Luxemburg à l’appui de ses thèses.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<strong>L’opposition au réformisme</strong></div>
<div style="text-align: justify;">
Le développement du capitalisme mondial,
l’expansion impérialiste, la monopolisation graduelle de l’économie et
les surprofits qui lui sont liés, devaient permettre la formation
provisoire d’une aristocratie ouvrière, la mise en place d’une
législation du travail et une amélioration générale de la condition
prolétarienne. D’où l’essor du révisionnisme et les progrès du
réformisme au sein du mouvement ouvrier. Au marxisme révolutionnaire –
infirmé, disait-on, par la prospérité capitaliste – , on substitua la
théorie de la réalisation progressive du socialisme grâce à la
démocratie. Dès lors, le mouvement ouvrier officiel put se développer et
recueillir l’adhésion d’une masse de petits bourgeois; ceux-ci en
prirent bientôt la direction intellectuelle et partagèrent, avec les
ouvriers parvenus, les avantages matériels liés aux carrières qui
s’offraient ainsi à leurs ambitions. Vers la fin du siècle, les
soi-disant « marxistes orthodoxes », Kautsky en tête, menèrent contre
cette évolution une lutte qui resta purement verbale et qui d’ailleurs
fut vite abandonnée. Parmi les théoriciens les plus en vue de cette
époque, Luxemburg et Lénine furent des rares qui poursuivirent sans
répit, en faveur d’un mouvement ouvrier réellement marxiste, un combat
implacable, d’abord contre le réformisme avéré, puis aussi contre le
réformisme « orthodoxe ».</div>
<div style="text-align: justify;">
On n’exagèrera pas en disant que de
toutes les critiques du révisionnisme, l’attaque que Luxemburg laça
contre lui fut la plus vigoureuse et la plus efficace. Polémiquant avec
Bernstein [6], elle souligne une fois de plus, face aux thèses absurdes
des partisans du légalisme à tout prix, « qu’il est impossible de
transformer les rapports fondamentaux de la société capitaliste, qui
sont ceux de la domination d’une classe par une autre, au moyen de
réformes légales qui en respecteraient le fondement bourgeois » [7]. La
réforme sociale, fait-elle valoir en outre, a pour fonction non « de
limiter la propriété capitaliste, mais au contraire de la protéger. Ou
encore – économiquement parlant – [elle] ne constitue pas une atteinte à
l’exploitation capitaliste, mais une tentative pour la normaliser »
[8]. Loin de conduire au socialisme, le capitalisme s’effondre, déclare
Rosa Luxemburg, et c’est à cet effondrement que les ouvriers doivent
faire face – non par la réforme, mais par la révolution. Ce qui ne
signifie pas qu’il faille négliger les questions de l’heure; les
marxistes révolutionnaires eux aussi soutiennent les luttes quotidiennes
des travailleurs mais, contrairement aux révisionnistes, ils
s’intéressent à la manière dont le combat est mené bien plus qu’à ses
objectifs immédiats. Pour les marxistes, le problème du moment consiste à
faire progresser les facteurs subjectifs, la conscience de classe
révolutionnaire, par le biais des luttes syndicales et politiques. Poser
la réforme et la révolution comme des termes s’excluant réciproquement,
c’est mal poser le problème; pour autant qu’il y ait opposition entre
eux, il faut la replacer dans son contexte propre, le progrès social. La
lutte pour les revendications immédiates ne doit pas faire perdre de
vue le but final: la révolution prolétarienne. [9].</div>
<div style="text-align: justify;">
Peu de temps après, Lénine à son tour
attaqua le révisionnisme d’une manière finalement semblable. Lui aussi
voyait dans les réformes des sous-produits, en quelque sorte, de la
lutte pour la conquête du pouvoir politique. En ce qui concerne tant la
lutte contre la mutilation du marxisme que la lutte révolutionnaire pour
la conquête du pouvoir politique, ses vues concordaient donc avec
celles de Rosa Luxemburg. C’est seulement dans le cadre général de la
révolution russe de 1905, quand la situation mit à l’ordre du jour la
lutte révolutionnaire pour le pouvoir et en fit une question brûlante, à
aborder sous un angle le plus concret, que des divergences se
manifestèrent pour la première fois entre eux. Voilà pourquoi le conflit
éclata à propos de sujets d’ordre tactique: les problèmes
d’organisation et la question nationale.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<strong>La question nationale</strong></div>
<div style="text-align: justify;">
A la façon de Kautsky, qui fut à bien des
égards son maître à penser, Lénine était convaincu du caractère
progressiste des mouvements d’indépendance nationale, attendu –
disait-il – que « l’État national offre incontestablement les meilleurs
conditions pour le développement du capitalisme » [10]. Soutenant à
l’encontre de Luxemburg que le mot d’ordre de la libre détermination des
peuples est révolutionnaire parce qu’il s’agit là d’« une revendication
qui ne diffère en rien des autres revendications démocratiques »,
Lénine proclamait: « Dans tout nationalisme bourgeois d’une nation
opprimée, il existe un contenu démocratique, et c’est ce contenu que
nous appuyons sans restrictions » [11].</div>
<div style="text-align: justify;">
Comme de multiples passages de ses œuvres
le démontrent [12] l’attitude de Lénine vis-à-vis de la libre
disposition des peuples et de la question nationale est conforme à sa
position sur la conquête des droits démocratiques. Celle-là permet donc
de comprendre celle-ci. Il suffira de citer à ce propos ce que Lénine
écrit dans ses « Thèses sur la révolution socialiste et le droit des
nations à disposer d’elles-mêmes »:</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
«<span style="color: black;"> Ce serait
une erreur capitale de croire que la lutte pour la démocratie est
susceptible de détourner le prolétariat de la révolution socialiste, ou
d’éclipser celle-ci, de l’estomper, etc. Au contraire. De même qu’il est
impossible de concevoir un socialisme victorieux qui ne réaliserait pas
la démocratie intégrale, de même le prolétariat ne peut se préparer à
la victoire sur la bourgeoisie s’il ne mène pas une lutte générale
systématique et révolutionnaire pour la démocratie </span>» [13]</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Il apparaît ainsi clairement qu’aux yeux
de Lénine mouvements et guerres à tendances nationalistes ont pour seul
objet d’instaurer la démocratie, auxquelles le prolétariat doit
participer puisque, toujours selon Lénine, la démocratie est un
préalable obligé à la lutte pour le socialisme. « Si la lutte pour la
démocratie est une lutte juste, dit-il, la guerre pour la démocratie est
juste elle aussi » et, par voie de conséquence, « dans une guerre
véritablement nationale, les mots « défense de la patrie » ne sont
nullement une tromperie » [14]. Voilà pourquoi Lénine professe qu’en tel
cas et « pour autant que la bourgeoisie d’une nation opprimée lutte
contre la nation qui opprime, nous sommes toujours « pour », en tout
état de cause et plus résolument que quiconque »; et d’ajouter: « car
nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression
» [15].</div>
<div style="text-align: justify;">
Lénine resta fidèle à cette conception
jusqu’à son dernier jour, et ses disciples l’ont été de même jusqu’à
présent, du moins dans la mesure où le pouvoir bolchevik ne risquait (et
ne risque) pas d’en pâtir. La seule différence, assurément légère,
entre le maître et ses disciples, c’est que si Lénine, avant la
révolution russe, considérait les guerres et mouvements de libération
nationale comme des éléments du mouvement général pour instaurer la
démocratie, ces guerres et ces mouvements furent ensuite promus parties
intégrantes du processus de la révolution prolétarienne mondiale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Rosa Luxemburg tenait pour foncièrement erronées les thèses de Lénine, telles qu’on vient de les reconstituer. Dans la <em>Junius-broschüre</em>, qui paru pendant la guerre, elle résume ainsi sa conception:</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
«<span style="color: black;"> Aussi
longtemps qu’existent des États capitalistes, aussi longtemps,
notamment, que la politique impérialiste universelle détermine et
façonne la vie intérieure et extérieure des États, le droit des nations à
disposer d’elles-mêmes n’est qu’un vain mot, en temps de guerre comme
en temps de paix. Bien plus: dans l’actuelle ambiance impérialiste, il
ne peut y avoir de guerre nationale de défense et toute politique
socialiste qui fait abstraction de cette ambiance historique, qui ne
veut se laisser guider, au sein du tourbillon universel, que par les
points de vue d’un seul pays, est d’avance vouée à l’échec </span>»<span style="color: black;"> [16].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Jamais, au grand jamais, Rosa Luxemburg
ne fit sur ce sujet la moindre concession à Lénine. Ainsi, quand le
droit à l’autodétermination fut mis en pratique, après la révolution
russe, elle se demanda pourquoi les bolcheviks maintenaient contre vents
et marées, avec une telle opiniâtreté, un mot d’ordre « en
contradiction flagrante, non seulement avec le centralisme par ailleurs
manifeste de leur politique, mais aussi avec l’attitude qu’ils ont
adoptée envers les autres principes démocratiques (…). Cette
contradiction flagrante est d’autant moins compréhensible que les formes
démocratiques de la vie politique dans chaque pays (…) constituent
effectivement les fondements les plus précieux, les fondements
indispensables même de la politique socialiste, alors que l’illustre
« droit des nations à l’autodétermination » est du domaine de la
phraséologie creuse et de la mystification petite-bourgeoise » [17].</div>
<div style="text-align: justify;">
Il s’agissait à son avis d’une « variété
d’opportunisme » visant à « lier les nombreuses nationalités allogènes,
que comprenait l’empire russe, à la cause de la révolution », bref, d’un
autre aspect de la politique opportuniste adoptée par les bolcheviks à
l’égard des paysans russes:</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
« <span style="color: black;">On voulait
satisfaire leur faim de terre par le mot d’ordre de prise de possession
directe des domaines seigneuriaux et les rallier ainsi à la bannière de
la révolution et du gouvernement prolétarien </span>»<span style="color: black;">. </span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Malheureusement, poursuivait Rosa Luxemburg,</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
« <span style="color: black;">dans les
deux cas, le calcul était totalement faux. Défenseurs de l’indépendance
nationale, même jusqu’au séparatisme, Lénine et ses amis pensaient
manifestement faire ainsi de la Finlande, de l’Ukraine, de la Pologne,
de la Lithuanie, des Pays baltes, du Caucase, etc., autant de fidèles
alliés de la révolution russe. Mais nous avons assisté au spectacle
inverse: l’une après l’autre, ces « nations » ont utilisé la liberté
qu’on venait de leur offrir pour s’allier, en ennemies mortelles de la
révolution russe, à l’impérialisme allemand (…). Certes, dans tous les
cas cités, ce ne sont pas les « nations » qui pratiquent cette politique
réactionnaire, mais les classes bourgeoises et petites-bourgeoises qui,
en opposition violente avec leurs masses prolétariennes, ont transformé
le « droit à l’autodétermination nationale » en instrument de leur
politique de classe contre-révolutionnaire. Mais – et nous touchons là
le cœur du problème – cette formule nationaliste révèle son caractère
utopique et petit-bourgeois, car, dans la rude réalité de la société de
classes, et surtout à une époque d’antagonismes exacerbés, elle se
transforme en un moyen de domination des classes bourgeoises</span> »[18].</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Les bolcheviks n’avaient donc pas hésité à
agiter, en plein combat révolutionnaire, la question des aspirations
nationales et des tendances séparatistes; voilà qui, selon Rosa
Luxemburg, avait « jeté le trouble dans les rangs du socialisme ». Et
elle dressait ensuite ce constat:</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
« <span style="color: black;">Les
bolcheviks ont fourni l’idéologie permettant de déguiser l’offensive
contre-révolutionnaire; ils ont renforcé la position de la bourgeoisie
et affaibli celle du prolétariat (…). Il était réservé aux antipodes des
socialistes gouvernementaux, aux bolcheviks, d’amener, grâce à la belle
formule de l’autodétermination, de l’eau au moulin de la
contre-révolution et de fournir ainsi une idéologie qui permettrait non
seulement d’écraser la révolution russe en elle-même, mais aussi de
liquider la guerre mondiale dans son ensemble conformément aux plans
contre-révolutionnaires</span> »[19].</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
On peut s’interroger, après Rosa
Luxemburg, sur les raisons qui poussaient Lénine à ne point démordre de
la formule du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de la
libération des nationalités opprimées. Ce slogan n’était-il pas en
contradiction criante avec les exigences de la révolution mondiale? Et
Lénine, comme Rosa Luxemburg, œuvrait au déclenchement de cette
révolution. A l’instar de tous les marxistes de son temps, il ne croyait
pas que la Russie, abandonnée à ses seules ressources, fût en mesure de
poursuivre jusqu’au bout le combat révolutionnaire. Il partageait la
thèse de Marx-Engels selon laquelle « si la révolution russe devient le
signal d’une révolution ouvrière en Occident, de façon que les deux
révolutions se complètent, l’actuelle propriété commune russe peut
devenir le point de départ d’une évolution communiste » [20]. Lénine
n’était donc pas seulement convaincu que les communistes devaient
prendre le pouvoir en Russie; il l’était tout autant que la révolution
russe ne pouvait conduire au socialisme qu’à la condition de gagner
l’Europe et, au-delà, le monde entier. Étant donné la situation
objective créée par la guerre, l’idée d’une Russie tenant tête aux
puissances impérialistes à elle seule, sans l’appui d’une révolution en
Europe occidentale, ne pouvait l’effleurer, pas plus que Rosa Luxemburg.
Cette dernière était d’ailleurs catégorique: « Bien entendu, ils [les
Russes] ne pourront se maintenir parmi ce sabbat infernal » [21]. Ce
diagnostic n’avait pas simplement pour base ce dont elle savait capables
les Lénine et les Trotsky, la méfiance que leurs tirades aberrantes sur
le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes lui inspirait, leur
politique de concessions à la paysannerie et le reste. Il ne lui était
pas dicté non plus par le rapport de forces existant entre la Russie
révolutionnaire et les puissances impérialistes, et ne découlait
nullement d’une conception analogue à celle des social-démocrates qui,
statistiques en main, se plaisaient à démontrer que l’état arriéré de
l’économie russe ni ne justifiait une révolution ni ne permettait le
socialisme. La raison profonde de son pessimisme était avant tout le
fait que « la social-démocratie de cet Occident supérieurement développé
est composée de poltrons abjects qui, en spectateurs paisibles,
laisseront les Russes perdre tout leur sang » Aussi, tout en critiquant
les bolcheviks en fonction des exigences de la révolution mondiale,
soutenait-elle leur cause; elle ne manquait pas de souligner, par
exemple, que si les bolcheviks essuyaient de graves revers économiques,
c’était parce que le prolétariat d’Europe occidentale ne faisait rien
pour les aider. « Ah oui! les bolcheviks! s’écriait-elle. Naturellement
ils ne m’enchantent guère maintenant avec leur fanatisme pour la paix
[allusion à Brest-Litovsk. <em>P.M.</em>]. Mais en fin de compte – ce
n’est pas leur faute. Ils sont dans une situation de contrainte: ils
n’ont le choix qu’entre deux volées et ils choisissent la moindre.
D’autres sont responsables de ce que le diable ait le profit de la
révolution russe » [22].</div>
<div style="text-align: justify;">
Argumentation qu’elle devait d’ailleurs
reprendre par la suite dans les termes suivants : « Les socialistes
gouvernementaux allemands peuvent bien crier haut et fort que la
domination des bolcheviks en Russie n’est qu’une caricature de dictature
du prolétariat. Si tel a été ou si tel est le cas, c’est uniquement
parce qu’elle fut le produit de l’attitude du prolétariat allemand,
elle-même caricature de la lutte de classe socialiste » [23].<br />
Rosa Luxemburg mourut trop tôt pour constater que la politique de Lénine
était parfaitement en mesure de conserver le pouvoir aux bolcheviks,
sur une base capitaliste d’État, lors même que ces derniers avaient mis
fin à toute espèce d’aide au mouvement révolutionnaire dans le monde.
Karl Liebknecht, dans sa geôle, le notait à l’unisson : « Dilemme :
naufrage dans l’honneur révolutionnaire — ou délai de grâce ignominieux —
ou révolution allemande » [24].<br />
Les bolcheviks optèrent pour la seconde solution. Du temps qu’il était
encore un marxiste, Eugène Varga pouvait écrire à ce propos : « On
trouve en Russie des communistes, qui, las d’attendre en vain la
révolution européenne, cherchent à tirer les conséquences dernières de
l’isolement du pays. Si jamais la Russie se désintéressait de la
révolution sociale dans les autres pays (…) les pays capitalistes
auraient à tout le moins l’assurance de relations de bon voisinage (…).
La Russie révolutionnaire se trouvant ainsi mise hors circuit, l’essor
de la révolution mondiale serait gravement compromis » [25].<br />
La politique suivie par Lénine en matière d’autodétermination des
peuples n’a pas causé de dommages irréparables au régime. Sans doute,
certaines régions de l’ex-Empire russe firent sécession et passèrent à
la contre-révolution ouverte; mais cela n’empêcha pas le régime
bolchevik d’être plus solidement établi que jamais. Tout semble donc
indiquer que l’Histoire a confirmé la ligne léniniste et, du même coup,
infirmé les appréhensions de Rosa Luxemburg. C’est là cependant une
impression qui n’est justifiée que dans la mesure où elle s’applique à
la puissance de l’appareil d’État bolchevik. Mais il en va tout
différemment du point de vue de la révolution mondiale, pivot de la
controverse entre Lénine et Luxemburg. La Russie, certes, a survécu à la
tourmente, mais elle n’est plus ce qu’elle était ou disait être à
l’origine. Loin de servir à l’avancement de la révolution dans le monde,
elle sert à son écrasement. La révolution russe, que Rosa Luxemburg et
tous les révolutionnaires avaient à l’époque salué avec enthousiasme, a
trompé les espoirs ainsi placés en elle.<br />
En ce sens, l’Histoire a confirmé, et non infirmé, les craintes que Rosa
Luxemburg exprimait dès 1918 dans les termes suivants : « On voit
s’approcher le spectre sinistre (…) d’une alliance des bolcheviks avec
l’impérialisme allemand [laquelle] porterait au socialisme international
le coup moral le plus terrible qui pût encore lui être infligé (…).
Avec l’« accouplement » grotesque de Lénine et de Hindenburg
s’éteindrait à l’Est la source de lumière morale (…). Une révolution
socialiste (…) sous la juridiction protectrice de l’impérialisme
allemand — voilà qui serait pour nous un spectacle d’une monstruosité
sans égale. Et ce serait de surcroît purement et simplement de l’utopie
(…). N’importe quel déclin politique des bolcheviks dans un noble combat
contre des forces supérieures et une situation historique défavorable
vaudrait mieux que ce déclin moral » [26].<br />
Bien que la vieille amitié germano-russe du temps de Lénine et de
Hindenburg se soit refroidie — provisoirement — et que la dictature
bolcheviste lui préfère maintenant le soutien de la Société des Nations
en général et des baïonnettes françaises en particulier [27], la Russie
léniniste est toujours restée fidèle à la politique qu’elle avait érigée
en principe et dont Boukharine donna au IV° Congrès du Komintern cette
définition sans équivoque : « Il n’y a pas de différence de principe
entre un emprunt financier et une alliance militaire (…). Nous sommes
assez forts pour conclure une alliance avec un État bourgeois et pouvoir
l’utiliser pour en abattre un autre. Cette forme de défense nationale —
l’alliance militaire avec certains États bourgeois — impose comme un
devoir aux camarades d’un de ces pays de contribuer à la victoire de
notre coalition » [28].<br />
L’« accouplement grotesque » de Lénine et de Hindenburg, du capitalisme
et du bolchevisme, fut une manifestation particulièrement nette du
reflux de la vague révolutionnaire, reflux qui du reste n’a pas encore
atteint son point extrême. Le mouvement ouvrier, qui se rassemble sous
le signe de Lénine, s’inscrit dans le cadre de la politique capitaliste;
il est incapable d’agir en révolutionnaire. Considérée dans ses
prolongements historiques, la stratégie léniniste — mettre les
mouvements nationalistes au service de la révolution mondiale — s’est
révélée absolument erronée. Et les pires craintes de Rosa Luxemburg ont
été justifiées au-delà de tout ce qu’elle aurait pu imaginer.<br />
Aujourd’hui, les nations « libérées » font à la Russie une ceinture
fasciste. En Turquie « libérée », on abat les communistes avec des
fusils d’origine russe. Les dirigeants chinois, dont la Russie et la
III° Internationale appuient la lutte pour l’indépendance nationale, ont
noyé dans le sang le mouvement ouvrier, d’une manière qui rappelle la
Commune de Paris. Partout dans le monde, les cadavres de milliers et de
milliers de travailleurs massacrés démontrent — de quelle façon sinistre
! — la justesse des conceptions de Rosa Luxemburg : le battage autour
du droit des peuples à dis¬poser d’eux-mêmes n’est qu’une «
mystification petite-bourgeoise ».<br />
Les errements nationalistes de la IIIe Internationale en Allemagne ont
montré à quoi conduit le beau principe : « La lutte pour la libération
nationale se confond avec la lutte pour la démocratie ». Ces errements
n’ont-ils pas contribué pour leur part à frayer la voie au fascisme ?
Oui, dix années de surenchère nationaliste avec Hitler ont fini par
transformer les ouvriers eux-mêmes en fascistes. Et Litvinov [délégué de
la Russie à la S. D. N. (N. d. T.)] n’a-t-il pas été jusqu’à présenter
les résultats du plébiscite de la Sarre comme une victoire de l’idéal
léniniste de la libre disposition des peuples ? Dès lors, si une chose
peut encore surprendre, c’est qu’il existe encore des gens capables de
soutenir à la façon de Max Shachtman : « En dépit des vives critiques
dont Rosa Luxemburg l’accabla, la politique des nationalités, suivie par
les bolcheviks après la révolution, a été justifiée par ses résultats »
[29].<br />
Il faut noter du reste que l’attitude de Lénine sur la question
nationale fut rien moins que cohérente et toujours soumise à des
considérations tactiques. En vérité, elle fut même parfaitement
contradictoire. Ainsi, Lénine n’hésita-t-il pas à proclamer : « Quand on
parle d’actes révolutionnaires en temps de guerre contre le
gouvernement de son pays, il est indubitable, incontestable, qu’il
s’agit non seulement de souhaiter la défaite de ce gouvernement, mais
aussi d’y concourir effectivement » [30]. Or, en développant cette idée,
on aboutit à un contradiction flagrante : en effet, étant donné que les
divers pays belligérants ne sont pas tous affectés dans la même mesure
par le défaitisme et au même moment par la révolution prolétarienne,
cette tactique a pour conséquence de faciliter la victoire du pays le
moins touché et l’oppression dans celui qui l’est le plus ! Au cours
d’une guerre impérialiste, le prolétariat — s’il écoute Lénine — doit
œuvrer à la défaite de son pays. Dès cette défaite acquise, il lui faut
faire volte-face et soutenir sa bourgeoisie nationale, luttant pour
libérer la patrie. Puis, quand le pays « opprimé » a recouvré sa place
dans le concert des nations, les ouvriers doivent une fois de plus
laisser tomber la défense du territoire. Est-ce là fausser la pensée de
Lénine ? Pas le moins du monde, comme le démontre un simple coup d’œil
rétrospectif sur la pratique réelle. En ce qui concerne l’Allemagne, la
position de Lénine et des bolcheviks a en effet varié de la manière
suivante : 1914-18, contre la défense du pays; 1919-23, pour la défense
et la libération du territoire national; enfin, lorsque l’Allemagne fut
redevenue une puissance impérialiste, grâce au concours du prolétariat,
ils prirent de nouveau position contre la défense de la nation. La
tactique défaitiste, préconisée par Lénine pendant la dernière guerre,
se trouve en contradiction absolue tant avec le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes qu’avec la cause des guerres de libération
nationale. Il s’agit d’un simple mouvement de rééquilibration : le
prolétariat joue le rôle d’une justice compensatoire entre les rivaux
capitalistes. Rosa Luxemburg se donna beaucoup de mal pour démontrer que
tout cela n’avait rien de commun avec la lutte de classe marxiste.<br />
Lénine, en politique, fut un esprit positif. Pour l’essentiel, ce fut
seulement en tant que tacticien qu’il se différencia des théoriciens de
la II° Internationale. Ce qu’ils pensaient, eux, obtenir par des voies
démocratiques, il cherchait, lui, à l’arracher par des méthodes
révolutionnaires. Voulant réaliser le socialisme pour les ouvriers, il
comptait y arriver non par des discours au Parlement, mais par la force,
sur le terrain réel de la lutte des classes. La mission du parti
consistait à faire la révolution pour les masses, celles-ci étant
conduites à adhérer au parti et se confondant dès lors avec lui. Il
fallait que le pouvoir revienne aux bolcheviks pour que ceux-ci puissent
libérer les exploités de Russie et que la révolution puisse dans le
monde entier triompher du capitalisme. La prise du pouvoir par le parti,
tel fut l’alpha et l’oméga de la politique léninienne — politique
souvent qualifiée d’intelligente et de souple mais, en vérité, tout
bonnement opportuniste.<br />
Quand la révolution éclata, la bourgeoisie russe n’était ni en état de prendre le pouvoir ni<em> a fortiori</em>
de le conserver, car elle était incapable de résoudre la question
agraire. Cette tâche, les bolcheviks l’accomplirent. « Ce qui est
entièrement achevé dans notre révolution, c’est seulement son œuvre
démocratique bourgeoise », déclara Lénine à l’occasion du quatrième
anniversaire de la Révolution d’octobre [31], et cette œuvre fut achevée
grâce à la paysannerie. Une fois au pouvoir, les bolcheviks jouèrent
constamment sur l’antagonisme des paysans et des ouvriers, d’où cette
politique en zig-zag, cette série de brusques renversements de vapeur,
que tout le monde connaît aujourd’hui, tant sur le plan russe que sur le
plan international. C’est cette politique, uniquement conçue pour
conserver le pouvoir, qui de crise en crise a fini par précipiter le
déclin de la III° Internationale.<br />
Dès la première concession d’envergure faite aux paysans, Rosa Luxemburg
fut en mesure de prévoir, dans ses grandes lignes, l’évolution de la
révolution bolcheviste au cours des années à venir, évolution inévitable
si la révolution mondiale ne venait pas étouffer dans l’œuf les
facteurs de réaction sociale engendrés par cette « transgression ». « Le
mot d’ordre lancé par les bolcheviks : prise de possession immédiate et
partage des terres par les paysans, devait immanquablement agir dans le
sens inverse [au but recherché]. Non seulement ce n’est pas une mesure
socialiste, mais elle barre la voie qui y mène, elle crée une montagne
de difficultés insurmontables à la restructuration des conditions
agraires dans le sens du socialisme » [32]. Rosa Luxemburg ignorait à ce
moment (elle était en prison) que les paysans avaient procédé au
partage des terres sans attendre la permission des bolcheviks, qui
s’étaient en définitive bornés à entériner un état de fait. Dans leur
mouve¬ment spontané, les masses paysannes n’avaient pas un instant songé
à consulter au préalable ces « porteurs de la conscience
révolutionnaire » que les bolcheviks se flattaient d’être.<br />
Pourtant, ces derniers entendaient bien pousser la révolution bourgeoise
jusqu’au bout. Pour cela, il fallait convertir les paysans en salariés
agricoles, c’est-à-dire industrialiser l’agriculture. Les léninistes
seraient donc fondés, du moins en apparence, à soutenir que Rosa
Luxemburg se trompait quand elle disait qu’en l’absence de révolution
mondiale les bolcheviks seraient forcés de capituler face aux paysans.
Mais cette thèse suppose encore et toujours que le bolchevisme a conduit
au socialisme. Or, ce qui existe aujourd’hui en Russie, c’est non point
le socialisme, mais le capitalisme d’État. On peut l’appeler socialisme
tant qu’on voudra, ce système-là n’en demeure pas moins un capitalisme
d’État qui exploite le travail salarié; voilà pourquoi les craintes
exprimées par Rosa Luxemburg ont été confirmées par l’Histoire, du moins
quant à l’essentiel et quelques correctifs qu’il soit nécessaire d’y
apporter.<br />
Les révoltes paysannes des premières années qui suivirent la révolution
forcèrent les bolcheviks, sous peine de perdre le pouvoir, apprendre une
voie qui ne pouvait que nuire au développement de la révolution
mondiale et qui, en Russie même, ne per¬mettait pas d’aller au-delà de
la mise en place d’un système capitaliste d’État, dont l’abolition par
le prolétariat constitue désormais un préalable obligé à la réalisation
du socialisme. Toutefois ce qui nous importe en ce lieu, c’est avant
tout le fait que les bolcheviks n’arrivèrent au pouvoir que grâce au
soulèvement des campagnes et, en outre, qu’ils étaient persuadés qu’il
leur suffisait d’avoir en main les leviers de commande politique et
économique pour conduire le pays au socialisme, à condition bien entendu
d’appliquer la « ligne correcte ». Obligés comme ils l’étaient en
réalité, par l’état d’arriération de la Russie, tant à centraliser à
l’extrême les organes de décision qu’à faire d’énormes concessions à la
paysannerie, les bolcheviks se figurèrent qu’ils poursuivaient une
politique bien à eux, une poli¬tique aussi clairvoyante que couronnée de
succès, et tâchèrent de l’imposer également au niveau international.<br />
Lénine sut dégager, avec une netteté remarquable, et bien avant
l’événement, les lois de développement de la révolution russe et
concevoir une théorie et une pratique appropriée à ce cadre national.
D’où, par conséquent, ses conceptions hypercentralistes en ce qui
concerne la structure du parti et celle de l’économie étatisée
(conformément aux idées d’Hilferding
sur la « socialisation »), d’où aussi sa position sur la question
nationale. Rosa Luxemburg, connaissant la situation russe comme elle la
connaissait, était mieux qu’aucun autre marxiste en état de comprendre
et d’analyser dans ses fondements historiques la politique léninienne;
dans la mesure même où l’action des bolcheviks revêtait un caractère
révolutionnaire à l’échelle mondiale, elle inclinait à voir dans cet
hypercentralisme un mal inévitable et auquel force était de se résigner.
Mais c’est avec la dernière énergie qu’elle combattit l’idée d’ériger
des conditions spécifiques à la Russie en panacée permettant de résoudre
les problèmes de la révolution prolétarienne dans le monde entier. « Le
danger commence, écrivait-elle, là où, faisant de nécessité vertu, ils
[les bolcheviks] cherchent à fixer dans tous les points de la théorie,
une tactique qui leur a été imposée par des conditions fatales et à la
proposer au prolétariat international comme modèle de la tactique
socialiste » [33].<br />
Conformément à ses prévisions, Lénine avait vu l’alliance des paysans et
des ouvriers aboutir à la prise du pouvoir par les bolcheviks; dès
lors, il conçut le cours de la révolution mondiale comme la répétition, à
une échelle assurément plus vaste, de ce processus. Les nations
opprimées étant surtout des pays agraires, l’Internationale communiste
s’efforça d’unir dans le monde entier les aspirations de la paysannerie à
celle des ouvriers, pour créer ainsi une force capable d’affronter le
capitalisme et de l’abattre, à la manière de la révolution russe. De
surcroît, ses dirigeants russes jugeaient indispensable de soutenir les
mouvements de libération nationale aux colonies et ceux aussi des
minorités ethniques des pays capitalistes, afin de battre en brèche
l’intervention des puissances impérialistes en Russie.<br />
Cependant, la longue série de revers que la direction du Komintern
devait essuyer, en voulant se créer une Internationale ouvrière et
paysanne sur mesure, n’a fait que confirmer cette vérité première : la
révolution mondiale ne saurait être une reproduction agrandie de la
révolution russe. Loin de contribuer au succès des mouvements
révolutionnaires anticapitalistes, cette politique a provoqué leur
désagrégation. Son seul et unique résultat a été de consolider le
pouvoir d’État bolcheviste qui a pu bénéficier, grâce à elle, d’un long
répit historique, générateur de la triste situation actuelle du
mouvement ouvrier en Russie et dans le monde.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
II</div>
<div style="text-align: justify;">
Lénine avait sur la question nationale
une position conforme à la conception que s’en formait la
social-démocratie d’avant-guerre, dont en général il était loin d’avoir
dépassé les vues. Il voyait en outre dans la mise en œuvre de cette
conception un moyen d’assurer et de renforcer l’emprise des bolcheviks
sur la Russie et de l’étendre — autant que faire se pouvait — au reste
du monde. Pour Rosa Luxembourg, en revanche, il s’agissait là d’une
politique néfaste, pour laquelle il faudrait payer et payer cher.<br />
A l’inverse de Lénine qui, sur la base de sa conception d’ensemble,
considérait la construction du Parti et son accession au pouvoir comme
le préalable obligé à la victoire du socialisme, Rosa Luxemburg partait
de la situation de classe du prolétariat et de ses exigences. Qui plus
est, tandis que chez Lénine la théorie et la pratique étaient
directement issues des conditions arriérées de la Russie, chez Luxemburg
elles étaient liées aux conditions spécifiques de la lutte de classes
dans les pays capitalistes le plus développés. C’est pourquoi elle
refusait d’identifier la « mission historique » du prolétariat avec la
fonction du Parti et de la réduire à une question de direction
centralisée. Bien plus que sur la croissance de l’organisation et sur la
qualité des dirigeants, elle mettait donc l’accent sur le mouvement
spontané des masses, sur leur « auto-activation », le développement de
leur initiative propre. D’où aussi les divergences d’appréciation
fondamentales qui la séparaient de Lénine en ce qui concerne le rôle
historique respectif du facteur de la spontanéité et de celui de
l’organisation. Toutefois, avant d’examiner plus à fond ces divergences,
il est bon de comparer brièvement les interprétations que Luxemburg et
Lénine donnèrent chacun de son côté de la théorie marxiste de
l’accumulation du capital, ce problème se rattachant de près à tous les
autres.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<strong>L’effondrement du capitalisme</strong></div>
<div style="text-align: justify;">
Rosa Luxemburg avait déjà fait ressortir,
dans le cadre de sa polémique avec Bernstein et consorts, la nécessité
pour le mouvement ouvrier d’œuvrer en vue de la révolution, et non de
simples réformes sociales, le capitalisme étant promis à un effondrement
inéluctable. Contrairement aux révisionnistes, qui cherchaient à
démontrer la pérennité du système capitaliste, elle soutenait que si
l’on suppose « la possibilité d’une croissance illimitée de
l’accumulation, le socialisme perd du même coup le fondement de granit
de la nécessité historique objective et [l’on s’enfonce par là] dans les
brumes des systèmes et des écoles pré-marxistes qui prétendaient faire
découler le socialisme de l’injustice et de la noirceur du monde actuel
ainsi que de la volonté révolutionnaire des classes laborieuses » [34].<br />
Son principal ouvrage économique, dans lequel elle voyait un volet, et
non le moindre, de la réfutation théorique du réformisme, a pour objet
tant de mettre en lumière l’existence d’une limite objective au
développement du capital que de procéder à une critique de la théorie
marxienne de l’accumulation du capital total.<br />
A son avis, si Marx eut le mérite de soulever le problème, il n’a pas su
le résoudre. Le Capital lui paraît un ouvrage « incomplet » — un «
torse » — dont il faut combler les lacunes. Marx, dit-elle, a décrit «
le processus d’accumulation du capital au sein d’une société composée
uniquement de capitalistes et d’ouvriers ». Voilà qui revient à faire
indûment abstraction du commerce extérieur, de sorte que, dans le cadre
du système marxien, il est « tout aussi nécessaire qu’impossible de
réaliser la plus-value en dehors des deux classes sociales existantes »;
dès lors, l’accumulation « ne peut sortir d’un cercle vicieux ».
Toujours suivant Rosa Luxemburg, l’œuvre de Marx est victime de ses «
contradictions flagrantes », ce à quoi elle entend remédier [35].<br />
Elle fonde, quant à elle, la nécessité de l’effondrement du capitalisme
sur « la contradiction dialectique selon laquelle l’accumulation a
besoin pour se mouvoir de formations sociales non capitalistes autour
d’elle (…) et ne peut subsister sans contacts avec un tel milieu » [36].<br />
C’est dans la sphère de circulation du capital, dans la réalisation de
la plus-value et les problèmes qu’elle pose, que Luxemburg place
l’origine des difficultés auxquelles l’accumulation se heurte, alors que
pour Marx ces difficultés se manifestent déjà dans la sphère de
production, l’accumulation étant liée, à ses yeux, à la valorisation du
capital. Le problème principal, soutient-il, c’est la production de la
plus-value, non sa réalisation. Or Luxemburg estime qu’une partie de la
plus-value ne peut être réalisée dans le cadre d’un capitalisme tel
celui que Marx a décrit. Seuls des échanges avec les régions
extra-capitalistes permettent, d’après elle, de convertir la plus-value
en capital additionnel. Voici d’ailleurs comment elle s’exprime à ce
sujet :</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">«
L’accumulation tend à substituer à l’économie naturelle l’économie
marchande simple, et l’économie capitaliste à l’économie marchande
simple; elle tend à établir enfin la domination absolue et générale de
la production capitaliste dans tous les pays et dans toutes les branches
de l’économie. Mais le capital s’engage ici dans une impasse. Le
résultat final une fois atteint — en théorie du moins — l’accumulation
devient impossible, la réalisation et la capitalisation de la plus-value
deviennent des problèmes insolubles. Au moment où le schéma marxien de
la reproduction élargie correspond à la réalité, il marque l’arrêt, les
limites historiques du processus de l’accumulation, donc la fin de la
production capitaliste. L’impossibilité de l’accumulation signifie, du
point de vue capitaliste, l’impossibilité du développement ultérieur des
forces de production et donc nécessité historique objective de
l’effondrement du capitalisme »</span> [37]</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Ces considérations n’amènent rien de
vraiment nouveau et n’ont d’autre originalité que les bases que Rosa
Luxemburg leur donne. Elle essaie d’en démontrer la justesse au moyen
d’une critique des schémas de la reproduction élargie figurant dans le
volume II du <em>Capital</em>. Selon Marx, le capital est contraint
d’accumuler. S’il n’existe pas certaines proportions entre les diverses
branches de la production, les capitalistes n’arrivent pas à trouver les
moyens de production, les ouvriers et les biens de consommation
nécessaires à la reproduction du capital. Ces proportions, que les
hommes ne peuvent modifier à leur gré, s’établissent à l’aveuglette, par
le biais du marché. Marx réduit la production sociale à deux grandes
sections : la production des moyens de production et celle des biens de
consommation. Pour mettre en lumière le mécanisme des échanges
intersectoriels, il ordonne en un schéma des chiffres arbitrairement
choisis. Dans le cadre de ce schéma, rien ne paraît entraver
l’accumulation : les échanges entre les deux sections se poursuivent
sans à-coups. Or, affirme Rosa Luxemburg, « si l’on prend le schéma à la
lettre, tel qu’il est exposé à la fin du Livre deuxième du Capital, on a
l’impression que la production capitaliste réalise à elle seule la
totalité de sa plus-value et qu’elle utilise la plus-value capitalisée
pour ses propres besoins (…). Comme la production capitaliste achète
elle-même exclusivement son surproduit, il n’y a pas de limite à
l’accumulation du capital (…). Dès lors, le schéma [de Marx] ne permet
qu’une interprétation et une seule : la production pour la production à
l’infini » [38].<br />
Toutefois, fait valoir Luxemburg, l’accumulation ne peut pas avoir un «
but » pareil : « du point de vue capitaliste », le produire pour
produire que suppose le schéma, serait « absurdité pure » [39].</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« Sur la
base du schéma, il est impossible de savoir qui profite de cette
augmentation continue de la production. Certes, la consommation de la
société augmente en même temps que la production : la consommation des
capitalistes (…) et celle des ouvriers. Cependant, même sans tenir
compte du reste, l’accumulation ne saurait en tout état de cause avoir
pour but final l’accroissement de la consommation de la classe
capitaliste; au contraire, toute augmentation de cette consommation se
fait au détriment de l’accumulation; la consommation personnelle des
capitalistes entre dans la catégorie de la reproduction simple. <em>Pour qui</em>
les capitalistes produisent-ils lorsque au lieu de consommer eux-mêmes
leur plus-value ils « pratiquent l’abstinence», c’est-à-dire accumulent?
— voilà le vrai problème. A plus forte raison, le but de l’accumulation
ne peut pas être, du point de vue capitaliste, l’entretien d’une armée
d’ouvriers toujours accrue. La consommation des ouvriers est une
conséquence de l’accumulation, elle n’en est jamais ni le but ni la
condition, à moins que les bases de la production capitaliste ne soient
transformées de fond en comble » [40]. </span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Par conséquent,</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« au moment
même où le schéma marxien de la reproduction élargie correspond à la
réalité, il marque l’arrêt, les limites historiques du processus
d’accumulation du capital, donc la fin de la production capitaliste »
[41].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Aussi bien, un échange sans frictions et,
par là, un état d’équilibre intersectoriel est, selon Luxemburg, chose
parfaitement inconcevable sur la base du schéma de Marx. Dans
l’hypothèse d’une composition organique du capital [42] en augmentation
constante, dit-elle, le maintien de la proportionnalité entre les deux
grandes sections de la production, préalable obligé à la bonne marche de
l’accumulation, finit par se trouver exclu; en d’autres termes,
l’impossibilité d’une accumulation continue en longue période est
démontrable à l’aide d’un schéma purement quantitatif (tel celui que
Luxemburg proposa elle-même). La section des biens de consommation
présente dès lors un excédent de produits invendables sur le marché
capitaliste, d’où la nécessité absolue de réaliser un certain quantum de
la plus-value dans des milieux extra-capitalistes [43].<br />
C’est par ce même mécanisme que Rosa Luxemburg expliquait en outre
l’essor inévitable de l’impérialisme moderne. Théorie aux antipodes des
thèses de Lénine à ce sujet. Pour celui-ci, les contradictions révélant
l’existence de limites historiques, inhérentes Su développement du
capital, ne se situaient en effet nullement dans la sphère de
circulation, mais dans la sphère de production. Lénine suivait en cela
l’enseignement de Marx, dont il adoptait sans réserve d’aucune sorte les
théories économiques. Jugeant mutile de les compléter, il se contenta
de les appliquer à l’étude du développement du capitalisme en général et
du capitalisme russe en particulier.<br />
Lénine avait eu l’occasion d’émettre, dès ses polémiques avec les <em>narodniks </em>[44],
bien des arguments qu’il allait opposer plus tard à Rosa Luxemburg. Les
narodniks soutenaient que le marché capitaliste intérieur, déjà trop
exigu pour permettre le développement d’un capitalisme national, ne
cessait de s’amenuiser en raison de la paupérisation croissante des
masses. De même qu’à Luxemburg, il leur paraissait inconcevable que la
plus-value pût être réalisée en l’absence de marchés extérieurs. Voilà
pourtant qui, selon Lénine, n’a rien à voir avec la réalisation de la
plus-value. « Il est évident, soulignait-il, que l’on doit faire
abstraction ici du commerce extérieur car, en le faisant intervenir,
loin d’avancer d’une ligne la solution du problème, on ne fait que
l’éloigner en reportant la question d’un seul pays dans plusieurs »
[45].<br />
A ses yeux, « ce qui détermine pour un pays capitaliste la nécessité
d’avoir un marché extérieur, ce ne sont pas les lois de la réalisation
du produit social (et de la plus-value en particulier) mais, en premier
lieu, le fait que le capitalisme apparaît comme résultat d’une
circulation des marchandises largement développée, qui s’étend au-delà
des frontières de l’État » [46]. Aussi, « la vente du produit sur le
marché extérieur exige elle-même qu’on l’explique, c’est-à-dire que l’on
trouve un équivalent pour la partie écoulée du produit (…). Si l’on
veut parler des « difficultés » de la réalisation, des crises qui en
découlent, etc., il convient de reconnaître que ces « difficultés » sont
non seulement possibles, mais nécessaires pour toutes les parties du
produit capitaliste et non point pour la seule plus-value. Les
difficultés de ce genre, qui dépendent de la répartition
disproportionnée des différentes branches de la production, surgissent
sans cesse, non seulement lors de la réalisation de la plus-value, mais
aussi lors de la réalisation du capital constant et du capital variable;
à propos de la réalisation du produit non seulement en biens de
consommation, mais aussi en moyens de production » [47].</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">«Telle est,
on le sait, écrivait Lénine en 1897, la loi du développement du capital :
le capital constant s’accroît plus vite que le capital variable,
autrement dit, une partie de plus en plus grande des capitaux
nouvellement formés va à la section de l’économie sociale qui fournit
les moyens de production (…). Donc les biens de consommation personnelle
tiennent une place de plus en plus restreinte dans l’ensemble de la
production capitaliste. Et cela s’accorde parfaitement avec la « mission
historique » du capitalisme et sa structure sociale spécifique : la
première consiste précisément à développer les forces productives de la
société (production pour la production); la seconde exclut leur
utilisation par la masse de la population » [48].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Il est absurde, suivant Lénine, de
déduire de cette contradiction entre la production et la consommation
que Marx ait nié la possibilité d’une réalisation de la plus-value au
sein de la société capitaliste, ou qu’il ait attribué l’origine des
crises à une sous-consommation : « Les différentes branches d’industrie,
qui servent de « marché » les unes pour les autres, ne se développent
pas uniformément, mais se dépassent l’une l’autre, et l’industrie la
plus avancée cherche un marché extérieur. Cela ne signifie nullement «
l’impossibilité pour une nation capitaliste de réaliser la plus-value »
(…). Cela dénote seulement la disproportion dans le développement des
diverses industries. Le capital national étant réparti autrement, la
même quantité de produits pourrait être réalisée à l’intérieur du pays »
[49].<br />
Toujours selon Lénine, Marx a « parfaitement expliqué », grâce à ses
schémas de la reproduction, « le processus de réalisation du produit en
général et de la plus-value en particulier dans la production
capitaliste, et il a montré qu’il est absolument faux de faire
intervenir le marché extérieur dans le problème de la réalisation »
[50]. La propension du capitalisme aux crises et ses tendances
expansionnistes ont donc pour commune origine un manque d’uniformité
dans le développement des diverses branches d’industrie. C’est du
caractère monopoliste du capitalisme que Lénine ‘ faisait découler la
constance de l’expansion coloniale et le partage impérialiste du monde.
L’exportation des capitaux et la mainmise sur les sources de matières
premières permettaient en effet à la bourgeoisie des principaux pays
capitalistes d’empocher des surprofits énormes. Aux yeux de Lénine, par
conséquent, l’expansion impérialiste sert moins à réaliser la plus-value
qu’à augmenter la masse du profit [51].<br />
Cette conception est dans l’ensemble incontestablement plus proche de la
théorie de Marx que les thèses de Rosa Luxemburg. Celle-ci avait
cependant tout à fait raison de discerner, dans la théorie marxienne de
l’accumulation, la loi de l’effondrement du capitalisme; n’arrivant pas à
voir cependant quelles bases cette conception avait chez Marx, elle
élabora une théorie personnelle de la réalisation de la plus-value,
théorie que Lénine pouvait à bon droit qualifier d’erronée et
d’étrangère au marxisme. Relevons à ce propos que, dans la bibliographie
du marxisme qu’il joignit à sa biographie de Marx, Lénine signale
l’ouvrage de Luxemburg et « l’analyse de sa fausse interprétation de la
théorie de Marx par Otto Bauer » [52].<br />
Or, cette « analyse » de sa théorie, Rosa Luxemburg la considérait non
sans raison comme « une honte pour le marxisme officiel ». En effet,
Bauer se bornait à reprendre la conception révisionniste selon laquelle
il n’existe pas de limites objectives au développement du capitalisme. «
A notre avis, proclamait-il, le capitalisme est concevable, même à
défaut d’expansion » [53]. Et il concluait sa critique de l’ouvrage de
Luxemburg par le passage suivant :</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« Ce n’est
pas l’impossibilité mécanique de réaliser la plus-value qui provoquera
l’effondrement du capitalisme. Celui-ci sera vaincu par l’indignation
qu’il éveille dans les masses populaires (…). Il sera abattu longtemps
auparavant par l’indignation montante de la classe ouvrière, forte de
son accroissement constant, de la formation idéologique, de l’unité et
de l’organisation qu’elle doit au mécanisme du processus de production
capitaliste lui-même » </span>[54].</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Bauer avait mis au point un schéma de la
reproduction du Capital, expurgé de certains des défauts que Luxemburg
avait reproché à celui de Marx. Il tâchait ainsi de prouver que, même en
cas d’augmentation régulière de la composition organique du capital, un
échange harmonieux entre les deux sections demeure possible. Toutefois,
Rosa Luxemburg démontra à son tour que, même dans ce schéma modifié, il
subsiste un excédent invendable et qu’il faut pour le réaliser s’ouvrir
de nouveaux marchés. Bauer fut incapable de réfuter cette anticritique,
ce qui n’empêcha pas Lénine de saluer en lui « l’analyste de la fausse
théorie de Luxemburg ».<br />
Outre que la critique en cause n’atteignit guère son but, on a pu
montrer que les conclusions, que Bauer tirait de son schéma quant à
l’inexistence de limites objectives à l’accumulation (en dehors de la
question des échanges intersectoriels), sont absolument dénuées de
fondement. Henryk Grossmann a fait ressortir que si l’on projetait sur
longue période les données du schéma de Bauer, on assistait non à un
développement harmonieux, mais à l’effondre¬ment du capitalisme. Ainsi
la critique de la théorie de l’effondrement élaborée par Rosa Luxemburg
n’avait fait qu’ouvrir la voie à une nouvelle théorie de l’effondrement
[55].</div>
<div style="text-align: justify;">
La controverse Luxemburg-Bauer était
parfaitement vaine; mais Lénine, il n’est pas sans intérêt de le noter,
ne s’en aperçut pas. Au centre du débat figurait la possibilité ou
l’impossibilité d’un échange harmonieux entre les deux sections du
schéma de Marx, échange censé permettre de réaliser la plus-value. Chez
Marx, le schéma n’a pas d’autre utilité que d’éclairer l’analyse
théorique; son auteur ne lui a jamais attribué la moindre base objective
dans la réalité. Grossmann, tant dans un essai sur le changement de
plan du <em>Capital</em> [56] que dans d’autres études, a dégagé la
signification véritable du schéma, conférant ainsi à la discussion des
assises nouvelles et un caractère plus fécond.<br />
Chez Rosa Luxemburg, toute la critique du schéma marxien de la
reproduction reposait sur le postulat de la validité objective du
schéma. Or, comme H. Grossmann l’a si bien souligné, « le schéma ne
prétend nullement être à lui seul une image fidèle de la réalité
capitaliste concrète. Il ne représente qu’un maillon de la méthode des
approximations successives mise en œuvre par Marx et forme un tout
indissociable des autres hypothèses simplificatrices, qui le
sous-tendent, et des modifications apportées ensuite à l’objet analysé
en vue de le concrétiser progressivement. Ainsi donc aucun de ces
éléments pris isolément ne peut constituer un instrument pour
comprendre, aucun ne peut être autre chose qu’un stade préliminaire de
la connaissance, une première étape sur la voie de l’approximation de la
réalité concrète » [57].</div>
<div style="text-align: justify;">
Le schéma marxien traite de valeurs
d’échange; dans la réalité toutefois, les produits ne sont pas échangés à
leur valeur mais à leur prix de production. Aussi, « dans un schéma de
reproduction construit sur des valeurs (…), des taux de profit
différents doivent apparaître dans chaque section, alors que
l’expérience enseigne que, dans un système capitaliste fondé sur la
concurrence, les divers taux de profit, réalisés dans chacune des
sphères de la production, présentent une tendance à s’égaliser, à former
un taux de profit général, c’est-à-dire moyen. » D’où il s’ensuit
l’obligation de transformer le schéma fondé sur les valeurs en schéma
des prix si on tient à le prendre comme base pour démontrer la
possibilité (ou l’impossibilité) de réaliser la partie accumulable de la
plus-value dans une société proprement capitaliste [58].<br />
Supposons que Luxemburg ait vraiment réussi à mettre en évidence qu’il
est impossible d’écouler la totalité des marchandises, que, dans le
schéma marxien, l’excédent de biens de consommation invendables doit
s’accroître année par année, qu’aurait-elle prouvé ?<br />
« Tout simplement qu’un « reliquat inconvertible » doit apparaître dans
la section II du schéma-valeur, c’est-à-dire si l’on pose en hypothèse
un échange des marchandises à leur valeur » [59]. Or, dans le schéma qui
sert de base à l’analyse de Rosa Luxemburg, les diverses branches de la
production ont chacune un taux de profit particulier, lesquels ne
sauraient, faute de concurrence, s’égaliser en un taux de profit moyen.
Comment les conclusions de Luxemburg pourraient-elles être valides dans
la réalité, puisqu’elles découlent d’un schéma précisément dépourvu de
validité objective ?</div>
<div style="text-align: justify;">
« Étant donné que la concurrence, fait
valoir Grossmann, a pour effet la conversion des valeurs en prix de
production et, par suite, une redistribution de la plus-value entre les
diverses branches d’industrie (dans le cadre du schéma), il s’ensuit
nécessairement une transformation des proportions existant jusqu’alors
entre les sphères du schéma. Il est tout à fait possible, probable même,
qu’un « reliquat de consommation », qui subsisterait dans le
schéma-valeur, disparaîtrait dans le schéma-prix de production et
qu’inversement un état d’équilibre originaire dans le premier schéma
céderait la place à une disproportion dans le second » [60].</div>
<div style="text-align: justify;">
La confusion théorique, faite par Rosa
Luxemburg, apparaît le plus nettement dans le fait que si, d’une part,
elle voit dans le taux de profit moyen le facteur déterminant qui «
traite effectivement chaque capital privé comme une partie du capital
social total, lui alloue du profit comme la part de la plus-value
globale extorquée à la société qui lui revient en fonction de sa
grandeur, sans se soucier de la quantité de profit qu’il a réellement
acquise » (61), d’autre part, elle révoque en doute la possibilité d’un
échange complet, en utilisant pour cela un schéma qui exclut toute
formation d’un taux de profit moyen ! Dès qu’il est tenu compte de ce
taux moyen, il ne reste rien de la thèse des disproportions inévitables,
chère à Luxemburg, étant donné que certains capitalistes vendent leurs
marchandises au-dessus de la valeur et d’autres au-dessous et que, sur
la base du prix de production, la partie irréalisable de la plus-value
peut dorénavant être réalisée.<br />
La loi de l’accumulation du capital, telle que Marx l’a énoncée, se
confond avec la loi de la baisse du taux de profit. Cette baisse ne peut
être contrebalancée qu’un certain temps par l’accroissement de la masse
du profit, en raison des exigences toujours renouvelées de
l’accumulation du capital. D’après Marx, le système capitaliste est voué
à sombrer, non parce qu’il n’arrive pas à réaliser un excédent de
plus-value, mais parce qu’il se trouve face à un manque de plus-value.<br />
Rosa Luxemburg n’a pas discerné les conséquences de la baisse du taux de
profit. Voilà pourquoi elle crut devoir soulever la question — inepte
du point de vue marxien — du « but » de l’accumulation. « On déclare,
écrivait-elle, que le capitalisme finira par s’effondrer « à cause de la
baisse du taux de profit » (…). En tout état de cause, cette
consolidation est réduite à néant par une seule phrase de Marx : « Pour
les grands capitaux, la baisse du taux de profit est compensée par sa
masse. Il coulera encore de l’eau sous les ponts avant que la baisse du
taux de profit provoque l’effondrement du capitalisme » [62]. Mais
c’était là oublier que si Marx n’avait certes pas perdu de vue ce fait,
il en avait simultanément marqué les limites : la baisse du taux de
profit aboutit à la baisse de la masse du profit; dans la réalité, la
première engendre une baisse de la masse réelle du profit qui, de
relative qu’elle est en premier lieu, devient ensuite absolue par
rapport aux besoins de l’accumulation capitaliste.<br />
Lénine, après avoir souligné que « le taux de profit a tendance à
baisser », ajoutait que « Marx analyse minutieusement cette tendance
ainsi que les circonstances qui la masquent ou la contrarient » [63].
Mais, pas plus que Luxemburg, il n’a saisi dans toute son ampleur
l’importance de cette loi dans le cadre du système marxien. Voilà qui
explique pourquoi il tint pour fondée l’argumentation que Bauer avait
opposée à Luxemburg, et aussi pourquoi le développement inégal des
diverses sphères de la production lui paraissait à lui seul suffire à
rendre compte de l’origine des crises. Voilà qui serait aussi de nature à
expliquer pourquoi lui qui parlait un jour de la « fin inéluctable » du
capitalisme, il affirmait un autre — sans percevoir la contradiction —
qu’il n’existe pas de situations dont le capitalisme ne puisse se
sortir. On cherchera en vain dans ses ouvrages économiques un seul
argument démontrant l’existence de limites objectives au développement
du capitalisme, et pourtant Lénine n’en était pas moins fermement
convaincu que le système courait sans rémission à sa perte. La cause en
est sans doute que si, contrairement à Bauer et à ses consorts
social-démocrates, Lénine ne croyait pas à la possibilité de transformer
le capitalisme en socialisme grâce à des méthodes réformistes, il
considérait néanmoins comme eux que le renversement du capitalisme était
uniquement affaire de maturation de la conscience révolutionnaire du
prolétariat ou, pour être plus précis, affaire d’organisation et de
direction de la classe ouvrière.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<strong>La spontanéité et le rôle de l’organisation</strong></div>
<div style="text-align: justify;">
Nous avons vu ci-dessus que Rosa
Luxemburg avait, à juste titre, souligné que, pour Marx, la loi de
l’accumulation du capital ne faisait qu’une avec la loi de
l’effondrement du capitalisme. Malgré ses erreurs de raisonnement, elle
aboutissait ainsi à une conclusion on ne peut plus fondée : bien qu’elle
fût à cent lieues de Marx quand elle interprétait à sa manière la loi
de l’effondrement, elle n’en admettait pas moins l’existence de cette
loi. Les arguments, que Lénine opposa à sa théorie, étaient judicieux et
— pour aussi loin qu’ils allaient — en parfait accord avec la doctrine
de Marx; Lénine éluda cependant le problème de l’existence de limites
objectives à l’expansion du capital. Sa théorie des crises était aussi
insuffisante que privée de cohérence interne. Plus « correcte » sans
doute que celle de Rosa, elle n’entraînait aucune conclusion vrai-ment
révolutionnaire, tandis que l’autre, tout en étant fausse, en
comportait.<br />
Beaucoup plus proche de la social-démocratie que Rosa Luxemburg, Lénine
considérait l’effondrement du capitalisme bien plus comme la conséquence
d’un acte révolutionnaire conscient que comme le résultat d’un
processus d’ordre économique. Il ne parvint pas à se rendre compte que,
dans le cas d’une révolution prolétarienne, la question de savoir quel
est le facteur déterminant, le politique ou l’économique, n’est pas une
question de théorie abstraite, mais de situation concrète à un moment
donné. Inséparables l’un de l’autre, les deux facteurs ne peuvent en
effet être distingués qu’au niveau de l’analyse conceptuelle. Or Lénine
avait fait siennes nombre des thèses développées par Hilferding dans<em> Le Capital financier </em>(1910),
selon lesquelles le système capitaliste évoluait vers la formation d’un
« cartel général ». Autrement dit, Lénine, déjà contraint dès le départ
de raisonner en fonction du caractère bourgeois de la révolution russe —
et donc de s’adapter consciemment à ses manifestations et à ses
exigences bourgeoises —, se trouva par la suite, du fait de son adhésion
inconsidérée à des spéculations relatives aux pays capitalistes
hautement développés, plus enclin encore à surestimer le « côté
politique » de la révolution prolétarienne.<br />
C’est pourquoi l’erreur des erreurs est, aux yeux de Lénine, de soutenir
que nous sommes entrés dans l’époque de la révolution prolétarienne
pure (et ceci s’applique également à l’échelle internationale); selon sa
conception générale, une révolution de ce genre est même à tout jamais
inconcevable. Pour Lénine, la seule révolution possible passe par la
conversion. dialectique de la révolution bourgeoise en révolution
prolétarienne. Les objectifs de la première, qui demeurent à l’ordre du
jour, ne peuvent être atteints désormais que dans le cadre de la
seconde; mais cette dernière n’a de prolétarienne que la nature de la
classe appelée à la diriger : elle englobe en effet tous les opprimés
(paysans, petits bourgeois, peuples coloniaux, nations asservies, etc.),
dont le prolétariat doit se gagner l’alliance. Cette révolution
authentique a lieu à l’ère de l’impéria¬lisme, de l’impérialisme,
conséquence directe de la monopolisation de l’économie et forme «
parasitaire » d’un capitalisme « en stagnation », « dernier degré du
développement du capitalisme » qui, dit-il, précède immédiatement le
déclenchement de la révolution sociale [64]. Outre cela, « le
capitalisme dans sa phase impérialiste conduit tout droit à la
socialisation intégrale de la production. Il entraîne en quelque sorte
les capitalistes, en dépit de leur volonté et de leur conscience, vers
un nouvel ordre social qui marque une transition de l’entière liberté de
concurrence à la socialisation intégrale » [65].<br />
D’après Lénine, le capital monopoliste a donc déjà transformé la
production à un point tel qu’elle est mûre pour le socialisme; il ne
reste plus maintenant qu’à arracher aux capitalistes la direction de
l’économie pour la remettre à l’État, lequel organisera la distribution
conformément aux principes socialistes. Toute la question du socialisme
se ramène à la conquête du pouvoir par le parti prolétarien, qui
réalisera ensuite le socialisme au profit des ouvriers. En ce qui
concerne la construction du socialisme et le mode d’organisation de
celui-ci, il n’existait donc pas la moindre divergence sérieuse entre
Lénine et les social-démocrates. Ils n’étaient opposés que sur un point :
la méthode à employer pour prendre en main la gestion de la production —
voie parlementaire ou voie révolutionnaire ? Mais les deux conceptions
avaient ce trait commun de voir dans la possession du pouvoir politique
et le monopole complet de l’État sur l’économie des instruments qui, à
eux seuls, suffisaient à résoudre les problèmes de l’économie
socialiste. Telle est aussi la raison qui amenait Lénine à s’accommoder
volontiers de la perspective d’un capitalisme d’État. A ceux qui se
dressaient là contre, il répliquait : « Le capitalisme d’État est un
capitalisme que nous saurons limiter, dont nous saurons fixer les
bornes; ce capitalisme est rattaché à l’État, mais l’État ce sont les
ouvriers, c’est l’avant-garde, c’est nous (…). Ce que sera le
capitalisme d’État ? Cela dépend de nous » [66]. De même que, selon Otto
Bauer, la révolution prolétarienne dépend uniquement de l’attitude, de
la <em>volonté politique </em>des ouvriers conscients et organisés (et
donc en pratique de l’appareil dominant à tous égards la vie de
l’organisation social-démocrate), de même en l’occurrence, pour Lénine,
le sort du capitalisme d’Etat dépend uniquement de l’attitude du Parti,
fixée à son tour par la bureaucratie, et l’Histoire dans son ensemble
redevient l’histoire de la grandeur d’âme et de la noble conduite d’un
groupe d’hommes, formés à l’exercice de ces vertus par le plus vertueux
des vertueux.</div>
<div style="text-align: justify;">
En prenant cette position sur le
capitalisme d’État – modelé, à l’en croire, par la volonté humaine, non
par des lois économiques, alors qu’en réalité les lois du capitalisme
d’État sont analogues à celles du capitalisme des monopoles – , Lénine
restait fidèle à lui-même: n’avait-il pas toujours professé qu’en
dernière instance la révolution, elle aussi, dépend uniquement de la
qualité du Parti et de ses dirigeants? D’accord en cela avec Kautsky,
pour qui la conscience révolutionnaire (affaire d’idéologie et
d’idéologie seulement, à ses yeux) ne pouvait être qu’injectée du dehors
aux travailleurs, Lénine affirmait:</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« L’histoire
de tous les pays atteste que, par ses seules forces, la classe ouvrière
ne peut arriver qu’à la conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la
conviction qu’il faut s’unir en syndicats, se battre contre les patrons,
réclamer du gouvernement telles lois nécessaires aux ouvriers, etc.
Quant à la doctrine socialiste, elle est née des théories
philosophiques, historiques, économiques, élaborées par les
représentants cultivés des classes possédantes, par les intellectuels </span><span style="color: black;">» </span>[67].</div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Ainsi, les ouvriers sont incapables
d’acquérir une conscience politique, ce préalable obligé à la victoire
du socialisme. Comme dans le cas de la conception social-démocrate, le
socialisme cesse dès lors d’être « l’oeuvre des travailleurs
eux-mêmes », selon la formule de Karl Marx. Et, sans aucun doute, le
« marxiste » religieux Middleton Murry ne fait qu’emboîter le pas à
Kautsky et à Lénine quand il aboutit à la conclusion logique que le
socialisme est « par essence, un mouvement de bourgeois convertis »
[68].</div>
<div style="text-align: justify;">
Lénine, incontestablement, ne s’écarte
pas du marxisme quand il proclame ainsi l’incapacité des ouvriers à se
forger eux-mêmes une conscience politique. C’est dans le même esprit en
effet qu’à Arnold Ruge, déplorant ce manque de conscience et s’en
étonnant – puisque, dit-il, paupérisation croissante des masses aurait
dû engendrer pareille conscience – Marx répond: <span style="color: black;">«
Il est faux que la misère sociale produise l’intelligence politique;
c’est tout au contraire le bien-être social qui produit l’intelligence
politique. L’intelligence politique est une qualité intellectuelle
donnée à celui qui possède déjà, qui vit comme un coq en pâte </span><span style="color: black;">» </span><span style="color: black;">[69].
En revanche, Lénine rompt avec Marx et tombe au rang d’un
révolutionnaire bourgeois à la Ruge, lorsqu’il se montre hors d’état de
concevoir une révolution prolétarienne qui ne soit pas liée à
l’exsietnce de cette conscience intellectuelle, à l’intervention
consciente de « ceux qui savent »: les révolutionnaires professionnels.
Cette idée commune à Ruge et à Lénine, Marx la réfute en ces termes:</span></div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">«Plus
l’esprit politique d’un peuple est développé et généralisé, plus le
prolétariat – du moins au début de son mouvement – gaspille ses forces
dans des émeutes irréfléchies, inutiles et noyées dans le sang. Adoptant
un mode de pensée politique, le prolétariat aperçoit la raison de tous
les maux dans la mauvaise volonté et le seul moyen d’y remédier dans la
violence et dans le renversement d’une forme politique de l’État (…).
C’est ainsi que [l’] intelligence [lui] cachait la racine de la détresse
sociale, faussant [sa] compréhension du but réel; c’est ainsi que [son]
intelligence politique trompait [son] instinct social » [70].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">Face à Ruge (et, par ricochet, à Lénine), prétendant qu’une révolution est inconcevable en l’absence d’</span><span style="color: black;">« </span><span style="color: black;">esprit politique </span><span style="color: black;">»</span><span style="color: black;">, Marx affirmait:</span></div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« Une
révolution d’esprit politique organise, par conséquent, suivant la
nature bornée et divisée de son âme, une sphère dominante dans la
société, aux dépens de la société »[71].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">Mais Lénine
n’a jamais envisagé autre chose que de placer les moyens de production
sous la coupe d’autorités nouvelles, ce qui lui paraît une condition
suffisante pour l’instauration du socialisme. D’où l’importance
excessive qu’il accorde au facteur politique, au facteur subjectif,
allant jusqu’à considérer l’œuvre d’organisation de la société
socialiste comme un acte politique. Pas de socialisme sans révolution,
dit assurément Marx, et la révolution constitue un acte politique.
Toutefois, ajoute-t-il, le prolétariat n’a recours à cet acte politique
que </span><span style="color: black;">« dans la mesure où il a besoin
de détruire et de dissoudre. Mais dès que commence son action
d’organisation, là où se manifeste son but immanent, son âme, le
socialisme se dépouille de son enveloppe politique </span><span style="color: black;">»[72].</span></div>
<div style="text-align: justify;">
C’est l’élément bourgeois de ses
conceptions qui devait conduire Lénine à penser que la fin du
capitalisme dépend en premier lieu de certains préalables d’ordre
politique, pas nécessairement réunis encore; à s’imaginer que la
monopolisation progressive de l’économie est synonyme de socialisation
de la production (chose évidemment fausse, comme chacun peut s’en rendre
compte aujourd’hui); à ramener toute la question du socialisme au
transfert des monopoles à l’État — une nouvelle bureaucratie succédant
dès lors à l’ancienne — et la révolution à une lutte entre
révolutionnaires et bourgeois aspirant à se gagner la faveur des masses.
Et c’est sur cette base qu’il minimise l’élément révolutionnaire — le
mouvement spontané des masses, avec sa puissance et sa vision lucide du
but à remplir —, pour pouvoir exalter à l’avenant le rôle de la
personnalité autant que celui d’une conscience socialiste définitivement
figée en idéologie.<br />
Certes, Lénine ne se posait pas en négateur de l’élément spontané mais
ne voyait là « rien d’autre, au premier chef, qu’une forme de conscience
embryonnaire », qui ne parvient à maturité que par le seul truchement
de l’organisation et ne devient qu’à ce moment conscience achevée et
donc parfaitement révolutionnaire [73]. Le soulèvement spontané ne
suffit pas à faire triompher la révolution, dira-t-il : « Que les masses
soient entraînées spontanément dans le mouvement, ne rend pas
l’organisation de cette lutte moins nécessaire, mais au contraire encore
plus nécessaire » [74].<br />
Le vice inhérent à la théorie de la spontanéité, soutient Lénine, c’est
de « rabaisser l’initiative et l’énergie des militants conscients », de
refuser cette direction forte, exercée par des individus sélection¬nés
et indispensable au succès de la lutte de classe [75]. A ses yeux, les
faiblesses de l’organisation sont exactement synonymes de faiblesses du
mouvement ouvrier. Il faut organiser la lutte, structurer rigoureusement
l’organisation; tout en dépend, ainsi que de dirigeants suivant la
ligne correcte. Il faut que la direction du Parti acquière une influence
sur les masses, et cette influence importe plus que le sort des masses
elles-mêmes. Que les masses s’organisent en soviets ou en syndicats,
voilà qui reste absolument secondaire; qu’elles soient dirigées par les
bolcheviks, voilà l’essentiel.<br />
Rosa Luxemburg a une tout autre vision des choses. Elle ne confond pas
la conscience révolutionnaire et la conscience intellectuelle des
révolutionnaires professionnels de type léniniste. Seule compte, à son
avis, la conscience en acte, la conscience agissante des masses, qui
naît et se développe sous l’empire de la nécessité : les masses se
conduisent de façon révolutionnaire dans des situations où elles ne
peuvent faire autrement et se voient contraintes à l’action. Le
marxisme, pour Luxemburg, n’est pas seulement une idéologie qui se
cristallise dans l’organisation, c’est aussi, c’est surtout la lutte
vivante du prolétariat, lequel fait passer le marxisme dans les faits,
non parce qu’il le veut, mais parce qu’il ne peut pas agir différemment.
Tandis que Lénine assigne pour mission au révolutionnaire organisé de
guider les masses, conçues uniquement comme un matériau à façonner, le
révolutionnaire selon Rosa Luxemburg est directement issu du
développement même de la conscience de classe et, bien plus encore, de
l’action révolutionnaire pratique des masses. Face à la surestimation du
rôle de l’organisation et de ses dirigeants, elle ne se borne pas à
marquer une opposition de principe, mais démontre en renvoyant à
l’expérience que « c’est justement pendant la révolution qu’il est
extrêmement difficile à un organisme dirigeant du mouvement ouvrier de
prévoir et de calculer quelle occasion et quels facteurs peuvent
déclencher ou non des explosions » [76]. Et d’ajouter : « La conception
clichée, rigide et bureaucratique, n’admet la lutte que comme résultat
de l’organisation parvenue à un certain degré de sa force. L’évolution
dialectique vivante, au contraire, fait naître l’organisation comme un
produit de la lutte » [77].<br />
A propos des grèves de masse du 1905 russe, elle souligne : « Pourtant,
là non plus, on ne peut parler ni de plan préalable, ni d’action
organisée car l’appel des partis avait peine à suivre les soulèvements
spontanés de la masse; les dirigeants avaient à peine le temps de
formuler des mots d’ordre, tandis que la masse des prolétaires allait à
l’assaut » [78]. Et, généralisant, elle conclut en ces termes : «
Lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité
nécessaire à une telle période, les catégories aujourd’hui les plus
arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement dans la lutte
l’élément le plus radical, le plus fougueux et non le plus passif. Si
des grèves de masse se produisent en Allemagne, ce ne seront sûrement
pas les travailleurs les mieux organisés (…), mais les ouvriers les
moins bien organisés ou même inorganisés (…) qui déploieront la plus
grande capacité d’action » [79].<br />
Et ailleurs, elle proclame expressément : « Les révolutions ne se font
pas sur commande. Elles ne sont pas non plus la tâche du Parti. Notre
seule devoir est, à tout instant, de parler carrément sans crainte ni
tremblement, c’est-à-dire de mettre clairement les masses devant leurs
responsabilités du moment et d’énoncer le pro¬gramme d’action et les
mots d’ordre qui découlent de la situation. Quant à savoir si le
mouvement révolutionnaire les adoptera et à quel moment, il faut laisser
à l’histoire le soin de répondre à cette question. Lors même qu’en
premier lieu le socialisme apparaîtrait sous l’aspect d’une voix clamant
dans le désert, il y gagnerait une position morale et politique dont
plus tard, à l’heure de l’accomplissement historique, il recueillera au
centuple les fruits » [80].<br />
Rituellement qualifiée de « politique de la catastrophe », l’idée de la
spontanéité, telle que Rosa Luxemburg la défendit, a souvent été
condamnée sous prétexte qu’elle était dirigée contre l’organisation même
du mouvement ouvrier. Rosa s’est d’ailleurs plus d’une fois sentie
obligée de préciser qu’elle n’était « pas pour la désorganisation »
[81]. C’est en ce sens aussi qu’elle disait: «La social-démocratie est
l’avant-garde la plus éclairée et la plus consciente du prolétariat.
Elle ne peut ni ne doit attendre avec fatalisme, les bras croisés, que
se produise une « situation révolutionnaire », ni que le mouvement
populaire spontané tombe du ciel. Au contraire, elle a le devoir comme
toujours de devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter »
[82].<br />
Pour Rosa Luxemburg, cette activité allait de soi, c’était un élément
d’un tout; pour Lénine, tout reposait sur une activité qui n’avait qu’un
seul but : renforcer l’organisation comme telle. Cette divergence
concernant l’importance de l’organisation recouvre aussi deux
conceptions opposées du rôle et du contenu du Parti. Selon Lénine, « le
seul principe sérieux en matière d’organisation, pour les militants de
notre mouvement, doit être : secret rigoureux, choix rigoureux des
membres » [83], la formation des révolutionnaires professionnels. Alors,
disait Lénine,</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« nous
aurons quelque chose de plus que le « démocratisme » : une entière
confiance fraternelle entre révolutionnaires. Or, ce quelque chose nous
est absolument nécessaire, car il ne saurait être question de le
remplacer chez nous, en Russie, par le contrôle démocratique général. Et
ce serait une grosse erreur de croire que l’impossibilité d’un contrôle
véritablement « démocratique » rend les membres de l’organisation
incontrôlables : ceux-ci, en effet, n’ont pas le temps de songer aux
formes puériles de démocratisme (…), mais ils sentent très vivement
leurs responsabilités, sachant d’ailleurs par expérience que pour se
débarrasser d’un membre indigne, une organisation de révolutionnaires
véritables ne reculera devant aucun moyen » [84].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
C’est en partant de ces principes
d’organisation (dont le maigre contenu démocratique ne fut jamais qu’une
clause de style), que Lénine entendait « forger une arme plus ou moins
tranchante contre l’opportunisme. Plus ses causes sont profondes, plus
cette arme doit être tranchante » [85]. Cette arme n’était autre que le «
centralisme », la discipline stricte imposée aux militants, la
soumission absolue de tous aux ordres du Comité central. Personne mieux
que Rosa Luxembourg n’a su rattacher cet « esprit de veilleur de nuit »,
inhérent aux conceptions de Lénine, à la situation particulière des
intellectuels russes. Mais, ajoutait-elle, « il nous semble que ce
serait une grosse erreur que de penser qu’on pourrait « provisoirement »
substituer le pouvoir absolu d’un Comité central, agissant en quelque
sorte par « délégation » tacite, à la domination, encore irréalisable,
de la majorité des ouvriers conscients dans le Parti, et remplacer le
contrôle public exercé par les masses ouvrières sur les organes du Parti
par le contrôle inverse du Comité central sur l’activité du prolétariat
révolutionnaire » [86]. Et Rosa Luxemburg, sans cacher que les
ouvriers, en assumant eux-mêmes la direction de leur mouvement propre,
ne manqueraient pas de tâtonner et de faire des fautes, proclamait :</div>
<blockquote>
<div style="text-align: justify;">
<span style="color: black;">« Disons-le
sans détours, les erreurs commises par un mouvement ouvrier vraiment
révolutionnaire sont historiquement infiniment plus fécondes et plus
précieuses que l’infaillibilité du meilleur « Comité central » [87].</span></div>
</blockquote>
<div style="text-align: justify;">
Telles qu’elles viennent d’être
retracées, les divergences de principes entre Luxemburg et Lénine ont
déjà été peu ou prou dépassées par l’Histoire : bien des faits ou des
idées, qui nourrirent autrefois la polémique, ont depuis perdu toute
espèce d’actualité. Mais il n’en est pas du tout de même pour la
question qui se trouvait à la base de la controverse : du mouvement
ouvrier organisé ou du mouvement spontané du prolétariat, quel est le
facteur révolutionnaire fondamental ? Or, sur ce plan également,
l’Histoire a donné raison à Rosa Luxemburg. Le léninisme est désormais
enterré sous les décombres de la III° Internationale. Un nouveau
mouvement ouvrier, complètement dégagé des traits social-démocrates
(dont ni Luxemburg ni Lénine ne furent exempts) mais résolu néanmoins à
mettre à profit les leçons du passé, devra rompre avec les traditions de
l’ancien mouvement ouvrier et leur influence délétère. Et la pensée de
Rosa Luxemburg demeure à cet égard aussi vivifiante que le léninisme a
été néfaste. Oui, ce nouveau mouvement ouvrier, et le noyau de
révolutionnaires conscients qu’il comprendra nécessairement, pourra
tirer davantage de la théorie révolutionnaire de Rosa Luxemburg, et y
puiser plus de raisons d’espérer, que de tous les « hauts faits » de
l’Internationale léniniste. A l’image de Rosa Luxemburg, en pleine
guerre mondiale et face à la banqueroute de la IIe Internationale, les
révolutionnaires d’aujourd’hui peuvent dire, face à l’effondrement de la
IIIe Internationale : « Nous ne sommes pas perdus et nous vaincrons si
nous n’avons pas désappris d’apprendre. »</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Paul%20Mattick" target="_blank">Paul Mattick</a> </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="text-decoration: underline;"><em>Notes</em></span>:</div>
<span>
<div style="text-align: justify;">
[1] On sait que pendant les années 1930
il était courant, dans la Russie stalinienne, d’assimiler au
« luxemburgisme », le « trotskisme », le « menchevisme » et autres
courants oppositionnels, et que le crime de « luxemburgisme » était
passible de la peine de mort; Staline lui-même énuméra les « erreurs »
de Rosa Luxemburg dans une lettre qu’il adressa en 1931 à la revue <em>Proletarskaïa Revolioutsia</em> (N.d.T.).<br />
[2] <em>Cf.</em> la lettre adressée le 6 janvier 1916 par R. Luxemburg à la rédaction de la <em>Neue Zeit</em>.<br />
[3] <em>Cf.</em> C. ZETKIN, <em>Um Rosa Luxemburgs Stellung zur russischen Revolution </em>(publié
en 1921 par la maison d’éditions de l’Internationale communiste, C.
Hoym à Hambourg). [Le Comité central du S.E.D., le parti dirigeant
d’Allemagne de l’Est, a enfin commencé la publication des œuvres
complètes de Rosa Luxemburg. Les deux tomes du premier volume sont parus
en 1970. N. de l’A., 1971]<br />
[4] Comme une foule d’articles commémoratifs parus dans la presse social-démocrate l’atteste.<br />
[5] M. SHACHTMAN, « Lenin and Rosa Luxemburg« , <em>The New International</em>, mars 1935 [Revue théorique du parti trotskiste américain, dont Shachtman fut l’un des « pères fondateurs ». N.d.T.].<br />
[6], [7], [8], [9] <em>Réforme sociale ou révolution? </em>(1898) [… Nous supprimons les références du traducteur aux pages de l’édition de 1969, qui n’est plus dans le commerce. <em>BS</em> ]<br />
[10] et [11] <em>Du doit des nations à disposer d’elles-mêmes</em> (1914), in: LÉNINE, <em>Questions de la politique nationale et de l’internationalisme prolétarien</em>, Moscou, 1968.<br />
[12] <em>Cf.</em> par exemple: <em>Une caricature du marxisme et à propos de l’ « économisme impérialiste » (</em>1916) in: LÉNINE, <em>Œuvres</em>, Moscou-Paris (s.d.), tome 23.<br />
[13] cf. LÉNINE, Q<em>uestions</em>…, <em>op. cit.</em>, p. 156.<br />
[14] LÉNINE, <em>Une caricature du marxisme</em>…, <em>Œuvres</em>, 23, p. 30.<br />
[15] LÉNINE, <em>Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes</em>, in <em>op. cit.</em>, p. 84.<br />
[16] R. LUXEMBURG, <em>La crise de la démocratie socialiste</em> (1916). Raymond Renaud, Paris, 1934, p. 121.<br />
[17], [18], [19] <em>La Révolution russe</em> (Berlin, 1922).<br />
[20] K. MARX et F. ENGELS, préface de la deuxième édition russe (1882) du <em>Manifeste communiste,</em> trad. Molitor, Paris, p. 46.<br />
[21] cf. R. LUXEMBURG, <em>Lettres à K. et L. Kautsky</em>, trad. Stchoupak et Desrousseaux, Paris, 1925, p. 244.<br />
[22] <em>Id.</em>, p. 255.<br />
[23] <em>La Révolution russe</em>, p. 89.<br />
[24] K. LIEBKNECHT, <em>Militarisme, guerre, révolution </em> […].<br />
[25] E. VARGA,<em> Die wirtschaftspolitischen Probleme der proletarischen Diktatur</em>, Hambourg, 1921.<br />
[26] «La Tragédie russe», <em> Spartakusbriefe</em>, 11, septembre 1918, trad. française, in : <em>Œuvres</em> II, pp. 50-52.<br />
[27] Ces lignes, on ne l’oublie pas, furent écrites peu de temps après
l’entrée de la Russie à la S. D. N. et la signature du pacte Staline-
Laval (N. d. T.).<br />
[28] N. BOUKHARINE, discours au IVe Congrès de l’Internationale communiste (novembre 1922).<br />
[29] M. SHACHTMAN, « Lenin and Rosa Luxemburg », <em>op. cit</em>.<br />
[30] «Du Défaitisme dans la guerre impérialiste» (1915), in : N. LÉNINE et G. ZINOVIEV, <em>Contre le courant</em>, trad. V. Serge et M. Parijanine, Parti, 1927, I, p. 116.<br />
[31] LÉNINE, «Sur le rôle de l’or…», <em>Œuvres</em>, 33, p. 107.<br />
[32] <em>La Révolution russe</em>, p. 67.<br />
[33] <em>La révolution russe</em>, p. 89.<br />
[34] <em>Critique des critiques ou : Ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste </em>(texte rédigé en prison en 1916 et publié à Leipzig en 1923), in : R. LUXEMBURG, <em>L’Accumulation du capital</em>, trad. Irène Petit, Paris, 1968 (II, pp. 137-231), II, p. 165.<br />
[35] Cf.<em> L’Accumulation du capital</em>, I et II, en particulier ch. 6 à 9,<br />
25 et 26.<br />
[36] <em>Id.</em>, II, p. 41.<br />
[37] <em>Id., </em>II, p. 89.<br />
[38] <em>Id., </em>II, pp. 9-10, 13.<br />
[39] <em>Id., </em>II, p. 149<br />
[40] <em>L’Accumulation du capital</em>, II, p. 14.<br />
[41] <em>Id</em>., II, p. 89.<br />
[42] Marx distingue, comme on le sait, trois composantes dans la valeur
d’une marchandise: 1) le capital constant, qui correspond au capital
investi dans les moyens de production; 2) le capital variable, soit le
capital investi dans les salaires; 3) la plus-value, représentant la
part du travail non payée. La somme du capital constant et du capital
variable correspond au capital total consommé dans la production; le
rapport de la plus-value au capital total s’exprime dans le taux de
profit, celui du capital constant au capital variable dans la
composition organique du capital. C’est l’élévation de la productivité
du travail qui permet d’accroître cette dernière; autrement dit, le
capital constant augmente plus vite que le capital variable. Il va de
soi que les trois composantes précitées se retrouvent dans les deux
sections de la production.<br />
[43] R. LUXEMBURG expose cette théorie plus particulièrement aux ch. 25 et 26 de<em> L’Accumulation du capital</em>.<br />
[44] <em>Narodniki </em>: nom donné aux socialistes populistes et aux «
socialistes-révolutionnaires », opposés aux socialistes marxistes. Issus
la plupart du temps des milieux intellectuels, ils voulaient « aller au
peuple » et comptaient sur des réformes sociales pour le faire
progresser. Ils ne pouvaient admettre l’idée d’un développement
capitaliste de la Russie. D’après eux, ce développement avait en effet
pour condition fondamentale la possibilité de réaliser la plus-value sur
des marchés extérieurs, possibilité qu’ils disaient inexistante en ce
qui concerne la Russie, trop tard apparue dans le circuit capitaliste.<br />
[45] V. LÉNINE, <em>Le Développement du capitalisme en Russie </em>(1899), Moscou-Paris, s. d., p. 26.<br />
[46] <em>Id.</em>, pp. 49-50.<br />
[47] <em>Le Développement du capitalisme en Russie</em>, pp. 26-27.<br />
[48] V. LÉNINE, <em>Pour caractériser le romantisme économique</em> (1897), Moscou, 1954, p. 31.<br />
[49] Le Développement du capitalisme en Russie, p. 50.<br />
[50] <em>ld</em>., p. 53.<br />
[51] <em>Cf.</em> V. LÉNINE, <em> L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme </em>(1915).<br />
[52] V. LÉNINE, «Bibliographie du marxisme», <em>Œuvres</em>, 21, pp. 85-86; la critique de l’ouvrage de Rosa Luxemburg par Bauer parut dans la <em>Neue Zeit</em>, XXXI, 1, pp. 831-838 et 862-874.<br />
[53] Cité par R. Luxemburg in : <em>L’Accumulation du capital</em>, II, p. 225.<br />
[54] <em>Id</em>., II, p. 230.<br />
[55] Cf. H. GROSSMANN, <em>Das Akkumulations und Zusammenbruchsgesetz des kapitalistischen Systems</em>, Leipzig, 1929.<br />
[56] H. GROSSMANN, « Die Aenderung des urspriinglichen Aufbauplans des Marxschen « Kapitals » und ihre Ursachen », <em>Archiv für die Geschlchte des Sozialismus und der Arbeiterbewegung</em>, XIV, 1929.<br />
[57] H. GROSSMANN, « Die Wert-Preis-Transformation bei Marx und das Krisenproblem », <em>Zeitschrift für Sozialforschung</em>, 1932, p. 58.<br />
[58] <em>Id.</em>, p. 60.<br />
[59] <em>Id.</em>, p. 75.<br />
[60] H. GROSSMANN, « Die Wert.-Preiz-Transformation… »,<em> loc. cit.</em>,<br />
[61] Cf. R. LUXEMBURG, <em> L’Accumulation du capital</em>, op. cit., I,<br />
[62] <em>L’Accumulation du capital</em>, II, p. 165, n. 4.<br />
[63] LÉNINE, <em>Karl Marx</em>, <em>Œuvres</em>, 21, p. 62.<br />
[64] Cf. « Discours au 1er Congrès panrusse des Soviets » (1917) in : V. LÉNINE, <em>Œuvres complètes</em>, trad. Victor Serge, Paris (s. d.), XX, pp. 549-574.<br />
[65] V. LÉNINE, <em>L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme</em> (1916), Paris, 1945, p. 25.<br />
[66] « Discours au XIe Congrès du P. C. de Russie » (1922), <em>Œuvres</em>,
33, p. 283. La gradation ne manque pas de piquant: «l’État ce sont les
ouvriers » (première restriction); « la partie avancée des ouvriers »
(deuxièm239e restriction); « l’avant-garde » (ultime restriction); «
c’est nous », ce sont les bolcheviks, si hiérarchisés de leur côté, que
Lénine aurait pu reprendre à son compte la formule fameuse et s’écrier :
« L’État, c’est moi » !<br />
[67] V. LÉNINE, <em>Que Faire?</em> (1902) […]<br />
[68] <em>Cf.</em> J. MIDDLETON MURRY, <em>Marxism, a symposium</em>, Londres, 1935.<br />
[69] « Le Roi de Prusse et la réforme sociale » (1844) in: <em>Œuvres philosophiques</em>, trad. Molitor, 1948, V, pp. 239-240.<br />
[70][71][72] <em>Id.</em>, pp. 240-244.<br />
[73] V. LÉNINE, in : « Sur les syndicats » (recueil).<br />
[74] <em>Que faire ?</em>, op. cit., p. 166.<br />
[75] <em>ld.</em>, p. 104.<br />
[76] à [79] <em>Grève de masses, parti et syndicats</em> (1906) in : R. LUXEMBURG, <em>Œuvres</em> I.<br />
[80] R. LUXEMBURG, <em>Spartakusbriefe</em>, 1917.<br />
[81] <em>Lettres à K. et L. Kautsky</em>, <em>op. cit.</em>, p. 90.<br />
[82] <em>Grève de masse, parti et syndicats</em>,<em> op. cit</em>., p. 150.<br />
[83] Lénine n’hésita jamais à faire fi de ce principe chaque fois que
cela lui parut opportun. Ainsi devait-il sacrifier en 1920 les cinquante
mille prolétaires révolutionnaires du Parti ouvrier communiste
d’Allemagne (K.A.P.D.) pour gagner les voix des cinq millions
d’électeurs du réformiste Parti socialiste indépendant d’Allemagne
(U.S.P.D.).<br />
[84] V. LENINE, <em>Que faire ?</em>, <em>op. cit.</em>, p. 200. Ce
passage met parfaitement en lumière l’idéalisme de Lénine. Loin
d’instaurer au sein de l’organisation un contrôle véritable des
dirigeants par la base, Lénine se contente d’invoquer un « quelque chose
de plus » et de recourir à des formules vides de sens, du genre «
confiance fraternelle » et « sens des responsabilités ». En pratique,
cela signifie : obéissance mécanique, le pouvoir en haut, le conformisme
en bas.<br />
(85) V. LENINE, <em>Un pas en avant, deux pas en arrière</em> (1904), Moscou, 1966, p. 99 en note.<br />
(86) « Questions d’organisation de la social-démocratie russe » (1904),
traduit par L. Laurat sous le titre « Centralisme et démocratie » in :
R. LUXEMBURG, <em>Marxisme contre dictature</em>, Paris, 1946, p. 23.<br />
(87) <em>Id</em>., p. 33.</div>
</span>Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-30679570792697586552019-03-04T03:13:00.000-08:002019-03-04T03:13:13.469-08:00Les conseils ouvriers et l’organisation communiste de l’économie<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjs4s6d_V3HyTXOZsVXtdDtuOIM3PEPCWBSOYHCtAU51OHAbFi1KcHgYAUjio4t93kvWlw9HJCfgrmptBIDnF01KFSjtVMHx6x3IBdjZkHij5iedFWsZYxjecQ0BUfu8iXEZFAA3ZU-sCTM/s1600/maquiladores-en-matamoros-583659-wide.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="360" data-original-width="720" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjs4s6d_V3HyTXOZsVXtdDtuOIM3PEPCWBSOYHCtAU51OHAbFi1KcHgYAUjio4t93kvWlw9HJCfgrmptBIDnF01KFSjtVMHx6x3IBdjZkHij5iedFWsZYxjecQ0BUfu8iXEZFAA3ZU-sCTM/s400/maquiladores-en-matamoros-583659-wide.jpg" width="400" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><i>Ouvrières mexicaines participant à l'immense grève sauvage de Matamoros - Janvier 2019</i></td></tr>
</tbody></table>
<div style="text-align: justify;">
Nous avons reçu de Prague les thèses suivantes, parues dans le numéro 20 de <em>Neue Front</em>
[1]. Elles sont publiées sous le titre « Marxisme révolutionnaire et
révolution socialiste » par un groupe de marxistes-révolutionnaires «
organisés dans la social-démocratie allemande ». Voici leur Conception
de la voie vers le socialisme. Nos critiques suivent.</div>
<a name='more'></a><br />
1. L’expérience de toutes les révolutions, durant et depuis la
guerre, a montré qu’une politique réformiste et opportuniste aboutit à
la défaite de la classe ouvrière.<br />
Le travail préliminaire à la révolution socialiste, à sa victoire et à
sa consolidation, présuppose donc une rupture radicale avec toutes les
politiques réformistes.<br />
2. Cette rupture radicale exige un changement fondamental dans les
moyens, les méthodes et les objectifs concrets de la lutte politique.
Comme preuve de sa transformation interne et de son acceptation du
marxisme révolutionnaire, le Parti doit abandonner son vieux nom de
parti socialiste allemand (S. P. D.) et se transformer en un parti
marxiste-révolutionnaire,<br />
3. Notre objectif est la réalisation du socialisme sur la base d’une
république socialiste allemande des soviets,sous la direction de la
dictature du prolétariat. La dictature révolutionnaire est l’étape de
transition nécessaire vers la société socialiste. La conquête de la
liberté morale et individuelle, pour tous ceux qui subissent
actuellement l’oppression fasciste, présuppose donc la destruction du
système capitaliste au moyen de la dictature du prolétariat.<br />
4. Pour mener cette lutte, le prolétariat a besoin d’un parti
révolutionnaire conscient des objectifs. Ce parti ne pourra et ne devra
se composer que de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat. Seuls
pourront donc devenu: membres ceux qui auront subi avec succès l’épreuve
de la lutte révolutionnaire, qui admettent le principe de la dictature
du prolétariat et se soumettent inconditionnellement aux décisions du
Parti. Le Parti utilise toutes les formes de lutte, légales et
illégales. Sa tâche est de préparer et d’organiser des mouvements de
masse, des grèves de masse et l’insurrection armée.<br />
5. En cas de guerre, le Parti rejette toute forme déclarée ou dissimulée
de « défense de la mère-patrie ». Bien plutôt, il appelle le
prolétariat à l’aider pour transformer la guerre impérialiste en guerre
civile, afin de réaliser la dictature du prolétariat. La grève générale
et l’insurrection armée sont deux des moyens à utiliser pour atteindre
cet objectif.<br />
6. Après la prise du pouvoir politique, le vieil appareil d’État sera
totalement démantelé. Tout le pouvoir légal et l’autorité seront alors
transmis aux conseils d’ouvriers, et aux conseils de petits paysans et
d’ouvriers agricoles. Les conseils exercent la dictature du prolétariat.
La direction de la dictature revient au parti marxiste-révolutionnaire.<br />
7. La consolidation du pouvoir est prise en charge par le prolétariat en armes, jusqu’à la formation d’une armée socialiste.<br />
8. La bureaucratie professionnelle sera abolie. Toutes les personnes
exerçant une fonction publique seront nommées par les conseils et
révocables à tout moment.<br />
9. Afin d’apporter leur soutien à la dictature révolutionnaire, les
ouvriers et les fonctionnaires s’organiseront en syndicats d’industrie.<br />
10. Les imprimeries et les journaux seront réquisitionnés. La presse, la
radio et toutes les autres sources d’information seront sous la
surveillance et le contrôle des conseils.<br />
11. L’ensemble de la propriété capitaliste sera expropriée sans
indemnisation. L’obligation au travail pour tous sera mise en vigueur,
ainsi que le contrôle de la production par les conseils.<br />
12. Toutes les banques fusionneront en une banque centrale; il en sera de même pour toutes les compagnies d’assurances.<br />
13. Toutes les hypothèques sur les fermes seront annulées. Le fermage
sera aboli. Toutes les propriétés qui dépassent la superficie nécessaire
à l’existence d’une famille (<em>Familienackernahrung</em>) seront
expropriées sans indemnisation. On procédera à une nouvelle répartition
des terres en fonction des besoins des paysans pauvres et des ouvriers
agricoles. Les entreprises paysannes seront regroupées en associations
(<em>Genossenschaften</em>), là où les conditions seront réunies, on créera de grandes entreprises agricoles pilotes.<br />
14. Afin d’assurer le ravitaillement de la population, le regroupement
de tous les consommateurs en coopératives sera rendu obligatoire. Le
commerce de détail aura sa place dans le système de distribution de la
république des soviets.<br />
15. Le commerce extérieur sera centralisé en un monopole d’État.<br />
16. La construction de l’économie socialiste s’effectuera sous la direction d’un bureau de planification économique (<em>Planwirtschaftstelle</em>).<br />
17. Toutes les institutions culturelles, éducatives et récréatives
seront administrées au profit de tous. L’art et la science seront pris
en charge par l’État, qui leur apportera tout son soutien. Le but
pédagogique de tous les établissements éducatifs sera de préparer à la
vie dans la communauté socialiste.<br />
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>LA RÉGRESSION</b></div>
<div style="text-align: justify;">
Après l’effondrement total de la
politique réformiste, ces thèses prônent la voie « révolutionnaire ».
Dans la thèse n° 2, les auteurs appellent cela une « rupture radicale »
avec la politique précédente, réclamant un « changement fondamental dans
tes moyens, les méthodes et les objectifs concrets de la lutte
politique ». L’objectif est ensuite présenté (thèse 3) comme « une
république socialiste allemande des soviets sous la direction de la
dictature du prolétariat ».<br />
A première vue, ce programme semble effectivement en rupture totale avec
la vieille politique de la social-démocratie, puisque l’idée d’une «
république socialiste allemande des soviets » et de « la dictature du
prolétariat » ont toujours été combattues avec véhémence par le parti
socialiste allemand (S. P. D.). Mais, d’après les thèses suivantes (4-7)
qui traitent du rôle du Parti avant et après la révolution, et où il
est dit que les organes de la dictature du prolétariat seront certes les
conseils ouvriers, mais, placés sous la « direction » du Parti, il est
évident qu’une rupture radicale avec la politique de la
social-démocratie est hors de question.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il serait plus exact de dire que les
auteurs veulent revenir aux sources de la politique social-démocrate et
aux vieilles conceptions sur les moyens et les fins du socialisme. Car
en effet désormais il n’est devenu que trop évident que le S. P. D.
pendant et après la guerre a renoncé à toute politique socialiste, et
qu’en choisissant la voie du réformisme, il a dégénéré en un parti
démocratique de réformes. Par le fait même que cette politique
réformiste a abouti au fascisme, il n’y a pas lieu de parler de rupture
avec elle puisqu’elle a cessé d’exister.<br />
A ses origines, le vieux S. P. D. voulait réaliser le « socialisme »
mais il souhaitait y parvenir en utilisant les possibilités légales
qu’offrait apparemment la démocratie bourgeoise. (Une fois devenu
exclusivement démocratique, le S. P. D. rejeta les objectifs du
socialisme et donc de la dictature du prolétariat.) Le S. P. D. s’est
écroulé en même temps que cette démocratie bourgeoise à laquelle il
était indissolublement lié. Quiconque veut encore réaliser le
socialisme, découvre que de telles possibilités légales n’existent plus
et doit donc chercher à atteindre son but par d’autres moyens. Or les
moyens que ces thèses tentent de définir ne se différencient nulle part
des conceptions que l’on trouvait déjà dans l’ancienne social-démocratie
(avant son embourgeoisement). Les thèses 4 et 7 le prouvent
irréfutablement. Les conceptions qu’elles exposent sont ni plus ni moins
celles du parti social-démocrate russe (bolcheviks) qui ne suivit pas
la voie démocratique du S. P. D. allemand.<br />
On retrouve ici « le parti révolutionnaire conscient de l’objectif », «
l’avant-garde » qui mène les masses dans les luttes et jusqu’à la
victoire, qui prépare et organise les actions de masse, les grèves
générales et l’insurrection armée. Et, après la victoire, c’est encore
sous la direction du Parti que les conseils ouvriers doivent fonctionner
comme organes étatiques, et les fonctionnaires et les ouvriers
s’organiser en syndicats d’industrie. Les derniers doutes qui pourraient
subsister concernant les détenteurs du pouvoir réel dans cette
république socialiste soviétique ont balayés par la thèse 7 : « La
consolidation du pouvoir est prise en charge par le prolétariat en armes
jusqu’à la formation de l’armée socialiste. » Ce qui signifie qu’après
la victoire, les ouvriers armés, indispensables au renversement des
forces de l’État fasciste, devront remettre leurs armes et céder la
place à une « armée socialiste », commandée évidemment par le Parti.<br />
Débarrassée de toutes ses fioritures, c’est bien la vieille conception
social-démocrate des moyens et des fins du socialisme qui resurgit :
l’alpha et l’oméga de la lutte pour le socialisme, c’est la prise du
pouvoir politique par le parti social-démocrate.<br />
En fait, l’exemple de la révolution russe a prouvé que l’exercice du
pouvoir par le Parti n’était nullement synonyme de « dictature du
prolétariat »; il ne s’agit pas non plus d’une dictature du prolétariat
qui s’effectuerait par l’intermédiaire de la dictature du Parti (pour
reprendre la formule de la social-démocratie russe), mais bien d’une
dictature sur le prolétariat. En effet, l’État-parti, en transformant
l’ancienne économie capitaliste privée en une économie d’État,
subordonne à nouveau les ouvriers, en tant que salariés, à cette
direction étatique.<br />
Les thèses 7 à 17 disent clairement que dans la construction du
socialisme — c’est-à-dire dans l’organisation de l’économie par
l’État-parti — il faut aussi suivre le modèle russe. Le point
fondamental dans cette organisation de l’économie, est l’étatisation de
tous les moyens de production avec l’État comme seul chef d’entreprise,
sous Se contrôle des conseils ouvriers. Les petites exploitations
agricoles et individuelles conservent une existence auto¬nome (ce qui,
de toute évidence, n’est qu’une concession à la conjoncture du moment).</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>TRAVAIL SALARIÉ ET ÉCONOMIE ÉTATISÉE</b></div>
<div style="text-align: justify;">
Le socialisme que les auteurs ont en vue
se révèle donc être une économie étatisée. Associée à la planification
économique, à l’élimination de la concurrence, source de crises, et du
profit, et au plein emploi des forces productives, elle est conçue comme
le moyen d’élever le niveau de vie des masses dans son ensemble.
Puisque la propriété privée des moyens de production s’oppose à la
rationalisation de l’économie — et, qui plus est, en cas de crise
durable empêche tout emploi des forces productives — l’abolition de la
propriété privée apparaît comme l’objectif immédiat. De là découle la
nécessité de concentrer l’économie sous l’autorité centrale de l’État. A
ce stade, il revient aux savants, aux statisticiens, aux ingénieurs
d’organiser effectivement l’économie. Ainsi conçue, la construction de
l’économie socialiste apparaît comme un problème organisationnel
(Lénine), comme une généralisation et un accomplissement de la tendance
déjà amorcée par le capitalisme sous la forme des trusts et des cartels.
L’État devient un trust titanesque qui, grâce à son hyper-organisation,
renverse les obstacles s’opposant à une plus grande expansion de la
production.</div>
<div style="text-align: justify;">
L’évolution russe a prouvé qu’une telle
étatisation de l’économie n’est rien d’autre que le capitalisme d’État.
L’ouvrier demeure un salarié, désormais rivé au travail par la
contrainte étatique (thèse 11). Il travaille dans des entreprises d’État
et vend sa force de travail à l’État, qui la lui paye sous forme de
salaire. Ainsi l’État joue-t-il le rôle du capitaliste privé exproprié.
C’est lui qui désormais dirige le travail salarié, c’est lui par
conséquent qui commande et exploite les ouvriers. La force de travail
devient une marchandise, tout comme dans le système du capitalisme
privé; elle est évaluée par rapport à un produit déjà fabriqué (les
moyens de subsistance, que l’ouvrier reçoit sous forme de salaire). Elle
devient une marchandise, ce qui signifie qu’elle est ravalée au niveau
d’une chose, privée de toute volonté individuelle. De sujet, elle
devient objet. Mais comme l’ouvrier ne peut se dissocier de sa force de
travail, il en va de même pour lui; il devient une chose, il est ravalé
au niveau de l’objet, afin d’être utilisé par le propriétaire des moyens
de production comme un autre « moyen de production ». Il n’est pas
besoin d’arguments supplémentaires pour établir que la condition de
salarié, qui est celle de l’ouvrier dans cette économie étatisée,
détermine également sa position sociale.<br />
Mais l’exemple russe ne prouve pas seulement que le socialisme officiel
n’est en réalité qu’un capitalisme d’État, et que la production étatisée
n’est pas la production en fonction des besoins mais bien la production
ordinaire de marchandises. Il a aussi révélé la formation d’un nouvel
élément dirigeant qui dispose à sa guise de la propriété étatique et en
arrive ainsi à occuper une position privilégiée [2]. Cet élément a tout
intérêt à voir s’accroître le pouvoir d’État, puisque c’est précisément
ce dernier qui garantit sa position sociale privilégiée. Comme il
concentre entre ses mains tous les moyens matériels et politiques de la
société, c’est lui aussi qui dirige l’orientation du développement
ultérieur. Comment s’étonner alors qu’il lutte exclusivement pour
accroître la propriété étatisée et pour magnifier le pouvoir d’État!<br />
Une fois que la production sociale a pris la forme de l’entreprise
d’État, l’évolution sociale qui s’ensuit est déterminée par les rapports
de pouvoir ainsi créés.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les ouvriers sont dépossédés, chaque
jour, dans le procès de travail, et ils le sont en fait par l’État,
propriétaire général, qui s’approprie les produits du travail. L’État
est le propriétaire, l’administrateur de la richesse sociale. C’est lui
qui organise et dirige le procès social de production. Il incarne le
pouvoir qui détermine la répartition individuelle du produit social et
distribue les marchandises. Pour saisir la spécificité de cette
organisation sociale, il suffit d’imaginer l’appareil administratif de
toutes les entreprises privées capitalistes, les compagnies boursières,
les syndicats, les trusts, etc., associé au pouvoir politique de l’État.
C’est ainsi que se présente l’État en tant qu’entrepreneur unique : un
conglomérat de tous les organes administratifs de la propriété privée.
Car, de même que l’administration du capital privé est improductive et
sert uniquement comme organe d’appropriation des produits fabriqués par
le travail des autres, l’appareil bureaucratique ne crée pas non plus de
produit et n’a pour but que d’assurer à l’État la production issue du
travail salarié dans les entreprises étatisées.<br />
Ainsi, le développement de l’économie étatisée est caractérisé par un
antagonisme qui ne peut aller qu’en s’exacerbant. D’un côté,
accumulation de possessions et de pouvoir dans les mains de la
bureaucratie, car l’État c’est elle; de l’autre, les ouvriers salariés
et leur travail, dont l’État s’approprie les produits.<br />
Plus la richesse sociale s’accroît sous la forme de propriété d’État,
plus l’exploitation des ouvriers salariés augmente, ainsi que leur
impuissance. C’est aussi leur paupérisation qui s’accroît et,
conséquemment, la lutte de classes entre ouvriers et bureaucratie
d’État. Pour s’affirmer dans cette lutte, la bureaucratie n’a pas
d’autre choix que d’étendre l’appareil de répression étatique. Celui-ci
se renforce à mesure que s’aiguise l’antagonisme des classes. Plus
l’État est riche, plus la pauvreté des ouvriers est grande, et plus
aiguë aussi la lutte de classes.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>LE POINT DE VUE PROLÉTARIEN</b></div>
<div style="text-align: justify;">
Les ouvriers salariés ne peuvent se
satisfaire d’un tel « socialisme », même s’il devait les inonder de
bienfaits matériels (ce qui, de plus, reste très douteux). L’abolition
de la domination du capital : tel doit être le but de leur lutte. Le
sens de leur combat, c’est d’en finir avec les rapports capitalistes;
afin qu’ils ne soient plus achetés comme force de travail et, en tant
que force productive, ravalés au même niveau que les machines dans le
procès de production, sous le commandement des nouveaux maîtres. Ils
doivent devenir eux-mêmes les maîtres de leur production, ainsi que de
celle réalisée par les machines. Ils doivent s’emparer des moyens de
production, afin de les gérer et de les administrer au nom de la
société, devant laquelle ils sont responsables. Ils doivent parvenir à
assumer eux-mêmes la direction et le management de la production,
l’administration et la distribution des biens produits, s’ils veulent
réaliser l’unité de l’humanité dans une société sans classe, et éviter
de retomber dans l’esclavage.<br />
Cette lutte a aussi pour conséquence de dégager une autre problématique
et d’ouvrir de nouvelles perspectives, contrairement à ce qui se produit
chez les intellectuels. Des nouvelles conceptions s’élaborent,
concernant la régulation des rapports humains dans la production
sociale; des conceptions qui, aux yeux des intellectuels, semblent
incompréhensibles et passent pour utopiques ou irréalisables. Mais ces
conceptions se sont déjà concrétisées d’une puissante manière lors des
soulèvements révolutionnaires des ouvriers salariés. Elles se sont
exprimées pour la première fois sur une grande échelle pendant la
Commune de Paris, qui cherchait à renverser l’autorité centralisée de
l’État par l’auto-administration des communes. Ce sont elles qui
poussèrent Marx à abandonner l’idée (exprimée dans le Manifeste
Communiste) selon laquelle l’économie d’État mènerait à la disparition
de la société de classes. Ce sont ces conceptions aussi qui furent à
l’œuvre dans les conseils d’ouvriers et de soldats des révolutions
russes et allemandes en 1917-1923, où elles acquirent parfois une force
déterminante. Et aucun futur mouvement révolutionnaire prolétarien n’est
concevable sans que cette force y joue un rôle croissant et,
finalement, prépondérant. C’est l’auto-activité des larges masses
travailleuses qui se manifeste dans les conseils ouvriers.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il n’y a là plus rien d’utopique : c’est
la réalité en acte, Avec les conseils d’ouvriers, le prolétariat a
élaboré la forme organisationnelle appropriée à la lutte qu’il mène pour
sa libération. Ainsi, il ne s’agit nullement d’une utopie, d’une
théorie vide, lorsque ces conseils ouvriers, partout où ils se
regroupent sur la base de la production, dans les usines, en
organisations d’usines, visent à s’emparer eux-mêmes des moyens de
production et à diriger la production. C’est une exigence formulée au
cours des événements par de larges masses de travailleurs. Les
intellectuels devront mettre fin à ce combat par la force, s’ils veulent
imposer leur contrôle dans l’économie d’État.</div>
<div style="text-align: justify;">
Du point de vue des conseils ouvriers, le
problème de l’organisation économique ne revient pas à savoir comment
la production doit être dirigée, et organisée au mieux dans ce sens,
mais bien comment les rapports entre les êtres humains seront réglés en
fonction de la production. Car pour les conseils la production n’est
plus un processus objectif, dans lequel l’homme se trouve séparé de son
travail, et donc de son produit, un processus que l’on dirige et que
l’on calcule comme s’il se composait de matériau mort; pour les
conseils, la production devient la fonction vitale des ouvriers. La
production — fonction vitale des êtres humains lorsque chacun est obligé
de travailler — est dès aujourd’hui socialisée. On peut donc imaginer
facilement que la participation des êtres humains à cette production
puisse, elle aussi, être régulée socialement sans qu’ils soient ravalés
au même niveau que leurs instruments de travail ni soumis à la
domination d’une classe ou d’une couche spécifique. Une fois le problème
posé en ces termes, la solution semble plutôt facile à trouver. En
fait, elle se présente d’elle-même. C’est le travail accompli dans le
domaine de la production qui servira de critère pour déterminer les
rapports mutuels entre les hommes. Une fois que l’on admet pour facteurs
déterminants de la régulation des rapports sociaux le travail accompli
par les individus, et leur regroupement en organisations d’usines, il
n’y a plus place pour aucune sorte de direction ou de manage-ment qui ne
participe pas directement au procès de production mais se contente de
gouverner et de s’approprier les produits des autres.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>LES CONSEILS OUVRIERS</b></div>
<div style="text-align: justify;">
Les thèses montrent clairement que leurs
auteurs ne croient pas à la force créatrice du prolétariat. Même après
que les conseils ouvriers aient prouvé indéniable-ment la réalité de
cette force. Avant 1917, aucun chef de la social-démocratie, pas même
Lénine, n’avait admis l’importance des conseils ouvriers, en dépit du
rôle considérable qu’ils avaient joué à Saint-Pétersbourg lors de la
révolution de 1905. Il fallut attendre 1917 en Russie, puis en Allemagne
et ailleurs, quand les conseils ouvriers se révélèrent être
l’organisation de combat du prolétariat révolutionnaire en acte, et
qu’à travers eux les larges masses ouvrières exercèrent une influence
déterminante dans les domaines politique et économique, pour que
l’attention des gros bonnets de la social-démocratie les prenne en
considération. Mais, loin de percevoir ces conseils comme la première
tentative autonome du prolétariat pour prendre en mains son propre
destin, les grands chefs de la social-démocratie n’y voyaient qu’un
nouveau phénomène organisationnel susceptible de les amener, eux, au
pouvoir. Le prolétariat, cette force sociale puissante et sans cesse en
expansion, n’était à leurs yeux qu’une force quantifiable, au même titre
que les forces productives des usines — une force que l’on emploie pour
parvenir à des fins précises et mettre en pratique des plans
préalablement élaborés. Telle est la conception de l’intellectuel qui
dirige le procès capitaliste de production, telle est également sa
conception lorsqu’en tant que social-démocrate il prétend diriger
les forces sociales. Pour lui, le prolétariat n’a pas de pensée
autonome; il pense et agit selon les directives de ses chefs. C’est pour
cette raison que le « parti marxiste-révolutionnaire » (thèse 6) doit
avoir en mains la direction avant de jeter les forces prolétariennes
dans la lutte conformément aux schémas socialistes. Si le « parti
marxiste-révolutionnaire » fait défaut, c’est tout simplement un autre
parti qui utilise la force du prolétariat pour réaliser ses propres
plans et ses desseins particuliers. Le problème, considéré sous cet
angle, n’offre qu’une conclusion : « Sans la direction du Parti, point
de socialisme. » De ce point de vue, les conseils ouvriers apparaissent
comme de nouveaux organes prolétariens où la direction reste à
conquérir; aux mains de la direction du Parti, ils doivent devenir des
instruments pour influencer la pensée et la pratique des masses. C’est
dans cet esprit aussi que les thèses conçoivent et définissent les
conseils ouvriers.<br />
Mais la force née des conseils ouvriers s’est développée selon le schéma
exactement inverse. C’était la volonté des masses qui s’exprimait dans
les usines et les rassemblements pour désigner dans leurs rangs les
représentants et les délégués qui agiraient comme leurs porte-paroles,
prêts à tout moment à défendre leur point de vue jusqu’au bout. Cette
volonté de masse ne s’est exprimée jusqu’à présent que sur des problèmes
d’intérêt général, dont personne ne pouvait en fin de compte éluder la
solution. Ainsi la volonté des masses en Russie en 1917 et en Allemagne
en 1918 visait à terminer la guerre. Il fallait mettre fin à la guerre, à
tout prix. Tous les scrupules sur ce point, artificiellement cultivés
et entretenus dans les masses elles-mêmes, furent finalement balayés.
Alors s’éleva partout la volonté générale de mettre fin à la guerre et,
pour cela, de mener la lutte contre le pouvoir militaire de son propre
pays; les conseils d’ouvriers et de soldats n’étant que la forme
organisationnelle dans laquelle se concrétisa cette volonté. Ainsi les
conseils ouvriers sont-ils concevables uniquement comme la forme
organisationnelle exprimant la volonté des larges masses ouvrières. Il
faut malgré tout avoir présent à l’esprit qu’une telle volonté ne se
concrétise que lorsque certaines conditions préalables sont réunies, et
qu’elle ne se crée pas de toute pièce grâce aux slogans de tel ou tel
parti.<br />
Or, dans son effort pour s’emparer de la direction des conseils
ouvriers, le « parti marxiste-révolutionnaire » suit exactement le
cheminement inverse. Il veut utiliser ces organes de la volonté de masse
comme un moyen pour faire agir les masses selon la volonté et les plans
des « chefs ». Le chef, cependant, ne peut voir les masses que »
comme un matériau avec lequel il doit travailler, et, dans ce contexte,
la volonté autonome des masses est un élément hostile. Sous la direction
d’un parti, les conseils ouvriers se trouvent donc privés de leur
propre force, et s’ils subsistent c’est seulement par la tromperie,
c’est-à-dire en cachant aux masses qu’ils sont devenus des instruments
aux yeux des chefs. Tel fut le sort des conseils ouvriers en Russie et
en Allemagne une fois que le but premier, la fin de la guerre, fut
atteint et que les divergences surgirent à propos de la reconstruction
de l’ordre social — sur ce point les masses ouvrières n’avaient plus de
volonté unifiée. Les conseils furent récupérés par les diverses
tendances du Parti, ils perdirent même bientôt leur influence sur les
masses ouvrières et, conséquemment, leur utilité pour la politique de
parti des chefs. Ils disparurent donc. C’est seulement dans les
programmes des partis « marxistes-révolutionnaires », qui se préparent à
prendre la tète des soulèvement de masse prochains, qu’on les retrouve
comme organes susceptibles de diriger les masses.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cependant, l’esprit qui s’exprima à
travers les conseils ouvriers révolutionnaires n’est pas mort. A la
vérité, le point fondamental dans ces organisations consistait en ceci
que les ouvriers y réalisaient la coordination de leur force de classe
et le dépassement de leur dispersion en syndicats, partis, tendances.
Lorsque les ouvriers découvrent cette unité dans la lutte de classes
quotidienne, lorsqu’ils dirigent eux-mêmes la lutte dans des organes
formés spontanément, en rejetant les vieilles organisations génératrices
de leur séparation, alors l’esprit des conseils ouvriers
révolutionnaires anime à nouveau les masses laborieuses; et c’est alors
qu’elles expriment leur volonté.<br />
Dans les luttes actuelles, nous voyons surgir sans cesse les formes
embryonnaires de cette action de classe mais nous constatons en même
temps les tentatives, jusqu’ici presque toujours victorieuses, du vieux
mouvement ouvrier pour arracher aux travailleurs la direction de la
lutte et la confier aux bureaucrates des syndicats. Tout comme
l’économie « communiste », telle qu’elle est conçue par les chefs, doit
s’accomplir par la voie détournée de l’appareil d’État officiel, de même
la direction de la lutte doit être retirée à l’autorité des ouvriers et
reprise en mains par l’appareil syndical.<br />
Mais le pouvoir de la classe dirigeante sous le capitalisme est si
considérable que seul le pouvoir de la classe ouvrière tout entière unie
peut le renverser. Ainsi, les rapports de classes nous montrent que les
travailleurs, pour vaincre, doivent auparavant triompher du vieux
mouvement ouvrier en réalisant l’unité dans leurs conseils; et que
l’exercice par les masses elles-mêmes du « pouvoir législatif et
exécutif » dans la lutte est la condition de la victoire.</div>
<div style="text-align: justify;">
En 1918, en Allemagne, le slogan
révolutionnaire du prolétariat était « Tout le pouvoir aux conseils
ouvriers ». Ce slogan n’a de sens toutefois que si le pouvoir des
conseils est l’expression de la volonté unifiée des larges masses
ouvrières — oui, de la classe ouvrière tout entière. L’unité de toute la
classe ouvrière dans la volonté et dans l’action tel est le sol sur
lequel s’érige le pouvoir des conseils ouvriers. Pour cela, il ne suffit
pas que les larges masses, dans les situations extrêmes, mettent fin
par leur propre action à des conditions devenues insupportables. C’est
ce qu’elles firent en 1918, et cela n’amena que la fin de la guerre. Il
faut ajouter à cela la volonté déterminée de reconstruire la société, et
de régler les rapports humains dans le cadre de cette nouvelle société.<br />
On peut sans crainte compter sur le capitalisme pour rendre les
conditions matérielles intolérables. La situation de la classe ouvrière
devient de plus en plus insupportable; le travail salarié devient pour
des millions d’individus une calamité, un cauchemar auquel il est
impossible d’échapper. La situation devient finalement si tendue que
dans les larges masses surgit la volonté de mettre fin à tout prix à ces
conditions intolérables. Mais, elles ne peuvent en finir sans en même
temps supprimer le salariat. Même le socialisme d’État des chefs
n’apporte aucun salut puisqu’il conserve le salariat, réorganisé par le
pouvoir d’État. C’est pourquoi à l’action entreprise sous la contrainte
de l’extrême nécessité, il faut ajouter la transformation consciente des
rapports sociaux. La suppression de l’état de détresse et la
réorganisation des rapports sociaux ne sont qu’une seule et même chose;
elles sont les deux facettes d’une seule et même action. Pour sortir de
cette situation intolérable, les masses ouvrières, qui en tant que
salariées sont réduites à l’appauvrissement absolu, n’ont qu’une planche
de salut : prendre possession elles-mêmes des moyens de production.
Pour y parvenir, elles doivent, groupées au sein des conseils, s’emparer
du pouvoir social tout en utilisant les moyens de production en commun,
c’est-à-dire sur des bases communistes, pour satisfaire les besoins
sociaux.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>L’ÉCONOMIE COMMUNISTE</b></div>
<div style="text-align: justify;">
Le pouvoir du conseil ou du soviet met fin au salariat; il fait de l’ouvrier le facteur déterminant de la production.</div>
<div style="text-align: justify;">
Son rôle est d’amener la classe ouvrière à
la libération en transformant les salariés en producteurs libres et
égaux. Mais ces producteurs libres et égaux doivent régler leurs
rapports mutuels en fonction des nouvelles conditions. La régulation
rigoureuse de ces rapports, seule garantie de l’égalité, et donc de la
liberté, des producteurs : telle est, en dernière analyse, la fondation
solide sur laquelle se bâtit la société communiste.<br />
Cette régulation des rapports n’est toutefois rien d’autre que la
régulation du processus d’interaction de la société, — la régulation de
la production et de la consommation; de la participation du producteur
individuel à la fabrication des biens et de sa consommation des biens
produits en commun. Comme le travail du producteur individuel représente
en même temps sa participation à la production sociale des biens, il en
résulte nécessairement que ce travail détermine aussi la part qui lui
revient des biens produits. La mesure sociale qui doit régler les
rapports des producteurs entre eux, c’est le travail, défini par son
temps d’opération : l’heure de travail. L’heure de travail individuelle
et particulière à chaque producteur ne constitue pas, cependant, une
mesure sociale; elle varie selon les cas et se renouvelle sans cesse. Il
s’agit donc de calculer l’heure moyenne sociale de travail, la moyenne
de toutes les heures de travail différentes, qui doit devenir le facteur
de régulation sociale.<br />
On ne peut ici s’étendre davantage sur l’heure de travail moyen social
comme fondement de l’économie communiste. A ce sujet, nous recommandons
l’ouvrage intitulé <em>Grundprinzipien Kommunistischer Produktion und Verteilung</em>
[3], publié par le Groupe des Communistes Internationaux (Hollande).
Qu’il nous suffise d’indiquer que, pour nous, la réalisation de la
comptabilité en termes de temps de travail dans la société communiste
est un objectif immédiat, et non pas un problème à considérer «
ultérieurement ».</div>
<div style="text-align: justify;">
L’utilisation dans la vie économique de
la comptabilité par le temps de travail se traduit en politique par la
direction de la classe ouvrière sur la société. Les deux phénomènes sont
indissociables. Si la classe ouvrière n’est pas capable d’imposer la
comptabilité par le temps de travail, cela signifie qu’elle ne peut
éliminer le salariat ni assumer la direction et l’administration de la
vie sociale. Si le temps de travail ne devient pas la mesure de la
consommation individuelle, alors il ne reste que la solution du
salariat. Dans ce cas, on admet qu’il n’y a aucun rapport direct entre
les producteurs et la richesse sociale. Ce qui revient à considérer que
la séparation créée par le salariat entre les ouvriers et le produit
social est devenue un fait irréversible. En d’autres termes : la
direction du procès de production ne peut incomber aux ouvriers. Elle
est donc transmise aux « statisticiens » et autres savants responsables
de la distribution du « revenu national ». L’alternative est donc
celle-ci : d’un côté, abolition du salariat avec adoption de l’heure de
travail moyen social comme pivot de toute l’économie, sous le contrôle
direct des ouvriers; de l’autre, travail salarié au profit de l’État.<br />
En conséquence, les slogans que nous revendiquons immédiatement pour le
pouvoir ouvrier sont les suivants : les ouvriers placent sous leur
contrôle direct toutes les fonctions sociales, ils nomment et révoquent
tous les fonctionnaires. Les ouvriers prennent en main la direction de
la production sociale en s’associant dans les organisations d’usines et
les conseils ouvriers. Ils font entrer eux-mêmes leur usine dans la
forme communiste de l’économie en calculant leur production d’après le
temps de travail moyen social. Ainsi, c’est la société tout entière qui
passe dans le circuit de production communiste. Voilà qui rend dépassée
la distinction entre entreprises « mûres » pour une direction
socialisée, et celles qui ne le sont pas encore.</div>
<div style="text-align: justify;">
Tel est le programme politique, et en
même temps économique, des salariés; c’est dans ce sens que leurs
conseils transformeront l’économie. Telles sont les exigences maximales
que nous pouvons formuler sur ces questions; mais ce sont en même temps
nos exigences minimales, car il dépend d’elles que la révolution
prolétarienne soit ou ne soit pas.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Article publié dans <em>International Council Correspondence</em> (n°7 - avril 1935) revue du courant communiste des conseils ouvriers animée par <a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Paul%20Mattick" target="_blank">Paul Mattick</a>.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<span style="text-decoration: underline;"><em>Notes:</em></span><br />
[1] Très probablement <em>NEUE FRONT</em> (Organ für proletarisch-revolutionäre Sammlung), journal publié à Paris par des exilés du S.A.P.D. dont Fritz Sternberg et Paul Frölich. [Note de la <em>Bataille socialiste</em>]<br />
[2] Nous avons traduit le mot anglais <em>element</em> par son équivalent français, afin de conserver son caractère d’imprécision. [Note des traducteurs C. Collet et C. Smith, dans <em>La Contre-révolution bureaucratique</em>, 10/18, 1973]<br />
<div style="text-align: justify;">
[3]Nous publierons prochainement l'intégralité de ce texte sur Contre Capital.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-78180467858573269442019-02-17T04:57:00.001-08:002019-02-17T04:57:37.772-08:00La question de l’Union soviétique<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh37AQUO0Aht4x7HVfT8y3scVcXP023vGUyFUTZC_BQ212BLHcM8dFDox7HWF0XW0GQLT-kPLYlfgA0__nZg1PmebNatlNjQn3ZP0Bdnix8cDCnrCpPG4oAuFh0uCmp4IkrJCeLcdb19dhN/s1600/20100528_abaza_brigada.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="528" data-original-width="1000" height="210" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh37AQUO0Aht4x7HVfT8y3scVcXP023vGUyFUTZC_BQ212BLHcM8dFDox7HWF0XW0GQLT-kPLYlfgA0__nZg1PmebNatlNjQn3ZP0Bdnix8cDCnrCpPG4oAuFh0uCmp4IkrJCeLcdb19dhN/s400/20100528_abaza_brigada.jpg" width="400" /></a></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<b>I. Moment décisif dans le développement de l’URSS de ces dernières années.</b></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Quiconque a suivi attentivement la situation de
l’URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y
ont été réalisées ces derniers temps : l’interdiction de l’avortement,
1’introduction de nouveaux grades dans l’armée, de nouveaux règlements
scolaires autoritaires, et bien d’autres règlements.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur
le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu’on se
donne la peine d’y voir la conséquence de raisons plus profondes, et
dont l’origine plonge dans le domaine de l’économie. S’il est vrai que
des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d’une
société présupposent des modifications analogues dans l’économie, on
devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels
déplacements de forces en URSS. En fait, rien n’est plus facile à
démontrer.</div>
<a name='more'></a><br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Toute la série de nouveaux règlements qu’on a pu
constater ces dernières années ne s’expliquent autrement que par un
déplacement substantiel et même principiel des rapports de forces.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Il suffira pour cela de rappeler le discours, en
son temps célèbre, que Staline prononça en juin 1931 devant une
assemblée d’économistes russes sur les six conditions ou changements. La
presse du Komintern a considéré le discours comme étant d’une portée
historique et n’a pas dit en ce cas un seul mot de trop. Jamais homme
politique n’a rompu si radicalement avec l’ancien cours suivi
jusqu’alors que Staline en 1931. Il demandait alors la suppression de
l’égalité relative des salaires ouvriers, stigmatisait cette égalité
comme une « creuse égalisation » et exigeait l’introduction d’un nouveau
système de salaires. Il demandait en plus la suppression de la
direction collective des entreprises et leur remplacement par une
direction personnelle d’un fonctionnaire responsable uniquement devant
l’Etat.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Cependant le point essentiel résidait sans doute
dans l’annonce que dorénavant les entreprises devraient travailler
d’après le principe de la rentabilité. Le discours fut suivi
immédiatement par une série de décrets qui ont donné à ces formulations
de Staline force de loi. Plus de 30 échelons de salaires furent créés,
et les différences s’échelonnèrent entre 100 et 1000 roubles par mois.
Le droit des ouvriers d’avoir un certain regard dans le fonctionnement
de l’entreprise fut réduit à zéro et les directeurs « rouges » devinrent
des bureaucrates dans leur domaine. Pour la réalisation de la
rentabilité, ils reçurent les pouvoirs nécessaires. Une rationalisation
du mode du travail eut lieu qui provoqua une course effrénée pour des
hauts salaires.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Pour les staliniens des pays autres que l’URSS, le
travail à la tâche c’était de l’assassinat, mais en URSS, ils prisaient
beaucoup les effets miraculeux du travail à la tâche.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Peu après les syndicats furent rattachés au
Commissariat du Travail et cessèrent définitivement de mener une lutte
quelconque pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. Ils
devinrent de simples instruments de propagande de l’Etat pour une
meilleure exploitation de l’effort ouvrier (Décision du C.C. du 23 juin
1933). Même la façon de pourvoir les ouvriers en denrées alimentaires
fut modifiée. La plupart du temps elle passait dans les mains de la
direction d’entreprise qui trouvait le moyen « d’assurer aux meilleurs
ouvriers une meilleure fourniture de denrées alimentaires ». Si jusqu’
alors il existait au sein de la classe ouvrière une certaine égalité des
conditions de vie – égalité qu’on pourrait le mieux qualifier d’égalité
de commune misère – à partir de ce moment commença à se développer une
différenciation dans la manière de vivre, une différenciation des
intérêts, et par conséquent une appréciation différente de l’Etat et de
ses institutions.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Ainsi prit fin une longue période pendant laquelle
le nivellement de la conscience ouvrière trouvait son origine dans les
conditions économiques.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Où donc faut-il chercher les raisons de toutes ces
mesures qui furent déjà à l’époque stigmatisées par différents groupes
ouvriers comme étant de nature réactionnaire et même capitaliste.
Staline nous le dit dans le même discours cité plus haut : <i>« il en
résulte finalement qu ‘on ne doit plus se contenter des anciennes
sources d’accumulation, le nouveau développement de l’industrie et de
l’agriculture exige l’introduction du principe de la rentabilité et le
renforcement de l’accumulation au sein de l’industrie. »</i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Le prolétaire des pays capitalistes sait bien par
l’expérience de sa vie quotidienne quelles sont les méthodes que le
capitalisme met en pratique lorsque que par manque de plus-value
l’accumulation se trouve bloquée. Bien que se voilant de bonnets
philanthropiques de toutes sortes, elles ont toujours comme but final
une aggravation de l’exploitation. Il est significatif que le « premier
et unique Etat ouvrier » se soit servi de la même méthode. Pas mal de
communistes perdirent alors une partie de leurs illusions. La dure
réalité les a forcés à se rendre à 1’évidence ; c’était une erreur de
croire que la nationalisation des moyens de production était déjà en soi
une garantie suffisante pour une disparition de l’exploitation de
l’homme par l’homme.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
A la place des capitalistes individuels puissants,
des appareils étatiques tout puissants pressaient l’individu de rendre
ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnaient en
échange un salaire qui suffisait à peine à assurer l’entretien de
l’existence nue. Ce rapport de l’ouvrier russe vis à vis de son Etat et
ses fonctionnaires ne ressemble-t-il donc pas à celui de l’esclave
salarié de l’Europe occidentale envers son patron?</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Des staliniens 100 % nous chantent, il est vrai,
« la propriété collective des moyens de production » qui existerait dans
l’Etat soviétique, et les trotskistes l’ont chanté jusqu’alors dans le
même chœur bien que sur un autre air.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Mais une question se pose alors ; Pourquoi donc les
ouvriers « ces propriétaires collectifs des moyens de production »
ont-ils montré si peu d’intérêt à accroître le plus rapidement possible
leur propriété, au point que Staline a été obligé de leur rappeler leurs
devoirs avec un fouet de faim?</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Bien plus, pour protéger la « propriété
socialiste » il a dû, même à l’aide de lois draconiennes, empêcher les
ouvriers d’emporter dans leurs poches leur propriété à eux. Les
prolétaires russes sont-ils donc si bêtes et si myopes comme sont
intelligents leurs maîtres staliniens et ne comprennent-ils donc pas les
dommages qu’ils se causent eux-mêmes à leurs intérêts les plus vitaux !</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Nous croyons fermement que l’ouvrier russe comprend
qu’il n’a aucun rapport direct ni avec les moyens de production, ni
avec le produit de son travail. Il n’a aucun intérêt à ces deux choses,
parce qu’il est salarié au même titre que ses frères de classe de
l’autre côté de la frontière. Que le prolétariat russe ait compris ce
fait dans son ensemble, ou que l’exploitation soit encore voilée aux
grandes masses par des illusions, cela importe peu. Ce qui est sûr,
c’est que le prolétariat russe a agi et continue à agir comme seule une
classe exploitée agit. Et il importe peu que Staline soit conscient ou
non de son rôle de dirigeant d’une société reposant sur l’exploitation;
l’essentiel, c’est que personne mieux que lui n’avait pu formuler avant
et après 1931 les nécessités d’une telle société.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Ce n’est pas d’hier que date l’introduction des
rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n’est pas à
partir de 1931 seulement que l’URSS l’est devenue. Dans son essence,
elle 1’était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers
soviets ouvriers librement élus, mais après 1931 l’économie russe a
rejeté de son sein tous les éléments étrangers à sa structure.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Les couches qui considéraient l’honnêteté comme une
des vertus essentielles des révolutionnaires (surtout parmi les vieux
bolcheviks) se sont montrées incapables d’aider le programme de Staline à
se réaliser, et se trouvent depuis longtemps en opposition irréductible
au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont
éliminés par lui. La dissolution de l’organisation des vieux bolcheviks
et la déportation de ses membres les plus éminents surtout ces derniers
temps, montra bien à quel point cette interprétation correspond à la
vérité.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Un bolchevik, un ouvrier conscient, un communiste
ne peut pas défendre devant les masses les mesures du gouvernement
soviétique, il ne peut pas les faire réaliser sans immédiatement cesser
d’être un communiste. Il devient pour les puissants inutilisable et
sans valeur dans la mesure où il devient conscient de sa fonction en
tant qu’instrument de la hiérarchie exploiteuse. C’est pourquoi
nécessairement d’autres hommes doivent accomplir cette fonction, des
hommes avec des conceptions différentes et qui n’ont pas le sentiment
d’appartenir à la classe ouvrière.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Les décisions importantes après 1931 étaient des
nécessités qui résultèrent du développement et étaient devenues causes
d’un déplacement du rapport de force entre classes en URSS. Une
aggravation de l’exploitation est impossible sans l’accroissement de
l’appareil qui réalise cette exploitation directement. Et, comme la
classe ouvrière ne peut s’exploiter elle-même, cet appareil devait être
édifié par des gens qui ne lui appartiennent pas. Fonctionnaires,
employés, cadres de l’industrie, appuyés sur une large couche
d’aristocratie ouvrière sont 1’instrument de la clique régnante et,
peuvent de ce fait jouir des privilèges qui les placent bien au-dessus
du niveau d’un prolétaire moyen.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Telle est la situation créée en URSS.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
En dépit de tous les bavardages sur le passage
imminent vers une société sans classes, une nouvelle classe a surgi
là-bas. Les prolétaires n’ont aucun rapport de « propriété » avec les
moyens de production; là comme ici, ils sont vendeurs de leur force de
travail; tandis que la classe opposée (fonctionnaires du parti,
directeurs d’entreprises et de coopératives, bureaucratie d’Etat) exerce
la fonction de gérant des moyens de production, d’acheteur des forces
de travail et de propriétaire des produits du travail. Elle domine
collectivement, mais d’une façon autoritaire toutes les sphères de
1’économie russe. Elle ne produit aucune plus-value, mais se nourrit du
travail de millions d’esclaves auxquels elle a enlevé et enlève encore
tous les droits, et se donne à elle-même des privilèges qui la
différencient nettement de la masse grise des prolétaires russes.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Aussi sa conscience n’est-elle pas une conscience
ouvrière. Elle est intéressée à l’exploitation et cet intérêt est
déterminant pour la formation de ses conceptions. Elle reste
farouchement opposée à toutes les forces de la société qui propagent la
suppression réelle de l’exploitation. Par ceux-ci elle se sent menacée
dans ses privilèges et ne recule devant rien pour détruire cet ennemi.
Toutes ses forces tendent vers P extension des privilèges obtenus au
cours des années passées et vers la liquidation de tout ce qui reste de
la révolution d’octobre, les restes humains y compris.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Pour pouvoir tirer de la chair des prolétaires
toute la masse gigantesque de plus value nécessaire à 1’édification et à
la reconstruction de l’économie russe il a fallu créer toute une armée
d’aboyeurs, de surveillants et de garde-chiourmes.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
C’est à un processus de libération que nous avons
assisté en URSS ces derniers temps, libération non pas des masses
populaires, mais de la structure économique qui ne pouvait plus
supporter la vieille coque politique. Les lois de la société basée sur
l’exploitation s’imposèrent du moment où le dernier trou qu’ était
1’absence d’une couche assumant clairement et nettement la fonction de
classe exploiteuse, fut bouché. La constitution définitive de cette
classe est l’essentiel du développement de l’URSS en ces dernières
années. Qui ne comprend pas ces choses sera incapable de comprendre tout
ce qui se déroule et se déroulera en URSS.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
L’URSS est devenue définitivement un pays capitaliste. Toutes les forces de la vie y ont un caractère capitaliste.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Le chemin d’octobre à février a été parcouru sans
que ce soit cependant un chemin de retour. En URSS, les prolétaires trop
faibles pour organiser en tant que classe la production au nom de la
société tout entière, ont dû céder la place au parti qui ne pouvait agir
autrement que comme représentant d’intérêts particuliers. Ce parti a
fait ce qu’ailleurs ont accompli les capitalistes privés, il a développé
les moyens de production et continue à les développer jusqu’ à la
limite historique; le parti prit sur lui le rôle historique de la
bourgeoisie et devait dégénérer sous cette forme.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Accomplissant un rôle progressif, il a poussé en
avant la roue de l’histoire et vient d’arriver maintenant à un point que
la bourgeoisie des autres pays a déjà atteint depuis longtemps. Il
commence à devenir un obstacle sur le chemin du développement de l’URSS
sous n’importe quelle forme humaine.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Il n’y a pas lieu ici de disqualifier moralement
les personnes qui ont tenu le gouvernail ; il faut comprendre que toute
personne, toute puissance qui à la place des personnes d’aujourd’hui
aurait tenu le gouvernail eût subi le même développement.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<b>II. Les forces sociales en URSS</b></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
L’aspect de l’économie agraire</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Malgré toutes les mesures prises, la
différenciation des conditions de vie entre la couche dirigeante et le
prolétariat, au cours du premier plan quinquennal, n’a pu atteindre son
plein épanouissement. La bureaucratie avait encore besoin du prolétariat
pour réaliser sa campagne de conquête de la paysannerie. Pour pouvoir
consolider sa position dans l’industrie, la bureaucratie devait
s’assurer une influence prépondérante sur le secteur agraire de
l’économie russe. L’anarchie de la production paysanne commençait, en
effet, à menacer le développement de toute l’économie et par cela la
couche dirigeante. L’introduction de nouvelles méthodes de production
plus perfectionnées était depuis longtemps une nécessité historique pour
l’économie agraire russe. Tout autre gouvernement aurait été obligé un
jour ou l’autre de les introduire. D’abord pour pouvoir nourrir à
meilleur marché ses salariés, et puis pour enrichir le marché intérieur,
d’un nouveau débouché.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
La bureaucratie proclama la collectivisation des
biens ruraux et la réalisa « au nom du communisme ». Sans cela, elle
n’aurait pu mobiliser pour son œuvre des forces prolétariennes
supplémentaires. On sait quelle résistance désespérée la
collectivisation rencontra de la part des paysans, résistance que le
gouvernement n’aurait pu briser en ayant dans le dos un prolétariat
hostile.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Pour pouvoir « au nom du communisme » arracher
l’entreprise du paysan à son ancienne forme féodale d’organisation et de
production, et pour pouvoir l’incorporer comme partie homogène dans le
système général de son capitalisme, il fallait faire au nom de ce même
« communisme » certaines concessions au prolétariat malgré les intérêts
fondamentalement opposés. Pour avoir une idée de l’âpreté de la lutte
pour la collectivisation, il suffit de se rappeler qu’elle a conduit à
l’émigration de dizaines de milliers de paysans et à la déportation de
centaines de milliers d’autres. Pour aider la campagne à sortir de sa
situation arriérée, il fallait l’anéantir avec l’aide d’ouvriers armés
croyant gagner ainsi la campagne au socialisme. Ils ont ainsi anéanti
les derniers restes du féodalisme et du capitalisme privé libre et frayé
un chemin pour un contrôle efficace de la bureaucratie sur la
collectivité paysanne.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Jusqu’alors les petites entreprises existantes
étaient dans une large mesure indépendantes de l’industrie et par
conséquent des dirigeants de celles-ci. Les paysans n’avaient pas de
besoin qui aurait pu les lier fermement à l’industrie. Il fallait donc
les arracher de cet isolement à tout prix, en créant même par force de
tels besoins. D’autre part, on ne pouvait songer à une augmentation de
productivité agricole sans 1’introduction des moyens industriels
modernes comme tracteurs, batteuses, combinés, etc.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Aujourd’hui, ce processus est déjà en grande partie
accompli : 87 % de la surface cultivée ont été cette année gérées
collectivement, environ 300 000 tracteurs sont en usage, le nombre des
machines plus compliquées (tracteurs combinés) s’élève à des dizaines de
milliers. L’économie rurale est profondément modifiée, et par cela
aussi, son rapport envers les autres parties de l’économie russe.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Les obligations et les dettes des « paysans
collectifs » envers l’Etat sont immenses. Leur isolement est brisé,
chaque jour ils deviennent plus conscients de leur dépendance de l’Etat.
Les paysans sont sous l’influence de la politique des prix du
gouvernement et les instituts de crédit ont la possibilité d’exercer sur
eux une pression constante. L’an dernier, on a remarqué une tendance
très nette de la part du gouvernement soviétique à ne plus vendre aux
collectivités les grands moyens de production, mais à les louer. Dans ce
but, on a créé à la campagne quelques milliers de stations « de
tracteurs et de machines »‘. Ceci indique l’étendue de l’influence, et
des possibilités que la bureaucratie s’est créée dans ce secteur et
qu’elle développera encore.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
La collectivisation qui a fait disparaître
complètement la « commune » paysanne a créé comme nouvelle forme
l’organisation rurale « l’artel », association pas trop rigide de
propriétaires des moyens de production. Il y a une certaine ressemblance
entre les coopératives agricoles telles qu’on les rencontre dans
l’occident, et surtout dans les pays Scandinaves et les « artels »; mais
dans les artels ce ne sont pas<i> </i>seulement les batteuses ou les
laiteries qui servent pour les besoins communs, mais toutes les
machines, édifices, et une grande partie des terres.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Si un tel artel paraît à première vue quelque chose
de socialiste, dès qu’on y regarde déplus près, on trouve la marque
incontestable du capitalisme. Si le socialisme signifie tout d’abord la
disparition de tout droit de propriété, l’artel créé précisément une
nouvelle forme de droit de propriété. L’inégalité des droits de
propriété en naît nécessairement et avec elle 1’inégalité des
conceptions, des buts et des intérêts des individus qui y appartiennent.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
En plus de cela, existe dans l’artel le travail
salarié qui règle les rapports des membres entre eux. Les salariés sont
payés non seulement d’après la quantité de travail fournie, mais aussi
d’après sa qualité. Par dessus le marché, l’artel peut employer des
ouvriers comme simples salariés qui n’ont pas d’autres droits. L’artel
peut donc fonctionner comme exploiteur. Pour devenir membre de l’artel,
il faut pouvoir apporter des biens qui paraissent suffisants à la
majorité des membres de l’artel.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Si l’artel estime forme socialiste d’organisation,
il présente cependant une forme bien supérieure à l’ancienne. L’artel
permet par l’emploi des machines une rationalisation du travail et une
augmentation sensible de la productivité agricole ; par cela même, il
augmente la part de chacun dans le profit. C’est ce dernier fait,
d’ailleurs, qui a rendu l’artel « populaire », malgré la méfiance que
les paysans lui ont manifesté au début.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Pour le marxiste il est clair que toutes ces
mesures doivent nécessairement aboutir à la disparition de la
paysannerie et que leur position s’approche de plus en plus de celle des
ouvriers. Pour le moment, les paysans ne semblent pas apercevoir les
nouveaux changements de la situation, ils ne voient que le côté
superficiel, les profits accrus, et accueillent favorablement la
nouvelle forme ou ne s’y opposent pas. Ce dernier fait est d’une
importance capitale et ne doit pas être perdu de vue lors d’un examen de
la situation russe.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Du moment où la bureaucratie peut prendre en
considération la paysannerie comme base de masse, elle devient
indépendante du prolétariat. De ce moment elle a la possibilité de jouer
sur les intérêts opposés des deux classes. Et personne ne peut affirmer
qu’elle a délaissé cette chance. Au contraire, depuis « la victoire
complète de la collectivisation », toute sa politique intérieure et
extérieure porte ce caractère. Avec les prolétaires contre les paysans,
avec le paysan contre le prolétaire, la bureaucratie russe emploie tour à
tour ces deux moyens pour consolider son pouvoir.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Vous avons donc à faire aujourd’hui en URSS, « à la
rentrée dans la société sans classes », au moins à trois classes qui
diffèrent entre elles très nettement par le rapport qui les lie aux
moyens de production. Les prolétaires n’ont aucun droit de propriété sur
le produit de leur travail ni sur les moyens de production. Droit
collectif de propriété contrôlé par l’État, caractérise le mieux la
classe paysanne. La bureaucratie, sommet de la hiérarchie régnante
possède et domine, d’une façon anonyme et collective tous les moyens
industriels de production et ne laisse échapper aucune occasion pour
soumettre à son entière domination l’économie rurale.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Cette différenciation crée chaque jour une
différenciation dans la façon de vivre et dans l’idéologie, des trois
catégories. Le Prolétariat, pauvre et exploité, est intéressé à voir
disparaître l’exploitation et ses bases matérielles.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Les paysans exigent une aggravation de
l’exploitation des ouvriers en même temps qu’une réduction des prix sur
les produits industriels et demandent une adaptation de l’économie russe
aux nécessités de leur forme de production.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
La bureaucratie assise sur la nuque des deux presse
tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ; et est toujours intéressée à
tirer profit des deux couches, toujours intéressée à rester couche
dominante.</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Groupe%20des%20communistes%20internationaux%20de%20Hollande" target="_blank"> Groupe Communiste Internationaliste de Hollande</a>, 1937.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-29095500688780632772019-01-06T10:03:00.002-08:002019-01-06T10:03:53.392-08:00Remarques générales sur la question de l’organisation<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMJtjEkY5pVtGxGBBt_9Mu-uytJS7dzxMLqhSViJBjqS0kxOPBhZUo1YSZVZwDhjKivm-aOLOrUZSfah4G3WnCdlchsleh4_lKlg9JaXxX8w2uJxLHqJ9pRDDLsccINXPxonHXzK138GP5/s1600/1+hCvVDxZxuSlFliIPe4WRbg.jpeg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1069" data-original-width="1600" height="265" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhMJtjEkY5pVtGxGBBt_9Mu-uytJS7dzxMLqhSViJBjqS0kxOPBhZUo1YSZVZwDhjKivm-aOLOrUZSfah4G3WnCdlchsleh4_lKlg9JaXxX8w2uJxLHqJ9pRDDLsccINXPxonHXzK138GP5/s400/1+hCvVDxZxuSlFliIPe4WRbg.jpeg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
L’organisation,
tel est le principe fondamental du combat de la classe ouvrière
pour son émancipation. Il suit de là, du point de vue
du mouvement pratique, que le problème le plus important est
celui des formes de cette organisation. Celles-ci, bien entendu, sont
déterminés tant par les conditions sociales que par les
buts de la lutte. Loin de résulter de caprices de la théorie,
elles ne peuvent être crées que par la classe ouvrière
agissant spontanément en fonction de ses besoins immédiats.</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="text-align: justify;">
Les
ouvriers se sont mis à constituer des syndicats à
l’époque où le capitalisme amorçait son
expansion. L’ouvrier isolé se voyait alors réduit
à l’impuissance ; c’est pourquoi il devait
s’unir à ses camarades afin de lutter et de pouvoir
discuter, avec le capitaliste, de la production capitaliste, la durée
de sa journée et le prix de sa force de travail. Au sein de la
production capitaliste, patrons et ouvriers ont des intérêts
antagonistes ; leur lutte de classes a pour objet la répartition
du produit social global. En temps ordinaire, les ouvriers reçoivent
la valeur de leur force de travail, c’est-à-dire la
somme nécessaire à entretenir en permanence leur
capacité de travail. Le reliquat de la production forme la
plus-value, la part allant à la classe capitaliste. Pour
accroître leurs profits, les capitalistes tentent d’abaisser
les salaires et d’augmenter la longueur de la journée de
travail. Et donc, à l’époque où les
ouvriers étaient incapables de se défendre, les
salaires descendaient au-dessous du minimum vital, les journées
s’allongeaient, et la santé physique et mentale des
travailleurs se détériorait au point de mettre en
danger l’avenir de la société. La formation des
syndicats et la création de lois fixant les conditions de
travail – ces réalisations, fruit d’une âpre
lutte des ouvriers pour les conditions mêmes de leur existence
– étaient indispensables au rétablissement de
conditions de travail normales, au sein du système
capitaliste. La classe exploiteuse elle-même finit par admettre
que les syndicats sont nécessaires à canaliser les
révoltes ouvrières afin de prévenir tout risque
d’explosions soudaines et brutales.</div>
<div style="text-align: justify;">
On
assista aussi au développement d’organisations
politiques, de formes souvent différentes, il est vrai, les
conditions politiques variant d’un pays à l’autre.
En Amérique, où toute une population de cultivateurs,
d’artisans et de commerçants, ignorant la sujétion
féodale, pouvait s’épanouir librement, en
exploitant les ressources naturelles d’un continent aux
possibilités infinies, les ouvriers n’avaient nullement
le sentiment de former une classe à part. Comme tout le monde,
ils étaient imbus de l’esprit petit-bourgeois de la
lutte individuelle et collective pour le bien-être personnel,
et pouvaient espérer voir ces aspirations satisfaites, au
moins dans une certaine mesure. Sauf en de rares moments, ou bien
parmi des groupes d’émigrants de fraîche date, on
n’y ressentit jamais la nécessité d’un
parti de classe distinct.</div>
<div style="text-align: justify;">
En
Europe, par ailleurs, les ouvriers furent entraînés dans
la lutte de la bourgeoisie ascendante contre l’ordre féodal.
Il leur fallut bientôt créer des partis de classe et,
alliés à une fraction des classes moyennes, combattre
pour obtenir les droits politiques, le droit syndical, la liberté
de presse et de réunion, le suffrage universel, des
institutions démocratiques. Pour sa propagande, un parti
politique a besoin de principes généraux ; pour
rivaliser avec les autres, il lui faut une théorie comportant
des idées arrêtées au sujet de l’avenir. La
classe ouvrière, dans laquelle les idéaux communistes
avaient déjà germés, découvrit sa théorie
dans l’œuvre de Marx et d’Engels, exposant la
manière dont l’évolution sociale ferait passer le
monde du capitalisme au socialisme, au moyen de la lutte de classe.
Cette théorie figura aux programmes de la plupart des partis
social-démocrates d’Europe ; en Angleterre, le
parti travailliste, créé par les syndicats, professait
des vues analogues, quoique plus vagues : une espèce de
communauté socialiste, tel était à ses yeux le
but de la lutte de classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les
programmes et la propagande de tous ces partis présentaient la
révolution prolétarienne comme le résultat final
de la lutte de classe ; la victoire des ouvriers sur leurs
oppresseurs signifierait également la création d’un
système de production communiste ou socialiste. Toutefois,
tant que le capitalisme durerait, la lutte pratique ne devrait pas
sortir du cadre des nécessités immédiates et de
la défense du niveau de vie. Dans un régime
démocratique, le Parlement sert de champ clos où
s’affrontent les intérêts des diverses classes
sociales ; capitalistes gros et petits, propriétaires
fonciers, paysans, artisans, commerçants, industriels,
ouvriers, tous ont des intérêts spécifiques, que
leurs députés défendent au Parlement, tous
participent à la lutte pour le pouvoir et pour leur part du
produit social. Les ouvriers doivent donc prendre position, et la
mission des partis socialistes consiste à lutter au plan
politique de façon que leurs intérêts immédiats
soient satisfaits. Ces partis obtiennent ainsi les suffrages des
ouvriers et voient grandir leur influence.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Le
développement du capitalisme a changé tout cela. Aux
petits ateliers d’autrefois ont succédé des
usines et des entreprises géantes, employant des milliers et
des dizaines de milliers de personnes. La croissance du capitalisme
et de la classe ouvrière a entraîné celle de
leurs organisations respectives. Groupes locaux à l’origine,
les syndicats se sont métamorphosés en grandes
confédérations nationales, aux centaines de milliers de
membres. Ils doivent collecter des sommes considérables pour
soutenir des grèves gigantesques et des sommes plus énormes
encore pour alimenter les fonds d’aide mutuelle. Toute une
bureaucratie dirigeante – un état-major pléthorique
d’administrateurs, de présidents, de secrétaires
généraux, de directeurs de journaux – s’est
développée. Chargés de marchander et de traiter
avec les patrons, ces hommes sont devenus des spécialistes
habitués à louvoyer et à faire la part des
choses. En définitive, ils décident de tout, de
l’emploi des fonds comme du contenu de la presse ; face à
ces nouveaux maîtres, les syndiqués de la base ont perdu
à peu près toute autorité. Cette métamorphose
des organisations ouvrières en instruments de pouvoir sur
leurs membres n’est pas sans exemple dans l’histoire,
loin de là ; quand les organisations grandissent à
l’excès, les masses ne peuvent plus y faire entendre
leur voix.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le
même phénomène s’est produit au sein des
organisations politiques : petits groupes de propagandistes à
l’origine, elles se sont transformés en grands partis.
Leurs maîtres véritables ne sont autres que leurs élus
au Parlement. C’est en effet à eux qu’il incombe
de poursuivre la lutte réelle au sein des organes
représentatifs, dans lesquels ils font carrière. Ce
sont eux qui rédigent les éditoriaux, orientent la
propagande, dirigent les petits cadres ; ils exercent une
influence prépondérante sur la politique du parti,
fixent en fait sa ligne. Certes, les simples militants ont le droit
de vote, ils mettent la main à la propagande, paient des
cotisations et envoient des délégués siéger
en leur nom aux congrès du parti, mais il s’agit en
l’occurrence de pouvoirs formels, illusoires. Par son
caractère, l’organisation ressemble à tous les
autres partis, c’est-à-dire des groupes de politiciens
de carrière qui cherchent à récolter des
suffrages au moyen de slogans et à exercer eux-mêmes le
pouvoir. Quand un parti socialiste dispose d’un grand nombre
de députés, il s’allie avec d’autres
partis, contre les formations réactionnaires, pour former une
majorité parlementaire. Dès lors, il y a non seulement
une foule de socialistes maires et conseillers municipaux, mais
encore certains d’entre eux deviennent ministres ou accèdent
aux plus hautes charges de l’Etat. Une fois installés à
ces postes, ils ne sauraient bien entendu agir en qualité de
représentants de la seule classe ouvrière, gouverner
pour les travailleurs contre les capitalistes. Le pouvoir politique
véritable et même la majorité parlementaire
restent aux mains de la classe exploiteuse. Les ministres socialistes
doivent s’incliner devant les intérêts de la
société globale, c’est-à-dire ceux du
Capital. Sans doute, on les voit proposer des mesures de nature à
satisfaire les revendications immédiates des ouvriers et
insister auprès des autres partis pour les faire adopter. Ils
deviennent des intermédiaires – des entremetteurs –
et, lorsque après de longs marchandages ils ont réussi
à obtenir de petites réformes, ils s’adressent
aux ouvriers pour les persuader qu’il s’agit là de
réformes de premier ordre. Servant d’instrument à
ces leaders, le Parti socialiste a dès lors pour tâche
de défendre les réformes en question et d’amener
les travailleurs à y souscrire ; au lieu de les appeler à
combattre pour leurs intérêts, il fait tout pour les
endormir et les détourner de la lutte de classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
En
ce qui concerne les ouvriers, les conditions de lutte se sont
détériorées. La puissance de la classe
capitaliste s’est accrue énormément, du même
pas que ses richesses. Autrement dit, la concentration du capital
dans les mains de quelques capitaines de la finance et de
l’industrie, la coalition des patrons eux-mêmes, place
les syndicats devant un pouvoir désormais beaucoup plus fort
et souvent presque inexpugnable. En outre, la concurrence féroce,
à laquelle les capitalistes de tous les pays se livrent pour
conquérir les marchés, les sources de matières
premières et le pouvoir mondial, exige que des parts
croissantes de la plus-value aillent à la fabrication
d’armements et à la guerre ; la baisse du taux de
profit oblige dès lors les capitalistes à augmenter le
taux d’exploitation, c’est-à-dire à
diminuer les salaires réels. Ainsi donc, les syndicats se
heurtent à une résistance accrue, les anciennes
méthodes deviennent de moins en moins utilisables. Lorsqu’ils
négocient avec les patrons, les dirigeants syndicaux ne sont
plus en mesure de leur arracher grand-chose. N’ignorant pas la
puissance des capitalistes, et peu désireux quant à eux
de combattre – parce que des luttes de ce genre risquent de
ruiner financièrement les organisations et de compromettre
leur existence même –, ils sont forcés d’accepter
les propositions patronales. Aussi leur activité principale
consiste-t-elle à calmer le mécontentement des ouvriers
et à présenter les offres des employeurs sous un jour
des plus favorables. Sur ce plan également, les leaders
servent de courtiers entre les classes antagoniques. Et si les
travailleurs rejettent ces offres et se mettent en grève, les
chefs doivent ou bien s’opposer à eux, ou bien tolérer
une lutte pour la frime, et cela dans l’intention de la faire
cesser au plus tôt.</div>
<div style="text-align: justify;">
Toutefois,
il est impossible de stopper la lutte ou de la restreindre à
un minimum ; en effet, les antagonismes de classes et la
capacité du capitalisme de réduire le niveau de vie
ouvrier s’accroissent constamment, tant et si bien que la lutte
des classes doit suivre son cours : les travailleurs sont
contraints de se battre. De temps à autre, d’une manière
spontanée, ils brisent leurs chaînes, sans se préoccuper
des syndicats, et souvent même au mépris d’engagements
contractés en leur nom. Parfois, les leaders syndicaux
parviennent à reprendre la direction du mouvement. En ce cas,
on assiste à une extinction graduelle de la lutte, à la
suite d’un pacte quelconque signé par les capitalistes
et les chefs ouvriers. Ce qui ne veut nullement dire qu’une
grève sauvage prolongée aurait des chances de
l’emporter. Elle est par trop restreinte aux groupes qu’elle
concerne directement, pour cela. C’est de façon très
indirecte que la crainte de voir de telles explosions se repérer
oblige les patrons à se montrer prudents. Mais ces grèves
prouvent cependant que la grande bataille entre le Capital et le
Travail ne peut pas cesser et que, si les formes d’action
anciennes se révèlent impraticables, les travailleurs
s’engagent à fond et en créent spontanément
de nouvelles. Leur révolte contre le Capital devient également
une révolte contre les formes d’organisation
traditionnelles.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Le
but et la mission de la classe ouvrière, c’est d’abolir
le système capitaliste. Une fois arrivé à son
degré de développement suprême, le capitalisme
connaît des crises économiques de plus en plus aiguës,
tandis que l’impérialisme exige des dépenses
militaires inouïes et engendre des guerres mondiales ; les
travailleurs sont acculés à la misère et à
l’extermination. Le combat de classe prolétarien, la
résistance et la révolte contre cette situation, devra
se poursuivre jusqu’à l’anéantissement du
pouvoir capitaliste.</div>
<div style="text-align: justify;">
En
système capitaliste, les possesseurs des moyens de production
accaparent le produit social, empochent la plus-value et exploitent
la classe ouvrière. L’exploitation ne cesse que le jour
où les travailleurs s’emparent des moyens de production.
C’est alors seulement qu’ils peuvent gérer
eux-mêmes leurs vies. Dès ce moment, en effet, la
production de tous les articles nécessaires à
l’existence devient la tâche de la communauté des
ouvriers, la communauté du genre humain. Cette production
forme un processus collectif. Chaque usine, chaque entreprise,
rassemble des travailleurs associant leurs efforts d’une
manière organisée. Mais, en outre, la production
mondiale dans son ensemble représente elle aussi un processus
collectif : toutes les usines distinctes doivent donc à
leur tour s’associer. Par conséquent, lorsque la classe
ouvrière prend possession des moyens de production, il lui
faut en même temps organiser la production.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nombreux
sont ceux qui persistent à concevoir la révolution
prolétarienne sous l’aspect des révolutions
bourgeoises d’autrefois, c’est-à-dire comme une
série de phases s’engendrant les unes les autres :
d’abord la conquête du pouvoir politique et la mise en
place d’un nouveau gouvernement ; puis, l’expropriation
par décret de la classe capitaliste ; enfin, une
réorganisation du processus de production. Mais, dans ce cas,
on ne peut pas aboutir à autre chose qu’à un
genre de capitalisme d’Etat. Pour que le prolétariat
puisse devenir réellement le maître de son destin, il
lui faut créer simultanément et sa propre organisation
et les formes de l’ordre économique nouveau. Ces deux
éléments ont inséparables et constituent le
processus de la révolution sociale. Lorsque la classe ouvrière
parvient à s’organiser en un corps capable d’actions
de masse puissantes et unifiées, l’heure de la
révolution a sonné, car le capitalisme ne peut régenter
que des individus désorganisés. Et quand ces masses
organisées se lancent dans l’action révolutionnaire,
tandis que les pouvoirs existants sont paralysés et commencent
à se désagréger, les fonctions de direction de
l’ancien gouvernement reviennent aux organisations ouvrières.
Dès lors, la tâche est de poursuivre la production,
d’assurer la perpétuation de ce processus indispensable
à la vie sociale. La lutte de classe révolutionnaire du
prolétariat contre la bourgeoisie et ses organes étant
inséparable de la mainmise des travailleurs sur l’appareil
de production, et de son extension au produit social, la forme
d’organisation unissant la classe dans sa lutte constitue
simultanément la forme d’organisation du nouveau
processus de production.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans
ce cadre, la forme d’organisation en syndicat et en parti,
originaire de la période du capitalisme ascendant, ne présente
plus la moindre utilité. Elle s’est en effet
métamorphosée en instrument au service de chefs qui ne
peuvent ni ne veulent s’engager dans le combat révolutionnaire.
La lutte n’est pas le fait des dirigeants : les leaders
ouvriers abhorrent la révolution prolétarienne. Pour
mener ce combat, les travailleurs ont donc besoin de formes
d’organisation nouvelles dont ils conservent par devers eux les
éléments de force. Il serait vain de vouloir construire
ou imaginer ces formes nouvelles ; elles ne peuvent surgir en
effet que de la lutte effective des ouvriers eux-mêmes. Mais il
suffit de se tourner vers la pratique pour les déceler, à
l’état embryonnaire, dans tous les cas où les
travailleurs se révoltent contre les vieux pouvoirs.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pendant
une grève sauvage, les ouvriers décident de tout par
eux-mêmes au cours d’assemblées générales.
Ils élisent des comités de grève, dont les
membres sont remplaçables à tout instant. Si le
mouvement se propage à un grand nombre d’entreprises,
l’unité d’action se réalise au moyen de
comités élargis, rassemblant les délégués
de l’ensemble des usines en grève. Ces délégués
ne décident pas en dehors de la base, et pour lui imposer leur
volonté. Ils servent tout simplement de commissionnaires,
exprimant les avis et les désirs des groupes qu’ils
représentent et, vice versa, rapportent aux assemblées
générales, pour discussion et décision,
l’opinion et les arguments des autres groupes. Révocables
à tout moment, ils ne peuvent jouer le rôle de
dirigeants. Les ouvriers doivent choisir eux-mêmes leur voie,
décider eux-mêmes du cours à donner à
l’action : le pouvoir de décider et d’agir,
avec ses risques et ses responsabilités, leur appartient en
propre. Et lorsque la grève prend fin, les comités
disparaissent.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il
existe un seul exemple de classe d’ouvriers d’industrie
moderne agissant en force motrice d’une révolution
politique : les révolutions russes de 1905 et de 1917.
Alors, dans chaque usine, les ouvriers élurent leurs délégués,
dont l’assemblée générale constitua le
« soviet » central, le conseil où il
était discuté de la situation et des mesures à
prendre. C’est là que les diverses usines venaient
émettre leur avis, que les divergences étaient aplanies
et les décisions formulées. Mais les conseils, tout en
ayant une influence directrice sur l’éducation
révolutionnaire par l’action, ne constituaient en rien
des organes de commandement. Parfois, tous les membres d’un
conseil étaient arrêtés, et de nouveaux délégués
venaient les remplacer ; parfois aussi, quand la grève
générale paralysait les autorités, les conseils
exerçaient tous les pouvoirs, à l’échelon
local, et les délégués des professions libérales
se joignaient à eux, afin de représenter leurs secteurs
d’activités respectifs. Nous nous trouvons en
l’occurrence devant l’organisation des travailleurs en
cours d’action révolutionnaire, une organisation
assurément bien imparfaite, marchant à tâtons,
essayant des méthodes nouvelles. Et pour cela il faut qu’une
condition soit remplie : que les ouvriers s’engagement
tous ensemble et de toutes leurs forces dans l’action, en un
moment où leur existence même est en jeu, qu’ils
prennent une part effective aux décisions et se consacrent
entièrement à la lutte.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette
organisation de conseils disparut après la révolution.
En ce temps, les centre prolétariens ne représentaient
que des îlots de grande industrie, perdus dans l’océan
d’une société agricole où le développement
capitaliste n’était pas encore amorcé. La mission
de jeter les bases du capitalisme revint au parti communiste. Il prit
en main le pouvoir politique, tandis que les soviets étaient
ravalés au rang d’organes sans importance, aux pouvoirs
uniquement nominaux.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les
vielles formes d’organisation, syndicats et partis politiques,
et la forme nouvelle des conseils (soviets) appartiennent à
des phases différentes de l’évolution sociale et
ont des fonctions tout aussi différentes. Les premières
avaient pour objet d’affermir la situation de la classe
ouvrière à l’intérieur du système
capitaliste et sont liées à sa période
d’expansion. La seconde a pour but de créer un pouvoir
ouvrier, d’abolir le capitalisme et la division de la société
en classes ; elle est liée à la période du
capitalisme en déclin. Au sein d’un système
ascendant et prospère, l’organisation de conseils est
impossible, les ouvriers se souciant alors uniquement d’améliorer
leurs conditions d’existence, ce que permet l’action
syndicale et politique. Dans un capitalisme décadent, en proie
aux crises, ce dernier type d’action est vain et s’y
raccrocher ne peut que freiner le développement de la lutte
autonome des masses, de leur auto-activité. En des époques
de tension et de révolte grandissante, quand des mouvements de
grève éclatent dans des pays entiers et frappent à
la base le pouvoir capitaliste, ou bien lorsque au lendemain d’une
guerre ou d’une catastrophe politique, l’autorité
du gouvernement s’évanouit et que les masses passent à
l’action, les vieilles formes d’organisation cèdent
la place aux formes nouvelles d’auto-activité des
masses.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Les
porte-parole des partis socialistes ou communistes admettent souvent
qu’au cours de la révolution les organes d’action
autonome des masses servent utilement à jeter bas l’ancien
régime, mais ils s’empressent d’ajouter que ces
organes devront laisser à la démocratie parlementaire
le soin d’organiser la société nouvelle.
Comparons un peu les principes fondamentaux de ces deux formes
d’organisation politique de la société.</div>
<div style="text-align: justify;">
A
l’origine, la démocratie était exercée
dans les petites villes, ou dans les cantons, par l’assemblée
générale des citoyens. Dans les villes et les pays
modernes, c’est là chose impossible, en raison de
l’énormité de la population. Les citoyens ne
peuvent exprimer leur volonté qu’en élisant des
délégués à quelque institution centrale,
censée les représenter tous. Ces députés
sont libres d’agir, de décider, de voter, de gouverner
comme ils l’entendent ; en leur « âme et
conscience », ainsi qu’on dit parfois avec
solennité.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les
délégués aux conseils, quant à eux, sont
liés par leur mandat : ils ont pour unique mission de
donner l’avis des groupes d’ouvriers qui les ont choisis
pour les représenter. Etant donné qu’ils sont
révocables à tout instant, les travailleurs, qui les
ont mandatés, conservent tous les pouvoirs.</div>
<div style="text-align: justify;">
Par
ailleurs, les membres du Parlement sont élus pour un nombre
d’années défini ; les citoyens ne sont les
maîtres qu’au moment des élections. Ce moment
passé, leur pouvoir disparaît et les députés
ont toute latitude de se comporter, pendant un certain nombre
d’années, selon leur « conscience »,
à cette seule restriction près qu’ils savent
pertinemment qu’un jour ils devront revenir devant le corps
électoral. Mais ils comptent bien capter ses suffrages au
moyen d’une campagne menée à grand fracas, dans
un déversement continuel de slogans et de formules
démagogiques. Ainsi donc, les maîtres véritables,
ceux qui décident, ne sont nullement les citoyens, mais les
parlementaires. Et les électeurs n’ont même pas la
possibilité de désigner quelqu’un de leur choix,
car les candidats leur sont proposés par les partis
politiques. En outre, à supposer qu’ils puissent choisir
des candidats à leur convenance et les élire, ceux-ci
ne formeraient jamais le gouvernement, puisque dans une démocratie
parlementaire, il y a séparation de l’exécutif et
du législatif. Le gouvernement réel, celui qui domine
le peuple, est constitué par une bureaucratie de hauts
fonctionnaires, et les résultats des joutes électorales
risquent si peu de l’atteindre qu’elle jouit d’une
indépendance quasi absolue. Voilà comment le pouvoir
capitaliste peut subsister grâce au suffrage universel et à
la démocratie. C’est pourquoi aussi, dans les pays où
la majorité de la population appartient à la classe
ouvrière, cette démocratie ne peut en aucun cas mener à
une conquête du pouvoir politique. Pour la classe ouvrière,
la démocratie parlementaire constitue une démocratie
truquée, tandis que la représentation au moyen des
conseils est la démocratie réelle : la gestion
directe de leurs affaires par les travailleurs.</div>
<div style="text-align: justify;">
La
démocratie parlementaire n’est autre que la forme
politique par laquelle les grands groupes d’intérêts
capitalistes pèsent sur le gouvernement. Les députés
représentent certaines classes : les agriculteurs, les
commerçants, les industriels, les ouvriers, mais ils ne
représentent pas la volonté commune de leurs électeurs.
En fait, les électeurs d’une circonscription n’ont
aucune volonté commune ; ils forment une collection
d’individus, capitalistes, travailleurs, boutiquiers, habitant
par hasard le même quartier.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les
délégués aux conseils sont, quant à eux,
élus par un groupe socialement homogène afin d’exprimer
la volonté de tous. Qui plus est, les conseils ne sont pas
composés simplement d’ouvriers ayant des intérêts
de classe communs ; ils constituent un groupe naturel de
personnes travaillant ensemble chaque jour au sein d’une usine
ou d’une grande entreprise et se heurtant au même
adversaire. Ces hommes ont à décider d’actions
qu’ils devront ensuite mener au coude à coude fraternel,
dans l’unité. Ils sont appelés à se
prononcer non seulement sur les questions de grève et de
combat, mais aussi sur les problèmes concernant l’organisation
nouvelle de la production. La représentation au moyen de
conseils n’est pas fondée sur le regroupement absurde de
communes ou de quartiers limitrophes, elle repose sur le regroupement
naturel des travailleurs dans le processus de production, seule base
réelle de la vie sociale.</div>
<div style="text-align: justify;">
On
ne doit pas confondre toutefois les conseils ouvriers avec le type de
représentation dit corporatif, propre aux régimes
fascistes. En ce dernier cas, il s’agit en effet d’un
système de représentation par branches professionnelles
(unissant patrons et ouvriers), censé constituer l’élément
de base de la société. Cette forme renvoie au moyen
âge, à ses corporations figées, à son
ordre immuable, et se distingue par une tendance à interdire
toute évolution aux groupes d’intérêts ;
en ce sens, elle est pire encore que le système parlementaire
classique dans lequel les groupes et les intérêts
nouveaux, dont l’essor va de pair avec le développement
du capitalisme, ne tardent pas à s’exprimer au Parlement
et au gouvernement.</div>
<div style="text-align: justify;">
Avec
les conseils ouvriers, on se trouve devant une forme de
représentation toute différente, celle d’une
classe révolutionnaire en lutte. Seuls les intérêts
prolétariens y sont représentés, cette forme
excluant la participation de délégués
capitalistes. Contestant à la classe capitaliste tout droit à
l’existence, elle vise à l’éliminer comme
telle en la dépossédant des moyens de production. De
plus, cette même organisation de conseils est l’instrument
qui permet aux travailleurs d’assumer, au fur et à
mesure que la révolution progresse, la fonction consistant à
organiser la production. En d’autres termes, les conseils
ouvriers sont les organes de la dictature du prolétariat.
Celle-ci n’est nullement un système électoral
savamment conçu dans le but de retirer artificiellement le
droit de vote aux capitalistes et aux membres des classes moyennes.
Il s’agit en l’occurrence de l’exercice du pouvoir
par les organes naturels des travailleurs, l’appareil de
production servant désormais de base à la société.
Ces organes, qui réunissent les délégués
ouvriers des diverses branches de la production, ne peuvent donc, par
définition, accueillir les brigands et les exploiteurs qui
n’effectuent aucun travail productif. Ainsi la dictature de la
classe ouvrière correspond-elle exactement à la
démocratie la plus parfaite, à la véritable
démocratie prolétarienne excluant la classe des
exploiteurs en voie de disparition.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Les
partisans des formes anciennes d’organisation exaltent la
démocratie comme la seule forme politique juste et conforme au
droit, la dictature étant à leurs yeux une forme
injuste. Pour le marxisme, il n’existe ni justice ni droit
abstrait : les formes politiques, censées permettre aux
hommes d’exprimer leurs convictions, sont le produit direct des
structures économiques de la société. En outre,
la théorie marxiste met également en lumière ce
qui distingue fondamentalement la démocratie parlementaire de
l’organisation de conseils. Sous les formes respectives de
démocratie bourgeoise et de démocratie prolétarienne,
elles reflètent en effet le caractère tout différent
de ces deux classes et de leurs systèmes économiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
La
démocratie bourgeoise, la démocratie des classes
moyennes, a pour base une société composée de
petits producteurs indépendants. Ces derniers veulent un
gouvernement qui soit dévoué à leurs intérêts
communs : l’ordre et la sécurité publique :
la protection du commerce ; un système de poids et
mesures unifié – et de même pour la monnaie ;
des services habilités à dire le droit et à
rendre la justice. Tout cela est nécessaire pour mettre chacun
en mesure de gérer ses affaires comme il l’entend.
L’attention se porte en premier lieu sur les affaires privées.
Quant aux facteurs politiques, dont personne ne conteste la
nécessité, ils demeurent secondaires : on s’en
occupe, mais fort peu en définitive. L’élément
essentiel à la vie sociale, la production, base de l’existence
humaine, se trouve fragmenté en affaires privées,
concernant les citoyens à titre individuel ; il est donc
naturel que celles-ci prennent tout le temps de ceux-là, ou
presque. Comme la politique ne sert qu’à régler
des questions mineurs, cette affaire collective de tous les citoyens
est reléguée au second plan. On ne descend dans la rue
que dans les phases de révolution bourgeoise. Mais en temps
ordinaire la politique est abandonnée à un petit groupe
de spécialistes, les politiciens de carrière, dont
l’activité consiste précisément à
s’occuper de ces conditions générales,
politiques, des affaires propres aux classes moyennes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il
en va de même pour les travailleurs, du moins tant qu’ils
n’ont en vue que leurs intérêts immédiats.
En régime capitaliste, ils effectuent de longues journées
de travail : toute leur énergie étant pompée
par le système d’exploitation, il leur reste ensuite
bien peu de forces à consacrer aux activités mentales.
Gagner sa vie, telle est pour les ouvriers la nécessité
la plus impérieuse de l’existence. A leurs yeux, la
politique, soit la volonté commune à tous de défendre
la condition des salariés, a certes un intérêt,
mais plutôt contingent. C’est pourquoi ils laissent, eux
aussi, le soin de traiter ces questions à des spécialistes,
les politiciens de parti ou les dirigeants des syndicats. Qu’ils
votent en qualité de citoyens ou en celle de militants de la
base, les ouvriers, de même que les autres catégories
d’électeurs par rapport à leurs députés,
peuvent sans doute donner quelques directives assez vagues à
ceux qui les représentent, mais il s’agit là
d’une influence très, très limitée,
puisqu’ils se voient obligés de consacrer au travail le
meilleur de leur attention.</div>
<div style="text-align: justify;">
En
régime communiste, la démocratie prolétarienne a
des bases économiques exactement contraires. Elle est fondée
en effet sur une production non plus privée, mais collective.
Aussi les affaires collectives, ce qu’il était convenu
d’appeler la politique, perdant leur caractère
accessoire, deviennent-elles pour chacun le but principal de la
pensée et de l’action. Domaine réservé
jusqu’alors à des spécialistes, la politique ne
sert plus à sauvegarder tel ou tel facteur indispensable à
la production, elle s’identifie désormais au processus
même de la production. C’en est fini de la séparation
des affaires privées d’avec les affaires collectives. Il
n’est plus besoin d’un groupe ou d’une classe
d’hommes de métier pour s’occuper des affaires de
tous. Les producteurs, par l’intermédiaire de leurs
délégués, qui leur permettent de concerter leur
action, gèrent eux-mêmes leurs activités
productives.</div>
<div style="text-align: justify;">
La
différence entre ceux deux formes d’organisation ne
vient pas du fait que l’une reposerait sur une base
traditionnelle, idéologique, et l’autre, sur la base
matérielle, productive, de la société. En effet,
elles ont pour fondement, l’une comme l’autre, le système
de production : l’une, un système déclinant,
hérité du passé ; l’autre, un système
en gestation, celui de l’avenir. Nous vivons de nos jours une
période de transition : l’ère du grand
capital et les débuts de la révolution prolétarienne.
Le grand capital a d’ores et déjà extirpé
en totalité l’ancien système de production :
la classe nombreuse des producteurs indépendants a disparu.
Pour l’essentiel, la production est l’œuvre
collective de groupes très larges d’ouvriers, mais le
pouvoir de gestion et la propriété restent aux mains
d’un petit nombre de personnes privées. Les capitalistes
maintiennent cette situation contradictoire au moyen d’éléments
de force dont ils disposent, notamment le pouvoir d’Etat soumis
au gouvernement. La tâche de la révolution prolétarienne
consiste à détruire ce pouvoir d’Etat ; son
contenu réel, c’est la mainmise des ouvriers sur les
moyens de production. Le processus de la révolution, au cours
duquel il y a alternance d’actions et de défaites, n’est
autre que la mise en place de la dictature du prolétariat,
soit un processus d’organisation exactement superposé au
processus de dissolution du pouvoir d’Etat capitaliste. C’est
ainsi que le système d’organisation du passé cède
graduellement la place au système d’organisation de
l’avenir.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous
ne sommes encore qu’au tout début de cette révolution.
Le siècle de combats révolutionnaires, qui se trouve
derrière nous, ne peut même pas être considéré
comme l’amorçage effectif du processus, mais seulement
comme son préambule. Ces luttes ont permis d’accumuler
des connaissances théoriques d’une valeur inestimable ;
elles ont mis en question, à l’aide de concepts hardis,
la prétention du capitalisme à représenter
l’ultime espèce de système social ; elles
ont permis aux ouvriers de se rendre compte qu’ils avaient la
possibilité de mettre fin à leur misère. Mais
ces combats ne sont jamais sortis des cadres du capitalisme ; il
s’agissait d’actions décidées et dirigées
par des chefs, et uniquement conçues pour remplacer de mauvais
patrons par de meilleurs. Seules de brusques flambées de
révolte, telles que des grèves politiques ou des grèves
de masse déclenchées contre la volonté des
politiciens, laissent de temps à autre entrevoir un avenir
d’action de masse dirigées par les intéressés
eux-mêmes. Toute grève sauvage, qui ne va pas chercher
ses leaders et ses mots d’ordre au siège des partis et
des syndicats, constitue à cet égard un symptôme
non équivoque, en même temps, qu’un petit pas
franchi dans cette direction. Tous les pouvoirs existant au sein du
mouvement ouvrier, les partis socialistes et communistes, les
syndicats, tous les dirigeants dont l’activité est liée
à la démocratie bourgeoise héritée du
passé, dénoncent ces actions de masse comme des
rébellions anarchistes. Leur champ de vision ne pouvant
dépasser le cadre de leurs vieilles organisations, ils sont
incapables de déceler dans les actions spontanées des
travailleurs les germes de formes supérieures d’organisation.
Dans les pays fascistes, où la vieille démocratie
bourgeoise a été anéantie, ces actions
spontanées des masses constituent la seule forme de révolte
possible désormais. Elles auront pour tendance, non de
restaurer l’ancienne démocratie parlementaire, mais
d’évoluer en direction de la démocratie
prolétarienne, c’est-à-dire de la dictature de la
classe ouvrière.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="http://contrecapital.blogspot.com/search/label/Anton%20Pannekoek" target="_blank">Anton Pannekoek</a> </div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-30549934706884397952018-11-11T02:39:00.000-08:002018-11-11T02:40:43.882-08:00L'autonomie ouvrière face au marxisme académique<!--[if gte mso 9]><xml>
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<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5_XMM3gpoc9X6nass0hleDDH2XVDBU471cpzZiBlwN_RNqs6gefv37t0tgoHKMr4R5rxKD5NbowRe6IhJR66StKukqzbdQTe-3qJxIwwoOFXP4CoKEoTplYC64AkntZwdEGNnwIMRjHX4/s1600/Document-Journal-The-New-Vanguard-Marcus-Schaefer-1-THUMB_HORIZONTAL-600x450.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="450" data-original-width="600" height="300" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5_XMM3gpoc9X6nass0hleDDH2XVDBU471cpzZiBlwN_RNqs6gefv37t0tgoHKMr4R5rxKD5NbowRe6IhJR66StKukqzbdQTe-3qJxIwwoOFXP4CoKEoTplYC64AkntZwdEGNnwIMRjHX4/s400/Document-Journal-The-New-Vanguard-Marcus-Schaefer-1-THUMB_HORIZONTAL-600x450.jpg" width="400" /></a></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
</div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Une réponse à <a href="https://marxistsociology.org/2018/10/was-the-gravedigger-thesis-central-to-marxs-theory-of-the-working-class/" target="_blank"> Matt Vidal / MarxistSociology</a>.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Le dernier<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>article
publié par le blog Marxist Sociology aura été de justifier son existence
académique même, en niant la capacité de la classe ouvrière elle-même de se
libérer du capitalisme.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">L’objectif de notre réponse n’est pas de débattre du
tortillage académique à l‘origine de leur affirmation à travers les textes
publiés par Marx, mais de comprendre pourquoi une telle affirmation idéaliste
peut encore avoir cours aujourd’hui chez les marxistes universitaires.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">La question en effet n’est pas de savoir si effectivement
dans la théorie marxiste il existe bien une affirmation de l’existence d’une
conscience révolutionnaire ouvrière autonome, mais bien de savoir si « on
a le choix » : c'est-à-dire si autre chose qu’une conscience
révolutionnaire ouvrière autonome peut transformer le mode de production
capitaliste en révolution communiste.</span><br />
<a name='more'></a></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Dans un premier temps il est important d’analyser la
manipulation qui réside au cœur de l’idéologie des auteurs cités par Marxist
Sociology, tout d’abord avec l’air de ne pas vouloir y toucher. Ainsi selon
Burawoy, « l’Histoire a montré que le pronostic de Marx était
inapproprié » : les prolétaires eux-mêmes ne seraient pas les
fossoyeurs du capitalisme qui les a produits. En négatif nous pouvons, nous,
affirmer le contraire : l’échec historique réside dans l’escroquerie de
« la théorie de la conscience révolutionnaire apportée de
l’extérieur » par une clique de militants professionnels. Des décennies de
ce modèle ont suffit à le prouver : des générations de militants
professionnels n’ont fondé que des bureaucratiques « partis
communistes » qui n’ont jamais conduit où que ce soit dans le monde à une
quelconque révolution communiste, qui même lorsqu’ils étaient dotés de millions
d’adhérents n‘ont jamais mené au renversement du mode de production capitaliste
et qui même ont eu pour fonction de tempérer les ardeurs révolutionnaires du
prolétariat au nom de tel ou tel intérêt stratégique immédiat.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Ce que ces marxistes
universitaires veulent nous vendre encore une fois c’est leur soupe
bureaucratique, putride et indigeste, leur mépris de classe habillé d’idéalisme
dans leur dernière tentative d’encadrement contre-révolutionnaire du
prolétariat.</span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">L’article affirme que, dans les quelques 2 000 pages des
trois volumes du Capital, Marx n’évoque absolument pas la question de la
conscience révolutionnaire ouvrière. A ce stade de la manipulation, sachant
très bien que l’objet du livre Le Capital est le capitalisme, et absolument pas
le communisme (sous quelque angle d’approche que ce soit), on commence très
clairement à comprendre l’orientation de ce texte. Et les mêmes auteurs de
remarquer que lorsque Marx, dans l’un des rares textes où il évoque le
communisme, le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Manifeste communiste</i>,
il évoque également la conscience de classe révolutionnaire (coïncidence
incroyable non ?). Mais pour conclure, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">bien
entendu,</i> qu’il doit s’agir là d’une figure rhétorique. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Bien entendu</i>.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Matt Vidal, l’auteur de ce fumeux article manipulatoire,
avance ensuite dans ses contradictions et on atteint là les sommets de la
manipulation du marxisme académique. On passera sur le côté
« démocratique » de l’interprétation du pouvoir ouvrier (nous y reviendrons
plus tard avec une autre approche toutefois) : le pouvoir ouvrier serait
la réalisation de la démocratie puisque la classe ouvrière est <i style="mso-bidi-font-style: normal;">majoritaire</i> dans les pays capitalistes.
Comme si la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">légitimité</i> du communisme
résidait dans le nombre des exploités et non pas dans leur exploitation même.
Interprétation démographique <span style="mso-spacerun: yes;"> </span>performative typique du capitalisme. On
passera là-dessus mais on s’arrêtera sur l’énonciation de différentes citations
de Marx sur la conscience de classe dans la deuxième partie du texte. Parce
que, finalement,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Marx parle bien du
développement de la conscience de classe, et ce que nous montre les extraits
cités c’est qu’ils contredisent eux-mêmes Matt Vidal.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Lorsque ce n’est pas l’Histoire elle-même qui
le contredit. Selon Marx, ce serait à travers la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">lutte active</i> du prolétariat face au Capital (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">L’Idéologie allemande</i>) que se développerait la conscience,
l’intérêt commun du prolétariat ne suffisant pas (<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Misère de la Philosophie</i>). La fin de cette partie de l’article est
le point culminant du stade adialectique de l’auteur, d’autant plus ironique
que cette pensée adialectique instrumentalise la théorie du fétichisme de Marx
pour « démontrer » l’indigence supposée de la conscience de classe
prolétarienne. Marx l’affirme : la conscience révolutionnaire ouvrière se
développe à partir de sa propre activité autonome face au Capital, la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">lutte des classes</i>. Et en ce moment
sublime l’escroc Vidal conclue de son côté : la lutte des classes c’est le
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">parti</i> et le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">syndicat</i>.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Non seulement il prend le
Parti pour le tout, le syndicat pour la classe, mais dans le même mouvement il
reste dans le déni de deux siècles de développement des partis et des
syndicats : des grandes machines bureaucratisées agissant pour leurs
propres intérêts, fétichisées par les zombies du gauchisme essoufflé comme
étant les dernières écoles du socialisme fantasmées, mais surtout théâtre
elles-mêmes d’une lutte des classes désespérée entre la base et la
bureaucratie.</span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Cette incapacité à saisir la dynamique dialectique dans l’aliénation
(c'est-à-dire la capacité pour le prolétariat, dans le processus dialectique de
la praxis, à saisir le dépassement de la mystification) repose sur la thèse,
mainte fois affirmée par les marxistes académiques et les militants
professionnels, qu’ils détiennent à eux seuls la conscience <i style="mso-bidi-font-style: normal;">de classe</i> qu’ils peuvent ensuite
dispenser comme des barres chocolatées à un prolétariat docile. Par un tour de
magie spectaculaire la conscience <i style="mso-bidi-font-style: normal;">de</i>
classe est une conscience <i style="mso-bidi-font-style: normal;">hors</i>
classe. Le mensonge réside donc également ici : la conscience n’est pas
pour le « marxisme » universitaire une saisie collective de la
réalité capitaliste et de la praxis communiste, mais un ensemble théorique
préconstruit dans l’atmosphère aseptisé des universités et des locaux
bureaucratiques, une <i style="mso-bidi-font-style: normal;">idéologie</i>. Mais
l’idéologie ne sera jamais la saisie du réel, elle n’en est au contraire qu’une
interprétation figée et adialectique. L’idéologie ne sera jamais la saisie de
la totalité mais une conception partielle. La théorie révolutionnaire, quand
elle existe d’une façon authentique, n’est pas la saisie à elle seule de la
totalité, mais une partie de celle-ci, qui doit se fondre dans la praxis,
élément corrigeable et correctif au sein d’un processus révolutionnaire
dialectique.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Fondamentalement la question qui se pose dans le processus
révolutionnaire communiste est la façon dont la conscience se construit <i style="mso-bidi-font-style: normal;">par rapport</i> à l’objectif communiste. Une
conscience comme idéologie acquise <i style="mso-bidi-font-style: normal;">n’est
pas une conscience</i> puisque celle-ci (saisie dialectique du réel) est le
contraire de l’idéologie (interprétation aliénée de la totalité). La conscience
de classe révolutionnaire est la destruction de l’idéologie, sa <i style="mso-bidi-font-style: normal;">négation</i>. Ce n’est pas seulement
affirmer que la révolution n’est pas une affaire de parti, au-delà la
révolution n’est pas une affaire d’idéologie. <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La révolution n’est pas une affaire de programme</i>. La révolution
n’est pas une idée, elle n’est pas le produit de l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">idéalisme</i>. Elle est un bouillonnement créatif et collectif intense
impliquant les masses exploitées à chaque instant du processus révolutionnaire,
un bouillonnement auto-correctif des erreurs immédiates qui ne manqueront pas
de survenir dans les premiers instants du processus révolutionnaire.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">La « conscience apportée de l’extérieur par les
révolutionnaires professionnels » ne pose pas seulement le problème de
l’idéologie comme interprétation faussée -car parcellaire et hors-classe- de la
révolution mais elle pose également le problème classique entre pensants et
exécutants, elle pose le problème des détenteurs de l’idéologie-falsifiée
-comme-conscience, comme <i style="mso-bidi-font-style: normal;">reproduction</i>
d’une structure sociale en classes qui, loin de supprimer le capitalisme ne
ferait que s’y fondre (et inversement), dans une énième répétition historique
de la mise en scène d’une « bureaugeoisie » dirigeante. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Cruelle régression
idéologique des marxistes académiques qui théorisent une pureté révolutionnaire
de la caste idéologique, pureté qui n’existe que dans leur interprétation
idéaliste fantasmée du militant professionnel. Nouveau dévot sanctifié exempt
de toutes les contradictions et des tentations bureaucratiques.</span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Enfin le développement d’une conscience ouvrière
révolutionnaire s’inscrit alors logiquement dans la critique de l’artificialité
idéaliste du marxisme académique pour qui la conscience est idéologie, un
programme (lorsque d’ailleurs lui-même ne cache pas sa propre finalité dans un
programme de transition régressif) à appliquer mécaniquement au réel. Car une
idéologie acquise n’est pas une conscience développée. Elle reste comme une <i style="mso-bidi-font-style: normal;">extériorité</i> à l’être agissant qu’est le
prolétariat. Apporter n’est pas assimiler car les processus cognitifs en œuvre
pour l’acquisition d’une idéologie ne sont pas une prise de conscience du réel.
L’idéologie même, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">comme interprétation
déréalisante du monde,</i> reste un corps étranger à l’être agissant. Le
prolétariat ne peut agir comme réel sujet révolutionnaire sans assimilation
autonome du processus révolutionnaire. Sans cela, sous la direction des
militants professionnels, la dictature <i style="mso-bidi-font-style: normal;">du</i>
prolétariat est alors une dictature <i style="mso-bidi-font-style: normal;">sur
le</i> prolétariat. Non plus un pouvoir de classe qui s’auto-abolit en
abolissant toutes les classes, mais un pouvoir sur la classe qui reproduit les
structures de classes. Ainsi si la classe ouvrière est seule capable du
processus révolutionnaire ce n’est pas pour réaliser un « pouvoir
démocratique » abstrait par la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">médiation
du parti</i>, mais bien parce que construisant la totalité capitaliste réelle,
producteurs des marchandises comme objets, villes, etc le prolétariat est à
même, et lui seul, de détruire et construire les modes de production matériel,
de réaliser le communisme, et, en cela, de reconnaître le socialisme académique
comme ennemi du prolétariat. Et ceci dès le début du processus révolutionnaire.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 12.0pt; line-height: 115%;">Contre Capital – Liaison internationaliste pour l’Autonomie
ouvrière. Novembre 2018.</span></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-13712156759176986872018-09-16T04:02:00.001-07:002018-09-16T04:04:58.399-07:00Lénine et sa légende<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjagmI8N6d6sSZil1ohB1VYrfUk2QqnSDlnaZPp7BXFowRd5OtaOGCwhiI6ZSm9rixqQ_GykeGa5NiXXQadA5z0qvNPlvHBIUgpgF4fNxmiiV8DKs7JPkSRHTrQX3rEOkPAzVuasafxqzvA/s1600/DGn3luDWsAAxPDS.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="575" data-original-width="807" height="285" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjagmI8N6d6sSZil1ohB1VYrfUk2QqnSDlnaZPp7BXFowRd5OtaOGCwhiI6ZSm9rixqQ_GykeGa5NiXXQadA5z0qvNPlvHBIUgpgF4fNxmiiV8DKs7JPkSRHTrQX3rEOkPAzVuasafxqzvA/s400/DGn3luDWsAAxPDS.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Plus le visage
embaumé de Lénine jaunit et se parchemine, plus la queue des visiteurs à
la porte de son mausolée s’allonge, et moins les gens s’intéressent au
véritable personnage et à sa dimension historique. Chaque jour, de
nouveaux monuments sont élevés à sa mémoire, des metteurs en scène en
font le héros de leurs films, des livres sont écrits à son propos et les
pâtissiers russes confectionnent des figurines de pain d’épice à son
effigie. Mais les traits flous des Lénine en chocolat égalent bien les
histoires inexactes et douteuses qui courent à son sujet. Et bien que
l’Institut Lénine publie ses oeuvres complètes, elles ne signifient
désormais plus rien en comparaison des légendes fabuleuses qui se sont
développées autour de son nom. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody"></span></div>
<a name='more'></a><div style="text-align: justify;">
Dès l’instant où les gens commencèrent à
s’intéresser aux boutons de col de Lénine, ils cessèrent d’attacher de
l’importance à ses idées. Dès à présent, chacun façonne son propre
Lénine, sinon d’après sa propre image, du moins selon ses propres
désirs. La légende de Lénine est à la nouvelle Russie ce que la légende
napoléonienne est à la France et ce que la légende du roi Frederik est à
l’Allemagne. Et, de même qu’il y eut un temps où les gens refusaient de
croire à la mort de Napoléon, et où d’autres attendaient la
résurrection du roi Frederik, de même il existe encore aujourd’hui en
Russie des paysans pour lesquels le » petit père Tsar » n’est pas
mort, mais continue de satisfaire son insatiable appétit d’hommages sans
cesse réitérés. D’autres font brûler éternellement des veilleuses sous
son portrait; pour ceux-là, il est un saint, un rédempteur qu’il faut
prier pour qu’il vous vienne en aide. Pour les millions d’yeux braqués
sur ces millions de portraits, Lénine symbolise le Moïse russe, saint
George, Ulysse, Hercule, le diable ou le bon dieu. Le culte de Lénine a
donné le jour à une nouvelle religion devant laquelle les plus athées
des communistes ploient du genou avec empressement – cela simplifie bien
la vie à tout point de vue. Lénine leur apparaît comme le père de la
République soviétique, l’homme qui permit à la révolution de triompher,
le grand chef sans lequel ils n’existeraient pas. La Révolution russe
est devenue, non seulement en Russie et dans la légende populaire, mais
aussi pour une large fraction de l’intelligentsia marxiste à travers le
monde, un évènement mondial si étroitement lié au génie de Lénine, qu’il
semblerait que sans lui la révolution – et par là même, l’histoire du
monde – aurait pris un tour entièrement différent. L’analyse
véritablement objective de la Révolution russe révèlera pourtant
immédiatement l’ineptie d’une telle conception.</div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">« L’affirmation
selon laquelle l’histoire est faite par les grands hommes est totalement
dénuée de fondement sur le plan théorique. » C’est avec ces mots que
Lénine a lui-même donné naissance à la légende qui veut qu’il soit le
seul responsable du succès de la Révolution russe. Il estimait que la
Première Guerre mondiale avait été la cause directe de la révolution et
qu’elle en avait déterminé l’heure. Sans cette guerre, a-t-il dit, » la
révolution aurait sans doute été remise à plusieurs décades « . Dire de
la Révolution russe qu’elle s’est déclenchée et qu’elle s’est
développée en grande partie grâce à Lénine, c’est identifier la
révolution à la prise du pouvoir par les bolcheviks. Trotsky lui-même a
dit que tout le mérite du succès du soulèvement d’Octobre, revenait à
Lénine; que, malgré l’opposition de presque tous ses camarades de parti,
il avait seul pris la décision de l’insurrection. Mais la prise du
pouvoir par les bolcheviks ne dota pas la révolution de l’esprit de
Lénine. Tout au contraire, Lénine s’adapta si bien aux nécessités de la
révolution que l’on peut quasiment dire qu’il accomplit l’œuvre de cette
classe qu’il combattait ouvertement [1]. Certes, on a souvent affirmé
que la prise du pouvoir par les bolcheviks avait permis à une révolution
démocratique-bourgeoise de se muer en une révolution
socialiste-prolétarienne. Mais qui pourra croire sérieusement qu’un seul
acte politique ait pu remplacer tout un développement historique; que
sept mois – de février à octobre – aient suffi pour créer les bases
économiques d’une révolution socialiste dans un pays qui commençait à
peine à se débarrasser de ses chaînes féodales et absolutistes et à
s’ouvrir à l’influence du capitalisme moderne?</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Jusqu’à l’époque
de la révolution, et encore aujourd’hui dans une large mesure, la
question agraire a joué un rôle décisif dans le développement économique
et social de la Russie. Sur les 174 millions d’habitants que comptait
le pays avant la guerre, 24 millions seulement vivaient dans les villes.
Pour chaque millier de travailleurs rémunérés, 719 travaillaient dans
le secteur agricole. En dépit du rôle considérable qu’ils jouaient dans
l’économie du pays, les paysans continuaient de mener, dans leur grande
majorité, une existence misérable. L’État, la noblesse et les gros
propriétaires terriens exploitaient la population, sans le moindre
scrupule, avec une brutalité toute asiatique.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Depuis l’abolition
du servage (1861), le manque de terre n’a cessé d’être au centre de la
politique intérieure. C’est ce manque qui fut à l’origine de toutes les
tentatives de réforme, car il portait en lui les germes de la révolution
naissante qu’il fallait enrayer. La politique économique du régime
tsariste qui décrétait sans cesse de nouveaux impôts indirects ne
pouvait qu’aggraver la situation des paysans. Les dépenses pour l’armée,
la flotte et la machine gouvernementale atteignirent des proportions
gigantesques. La majeure partie du budget national était gaspillée à des
fins non productives, ce qui eut pour résultat de ruiner totalement la
base économique agricole.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">« La liberté et la
terre » , telle fut inévitablement la demande révolutionnaire des
paysans. Et tel fut le slogan de la série de soulèvements paysans qui
devaient, de 1902 à 1906, prendre une ampleur particulière. Cette
agitation, qui coïncidait avec les mouvements ouvriers de grèves
générales, ne manqua pas d’ébranler violemment le cœur même du tsarisme,
à tel point que cette période a pu être qualifiée de » répétition
générale » de la révolution de 1917. La manière dont le tsarisme réagit
devant ces révoltes est particulièrement bien décrite par l’expression
de Bogdanovitch, alors vice-gouverneur de Tambiovsk : « Plus il y a de
fusillés et moins il y a de prisonniers. » Et l’un des officiers qui
avait pris part à la répression des insurrections écrivit : « Ce
n’était que carnage tout autour de nous; tout brûlait; on tirait, on
abattait, on égorgeait. » C’est dans cette mer de sang et de flammes
que naquit la révolution de 1917.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Malgré ces
défaites, l’agitation paysanne se fit plus menaçante. Elle conduisit à
la réforme Stolypine, qui devait toutefois s’avérer vide de contenu; les
promesses ne furent pas tenues et la question agraire ne fit pas le
moindre pas en avant. Ces faibles tentatives d’apaisement ne firent en
fait que renforcer les revendications paysannes. L’aggravation de la
situation des paysans pendant la guerre, la défaite des armées tsaristes
sur le front, l’agitation montante dans les villes, la politique
chaotique du gouvernement qui perdait la tête, l’incertitude générale
qui s’en suivit pour toutes les classes de la société, conduisirent à la
révolution de Février, dont le premier acte fut de mettre brusquement
fin à la brûlante question agraire. Cette révolution ne fut cependant
pas marquée politiquement par le mouvement paysan, qui se borna à lui
apporter toute sa force. Les premières déclarations du comité central
des conseils d’ouvriers et de soldats de Saint-Petersbourg ne firent
même pas état de la question agraire. Mais les paysans devaient vite
attirer sur eux l’attention du nouveau gouvernement. En avril et mai
1917, les masses paysannes, déçues et fatiguées d’attendre, commencèrent
à s’emparer des terres. Craignant de ne pas avoir leur part dans la
nouvelle distribution, les soldats des premières lignes abandonnèrent
leurs tranchées et rentrèrent en toute hâte dans leurs villages. Mais
ils gardèrent leurs armes et le gouvernement ne put s’opposer à leur
désertion. Les appels au sentiment national et au caractère sacré des
intérêts russes ne furent d’aucun ressort devant la nécessité pressante,
pour les masses, de pourvoir enfin à leurs besoins économiques. Et ces
besoins ne pouvaient être satisfaits que par la paix et la terre. On dit
qu’à l’époque, des paysans auxquels on avait demandé de rester au front
pour empêcher que les Allemands n’occupent Moscou avaient paru fort
étonnés et avaient répondu aux émissaires du gouvernement : « Qu’est-ce
que cela peut nous faire? Nous sommes du gouvernement de Tamboff. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Lénine et les
bolcheviks n’ont pas inventé le slogan victorieux de « la terre aux
paysans » ; ils n’ont fait qu’accepter la véritable révolution paysanne
qui se déroulait indépendamment d’eux. Profitant des hésitations du
régime de Kérensky qui espérait pouvoir résoudre la question agraire par
des pourparlers pacifiques, les bolcheviks s’attirèrent les sympathies
des paysans et purent ainsi renverser le gouvernement et prendre le
pouvoir. Mais ils remportèrent cette victoire uniquement en tant
qu’agents de la volonté des paysans – en sanctionnant leurs
appropriations de terres – et ce n’est que grâce à leur appui qu’ils
purent se maintenir au pouvoir.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Le slogan « la
terre aux paysans » n’a rien à voir avec les principes du communisme.
La parcellisation des grands domaines en une multitude de petites
entreprises agricoles indépendantes était exactement le contraire du
socialisme et ne pouvait se justifier que comme une tactique nécessaire.
Les changements qui s’opérèrent ultérieurement dans la politique
paysanne de Lénine et des bolcheviks furent impuissants à modifier les
conséquences inévitables de cet opportunisme. Malgré les efforts de
collectivisation qui, jusqu’à nos jours, se sont surtout limités à
l’aspect technique des processus de production, l’agriculture russe est
encore aujourd’hui essentiellement déterminée par les intérêts
économiques privés. De même que l’industrie, elle doit nécessairement
s’orienter vers une économie de capitalisme d’État. Bien que le
capitalisme d’État vise à transformer la population rurale en une masse
de salariés agricoles, il est fort improbable que ce but soit atteint
quand on pense aux incidences révolutionnaires d’une telle aventure. La
collectivisation actuelle ne peut être considérée comme
l’accomplissement du socialisme. « Tel est le point de vue
d’observateurs étrangers comme Maurice Hindus, qui estime, pour sa part,
que » même si les Soviets venaient à s’effondrer, l’agriculture russe
demeurerait collectivisée, et son contrôle serait peut-être davantage
entre les mains des paysans que du gouvernement « . Toutefois, même si
la politique agricole bolchevique était menée à bien, même si le
capitalisme d’État s’étendait à toutes les branches de l’économie
nationale, la situation des ouvriers tic serait en rien modifiée. Du
reste, un tel régime ne pourrait être considéré comme une phase de
transition vers le véritable socialisme, puisque les éléments de la
population qui sont aujourd’hui favorisés par le capitalisme d’État,
défendraient leurs privilèges en s’opposant à tout changement, comme le
firent les propriétaires terriens pendant la révolution de 1917.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Les ouvriers qui
ne constituaient alors qu’une faible partie de la population n’eurent
pas de réelle influence sur le caractère de la révolution russe. Quant
aux éléments bourgeois qui avaient combattu le tsarisme, ils devaient
vite reculer devant la nature de leurs propres tâches. Ils ne pouvaient
se rallier à la solution révolutionnaire de la question agraire,
puisqu’une expropriation générale des terres pouvait très facilement
déclencher une expropriation des entreprises industrielles. Ils ne
furent suivis ni par les ouvriers ni par les paysans et le sort de la
bourgeoisie fut décidé par l’alliance temporaire entre ces deux groupes.
Ce furent les ouvriers et non la bourgeoisie qui achevèrent la
révolution bourgeoise ; la place des capitalistes fut prise d’assaut par
l’appareil étatique des bolcheviks sous le slogan léniniste : » Si
capitalisme il faut, faisons le nous-mêmes. » Certes, les ouvriers des
villes renversèrent le capitalisme, mais ils trouvèrent vite un nouveau
maître : le gouvernement bolchevique. Dans les villes industrielles, la
lutte des travailleurs se poursuivit au nom de revendications
socialistes et indépendamment de la révolution paysanne en cours (du
moins en apparence, car celle-ci devait déterminer la lutte ouvrière de
façon décisive). Les revendications révolutionnaires des ouvriers ne
purent être satisfaites. Certes, les ouvriers pouvaient, avec l’aide des
paysans, accéder au pouvoir étatique, mais ce nouvel État prit
rapidement une position qui était directement opposée aux intérêts des
travailleurs. Opposition qui a pris une tournure telle que l’on peut
aujourd’hui parler de » tsarisme rouge » : suppression des grèves,
déportations, exécutions massives, et par conséquent, naissance de
nouvelles organisations illégales qui mènent une lutte communiste contre
le faux socialisme actuel. Le fait que l’on parle aujourd’hui d’étendre
la démocratie en Russie, et d’introduire une sorte de régime
parlementaire, de même que la résolution du dernier congrès des Soviets
sur le démantèlement de la dictature ne sont que de pures manœuvres
tactiques destinées à atténuer la violence avec laquelle le gouvernement
a dernièrement réprimé l’opposition. Il faut se garder de prendre ces
promesses au sérieux; elles ne sont que l’excroissance de la pratique
léniniste qui n’a jamais hésité à faire deux choses contradictoires à la
fois lorsque cela s’avérait nécessaire à sa stabilité et à sa sécurité.
Ce cheminement en zig-zag de la politique léniniste s’explique par la
nécessité pour le gouvernement de s’adapter constamment aux variations
dans les rapports de force entre les classes, de manière à toujours
demeurer maître de la situation. Ainsi ce qui était rejeté hier est
accepté aujourd’hui, et vice versa; le manque de principe a été érigé en
principe, et le parti bolchevique ne se préoccupe que de l’exercice du
pouvoir à tout prix.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Toutefois, ce qui
nous intéresse ici est uniquement de bien montrer comment la révolution
russe n’a pas été l’œuvre ni de Lénine ni des bolcheviks, mais de la
révolte paysanne. Et Zinoviev lui-même, encore au pouvoir à l’époque et
du côté de Lénine, remarquait, lors du XI° congrès du parti bolchevique
(mars-avril 1922) : « Ce ne fut pas l’avant-garde prolétarienne qui se
battit à nos côtés, qui décida de notre victoire, mais bien l’appui que
nous accordèrent les soldats, parce que nous voulions la paix. Et
l’armée, c’était les paysans. Si nous n’avions pas été soutenus par des
millions de soldats paysans, nous n’aurions jamais vaincu la
bourgeoisie. » Parce que les paysans se préoccupaient davantage de la
terre que de la manière dont était géré le pays, les bolcheviks eurent
tout loisir de conquérir le pouvoir. Les paysans laissèrent volontiers
le Kremlin aux bolcheviks, à la seule condition que ceux-ci ne
s’interposent pas dans leur lutte contre les grands propriétaires
terriens.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">L’action de Lénine
ne fut pas davantage déterminante dans les villes. Au contraire, il fut
entraîné sans pouvoir offrir de résistance dans le sillage des ouvriers
qui allèrent bien au-delà des bolcheviks dans leurs demandes et dans
leur pratique. Lénine n’a pas conduit la révolution, c’est la révolution
qui l’a conduit. Bien que jusqu’au soulèvement d’octobre Lénine ait
restreint ses premières exigences ambitieuses, se bornant à réclamer le
contrôle de la production, et bien qu’il ait souhaité s’arrêter, une
fois achevée la socialisation des banques et des moyens de transport,
sans aller jusqu’à abolir totalement la propriété privée, les ouvriers
devaient passer outre et exproprier toutes les entreprises. Il n’est pas
sans intérêt de noter que le premier décret du gouvernement bolchevique
fut dirigé contre ces expropriations sauvages des usines par les
conseils ouvriers. A l’époque, les soviets étaient plus puissants que
l’appareil du Parti et Lénine fut forcé de décréter la nationalisation
de toutes les entreprises industrielles. Et ce n’est que sous la
pression des ouvriers que les bolcheviks consentirent à altérer leurs
plans. Peu à peu, le pouvoir étatique allait s’affermir au détriment des
soviets qui n’ont plus guère aujourd’hui qu’un rôle décoratif.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Pendant les premières années de la révolution, et jusqu’à l’introduction de la <i>Nep</i>
en 1921, il y eut toutefois quelques expériences réellement communistes
en Russie. Elles furent non pas l’œuvre de Lénine, mais de ces forces
qui firent de lui un véritable caméléon politique, tantôt réactionnaire
et tantôt révolutionnaire. Il devait ainsi faire figure d’extrémiste
pendant les nouveaux soulèvements paysans contre les bolcheviks, en
accordant une large audience aux ouvriers et aux paysans pauvres qui
s’étaient trouvés lésés par la première distribution de terres. Cette
politique fut un échec : les paysans pauvres refusèrent de soutenir les
bolcheviks. Lénine se retourna donc vers les paysans moyens, n’hésitant
pas à favoriser des éléments capitalistes tandis que ses anciens alliés
étaient abattus à coup de canons, comme ce fut le cas à Cronstadt.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Le pouvoir, rien
que le pouvoir ; c’est à cela que se réduit en fin de compte toute la
sagesse politique de Lénine. Que le chemin suivi et les moyens utilisés
pour atteindre ce but déterminent à leur tour la façon dont ce pouvoir
est appliqué, voilà qui ne le préoccupait guère. Le socialisme pour lui
n’était, en dernière analyse, qu’une sorte de capitalisme d’État sur le
« modèle des postes allemandes » [2]. Et il devait dépasser ce
capitalisme postal sur sa lancée, puisque, en fait, il n’y avait rien
d’autre à dépasser. Il s’agissait uniquement de savoir qui bénéficierait
du capitalisme d’État, et personne ne sut égaler Lénine en ce domaine.
George Bernard Shaw, retour de Russie, n’avait pas tort de déclarer dans
une conférence à la Société Fabienne de Londres que « le communisme
russe n’est rien d’autre que la mise en pratique du programme fabien que
nous soutenons depuis quarante ans » .<br />
Et pourtant, personne n’a jusqu’à présent soupçonné les fabiens de
constituer une force révolutionnaire à l’échelle mondiale. Alors que
Lénine est avant tout acclamé comme un révolutionnaire, en dépit du fait
que le gouvernement russe actuel, chargé d’administrer son » domaine
« , publie des démentis vigoureux chaque fois que la presse parle de
toasts portés par des Russes à la révolution mondiale – comme ce fut le
cas récemment à propos d’un article du <i>New York Times</i> sur le
Congrès des soviets russes. La légende qui veut que Lénine symbolise la
révolution mondiale s’est établie à partir de la politique
internationale conséquente qu’il a poursuivi pendant la Première Guerre
mondiale. A l’époque, Lénine ne pouvait concevoir que la révolution
russe n’aurait pas de répercussions et qu’elle serait abandonnée à
elle-même. Et ceci pour deux raisons : la première étant qu’une telle
conception aurait été en contradiction avec la situation objective qui
résultait de la Première Guerre mondiale; la seconde qu’il supposait que
l’attaque des nations impérialistes contre les bolcheviks aurait raison
de la Révolution russe si le prolétariat d’Europe occidentale ne venait
à sa rescousse. L’appel de Lénine à la révolution mondiale était un
appel au soutien et au maintien du pouvoir bolchevique. La preuve en est
son inconsistance sur la question suivante : en même temps qu’il
réclamait la révolution mondiale, il demandait le » droit
d’auto-détermination de tous les peuples opprimés » pour leur
libération nationale. Il espérait avec ces deux slogans affaiblir les
forces d’intervention des pays capitalistes dans les affaires russes, en
détournant leur attention sur leurs propres territoires et colonies.
Les bolcheviks pouvaient ainsi souffler et, pour prolonger autant que
possible cette trêve, ils firent usage de leur Internationale. Celle-ci
se fixa une double tâche : d’une part, soumettre les travailleurs
d’Europe occidentale et d’Amérique aux décisions de Moscou; d’autre
part, renforcer l’influence du Kremlin sur les peuples d’Asie orientale.
La politique internationale reproduisait le cours de la Révolution
russe. Le but visé était d’unir les intérêts des ouvriers et des paysans
à l’échelle mondiale et de les contrôler à travers l’organe
bolchevique, l’Internationale communiste. Le pouvoir bolchevique russe
serait soutenu dans cette voie au moins; et au cas où la révolution
mondiale se propagerait vraiment, les bolcheviks pourraient dominer le
monde. Si le premier dessein fut couronné de succès, il n’en fut pas de
même du second. La révolution mondiale ne put progresser en tant
qu’imitation de la révolution russe, et les limitations nationales de la
victoire en Russie firent nécessairement apparaître les bolcheviks
comme une force contre-révolutionnaire à l’échelle internationale.
L’exigence d’une » révolution mondiale » se transforma donc en une
théorie de » la construction du socialisme dans un seul pays « . Ceci
n’est pas un travestissement de la pensée de Lénine – comme l’affirme
aujourd’hui Trotsky – mais bien la conséquence directe de la
pseudo-politique de révolution mondiale que poursuivit Lénine lui-même.<br />
Il était évident à l’époque, même pour de nombreux bolcheviks, que si la
révolution ne dépassait pas la Russie, elle aurait pour effet
d’entraver la révolution mondiale. Dans son ouvrage, <i>Les problèmes économiques de la dictature du prolétariat</i>,
publié en 1921 par l’Internationale communiste, Eugène Varga écrivait
par exemple : » Il est à craindre que la Russie ne puisse plus être la
force motrice de la révolution internationale… Il y a des communistes en
Russie qui sont fatigués d’attendre la révolution européenne et qui
souhaitent tirer le meilleur parti possible de leur isolement national…
Avec une Russie qui se désintéresserait de la révolution sociale des
autres pays, les nations capitalistes feraient bon voisinage. Je suis
loin de penser qu’un tel engorgement de la Russie révolutionnaire
suffirait à arrêter le progrès de la révolution mondiale. Mais sa marche
en avant en serait ralentie. » A la même époque, l’accentuation des
crises internes en Russie devait amener la grande majorité des
communistes à penser de même. En fait, bien avant déjà, en 1920, Lénine
et Trotsky avaient fait de leur mieux pour endiguer les forces
révolutionnaires d’Europe. La paix mondiale était indispensable à
l’établissement d’un capitalisme d’État en Russie, sous les auspices des
bolcheviks. Il n’était guère souhaitable que cette paix soit troublée
par des guerres ou par de nouvelles révolutions, car dans chaque cas, un
pays comme la Russie serait nécessairement impliqué. C’est ainsi que
Lénine, par des scissions et des intrigues, décida d’imposer aux
mouvements ouvriers d’Europe occidentale la voie néo-réformiste qui
devait conduire à leur désintégration. Soutenu par Lénine, Trotsky
devait ainsi s’adresser sévèrement aux insurgés du centre de l’Allemagne
(1921) : » Nous dirons tout simplement aux ouvriers allemands que nous
considérons cette tactique de l’offensive comme des plus dangereuses,
et son application pratique comme le plus grand crime politique. »
Toujours avec l’approbation de Lénine et à propos d’une autre situation
révolutionnaire, Trotsky déclarait, en 1923, au correspondant du <i>Manchester Guardian</i>
: » Nous nous intéressons bien entendu à la victoire des classes
travailleuses, mais il ne serait pas du tout de notre intérêt de voir
une révolution éclater dans une Europe exsangue et de voir le
prolétariat ne recevoir que des ruines des mains de la bourgeoisie. Nous
voulons pour l’instant maintenir la paix. » Dix ans plus tard,
l’Internationale communiste n’opposa pas la moindre résistance à la
prise du pouvoir par Hitler. Trotsky n’a pas seulement tort, mais il
doit aussi avoir perdu la mémoire – sans doute parce qu’il a perdu son
uniforme – lorsqu’il décrit le refus de Staline de soutenir les
communistes allemands comme étant une trahison des principes du
léninisme. Alors que ce genre de trahison a été constamment pratiquée
aussi bien par Trotsky que par Lénine. Mais une des maximes de Trotsky
n’était-elle pas que ce qui compte n’est pas ce que l’on fait, mais qui
le fait? Dans son attitude envers le fascisme allemand, Staline s’est en
fait illustré comme le meilleur disciple de Lénine. Les bolcheviks
eux-mêmes n’auraient pas hésité à contracter des alliances avec la
Turquie et à soutenir politiquement et économiquement les gouvernements
de ce pays, même à une époque où les communistes y étaient sévèrement
réprimés et parfois plus sauvagement que ne le fit jamais Hitler.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Si l’on considère
que l’Internationale communiste, dans la mesure où elle continue
d’exister, n’est rien d’autre que le bureau de tourisme russe, et si
l’on considère l’échec de tous les mouvements communistes dirigés depuis
Moscou, il est bien évident que la légende de Lénine, ce
révolutionnaire international, est à ce point affaiblie que l’on peut
espérer qu’elle n’aura plus cours dans un proche avenir. Déjà
aujourd’hui les nostalgiques de l’Internationale communiste ne se
servent plus du concept de révolution mondiale, mais parlent plutôt de
» Patrie des travailleurs « , formule dont ils tirent leur enthousiasme
aussi longtemps qu’ils n’ont pas à y vivre en tant qu’ouvriers. Ceux
qui persistent à faire de Lénine un révolutionnaire international ne
cherchent en fait qu’à réveiller les vieux rêves léninistes de
domination du monde, rêves que la lumière du jour a réduit en poussière.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Aucun personnage
de l’histoire moderne n’a été aussi mal interprété et autant défiguré
que ne l’a été Lénine. Nous avons montré que l’on ne peut lui attribuer
le succès de la révolution russe, et que sa théorie et sa pratique
n’avaient pas la portée internationale que l’on a voulu trop souvent
leur donner. De même qu’il n’a pas, en dépit de toutes les affirmations
contraires, élargi ni enrichi le marxisme. Dans l’ouvrage de Thomas B.
Brameld, <i>A Philosophical Approach to Communism</i> récemment publié
par l’université de Chicago, le communisme est encore défini comme »
une synthèse des doctrines de Marx, d’Engels et de Lénine « . Et ce
n’est pas uniquement dans ce livre, mais aussi dans toute la littérature
du parti communiste, que Lénine est ainsi situé. Staline a décrit le
léninisme comme » le marxisme de la période impérialiste « . Mais un
tel jugement ne se justifie que par une surestimation sans fondement de
Lénine. Car Lénine n’a pas ajouté au marxisme le moindre élément qui
puisse être qualifié de nouveau et d’original. Sa position philosophique
n’est autre que le matérialisme dialectique tel qu’il a été développé
par Marx, Engels et Plékhanov. Et c’est à lui qu’il se réfère pour tout
problème important – qu’il brandit comme critère universel, comme arme
de la dernière heure. Dans son principal ouvrage philosophique, <i>Marxisme et empirio-criticisme,</i>
il s’est borné à répéter Engels en opposant les différentes conceptions
philosophiques et en terminant par l’opposition entre matérialisme et
idéalisme. Le matérialisme affirmant la primauté de la nature sur
l’esprit, l’idéalisme partant de la démarche inverse. Lénine a repris à
son compte cette définition en l’étayant d’éléments empruntés à diverses
sources ; il n’a apporté aucun enrichissement majeur à la dialectique
marxienne et il est impossible, dans le domaine philosophique, de parler
d’une école léniniste.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Pour ce qui est de
l’économie, l’œuvre de Lénine reste bien en deçà de ce que l’on a voulu
y voir. Certes, ses écrits économiques sont davantage marxistes que
ceux de ses contemporains, mais ils ne sont que l’application brillante
de doctrines existantes basées sur le marxisme. Du reste, Lénine n’avait
aucunement l’intention de s’ériger en théoricien économique original,
puisqu’il estimait que Marx avait déjà tout dit en ce domaine. Convaincu
qu’il était impossible de dépasser Marx, il devait se borner à prouver
que les postulats marxistes concordaient avec la situation existante.
Son principal ouvrage d’économie, <i>Le Développement du capitalisme eu Russie</i>
en dit long sur ce point. Lénine n’a jamais voulu être autre chose que
le disciple de Marx et seule la légende peut parler d’une théorie du «
léninisme ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">Lénine se voulait
avant tout un politicien pratique. Ses ouvrages théoriques sont presque
exclusivement de nature polémique. Il s’y attaque aux ennemis théoriques
et autres du marxisme, avec lequel il s’identifie. Pour le marxisme, la
pratique décide de la justesse d’une théorie. En tant que praticien au
service de la pensée de Marx, Lénine a peut être rendu un immense
service au marxisme. Toutefois, chaque pratique est, pour le marxisme,
une pratique sociale que les individus ne peuvent modifier ou influencer
que dans une faible mesure, et sur laquelle ils ne peuvent jamais avoir
d’action décisive. On ne peut nier que l’union de la théorie et de la
pratique, du but final envisagé et des problèmes concrets qui se posent
dans l’instant – préoccupations constantes de Lénine – ne soit une
grande réussite. Mais cette réussite ne peut se mesurer que par le
succès qui l’accompagne, et ce succès, nous l’avons déjà dit, fut refusé
à Lénine. Non seulement son œuvre s’est avérée incapable de faire
avancer le mouvement révolutionnaire mondial, mais elle n’a pas su
établir les conditions préalables à la construction d’une véritable
société socialiste eu Russie. Les succès qu’il a pu remporter, loin de
le rapprocher de son but, l’en ont éloigné.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody">La situation qui
existe aujourd’hui en Russie et la condition des travailleurs à travers
le monde devraient suffire à prouver à tout observateur communiste que
la politique » léniniste » actuelle est l’exact opposé de la
phraséologie qu’elle emploie. Cette contradiction finira bien par
détruire la légende artificielle de Lénine et l’histoire pourra enfin
remettre Lénine à sa véritable place.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody"><a href="http://contrecapital.blogspot.com/search/label/Paul%20Mattick" target="_blank">Paul Mattick </a></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="postbody"></span><br />
<span class="postbody"> <i>Notes</i></span><br />
<span class="postbody">[1] La bourgeoisie.<br />
[2] <i>L’État et la révolution</i>, Ed. de Moscou p. 66.</span><br />
<br />
<span class="postbody"></span><span style="font-size: x-small;">Article de Paul Mattick paru dans <i>International Council Correspondence </i>vol. II N°1 (décembre 1935). Traduit dans <i>La contre-révolution bureaucratique </i>(UGE, 1973). Première publication web sur La Bataille socialiste en 2008.</span><br />
<span class="postbody"></span></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-3721540175053085142018-08-26T03:28:00.002-07:002018-08-26T03:28:54.499-07:00Les grèves<table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto; text-align: center;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEib8r0yV-BfAvMA9CHPIjaZN48FNbECdL14BDZ13K5r_xg2Od1l7FiJdFiyzUZbshxkt3TL0_JU0uid0C8niVcAZsxt9CW34ln5NiORh2SdDbNWcsEt-hcSplpCf7HXnT5Z_33SlWJXN0W8/s1600/DU8vgQdXUAEX-oW.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="818" data-original-width="1162" height="281" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEib8r0yV-BfAvMA9CHPIjaZN48FNbECdL14BDZ13K5r_xg2Od1l7FiJdFiyzUZbshxkt3TL0_JU0uid0C8niVcAZsxt9CW34ln5NiORh2SdDbNWcsEt-hcSplpCf7HXnT5Z_33SlWJXN0W8/s400/DU8vgQdXUAEX-oW.jpg" width="400" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;"><i>Iran : grève sauvage des ouvriers de l'usine sucrière Haft Tappeh - Février 2018</i></td></tr>
</tbody></table>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
<br />On distingue dans le mouvement ouvrier deux formes principales de lutte, le plus souvent connues comme le terrain politique et le terrain économique de combat. L’aspect politique se concentrait autour des élections de corps parlementaires ou d’autres corps semblables, l’aspect économique consistait en des grèves pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Dans la deuxième moitié du XIX° siècle, les socialistes partagent l’opinion que le premier de ces aspects avait une importance fondamentale et était révolutionnaire, car il instaurait le but de la conquête du pouvoir politique au moyen duquel on révolutionnerait la structure de la société, on abolirait le capitalisme et on introduirait un système socialiste. Le deuxième aspect était seulement un moyen d’obtenir des réformes, de maintenir ou d’améliorer le niveau de vie au sein de capitalisme, ce système étant ainsi reconnu comme la base de la société.</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
Le fait que cette distinction ne pouvait être entièrement adéquate fut vite démontré par la pratique du parlementarisme. Dans le <em>Manifeste communiste</em>, Marx avait déjà indiqué quelques mesures de réforme préparant la prochaine révolution. Plus tard, les parlementaires socialistes travaillaient et luttaient continuellement pour des réformes ; les Partis socialistes auxquels ils appartenaient établirent un programme détaillé de « revendications immédiates » ; ils purent élargir continuellement le nombre des votants, d’abord et surtout en Allemagne, et puis dans d’autres pays européens. Le but final d’une révolution socialiste fut rejeté progressivement à l’arrière-plan. Ce que cette lutte politique obtint vraiment sous le nom de la lutte pour le socialisme fut d’assurer pour la classe ouvrière une place reconnue au sein de la société capitaliste avec certains niveaux de vie et de conditions de travail, mais jamais sûrs, toujours instables, toujours contestés et dont on a toujours besoin d’assurer la défense.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
Ces deux formes de lutte, avec d’un côté le syndicalisme et ses grèves et de l’autre le socialisme parlementaire, devinrent les instruments de réforme seulement – dirigés en grande partie par les mêmes personnes, puisque les chefs syndicaux siégeaient au parlement. En plus, la doctrine réformiste affirmait que par son activité, par l’accumulation de réformes au parlement et « la démocratie industrielle » aux ateliers, on transformerait graduellement le capitalisme en socialisme.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
Mais le capitalisme avait ses propres méthodes, et ce que Marx avait exposé dans ses études d’économie, la concentration du capital se réalisa d’une façon encore plus forte que son auteur l’avait peut-être supposée. La croissance et le développement du capitalisme au cours du XX° siècle ont amené un grand nombre de nouveaux phénomènes sociaux et conditions économiques. Tout socialiste qui soutient la lutte de classe sans compromis doit étudier ces changements avec soin, car c’est d’eux que dépendent les moyens d’actions que les travailleurs devront utiliser pour amener la victoire et la liberté. Beaucoup de vieilles conceptions de la révolution peuvent prendre maintenant des formes plus distinctes. Ce développement a augmenté énormément le pouvoir du capitalisme, a donné à de petits groupes de monopolistes la suprématie sur toute la bourgeoisie, et lié le pouvoir d’Etat encore plus étroitement aux affaires. Cela renforça les instincts de répression de cette classe, manifestés par l’augmentation des tendances réactionnaires et fascistes, diminuant encore plus la force du syndicalisme face au capital et le rendant moins enclin à lutter. Les chefs syndicaux devinrent encore plus les médiateurs et même les agents du capital, dont la fonction est d’imposer les conditions de travail déplaisantes dictées par le capital aux travailleurs résistants. De plus en plus, les grèves prennent la forme de grèves sauvages, éclatant contre la volonté des chefs syndicaux qui s’emparent du commandement afin d’apaiser la lutte. Tandis que sur le terrain politique, il y a une collaboration et une harmonie de classe complète – dans le cas du Parti communiste accompagnées par le semblant de phrases révolutionnaires – de telles grèves sauvages deviennent encore plus la seule vraie lutte de classe menée durement par les travailleurs contre le capital.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
Après la guerre, ces tendances se sont intensifiées. La reconstruction, la réparation de la dévastation ou du manque des forces productrices signifient reconstruction capitaliste. Cette reconstruction implique l’accumulation plus rapide du capital, l’augmentation plus vigoureuse des profits, la dépression du niveau de vie des travailleurs. Le pouvoir d’Etat acquiert maintenant une importante fonction dans l’organisation des affaires. Dans l’Europe dévastée, il prend la tête ; ses fonctionnaires deviennent les directeurs d’un dirigisme économique, qui règlementent la production et la consommation. Son rôle spécial est de réprimer les travailleurs et d’étouffer tout mécontentement par des moyens physiques ou spirituels. Aux États-Unis, où il est soumis aux affaires, ceci est sa fonction principale. Les travailleurs ont maintenant en face d’eux le front uni du pouvoir d’Etat et de la classe capitaliste, auquel se joignent les chefs syndicaux et politiques qui aspirent à négocier avec les directeurs et les patrons et à prendre part aux décisions qui règlent les salaires et les conditions de travail. Et le mécanisme capitaliste de l’augmentation des prix a pour effet la diminution rapide du niveau de vie des travailleurs.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
En Europe, en Angleterre, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, et aux États-Unis aussi, des grèves sauvages éclatent, menées jusqu’ici par des petits groupes n’ayant ni clairement conscience de leur rôle social, ni des buts plus radicaux, mais faisant preuve d’une admirable solidarité. Ils défient leur gouvernement « travailliste » en Angleterre et sont hostiles au Parti communiste au pouvoir en France et en Belgique. Les travailleurs commencent à sentir que le pouvoir d’État est maintenant leur plus important ennemi. Leurs grèves sont dirigées contre ce pouvoir ainsi que contre les maîtres capitalistes. Les grèves deviennent un facteur politique ; et lorsque les grèves éclatent avec une intensité telle qu’elles paralysent des branches entières et ébranlent la production sociale en ses fondements, elles deviennent un facteur politique de première importance. Les grévistes n’ont peut-être pas l’intention d’être révolutionnaires, mais ils le sont – ni les grévistes ni même la plupart des socialistes ne s’en rendent compte. Et par nécessité, la conscience et la lucidité se formeront progressivement à partir de ce qui n’a été qu’intuitif, et rendront les actions plus directes et plus efficaces.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
Ainsi, les rôles sont peu à peu renversés. L’action parlementaire se détériore et devient une simple querelle de politiciens, servant à tromper les gens et à replâtrer cet hideux capitalisme. En même temps, des grèves de masse des travailleurs ont tendance à devenir de plus sérieuses attaques contre le pouvoir d’État, cette forteresse du capitalisme, et à devenir des facteurs plus efficaces pour élever le niveau de conscience et du pouvoir social de la classe ouvrière. Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire ; aussi longtemps que l’on verra les travailleurs se mettre en grève et reprendre le travail simplement sur l’ordre d’un chef ambitieux, ceux-ci ne seront pas prêts pour les grandes actions de leur auto-libération. Mais si l’on étudie les développements et les changements survenus au cours de la première partie de notre siècle, on ne peut manquer de reconnaître l’importance pour nos idées sur la révolution sociale de ces authentiques luttes de classe prolétariennes. Nous examinerons dans un autre travail les conséquences de ce phénomène sur le travail de propagande des socialistes.</div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.com/search/label/Anton%20Pannekoek" target="_blank">Anton Pannekoek</a></div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="color: #333333; font-family: "Lucida Grande", Verdana, Arial, sans-serif; font-size: 1.05em; text-align: justify;">
(paru dans le Western socialist en janvier 1948 - publication web La Bataille Socialiste)</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-48683516483075241822018-07-12T02:11:00.001-07:002018-07-12T02:12:31.159-07:00L’idéologie marxiste en Russie<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhg6O1lbRHpX9B2LktL-ouHgLn9dHT6B_F9vZqxMOBbwavIZ6oT0a-A2V5oPLSHJQaQXt5bt_LFerjL_kR-QnssQW1kb8YtVGB81bxSRQvXYMqT9NfbzLQYrYUmw9cMYmlXlkSp1liJBOE0/s1600/ob_5e5443_142.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="745" data-original-width="1200" height="247" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhg6O1lbRHpX9B2LktL-ouHgLn9dHT6B_F9vZqxMOBbwavIZ6oT0a-A2V5oPLSHJQaQXt5bt_LFerjL_kR-QnssQW1kb8YtVGB81bxSRQvXYMqT9NfbzLQYrYUmw9cMYmlXlkSp1liJBOE0/s400/ob_5e5443_142.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>« Pour nous, le communisme n’est pas un <span class="spip">état de choses</span> qu’il convient d’établir, un <span class="spip">idéal</span> auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement <span class="spip">réel</span> qui abolit l’état actuel des choses [1]. » - Karl Marx. </i></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Nous abordons ici l’un des exemples les plus typiques du
décalage frappant qui, sous une forme ou sous une autre, s’observe dans
toutes les phases du développement historique du marxisme. On peut le
définir comme la contradiction entre l’idéologie marxiste et le
mouvement historique réel qui, à une époque donnée, se cache derrière
cette façade idéologique.</div>
<a name='more'></a><br />
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Il y a maintenant presque un siècle, un censeur fut
spécialement délégué par Berlin pour se substituer aux autorités locales
de Cologne dans la délicate mission de bâillonner le journal
« ultra-démocratique » publié par un jeune homme de vingt-quatre ans,
nommé Karl Marx. Ce censeur rapporta au gouvernement prussien qu’on
pouvait désormais en toute tranquillité autoriser la <i class="spip">Rheinische Zeitung</i>
à reparaître, étant donné que « l’éminence grise de toute l’affaire, le
docteur Marx » avait définitivement quitté son travail, et qu’il
n’existait aucun successeur capable de maintenir le ton
« d’insupportable arrogance » adopté par le journal ou de poursuivre sa
politique avec la même détermination. Toutefois, ce conseil ne fut pas
suivi par les autorités prussiennes, soumises en ce domaine, ainsi qu’il
a été prouvé plus tard, aux directives du tsar russe Nicolas Ier. Son
vice-chancelier, le comte de Nesselrode, venait précisément de menacer
l’ambassadeur prussien à Moscou de révéler à sa Majesté Impériale « les
attaques infamantes dont le Cabinet russe avait récemment fait l’objet
dans la <i class="spip">Rheinische Zeitung</i> de Cologne ». Ceci se passait en Prusse en 1843.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Trois décades plus tard, la censure de la Russie tsariste autorisait la publication en Russie de l’ouvrage de Marx - <i class="spip">Le Capital</i>
-dans sa première traduction. La décision était justifiée par cet
argument inestimable : « Bien que les convictions politiques de l’auteur
soient exclusivement socialistes, et que le livre tout entier soit
clairement de nature socialiste, toutefois, sa conception n’en fait
assurément pas un livre accessible à tous ; de plus, son style est
strictement mathématique et scientifique, aussi le comité déclare-t-il
le livre exempt de toute poursuite. »</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Ce régime tsariste, si prompt à censurer même la plus
insignifiante insulte proférée dans un pays européen contre la
suprématie russe, et, en même temps, si inconscient de la menace que
représentait l’analyse scientifique faite par Marx du monde capitaliste,
ne fut en réalité jamais ébranlé par les vigoureuses attaques que Marx
lança ultérieurement contre « les vastes empiétements, jamais
contrecarrés, de ce pouvoir barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg
et les mains dans chaque cabinet d’Europe ». Et pourtant, il devait
succomber à cette même menace, apparemment si lointaine, que ce cheval
de Troie avait introduite au cœur du Saint-Empire. Le régime tsariste
fut renversé finalement par la masse des ouvriers russes dont
l’avant-garde avait appris sa leçon révolutionnaire dans <i class="spip">Le Capital</i> - cet ouvrage « mathématique et scientifique » d’un penseur solitaire.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
A l’inverse de l’Europe occidentale, où la théorie
marxiste apparut à l’époque du déclin de la révolution bourgeoise et
s’affirmait comme expression d’une tendance réelle visant au dépassement
des objectifs du mouvement révolutionnaire bourgeois - la tendance
représentée par la classe prolétarienne -, au contraire, en Russie, le
marxisme ne fut dès le début que l’écran idéologique derrière lequel se
cachait dans la pratique la lutte pour le développement capitaliste dans
un pays précapitaliste. A cette fin, toute l’intelligentsia
progressiste adopta avidement le marxisme comme le dernier mot d’ordre
de l’Europe. Mais la société bourgeoise, qui avait atteint en Europe
occidentale son plein développement, n’en était encore ici qu’aux
premières douleurs de son enfantement. Et pourtant, même sur ce terrain
vierge, le principe bourgeois ne pouvait plus reprendre les illusions et
les auto-illusions, désormais périmées, grâce auxquelles il s’était
masqué le contenu strictement bourgeois de ses luttes à l’époque
héroïque de son premier développement en Occident, et qui lui avaient
permis de maintenir ses passions au niveau de grands événements
historiques. Pour pénétrer à l’Est, il lui fallait faire peau neuve
idéologiquement. Et la doctrine marxiste, empruntée à l’Ouest, semblait
précisément la plus apte à rendre cet important service au développement
bourgeois en Russie. A cet égard, le marxisme était de très loin
supérieur à la doctrine russe des révolutionnaires narodniki
(populistes). Tandis que ces derniers partaient du principe que le
capitalisme, tel qu’il existait dans les pays « païens » de l’Ouest,
était inconcevable en Russie, le marxisme, en raison même de son origine
historique, présupposait l’accomplissement de la civilisation
capitaliste comme une étape historique indispensable dans le processus
qui aboutirait à une société véritablement socialiste. Et pourtant,
avant de pouvoir rendre à la société bourgeoise russe de tels services
idéologiques, la doctrine marxiste nécessitait quelques modifications,
même dans son contenu purement théorique. Voilà la raison fondamentale
des concessions théoriques énormes, autrement inexplicables, faites dans
les années 70 et 80 par Marx et Engels aux idées soutenues alors par
les populistes russes, dont la doctrine était essentiellement
irréconciliable avec leur propre théorie. L’expression finale la plus
complète de ces concessions se trouve dans la fameuse déclaration de
l’avant-propos à la traduction russe du <i class="spip">Manifeste Communiste</i> (1882) :</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
« Le <i class="spip">Manifeste Communiste</i> avait pour
tâche de proclamer la disparition inévitable et imminente de la
propriété bourgeoise moderne. En Russie cependant, à côté du bluff
capitaliste en plein épanouissement, et de la propriété foncière
bourgeoise, en voie de développement, nous voyons que plus de la moitié
du sol est la propriété commune des paysans. Dès lors, la question se
pose : l’obchtchina russe, forme de l’archaïque propriété commune du
sol, pourra-t-elle, alors qu’elle est déjà fortement ébranlée, passer
directement à la forme supérieure, à la forme communiste de la propriété
collective ? ou bien devra-t-elle, au contraire, parcourir auparavant
le même processus de dissolution qui caractérise le développement
historique de l’Occident ?</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
« Voici la seule réponse que l’on puisse faire
présentement à cette question : si la révolution russe donne le signal
d’une révolution prolétarienne en Occident, et que toutes deux se
complètent, l’actuelle propriété collective de Russie pourra servir
comme point de départ pour une évolution communiste [2]. »</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Dans ces phrases, comme dans beaucoup d’autres
déclarations semblables qui figurent dans la correspondance de
Marx-Engels - dans les lettres à l’écrivain populiste russe Nikolai-on [3], dans la lettre à Véra Zassoulitch [4] et dans la réponse de Marx à l’interprétation fataliste tirée par le critique russe Mikhaïlovski [5]
de sa théorie des étapes historiques nécessaires -, on peut lire par
anticipation toute l’évolution ultérieure du marxisme russe, et donc
aussi voir se creuser toujours davantage le fossé entre son idéologie et
le contenu réel du mouvement. Il est vrai que pour Marx et Engels, le
passage direct d’un stade semi-patriarcal et féodal à une société
socialiste supposait - c’était une réserve prudente - une révolution
ouvrière à l’Ouest, condition nécessaire pour qu’émergent les tendances
socialistes virtuelles d’une société pré-capitaliste. La même réserve
fut reprise plus tard par Lénine. Il est vrai aussi que cette condition
ne fut jamais remplie (ni à l’époque, ni après 1917) et qu’au contraire,
la communauté paysanne russe à qui Marx, aussi tard que 1882, avait
dévolu un rôle futur si considérable, fut peu après complètement
éliminée [6].</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Pourtant, même des slogans apparemment aussi
anti-marxistes que celui de la récente « théorie » stalinienne sur la
construction du socialisme dans un seul pays, utilisant le marxisme
comme couverture idéologique d’une évolution dont la nature réelle est
capitaliste, peuvent indéniablement se référer, non seulement au
précèdent crée par le marxiste orthodoxe Lénine, mais même à Marx et
Engels en personnes. Eux aussi étaient tout disposés, dans certaines
conditions historiques, à remodeler leur théorie « marxiste »
critico-matérialiste en simple ornement idéologique d’un mouvement
révolutionnaire qui, s’il se proclamait socialiste dans ses fins
ultimes, était dans son processus réel inévitablement soumis à toutes
sortes de limitations bourgeoises. La seule différence, et elle est de
taille, c’est que Marx, Engels et Lénine agissaient ainsi afin
d’impulser le futur mouvement révolutionnaire, tandis que Staline
utilise exclusivement l’idéologie « marxiste » comme moyen pour défendre
un statu-quo non socialiste et comme arme contre toute tendance
révolutionnaire.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Et ainsi s’amorça, du vivant même de Marx et Engels et
avec leur collaboration active et consciente, ce renversement de
fonction spécifique par lequel le marxisme, adopté comme une doctrine
toute faite par les révolutionnaires russes, cessa d’être l’outil
théorique d’une révolution socialiste prolétarienne pour devenir
ultérieurement le simple déguisement idéologique d’une évolution
capitaliste bourgeoise. Comme nous l’avons vu, ce renversement de
fonction présupposait au départ une certaine transformation de la
doctrine elle-même, qui dans ce cas fut réalisée par la fusion et
l’interpénétration de la doctrine populiste traditionnelle et d’éléments
idéologiques Marxistes nouvellement adoptés. Cette transformation de
leur théorie, admise à l’origine par Marx et Engels uniquement comme une
étape transitoire, que surmonterait l’imminente « révolution ouvrière à
l’Ouest », s’avéra bientôt n’avoir été que le premier pas vers la
transformation définitive de leur théorie marxiste révolutionnaire en un
simple mythe révolutionnaire. Lequel, s’il pouvait tout au plus servir
de stimulant dans les premiers stades d’une révolution naissante, devait
inévitablement aboutir à freiner le développement réel de la
révolution, au lieu de l’accélérer.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Il est intéressant d’observer comment ce processus
d’adaptation idéologique de la doctrine marxiste s’est déroulé au cours
des décades suivantes dans le cadre des diverses écoles de
révolutionnaires russes. Si l’on étudie de près les violentes
controverses sur la perspective d’un développement capitaliste en
Russie, qui animèrent les cercles confidentiels des marxistes russes en
exil et en Russie, des années 90 jusqu’à la guerre, et au renversement
du gouvernement tsariste en 1917, - controverses dont l’expression
théorique la plus achevée se trouve dans le principal ouvrage économique
de Lénine <i class="spip">Le Développement du capitalisme en Russie</i> (1899) [7]
- on peut, à la lumière de cette étude, affirmer sans exagérer que le
contenu réel de la théorie marxiste originelle, en tant qu’expression
théorique d’un mouvement prolétarien autonome et strictement socialiste,
avait disparu du débat.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Cela est indiscutablement vrai des soi-disant
« marxistes légaux » qui, dans leur exposé « scientifique » de l’aspect
objectif de la doctrine marxiste, se vantaient de maintenir une
« pureté » particulièrement inaltérée, mais qui compensaient largement
cette rigidité doctrinale en renonçant à toute application pratique des
principes marxistes susceptible de dépasser des objectifs strictement
bourgeois. La théorie révolutionnaire marxiste dans son ensemble n’était
pas davantage représentée par ces autres courants qui, à l’époque,
cherchaient à combiner, sous une forme ou sous une autre, la nécessité
d’une étape transitoire de développement capitaliste en Russie avec le
combat anticipé contre les conditions sociales futures que ce
développement devait créer. A ce courant, appartient l’écrivain
populiste érudit déjà mentionné, Nikolai-on, traducteur russe du
Capital, qui au début des années 90, sous l’influence directe de la
doctrine marxiste, abandonna la conviction populiste orthodoxe
concernant l’impossibilité absolue du capitalisme en Russie pour adopter
la théorie, inspirée du marxisme, de l’impossibilité d’un développement
capitaliste organique normal en Russie. A ce courant, appartient
également l’adversaire matérialiste véhément de l’idéalisme populiste,
le marxiste orthodoxe Lénine, et ses partisans, qui, ultérieurement,
après leur rupture avec les « mencheviks » occidentalisés, se
proclamèrent les seuls héritiers authentiques, dans la théorie comme
dans la pratique, de l’intégralité du contenu révolutionnaire de la
théorie marxiste, tel que le restituait la doctrine du marxisme
bolchevique.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Quand nous analysons rétrospectivement les ardentes
controverses théoriques de cette période, nous constatons un rapport
manifeste entre, d’une part, la théorie populiste de « l’impossibilité
d’un développement capitaliste organique normal en Russie » (défendue
par le narodnik marxiste Nikolai-on et combattue à l’époque par les
marxistes de tous bords, les « légaux » et les « révolutionnaires », les
mencheviks et les bolcheviks) et, d’autre part, les deux théories
rivales : « stalinisme » au pouvoir et « trotskysme » d’opposition, qui,
dans une phase récente de l’évolution russe, se sont affrontées. Assez
paradoxalement, la théorie « national-socialiste » stalinienne dominante
sur la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays, tout
comme la thèse « internationaliste », en apparence diamétralement
opposée, élaborée par Trotsky concernant l’inévitabilité de la
révolution « permanente » - c’est-à-dire d’une révolution dépassant les
objectifs révolutionnaires bourgeois simultanément à l’échelon russe et
européen (ou mondial) - ces thèses reposent, toutes deux sur la base
idéologique commune de la croyance néo-narodnik en l’absence ou
l’impossibilité d’un développement capitaliste « normal et organique »
en Russie.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Trotsky et Staline fondent leurs versions respectives de
l’idéologie marxiste sur l’autorité de Lénine. Effectivement même le
plus orthodoxe d’entre les marxistes orthodoxes qui, avant Octobre 1917,
avait combattu âprement à la fois le populisme de Nikolai-on et la
théorie de Parvus-Trotsky sur la « révolution permanente », qui, après
Octobre, s’était opposé avec la même cohérence au courant général
glorifiant les réalisations dérisoires de ce qu’on appela plus tard le
« communisme de guerre » des années 1918-1920 - Lénine - abandonna à la
fin cette lutte sans répit en faveur du réalisme critico-révolutionnaire
pour soutenir, à l’encontre des conditions objectives réelles, le
concept néo-populiste d’un socialisme russe maison. Ceux-là mêmes qui
avaient combattu la tendance première à l’idéalisation socialiste et
qui, lors de la proclamation de la Nep en 1921, avaient encore déclaré
sobrement que « cette nouvelle politique économique de l’État ouvrier et
paysan » était une régression nécessaire par rapport aux tentatives
plus avancées du communisme de guerre, ceux-là mêmes découvrirent en
quelques semaines la nature socialiste du capitalisme d’État et d’une
économie qui restait essentiellement bourgeoise, en dépit d’une légère
teinte coopérative. Ainsi, ce ne fut pas l’épigone léniniste Staline,
mais bien le marxiste orthodoxe Lénine qui, au moment historique crucial
où les tendances pratiques de la révolution russe, jusque-là indécises,
se trouvèrent orientées et « pour de bon et pour longtemps » vers la
restauration d’une économie non socialiste ajouta alors à cette
restriction finale des buts pratiques de la révolution ce qu’il estimait
être un complément idéologique indispensable. Ce fut le marxiste
orthodoxe Lénine qui, en contradiction avec toutes ses déclarations
antérieures, créa le premier le nouveau mythe marxiste d’un socialisme
inhérent à l’État soviétique et, en conséquence, de la possibilité ainsi
garantie de réaliser intégralement la société socialiste dans la Russie
soviétique isolée.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Cette dégénérescence de la doctrine marxienne, qui en
fait sa simple justification idéologique que d’un État en réalité
capitaliste et donc, inévitablement, d’un État basé sur la suppression
du mouvement révolutionnaire du prolétariat, clôt la première période de
l’histoire de l’idéologie marxiste en Russie. Seule période,
d’ailleurs, où l’évolution du marxisme en Russie semble présenter un
caractère d’autonomie. Toutefois, il faut signaler que d’un point de vue
plus global, en dépit des apparences et des nombreuses différences
résultant des conditions spécifiques à chaque pays, l’évolution
historique du marxisme russe (y compris ses dernières étapes léniniste
et staliniste), est fondamentalement semblable à celle du marxisme dit
« occidental » (ou social-démocrate), dont il a été, et reste toujours,
partie intégrante. La Russie ne fut jamais cette nation sainte et
exceptionnelle dont rêvaient les panslavistes, tout comme le bolchevisme
ne fut jamais, ainsi que le prétendaient les marxistes soi-disant
raffinés d’Angleterre, de France et d’Allemagne, une version grossière
d’un marxisme adapté aux conditions primitives du régime tsariste. De la
même façon, l’actuelle dégénérescence bourgeoise du marxisme en Russie
est fondamentalement semblable à la dégénérescence qui affecta
progressivement les divers courants du marxisme « occidental » pendant
la guerre, l’après-guerre et surtout après l’élimination finale de tous
les bastions marxistes au cours de l’avènement triomphant du fascisme et
du nazisme. Le « national-socialisme » de Herr Hitler et « l’État
corporatif » de Mussolini rivalisent avec le « marxisme » de Staline
pour endoctriner les cerveaux de leurs ouvriers au moyen d’une idéologie
pseudo-socialiste, non contents d’avoir la mainmise sur leur existence
physique et sociale. De la même façon, le régime « démocratique » d’un
gouvernement de Front Populaire présidé par le « marxiste » Léon Blum
ou, aussi bien, par M. Chautemps en personne, ne diffère pas
essentiellement de l’actuel État soviétique, sinon par une utilisation
moins efficace de l’idéologie marxiste.</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Moins que jamais, le marxisme sert aujourd’hui d’arme
théorique dans une lutte autonome du prolétariat, pour et par le
prolétariat. Tous les soi-disant partis « marxistes » sont maintenant
engagés très avant, tant dans leur théorie que dans leur pratique
réelles sur la voie de la collaboration. Réduits au rôle de sous-fifres
des dirigeants bourgeois, ils ne peuvent qu’aider modestement à résoudre
ce que le « marxiste » américain L. B. Boudin définissait encore
récemment comme « le plus grand problème du marxisme - notre position
par rapport aux luttes internes de la société capitaliste ».</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
Karl Korsch (1938)<br />
<br />
Source : http://www.collectif-smolny.org/</div>
<div class="spip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="notes" style="text-align: justify;">
<div class="spip_note">
[1] Karl Marx, <i class="spip">L’Idéologie allemande</i>, Bibliothèque de la Pléiade, <i class="spip">Œuvres III</i>, « Philosophie », p. 1067.</div>
<div class="spip_note">
[2] Karl MARX, <i class="spip">Œuvres I</i>, Bibliothèque de la Pléiade, « Économie I », p. 1483.</div>
<div class="spip_note">
[3] Publiées dans <i class="spip">Lettres sur le Capital</i>, Éditions sociales, Paris, 1964. Nikolai-on est le pseudonyme de Nikolaï Danielson (1844-1918), traducteur du <i class="spip">Capital</i> en langue russe.</div>
<div class="spip_note">
[4] Karl MARX, <i class="spip">Œuvres II</i>, Bibliothèque de la Pléiade, « Économie II », p. 1557 et sq. Cette lettre à Véra Zassoulitch date de 1881.</div>
<div class="spip_note">
[5] <i class="spip">Ibid</i>., p. 1552.</div>
<div class="spip_note">
[6] On verra Engels prendre acte de cet échec dans ses lettres à Danielson, écrites au début des années 90. Cf. <i class="spip">Lettres sur le Capital</i>, <i class="spip">op. cit.</i> et « Écrits sur le tsarisme et la Commune russe », <i class="spip">Cahiers de L’I.S.E.A.</i>, n° 13, juillet 1969.</div>
<div class="spip_note">
[7] Lénine, « Le Développement du capitalisme en Russie », <i class="spip">Œuvres complètes</i>, Éditions du Progrès, Moscou, t. III.</div>
</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-8872855468018488572018-05-10T02:07:00.002-07:002018-05-10T02:07:33.618-07:00Stalinisme et bolchevisme<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg11uh4Z-mqrSi-e8HJerJuu-KAZOSGl4ebCc4N_caBkXFsnG3JoYcve6kXsOuyxtKulPicILUV9igps2V32PLs2CBwmqrNiNpmdtPErnRvweDXbbzwmwSezcOSnmRpNtHeqrO21F13F5QD/s1600/stalin_budapest_1956_5.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1115" data-original-width="1600" height="278" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg11uh4Z-mqrSi-e8HJerJuu-KAZOSGl4ebCc4N_caBkXFsnG3JoYcve6kXsOuyxtKulPicILUV9igps2V32PLs2CBwmqrNiNpmdtPErnRvweDXbbzwmwSezcOSnmRpNtHeqrO21F13F5QD/s400/stalin_budapest_1956_5.jpg" width="400" /></a></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Trotsky prétend qu’en rédigeant sa biographie de Staline (1)<a href="https://www.marxists.org/francais/mattick/works/1947/02/mattick_19470207.htm#n1" name="fn1" target="_self"></a> il
poursuivait un but : montrer « comment une telle personnalité a pu se développer
et comment elle a fini par usurper une situation exceptionnelle ». Tel est le but
avoué. Mais le but réel est tout autre. Il s’agit de montrer pourquoi Trotsky a
perdu la position de force qui était la sienne à un certain moment, alors que
c’est lui qui aurait dû être l’héritier de Lénine, étant plus digne de cet
héritage que Staline. Ainsi, avant la mort de Lénine, ne disait-on pas
communément « Lénine <i>et</i> Trotsky » ? Ne renvoyait-on pas systématiquement le nom de
Staline vers la fin, voire même à la dernière place, des listes de dirigeants
bolcheviques ? N’a-t-on pas vu, en telle ou telle occasion, Lénine proposer de ne
mettre sa signature qu’après celle de Trotsky ? Bref le livre nous permet de
comprendre pourquoi Trotsky pensait qu’il était l'« héritier naturel de Lénine
».
En fait c’est une double biographie : celle de Staline et de Trotsky.</div>
<a name='more'></a> <br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toute chose a, au départ, des dimensions modestes. Le bolchevisme
de Lénine et Trotsky diffère tout autant du stalinisme que la peste brune
hitlérienne de l’année 1933 diffère du national-socialisme de la deuxième guerre
mondiale. Mais, vient-on à examiner les écrits de Lénine et Trotsky antérieurs à
la naissance du stalinisme, et on découvre que tout ce qui se trouve dans
l’« arsenal » stalinien a son correspondant chez les deux autres.(2)<a href="https://www.marxists.org/francais/mattick/works/1947/02/mattick_19470207.htm#n2" name="fn2" target="_self"></a> Trotsky, par
exemple, a, tout comme Staline, présenté le <i>travail forcé</i> comme l’application
d’un « principe socialiste ». Il croyait dur comme fer qu’un socialiste sérieux ne
pouvait contester à l’État ouvrier le droit de faire sentir la puissance de sa
dextre à tout ouvrier qui refuserait de mettre à sa disposition la force de
travail qu’il représente. Et c’est le même Trotsky qui se dépêcha d’attribuer un
« caractère socialiste » à l’inégalité, arguant que
« tout travailleur qui en fait
plus qu’un autre pour l’intérêt général a, en conséquence, droit à une part plus
grande du produit social que le paresseux, le négligeant ou le saboteur ». C’est
toujours Trotsky qui s’affirmait convaincu que « tout doit être fait pour
encourager le développement de l’émulation dans la sphère de la production
». Il
va de soi que, chaque fois, ces affirmations étaient présentées comme autant de
« principes socialistes » valables pour la période de transition. C’étaient, tout
simplement, les difficultés objectives qui se dressaient sur la route de la
socialisation complète, qui contraignaient à recourir à ces méthodes. Ce n’était
pas par goût, mais par nécessité, qu’il fallait renforcer la dictature du Parti
à un point tel qu’on en venait à supprimer toute liberté d’action, alors que
celle-ci, sous une forme ou sous une autre, est autorisée dans les Etats
bourgeois. Et Staline est tout autant fondé à évoquer la « nécessité
» comme
excuse.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Ne voulant pas avancer contre le stalinisme que des arguments
qui, en fin de compte, apparaissent comme l’expression d’une antipathie
personnelle contre un concurrent dans les luttes du Parti, Trotsky s’est trouvé
obligé de découvrir des différences politiques entre Staline et lui-même, mais
aussi entre Staline et Lénine. Ce faisant, il pense pouvoir étayer l’affirmation
qu’en Russie comme ailleurs, les choses auraient évolué tout autrement sans
Staline.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Mais il ne peut guère exister de différences « théoriques
» entre
Lénine et Staline puisque le seul ouvrage théorique qui soit signé de ce dernier
a en fait été directement inspiré par Lénine et écrit sous son contrôle direct.
Si, d’autre part, on admet que la « nature » de Staline « exigeait
» la machine
centralisée du Parti, il ne faut pas oublier que c’est Lénine qui lui a
construit un appareil si parfait. Là encore on ne voit guère de différence entre
les deux. En réalité, Staline ne fut guère gênant pour Lénine, tant que celui-ci
fut actif, quelque désagréable qu’il ait pu être pour le
« numéro deux du
bolchevisme ».</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Pourtant il faut bien qu’il y ait une différence entre léninisme
et stalinisme si l’on veut comprendre ce que Trotsky appelle le « thermidor
soviétique », à condition, bien entendu, d’admettre qu’il y a bien eu un tel
thermidor. Remarquons déjà que Trotsky donne quatre estimations différentes de
l’époque où ce thermidor a eu lieu. Dans sa biographie de Staline, il élude
cette question. Il se borne simplement à constater que le thermidor soviétique
est lié à la « croissance des privilèges de la bureaucratie
». Mais voilà : cette
constatation nous ramène à des périodes de la dictature bolchevique antérieures
au stalinisme, celles où justement Lénine et Trotsky, l’un comme l’autre, se
sont trouvés jouer un rôle dans la création de la bureaucratie d’Etat,
augmentant les privilèges de celle-ci dans le but de faire croître son
efficacité.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h1">La lutte pour le pouvoir</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Lorsqu’on examine ce qui s’est passé en réalité, c’est-à-dire la
lutte acharnée pour le pouvoir qui ne s’est manifestée au grand jour qu’après la
mort de Lénine, on en vient à soupçonner tout autre chose qu’un thermidor
soviétique. Car il apparaît clairement qu’à cette époque l’Etat bolchevique
était déjà suffisamment fort, ou à tout le moins se trouvait dans une situation
telle qu’il pouvait, jusqu’à un certain point ne pas tenir compte des exigences
des masses russes ni de celles de la bourgeoisie internationale. La bureaucratie
montante commençait à se sentir suffisamment maîtresse de la Russie : la lutte
pour les « Rosines » (3)<a href="https://www.marxists.org/francais/mattick/works/1947/02/mattick_19470207.htm#n3" name="fn3" target="_self"></a> de la Révolution entrait dans sa phase la plus générale
et la plus aiguë.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Tous ceux qui participaient à cette lutte ne manquaient jamais de
rappeler avec insistance qu’il fallait bien recourir à la dictature pour faire
face aux contradictions non résolues entre « ouvriers » et « paysans
», aux
problèmes posés par l’arriération économique du pays, et au danger, sans cesse
renouvelé, d’une attaque venue de l’extérieur. Et, pour justifier la dictature,
on eut recours à toutes sortes d’arguments.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La lutte pour le pouvoir qui se déroulait au sein de la classe
dominante se traduisit ainsi en programmes politiques : pour ou contre les
intérêts des paysans, pour ou contre l’affaiblissement des conseils
d’entreprise, pour ou contre une offensive politique sur la scène
internationale. On échaffauda des théories pompeuses pour se concilier la
bienveillance de la paysannerie, pour traiter des rapports entre bureaucratie et
révolution, de la question du Parti, etc. Le summum fut atteint lors de la
controverse Trotsky - Staline sur la « révolution permanente » et sur la théorie
du « socialisme dans un seul pays ».</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Il est parfaitement possible que tous ces adversaires aient cru
en ce qu’ils disaient; mais - en dépit de leurs belles divergences théoriques -
ils se comportaient tous de la même manière dès qu’ils se trouvaient face à une
même situation pratique. Bien entendu, selon les besoins de leur cause, ils
présentaient les mêmes faits sous des jours tout différents. Ainsi
apprenons-nous que lorsque Trotsky courait sur le front - sur tous les fronts -
c’était pour défendre la patrie, et rien d’autre. Au contraire, Staline fut
envoyé sur le front parce que « là, pour la première fois, il pouvait travailler
avec la machinerie administrative la plus accomplie, la machinerie militaire » -
machinerie dont, soit dit en passant, Trotsky s’attribue tout le mérite. De même
lorsque Trotsky plaide pour la discipline, il montre sa « main de fer », lorsque
Staline fait de même, il ne montre que sa brutalité. L’écrasement dans le sang
de la rébellion de Cronstadt nous est présenté comme une « tragique nécessité
»,
mais l’anéantissement du mouvement d’indépendance géorgien par Staline comme la
« russification forcée qui s’abat sur un peuple, sans égard pour ses droits de
nation ». Inversement : les partisans de Staline dénoncent les propositions de
Trotsky comme erronées et contre-révolutionnaires, mais lorsque les mêmes
propositions sont avancées sous le couvert de Staline, ils y voient autant de
preuves de la sagesse du grand chef.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Pour comprendre le bolchevisme, et plus particulièrement le
stalinisme, il ne sert à rien de suivre et de prolonger la controverse,
superficielle et le plus souvent stupide, à laquelle se livrent staliniens et
trotskistes. Il est fondamental de voir que la révolution russe, ce n’est pas le
seul parti bolchevique. Tout d’abord, elle n’a même pas éclaté à l’initiative de
groupes politiques organisés. Bien au contraire. Elle a été le résultat des
réactions spontanées des masses face à l’écroulement d’un système économique
déjà fortement ébranlé par la défaite militaire. L’insurrection de février
commença par des révoltes de la faim qui éclatèrent sur les marchés, par des
grèves de protestation dans les usines et par des proclamations de solidarité
avec les émeutiers que lancèrent les soldats. Cependant, dans l’histoire
moderne, tous les mouvements spontanés s’accompagnent de l’entrée en scène de
forces organisées. Dès que le tsarisme fut menacé de mort, les organisations
envahirent le théâtre des opérations avec leurs mots d’ordre, mettant en avant
leurs buts politiques propres.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Avant la révolution, Lénine avait fait remarquer que
l’organisation est plus forte que la spontanéité. Mais en insistant fortement
sur ce fait, il ne faisait que refléter le caractère arriéré de la Russie, dont
les mouvements spontanés ne pouvaient qu’avoir le même caractère. Les groupes
politiques les plus avancés eux-mêmes ne proposaient que des programmes limités.
Les travailleurs de l’industrie visaient la mise en place de réformes
capitalistes comme celles dont jouissaient les travailleurs des pays
capitalistes développés. La petite bourgeoisie et les couches supérieures de la
classe capitaliste souhaitaient l’installation d’une démocratie bourgeoise à
l’occidentale. Les paysans voulaient les terres, mais au sein d’une agriculture
capitaliste. Sans doute ces exigences étaient-elles progressistes pour la
Russie, mais elles constituent l’essence de la révolution bourgeoise.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Le nouveau gouvernement libéral, issu de la révolution de février
17, voulut continuer la guerre. Mais ce furent justement contre les conditions
imposées par celle-ci que se révoltèrent les masses. Toutes les promesses de
réformes à l’intérieur du cadre défini de la Russie de cette époque, et avec le
maintien des relations de puissance impérialistes, devinrent autant de mots
creux. Il était absolument impossible de canaliser les mouvements spontanés dans
la direction souhaitée par le gouvernement. A la suite d’un nouveau soulèvement,
les bolcheviks prirent le pouvoir. Il ne s’agissait pas en fait d’une
« seconde
révolution », mais d’un simple changement de gouvernement, effectué par la force.
Cette prise de pouvoir par les bolcheviks fut d’autant plus facile que les
masses en effervescence ne portaient aucun intérêt au gouvernement existant.
Comme le dit Lénine, le <i>coup</i> d’Etat d’Octobre fut « plus facile à réaliser que de
soulever une plume ». La victoire définitive fut « pratiquement remportée par
forfait... Pas un seul régiment ne se présenta pour défendre la démocratie
russe... La lutte pour le pouvoir suprême, dans un empire couvrant un sixième de
la planète, s’est déroulée entre des forces étonnamment faibles, d’un côté comme
de l’autre, que ce soit en province ou dans les deux capitales. »</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les bolcheviks ne cherchèrent pas à rétablir l’ancienne situation
pour, ensuite, procéder à des réformes. Ils se déclarèrent en faveur de ce
qu’avaient <i>concrètement mis en place</i> les mouvements spontanés, censés être
arriérés. Ils se prononcèrent pour la fin de la guerre, le contrôle ouvrier dans
l’industrie, l’expropriation de la classe dominante, le partage des terres.
Grâce à cela, ils purent rester au pouvoir.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les revendications des masses russes d’avant la révolution
étaient dépassées. Et cela pour deux raisons : d’une part, les revendications de
ce type étaient satisfaites depuis longtemps dans la plupart des pays
capitalistes et d’autre part, elles ne pouvaient plus l’être dans les conditions
qui régnaient alors dans le monde. A une époque où le processus de concentration
et de centralisation avait mené presque partout à l’écroulement de la démocratie
bourgeoise, il n’était guère possible d’instaurer celle-ci en Russie. Quand il
ne saurait plus être question de démocratie du laissez-faire, comment pourraient
se mettre en place des réformes des relations capital - travail que l’on associe
ordinairement à la législation sociale et au syndicalisme ? De même,
l’agriculture capitaliste, au-delà de l’écroulement des anciennes bases féodales
et de son entrée dans la production pour le marché capitaliste, s’est lancée
dans l’industrialisation de l’agriculture avec comme conséquence son insertion
dans le processus de concentration du capital.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h2">Les bolcheviks et la spontanéité des masses</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les bolcheviks n’ont jamais prétendu qu’ils étaient, à eux tous
seuls, responsables de la révolution russe. Ils prennent parfaitement en compte
l’existence de mouvements spontanés. Tout naturellement ils mettent l’accent sur
le fait évident que l’histoire passée de la Russie - pendant laquelle le parti
bolchevique avait joué son rôle - avait permis aux masses inorganisées
d’atteindre à une sorte de conscience révolutionnaire vague. Mais ils
n’hésitèrent pas non plus à prétendre que, sans leur direction, la Révolution
aurait suivi un autre cours pour aboutir, selon toute vraisemblance, à la
contre-révolution. « Si les bolcheviks n’avaient pas pris le pouvoir, écrit
Trotsky, le monde aurait connu une version russe de ’fascisme’, cinq ans avant
la marche sur Rome. » Pourtant les tentatives contre-révolutionnaires, lancées
par les forces traditionnelles, ne furent pas brisées par une quelconque
direction consciente du mouvement spontané, ni par l’action de Lénine qui,
« grâce à son œil exercé, se faisait une vue correcte de la situation
» : elles
échouèrent parce qu’il était impossible de détourner le mouvement spontané de
ses buts propres. Si on tient à utiliser le concept de contre révolution, on
peut dire que la seule contre-révolution possible dans la Russie de 17 n’était
rien d’autre que ce qu’offrait la révolution elle-même. Autrement dit, la
révolution offrit aux bolcheviks la possibilité de créer un ordre social
centralisé permettant de maintenir la séparation capitaliste entre ouvriers et
moyens de production et de refaire de la Russie une puissance impérialiste.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Pendant la révolution, les intérêts des masses révoltées et des
bolcheviks coïncidèrent à un point vraiment remarquable. De plus, outre cette
identité temporaire d’intérêts, il y avait une profonde correspondance entre la
conception bolchevique du socialisme et les <i>conséquences</i> du mouvement spontané.
Trop « rétrograde » du point de vue du socialisme, mais trop « avancée
» du point de
vue du capitalisme libéral, la révolution ne pouvait qu’aboutir à cette forme
logique de capitalisme dont les bolcheviks faisaient la condition préalable à
l’instauration du socialisme : le capitalisme d’Etat.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
En s’identifiant au mouvement spontané qu’ils ne pouvaient
contrôler, les bolcheviks se trouvèrent en position de le dominer dès qu’il se
fut épuisé à la poursuite de ses buts immédiats. Et il y avait beaucoup de buts,
pouvant être atteints de manières diverses dans les divers domaines. Les
différentes couches de la paysannerie avaient à satisfaire des besoins
différents, visaient des buts différents, qu’elles atteignirent ou
n’atteignirent pas. Leurs intérêts, toutefois, n’avaient aucun lien véritable
avec ceux du prolétariat. La classe ouvrière elle-même se divisait en de
nombreux groupes, présentait tout un éventail de besoins spécifiques et de
conceptions générales. La petite bourgeoisie avait d’autres problèmes. Bref, si
spontanément l’union se fit contre les conditions imposées par le tsarisme et la
guerre, il n’y avait aucune unité réelle, pas plus dans les buts immédiats que
dans la politique à long terme. Les bolcheviks n’eurent aucune difficulté à
profiter de ces séparations sociales pour mettre en place leur propre pouvoir,
le consolider et le faire devenir plus fort que toutes les forces sociales parce
qu’ils n’eurent jamais à faire face à la société dans son ensemble.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
De même que tous les autres groupes qui jouèrent un rôle dans la
révolution, les bolcheviks allèrent de l’avant, poursuivant leur but propre
:
tenir le gouvernement. C’était un but à plus longue portée que ceux que visaient
les autres groupes. il sous-entendait une lutte incessante; la conquête, la
perte, la reconquête de positions de force. Les couches paysannes se calmèrent
après le partage des terres. Les ouvriers réintégrèrent les usines en tant que
salariés. Les soldats retournèrent à la vie civile, reprenant leur ancienne
condition de paysans ou d’ouvriers : il ne leur était plus possible de continuer
à errer à travers le pays. Pour les bolcheviks, commença alors réellement le
combat, avec la victoire de la Révolution. Comme tout gouvernement, celui des
bolcheviks impliquait soumission à son autorité de toutes les couches sociales.
Concentrant lentement dans leurs mains tout le pouvoir, centralisant tous les
organes de contrôle, les bolcheviks finirent bientôt par être capables de
déterminer la politique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Derechef la Russie se trouvait complètement organisée
conformément aux intérêts d’une classe bien déterminée
: la classe privilégiée du
système capitalisme d’Etat naissant.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h3">La machinerie du parti</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Tout cela n’a rien à voir, ni avec le stalinisme ni avec un
quelconque « thermidor ». Il n’est question que de la politique menée par Lénine
et Trotsky depuis le moment où ils prirent le pouvoir. Dans un rapport au VIe
congrès des soviets (1918), on put entendre Trotsky se plaindre : « tous les
ouvriers soviétiques n’ont pas compris que notre gouvernement est un
gouvernement centralisé et que toutes les décisions prises doivent être sans
appel... Nous serons sans pitié contre les ouvriers soviétiques qui n’auraient
pas encore compris; nous les mettrons à pied, nous les éliminerons de nos rangs
et nous leur ferons sentir le poids de la répression ». Trotsky nous explique
aujourd’hui que ces mots visaient Staline, car celui-ci ne menait pas à bien la
coordination de ses activités dans la poursuite de la guerre. Nous voulons bien
le croire; mais comme ces mots pouvaient encore mieux s’appliquer à tous ceux
qui n’avaient jamais appartenu à la « deuxième élite
», ou qui plus généralement n’avaient aucun rang dans la hiérarchie soviétique!
Comme le remarque Trotsky, il y avait déjà « une séparation profonde entre les
classes en mouvement et les intérêts de l’appareil du Parti. Même les cadres du
parti bolchevique qui se réjouissaient d’avoir à remplir en toute priorité une
tâche révolutionnaire exceptionnelle, étaient finalement assez enclins à
mépriser les masses et à identifier leurs intérêts particuliers à ceux de
l’Appareil, et cela dès le jour du renversement de la monarchie. »</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Trotsky se dépêche d’ajouter que les dangers qu’aurait pu
entraîner cette situation, étaient contrebalancés par la vigilance de Lénine et
par les conditions objectives qui faisaient que « les masses étaient plus
révolutionnaires que le Parti et le Parti plus révolutionnaire <i>que</i> l’Appareil
».
Et pourtant l’Appareil était dirigé par Lénine! Avant la Révolution déjà, le
Comité Central du Parti, et Trotsky nous l’explique dans les moindres détails,
fonctionnait de manière quasi réglée et était entièrement entre les mains de
Lénine. Après la Révolution, cet état de fait ne fit que se renforcer. Au
printemps de 1918, « l’idéal du centralisme démocratique subit de nouvelles
révisions, en ce sens que, dans les faits, le pouvoir dans le gouvernement et
dans le Parti se trouva concentré entre les mains de Lénine et de ses
collaborateurs directs. Ces derniers soutenaient rarement un avis opposé à celui
du leader bolchevique et exécutaient en fait tous ses désirs. » Comme la
bureaucratie a fait des progrès par la suite, l’Appareil stalinien doit être le
fruit d’une défaillance remontant au temps de Lénine. Pour pouvoir faire une
différence entre le maître de l’Appareil et cet Appareil, comme il en fait une
entre l’Appareil et les masses, Trotsky doit sous-entendre que seules les masses
et leur leader le plus avancé étaient réellement révolutionnaires, et que Lénine
et les masses révolutionnaires furent trahis par l’appareil stalinien qui, pour
ainsi dire, s’est fait lui-même. Trotsky a sans doute besoin de faire cette
différence pour justifier ses propres choix politiques, mais elle n’en a pas
pour autant un fondement réel. Car à l’exception de quelques remarques faites ci
et là sur le danger de la bureaucratisation - équivalent, chez les bolcheviks,
de ces croisades que lancent de temps à autre les politiciens bourgeois en
faveur d’un budget équilibré - Lénine, jusqu’à sa mort, n’a jamais véritablement
critiqué l’appareil du Parti et sa direction, autrement dit, il ne s’est jamais
critiqué lui-même. Quelle qu’ait été la politique menée, elle a toujours reçu la
bénédiction de Lénine, aussi longtemps que celui-ci resta à la tête de
l’Appareil, et il est bon de se souvenir qu’il mourut, toujours à la tête du
Parti.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Les aspirations « démocratiques » de Lénine ne sont que légende.
Sans doute le capitalisme d’Etat sous Lénine diffère-t-il du capitalisme d’Etat
sous Staline, mais c’est tout simplement parce que le pouvoir dictatorial du
Géorgien était plus important, ce renforcement découlant en droite ligne des
efforts de Lénine pour mettre sur pied sa propre dictature. Que Lénine ait été
moins « terroriste » que Staline, voilà qui est douteux. Comme Staline, il
rangeait toutes ses victimes sous l’étiquette de « contre-révolutionnaires
».
Sans vouloir comparer des statistiques sur le nombre de torturés, d’assassinés
sous les deux régimes, il suffit de faire remarquer que, sous Lénine et Trotsky,
le régime bolchevique n’était pas encore assez fort pour entreprendre des
opérations à la stalinienne, comme la collectivisation forcée et les camps de
travail, base de la direction étatique de l’économie et de la politique. Ce ne
sont ni leurs conceptions ni les buts qu’ils se fixaient, mais bien leur
faiblesse qui contraignirent Lénine et Trotsky à instituer une prétendue
<i>nouvelle politique économique</i> (N.E.P.), c’est-à-dire à faire des concessions
réelles à la propriété privée, tout en faisant des concessions verbales à la
démocratie. La « tolérance » dont firent preuve les bolcheviks vis-à-vis
d’organisations non bolcheviques, comme les social-révolutionnaires (S.R.), dans
les premières années du règne de Lénine, ne provient pas comme le prétend
Trotsky du goût de Lénine pour la démocratie, mais tout simplement de ce que les
bolcheviks se trouvaient alors dans l’incapacité d’anéantir immédiatement toutes
les organisations non bolcheviques. Les traits totalitaires du bolchevisme de
Lénine ne firent que s’accentuer au fur et à mesure que croissaient son contrôle
de l’Etat et son pouvoir politique. Trotsky affirme que ces traits totalitaires
ont été imposés par l’activité « contre-révolutionnaire
» de toutes les
organisations ouvrières non bolcheviques, mais c’est bien difficile d’invoquer
cette activité pour expliquer le maintien et l’aggravation de ces traits après
l’anéantissement de toutes les organisations non-conformistes. De plus, comment
retenir cette cause pour expliquer les succès remportés par Lénine lorsqu’il
renforça encore les principes totalitaires au sein des organisations extérieures
à la Russie, comme l’Internationale Communiste ?</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h4">Trotsky apologiste du stalinisme</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Ne pouvant mettre entièrement sur le dos des organisations non
bolcheviques la responsabilité de la dictature exercée par Lénine, Trotsky fait
appel à un autre argument. « Les théoriciens qui cherchent à prouver que le
système totalitaire, existant présentement en Russie, découle en fait de
l’horrible nature du bolchevisme », oublient les années de guerre civile qui
« ont marqué le gouvernement soviétique de manière indélébile. Beaucoup
d’administrateurs, une couche considérable d’entre eux en tout cas, ont pris
l’habitude de commander et d’exiger une obéissance sans condition à leurs
ordres ». Staline aussi, nous dit-il, « a été marqué par les conditions de cette
guerre civile, et avec lui tout ce groupe qui, plus tard, allait l’aider à
imposer sa dictature personnelle ». Comme de plus la guerre civile était menée
par la bourgeoisie internationale, il en résulte que le côté désagréable du
bolchevisme, sous Lénine comme sous Staline d’ailleurs, a comme raison
principale et fondamentale l’hostilité du capitalisme. Le bolchevisme n’a pu
devenir une monstruosité que parce qu’il devait se défendre
: voilà pourquoi il a dû recourir au meurtre et à la torture.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Il s’ensuit que le bolchevisme de Trotsky, tout en étalant sa
haine de Staline, ne conduit qu’à une laborieuse défense du stalinisme, seule
possibilité qu’il a de se défendre lui-même. Voilà ce qui explique le caractère
superficiel des différences idéologiques entre stalinisme et trotskisme.
L’impossibilité où il se trouve d’attaquer Staline sans s’en prendre du même
coup à Lénine nous fait comprendre dans quelles énormes difficultés se débat
Trotsky en tant qu’oppositionnel. Son propre passé, ses propres théories lui
interdisent de faire naître un mouvement qui soit à <i>gauche</i> du stalinisme. Le
« trotskisme » se trouve ainsi condamné à ne rester qu’une simple agence de
rassemblement de bolcheviks malheureux. Sans doute pouvait-il jouer ce rôle, à
l’extérieur de la Russie, vu le combat incessant pour le pouvoir et l’accès aux
leviers de commande dans le prétendu mouvement « communiste » international. Mais
en fait il ne pouvait avoir aucune importance véritable, n’ayant rien d’autre à
offrir que le remplacement d’une élite politique par une autre. La défense de la
Russie par les trotskistes, pendant la deuxième guerre mondiale, n’est
visiblement que la prolongation de toute la politique menée antérieurement par
ces adversaires, jurés sans doute, mais en même temps les plus loyaux, de
Staline.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La défense du stalinisme à laquelle se livre Trotsky ne se limite
pas à montrer comment la guerre civile a transformé les bolcheviks de serviteurs
en maîtres de la classe ouvrière. Il préfère nous renvoyer surtout à un fait des
plus importants selon lui : « c’est une question de vie ou de mort pour la
bureaucratie de conserver la nationalisation des moyens de production et de la
terre », ce qui, toujours selon lui, revient à dire qu »’en dépit de la
déformation bureaucratique, aussi horrible soit-elle, la base de classe de
l’U.R.S.S. reste prolétarienne ». Nous pouvons pourtant noter qu’à un certain
moment Staline a quelque peu inquiété Trotsky. En 1921, Lénine se tourmentait
:
est-ce que la <i>N.E.P.</i> est seulement un pas « tactique » ou une « évolution
» véritable ? Et Trotsky, sachant que la N.E.P. avait renforcé les tendances au
capitalisme privé, n’a d’abord voulu voir dans le développement de la
bureaucratie stalinienne « rien d’autre qu’un premier pas vers une restauration
bourgeoise ». Mais c’étaient là des craintes sans fondement.
« La lutte contre l’égalité, les tentatives de mise en place de profondes différences sociales
n’ont pu, jusqu’à ce jour, éliminer la conscience socialiste des masses, ni
faire disparaître la nationalisation des moyens de production et de la terre,
ces conquêtes sociales fondamentales de la révolution. » Staline n’a évidemment
rien à voir avec tout cela, car le thermidor russe aurait, sans aucun doute,
ouvert la voie à une nouvelle ère de domination à la bourgeoisie, si cette
domination ne s’était pas déjà montrée dépassée dans le monde entier.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h5">Le résultat : le capitalisme d’Etat</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Avec cette dernière remarque de Trotsky nous touchons enfin au
fondement même de ce que nous discutons ici. Nous avons déjà dit plus haut que
le résultat <i>concret</i> de la révolution de 1917 n’avait été ni socialiste ni
bourgeois, mais capitaliste d’Etat. Selon Trotsky, Staline aurait voulu détruire
la nature capitaliste d’Etat de la société russe pour y substituer une économie
bourgeoise. Telle serait la signification du thermidor russe. Le déclin de
l’ordre économique bourgeois dans le monde entier, seul, empêcha et empêche
Staline de réaliser cet objectif. Tout ce qu’il put faire, ce fut d’imposer la
dictature haïssable de sa personne à la société construite par Lénine et
Trotsky. En ce sens, c’est le trotskisme qui a vaincu le stalinisme, même si
Staline règne toujours au Kremlin!!</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Toute cette argumentation s’appuie sur l’identification entre
capitalisme d’Etat et socialisme. Si certains de ses disciples ont récemment
découvert qu’il est impossible de continuer à défendre cette identification,
Trotsky, lui, n’en a jamais démordu. Car c’est là, en fait, l’alpha et l’oméga
du léninisme et, plus généralement, l’alpha et l’oméga de tout le mouvement
social-démocrate mondial, dont le léninisme n’est que la partie la plus
réaliste; réaliste s’agissant de la Russie. Ce mouvement entendait et entend
encore par « Etat ouvrier » le règne du Parti, et, par socialisme, la
nationalisation des moyens de production. Or, au fur et à mesure que le contrôle
politique du gouvernement venait s’ajouter au contrôle de l’économie, on vit se
dessiner clairement la domination totalitaire sur la société dans son ensemble.
Le gouvernement assurait sa domination totalitaire par l’intermédiaire du Parti,
qui restaurait la hiérarchie sociale, étant lui-même une institution
hiérarchique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Cette conception du « socialisme » commence maintenant à être
déconsidérée, mais seulement en prenant comme point de départ l’expérience russe
et - à un moindre degré celle d’autres pays. Avant 1914, on entendait par prise
du pouvoir - pacifique ou par la force - la prise en main de la machine
gouvernementale. On remplaçait un groupe d’administrateurs et de législateurs
par un autre. Si on se place du point de vue économique, il s’agissait de
supprimer l’ »anarchie » du marché capitaliste en lui substituant une production
planifiée sous le contrôle de l’Etat. Et, comme, par définition, l’Etat
socialiste était un état « juste », contrôlé par les masses au cours d’un
processus démocratique, il allait de soi qu’il ne pourrait y avoir aucune
circonstance où les décisions de cet Etat puissent être en contradiction avec
l’idéal socialiste. Telle fut la théorie qui suffit pour organiser des fractions
de la classe ouvrière en partis plus ou moins puissants.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
La théorie du socialisme que nous venons d’exposer naissait de
l’exigence d’une planification économique centralisée dans l’intérêt de tous
ceux qui se trouvent en bas de l’échelle. Le processus de centralisation qui se
développait avec l’accumulation du capital était par conséquent considéré comme
une tendance <i>socialiste</i>. L’influence croissante du « travail
» (labor) dans l’appareil d’Etat était saluée comme un pas en direction du socialisme. Mais en
réalité, le processus de centralisation se montrait tout autre chose qu’une
auto-transformation en propriété sociale. Il n’était que le processus de
dissolution de l’économie du laissez-faire et correspondait à la fin des cycles
économiques traditionnels, régulateurs de l’économie. Avec le début du XXe
siècle le capitalisme change de caractère. Il entre dans des conditions de crise
permanente qui ne peuvent plus trouver leur solution dans l’automatisme des
relations de marché. Réglementations monopolistiques, intervention de l’Etat,
politique économique internationale ont transféré le fardeau de la crise sur les
épaules des pays les moins privilégiés du point de vue capitaliste, au sein de
l’économie mondiale. Toutes les politiques économiques sont devenues des
politiques impérialistes. Par deux fois elles ont atteint leurs sommets en
déclenchant des conflits mondiaux.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Dans une telle situation internationale, reconstruire un système
économique et politique écroulé, c’est essentiellement l’adapter aux conditions
nouvelles. La théorie bolchevique de la socialisation répondait à cette
nécessité de manière remarquable. Pour rétablir la puissance de la nation russe,
il fallait faire de manière radicale ce qui, dans les nations avancées, avait
été le résultat d’un processus évolutif. Il fallait combler le fossé entre
l’économie russe et celle des puissances occidentales. L’idéologie socialiste ne
servait que de paravent. L’origine socialiste du bolchevisme rendait celui-ci
tout à fait adapté à l’instauration du capitalisme d’Etat en Russie
: ce sont les mêmes principes organisationnels qui avaient fait du Parti une organisation bien
huilée, qui ont été utilisés avec succès pour faire régner l’ordre dans le pays.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Il va de soi que les bolcheviks étaient convaincus d’édifier en
Russie, sinon le socialisme, du moins ce qui s’en rapprochait le plus puisqu’ils
menaient à son terme un processus qui, dans les nations occidentales, n’était
qu’une <i>tendance</i> principale du développement. N’avaient-ils pas aboli l’économie
de marché, dépossédé la bourgeoisie, mis la main sur le gouvernement
? Pour les
ouvriers russes, toutefois, rien n’était changé : ils ne voyaient qu’un nouveau
groupe de patrons, de politiciens, d’idéologues qui régnaient sur eux. Leur
situation se mit à ressembler à celle des travailleurs des pays capitalistes en
temps de guerre. Le capitalisme d’Etat est une économie de guerre et,
d’ailleurs, tous les systèmes économiques hors de Russie se transformèrent aussi
en économies de guerre, en autant de capitalismes d’Etat adaptés aux nécessités
impérialistes du capitalisme moderne. Les autres nations n’imitèrent pas toutes
les innovations du capitalisme d’Etat russe, elles ne retinrent que celles qui
correspondaient le mieux à leurs propres besoins. La deuxième guerre mondiale
eut comme résultat un développement nouveau du capitalisme d’Etat à l’échelle
planétaire. Les particularités des diverses nations, leurs situations
spécifiques sur l’échiquier mondial sont à l’origine de la grande variété de
processus de développement du capitalisme d’Etat.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
En s’appuyant sur ce fait bien réel que le capitalisme d’Etat et
le fascisme ne se sont développés et ne se développent nulle part de la même
manière, Trotsky affirme que les différences entre bolchevisme, fascisme et
capitalisme sont faciles à voir. Mais il ne s’agit là que d’accentuations
arbitraires de différences superficielles dans le développement social, avancées
pour les besoins de la cause. Dans tous les aspects fondamentaux, les trois
systèmes sont identiques et ne représentent que des étapes différentes d’un même
développement : chercher à renforcer par la manipulation de la masse de la
population, grâce à un gouvernement dictatorial plus ou moins autoritaire, le
règne des couches privilégiées que ce gouvernement protège, et rendre ce dernier
capable de jouer sa partie dans le concert de l’économie internationale, par la
préparation de la guerre, par la conduite de celle-ci, par l’utilisation des
profits qui en résultent.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
Trotsky ne pouvait pas se permettre de voir dans le bolchevisme
un simple avatar de la tendance mondiale vers une économie fascisante. En 1940,
il défendait toujours l’opinion que le bolchevisme avait, en 1917, évité la
venue du fascisme en Russie. Il devrait pourtant, de nos jours, être tout à fait
clair - et en fait cela aurait dû l’être depuis longtemps - que tout ce que
Lénine et Trotsky ont réussi à empêcher, c’est d’utiliser une idéologie non
marxiste pour masquer une reconstruction fasciste de la Russie. En ne servant
que les buts du capitalisme d’Etat, l’idéologie marxiste du bolchevisme s’est
tout autant discréditée. Pour tout point de vue qui veut dépasser le système
capitaliste d’exploitation, trotskisme et stalinisme ne sont que des reliques du
passé.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.fr/search/label/Paul%20Mattick" target="_blank">Paul Mattick</a></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
(1) <i>Stalin. An appraisal
of the man and his influence</i>. Edité et traduit du russe par Charles Malsmuth.
Trotsky a écrit et révisé lui-même les 7 premiers chapitres, c'est-à-dire la
majeure partie du livre. Malsmuth a édité les 4 derniers chapitres (notes,
extraits, documents, etc.)</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
(2) Voir par exemple L.
Trotsky « Dictatorship vs. Democracy », New York, 1922; en particulier de la
page 136 à la page 150.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
(3) Allusion à l’héroïne de la pièce de Beaumarchais,
« Le Barbier de Séville » que le Comte Almaviva s’efforce de conquérir par tous les moyens. (N.d.T.)</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-955728365851595282018-02-28T06:35:00.000-08:002018-02-28T06:35:43.620-08:00La théorie générale du droit et le marxisme<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiZ8OEnr7h21neJUlzE4QIqRmAFAStOM3fxD9cFFYuVkV4g3_o1L7EyORPyVg0yL_nobWUupizvCGs27EmP0yYB6-5G1b-7dZ_YVFwOLY4F5xef6R5-5Pr0ApQQXl-zWIFIP01dbOPM6tJ8/s1600/la-thc3a9orie-gc3a9nc3a9rale-du-droit-et-le-marxism-couv_preview.jpeg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="327" data-original-width="215" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiZ8OEnr7h21neJUlzE4QIqRmAFAStOM3fxD9cFFYuVkV4g3_o1L7EyORPyVg0yL_nobWUupizvCGs27EmP0yYB6-5G1b-7dZ_YVFwOLY4F5xef6R5-5Pr0ApQQXl-zWIFIP01dbOPM6tJ8/s320/la-thc3a9orie-gc3a9nc3a9rale-du-droit-et-le-marxism-couv_preview.jpeg" width="210" /></a></div>
<div style="text-align: right;">
Evgeny Pashukanis - La théorie générale du droit et le marxisme</div>
<br />
<div style="text-align: right;">
<b><span style="color: black;">Préface : Karl Korsch</span></b></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;">Traduction et présentation actualisée <em>de Jean-Marie Brohm</em></span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;">Collection<em> Réverbération</em></span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;"> ISBN<strong> : <em>9791096441068</em>. </strong>Prix :<strong> <em>10 euros</em>.</strong></span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;">220 pages.</span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;"><strong>A paraître le 25 Mai 2018.</strong></span></div>
<div style="text-align: right;">
<span style="color: black;"><em>EDI / Éditions de l’Atelier.</em></span></div>
<div align="justify" style="text-align: justify;">
<span style="color: black;"> </span><span style="font-size: medium;"><span style="color: black;"><span style="font-family: Nimbus Roman No9 L, serif;"><span lang="zxx">Le
droit, qui enserre toujours plus chaque moment de nos vies et qu’on
érige en « ultima ratio » et dernier recours de toutes les luttes
sociales, est étrangement rarement critiqué en tant que tel. Dans ce
classique du marxisme, considéré jusqu’à aujourd’hui comme la seule
véritable critique du droit générée par ce courant de pensée, le
théoricien russe, </span></span></span><span style="color: black;"><span style="font-family: Nimbus Roman No9 L, serif;"><span lang="zxx">et
future victime des purges staliniennes, Evgeny Pashukanis traite les
institutions et l’idéologie juridiques comme des phénomènes historiques
et, plus généralement, le droit comme un rapport social propre au
capitalisme. À rebours des illusions habituelles concernant son
intemporalité et sa neutralité, </span></span></span><span style="color: black;"><span style="font-family: Nimbus Roman No9 L, serif;"><span lang="zxx"><i>La théorie générale du Droit et le marxisme</i></span></span></span><span style="color: black;"><span style="font-family: Nimbus Roman No9 L, serif;"><span lang="zxx"> rappelle que le droit est avant tout un rouage majeur de l’exploitation de l’homme par l’homme.</span></span></span></span></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-41077432882193366722017-11-19T08:33:00.001-08:002017-11-19T08:33:20.685-08:00Thèses sur le bolchevisme<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEihR7_zUVfglZv-8X6wG_gYlcrgRTCSalxnYc7UrIlyBcnQdROQCW9nUJDNBYK_w69nnEZs_83dDO-hCwYWp1BQ60tvr7RvfhYK_6k7Vgyy5o3M82YsncsqFlazw_YYGFpsaTdqmCV0o3Kf/s1600/ussr_metal_1974.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="612" data-original-width="1218" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEihR7_zUVfglZv-8X6wG_gYlcrgRTCSalxnYc7UrIlyBcnQdROQCW9nUJDNBYK_w69nnEZs_83dDO-hCwYWp1BQ60tvr7RvfhYK_6k7Vgyy5o3M82YsncsqFlazw_YYGFpsaTdqmCV0o3Kf/s400/ussr_metal_1974.jpg" width="400" /></a></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h1">I. LA SIGNIFICATION DU BOLCHEVISME</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t1">1.</a> Le bolchevisme s’est créé un champ dos de pratique sociale
dans l’économie et dans l’Etat soviétiques. Il a fait de la III<sup>e</sup>
Internationale un instrument apte a diriger et influencer le mouvement des
travailleurs à une échelle internationale. Il a élaboré dans le "léninisme" ses
directives en matière de principes et de stratégie. Il reste à savoir si Ia
théorie bolchevique exprime, comme I’a dit Staline, Ie marxisme à l’heure de l’impérialisme et si, dans ce cas, elle représente I’axe du mouvement
révolutionnaire prolétarien international.</div>
<a name='more'></a><br />
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t2">2.</a> Le bolchevisme s’est acquis une réputation internationale au
sein du mouvement ouvrier, d’une part par son opposition révolutionnaire
systématique à la guerre mondiale de 1914-1918, d’autre part par la révolution
russe de 1917. Son importance historique mondiale vient de ce que, sous la
direction conséquente de Lénine, il a reconnu les problèmes de la révolution
russe et a su forger, dans le même moment, à l’intérieur du parti bolchevique,
l’instrument par lequel ces problèmes pouvaient être résolus en pratique. Cette
adaptation du bolchevisme aux problèmes soulevés par la révolution russe fut la
conséquence de vingt années d’un développement continu et patient, ainsi que
d’une profonde connaissance des rapports entre les classes.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t3">3.</a> Pour savoir si cette parfaite maîtrise dont a fait preuve le
bolchevisme lui donne droit à la direction théorique, tactique et
organisationnelle de la révolution internationale prolétarienne, il est
nécessaire d’examiner, d’une part, les bases et les prémisses sociales de la
révolution russe, et, d’autre part, les problèmes de la révolution prolétarienne
dans les grandes nations capitalistes.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h2">II. LES PRÉMISSES DE LA RÉVOLUTION RUSSE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t4">4.</a> La société russe a été fortement conditionnée par sa situation
entre l’Europe et l’Asie. Tandis que la force économique plus progressive de
l’Europe occidentale et sa position internationale plus puissante détruisaient,
en Russie, avant la fin du Moyen Age, les premiers balbutiements d’un
développement commercial de type capitaliste, la supériorité politique du
despotisme oriental allait jeter les bases de l’organisation étatique
absolutiste de l’Empire russe. Ainsi, la Russie occupait, non seulement par sa
situation géographique, mais aussi du point de vue économique et politique, une
position intermédiaire entre les deux continents, dont elle a combiné les
différent systèmes sociaux et politiques de façon très personnelle.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t5">5.</a> Cette position ambiguë qu’occupait la Russie dans le
monde a influencé de manière décisive, non seulement son lointain passé, mais
aussi les problèmes de sa révolution dans les deux premières décades du siècle.
A l’époque de la montée de l’impérialisme, le système capitaliste a créé deux
centres qui s’opposaient mutuellement tout en s’entrelaçant étroitement : le
centre capitaliste hautement développé de la marche en avant de l’impérialisme
actif dans les zones fortement industrialisées de l’Europe occidentale et de
l’Amérique du Nord, et le centre colonial du pillage impérialiste passif dans
les régions agricoles de l’Asie orientale. De ces deux centres simultanément
s’est élevée une opposition de classe au système impérialiste : la révolution
prolétarienne internationale, d’une part, qui s’organise autour des nations
capitalistes fortement développées de l’Europe et de l’Amérique du Nord,
et la révolution agraire nationale, d’autre part, née dans les nations agricoles
de l’Asie orientale. La Russie, qui se trouvait sur la ligne de démarcation des
sphères d’influence de ces deux centres impérialistes, a vu se combiner ces deux
tendances révolutionnaires sur son territoire.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
6<i>.</i> L’économie russe était un mélange de production
agricole de type archaïque, caractéristique des pays asiatiques, et d’économie
industrielle moderne, caractéristique de l’Europe. Le servage, sous diverses
formes, survivait en pratique pour l’immense majorité de la paysannerie russe,
et entravait le développement d’une agriculture de type capitaliste qui
commençait à peine à s’ébaucher. Ces nouvelles méthodes allaient simplement
entraîner la dislocation du village russe[1], et faire naître une situation
d’indigence indescriptible, tandis que le paysan restait enchaîné à une terre
qui ne pouvait désormais plus le nourrir.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
L’agriculture russe qui impliquait les quatre cinquièmes de la
population russe et représentait plus de la moitié de la production totale du
pays, était jusqu’en 1917 une économie féodale parsemée d’éléments de
capitalisme. L’industrie russe fut greffée sur le pays par le régime tsariste,
désireux de se rendre indépendant de l’étranger, en particulier pour
l’équipement militaire. Toutefois, comme la Russie ne possédait ni les bases
d’un système artisanal bien développé, ni les rudiments nécessaires à la
création d’une classe de "travailleurs libres"<i>,</i> ce capitalisme d’Etat,
bien que fondé sur la production en série, ne donna pas naissance à une classe
ouvrière salariée. Ce système de servage capitaliste devait laisser, jusqu’en
1917, des traces indélébiles de sa particularité, par exemple dans le mode de
paiement des salaires, le logement des ouvriers, la législation sociale, etc.
Les travailleurs russes étaient par conséquent, non seulement en retard dans
leurs techniques, mais aussi, pour une large part, illettrés et attachés,
directement ou indirectement, au village. Dans de nombreuses branches de
l’industrie, la main-d’oeuvre se composait essentiellement d’ouvriers paysans
saisonniers qui n’avaient pas de contact permanent avec la ville. Jusqu’en 1917,
l’industrie russe représentait un système de production capitaliste mêlé à des
éléments féodaux. L’agriculture de type féodal et l’industrie capitaliste
s’imprégnaient ainsi mutuellement de leurs éléments essentiels et se combinaient
en un système qui ne pouvait ni être gouverné d’après les principes d’économie
féodale, ni se développer dans la voie du capitalisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t7">7.</a> La tâche économique de la révolution russe était, tout
d’abord, de démasquer le féodalisme agraire et de mettre fin à l’exploitation
des paysans par le système du servage, tout en industrialisant l’agriculture, en
la haussant au niveau d’une production moderne de marchandises; et en deuxième
lieu, de rendre possible la création autonome d’une classe de véritables "
travailleurs libres "<i>,</i> en débarrassant le développement industriel de
tout vestige féodal — en d’autres termes, il s’agissait pour le bolchevisme
d’accomplir les tâches de la révolution bourgeoise.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t8">8.</a> C’est sur ces bases que se dressait l’absolutisme de l’État
tsariste. L’existence d’un tel Etat dépendait de l’équilibre entre les deux
classes possédantes, aucune de ces deux classes ne pouvant arriver à dominer
l’autre. Si le capitalisme représentait la charpente économique de l‘État
tsariste, la noblesse féodale en était l’assise politique "constitution<i>",</i>
"droit de vote"<i>,</i> système d’"autonomie étatique"<i>,</i> autant de termes
qui ne pouvaient cacher l’impuissance politique des classes de l’Etat tsariste.
Etant donné le retard économique du pays, cela produisit une méthode de
gouvernement à mi-chemin entre l’absolutisme européen et le despotisme oriental.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t9">9.</a> Sur le plan politique, la révolution russe devait procéder aux
tâches suivantes : destruction de l’absolutisme, abolition de la noblesse
féodale en tant que premier ordre, et création d’une constitution politique et
d’un appareil administratif, garants politiques de l’exécution de l’oeuvre
économique de la révolution. Ainsi, les objectifs politiques de la révolution
russe s’accordaient à ses prémisses économiques... les objectifs de la
révolution bourgeoise.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h3">III. LES CLASSES DANS LA RÉVOLUTION RUSSE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t10">10.</a> En raison de ce mélange social particulier d’éléments féodaux
et capitalistes, la révolution russe se heurtait aussi à d’autres problèmes
ardus. En essence, elle différait aussi fondamentalement de la révolution
bourgeoise de type classique que la structure sociale de l’absolutisme russe du
début du siècle différait, disons, de celle de l’absolutisme français du XVII<sup>e</sup>
siècle.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t11">11.</a> Cette différence, qui correspondait à la dualité de la
structure économique, a trouvé sa plus claire expression politique dans
l’attitude des diverses classes de la société russe envers le tsarisme et envers
la révolution. Si, en principe, toutes ces classes étaient unies par leurs
intérêts économiques dans leur opposition au tsarisme, dans la pratique elles ne
se battaient pas avec la même intensité ni dans les mêmes buts.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t12">12.</a> La noblesse féodale luttait avant tout pour étendre son
influence sur l’Etat absolutiste, qu’elle souhaitait maintenir intact, afin de
conserver ses privilèges.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t13">13.</a> La bourgeoisie, faible dans ses effectifs, dépendante
politiquement et directement attachée au tsarisme par des subventions étatiques,
devait connaître de nombreux changements d’orientation politique. Le mouvement
des Décembristes de 1825 a été sa seule action révolutionnaire contre l’Etat
absolutiste. Dans les années 1870 et 1880, elle a soutenu passivement le
mouvement terroriste révolutionnaire des narodniki [2], espérant ainsi accroître
les pressions contre le tsarisme. Dans le même but, elle a tenté d’utiliser les
mouvements de grève révolutionnaires, jusqu’aux luttes d’octobre 1905 il
n’était désormais plus question, pour la bourgeoisie, de renverser le tsarisme,
mais simplement de le réformer. Pendant la période parlementaire, de 1906 au
printemps de 1917, elle est entrée dans sa phase de coopération avec le
tsarisme. Et finalement, fuyant les conséquences des luttes révolutionnaires des
masses prolétariennes et paysannes, elle s’est rendue sans conditions à la
réaction tsariste, lors du putsch de Kornilov [3], qui avait pour but de
rétablir le tsar dans ses anciens pouvoirs. La bourgeoisie russe était devenue
contre-révolutionnaire bien avant même d’avoir accompli sa propre révolution.
Révolution bourgeoise, la révolution russe s’est faite, non seulement sans la
bourgeoisie, mais directement contre elle, ce qui a eu des répercussions
fondamentales sur l’ensemble de sa politique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t14">14.</a> Quant à la paysannerie, qui constituait l’écrasante majorité
de la population russe, elle allait jouer un rôle déterminant, bien que passif,
dans la révolution russe. Alors que la paysannerie possédante — la moyenne et la
grande — aux effectifs limités, se situait politiquement du côté du libéralisme
petit-bourgeois, la grande masse des petits paysans affamés et asservis se sont
vus contraints, pour survivre, à procéder à de violentes expropriations des
grands domaines. Incapables de poursuivre une politique de classe qui leur soit
propre, les paysans russes ont dû se mettre sous la direction d’autres classes.
A l’exception de quelques révoltes isolées, ils représentaient, jusqu’en février
1917, le pilier du tsarisme. Ces masses inertes et arriérées ont été
responsables de l’échec de la révolution de 1905. Pourtant, en 1917, les
paysans ont joué un rôle décisif dans la chute du tsarisme organisés par
celui-ci en grandes unités dans l’armée russe, ils ont paralysé, par leur
passivité, la conduite de la guerre. Enfin, pendant la période révolutionnaire,
ils ont, par leurs révoltes primitives mais efficaces, mis fin à la grande
propriété terrienne et ont créé les conditions nécessaires à la victoire de la
révolution bolchevique : pendant les années de la guerre civile, celle-ci
n’aurait pu survivre sans leurs actions de solidarité.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t15">15.</a> Le prolétariat russe, également arriéré, avait
néanmoins accumulé, sous la férule impitoyable de l’oppression tsariste et
capitaliste, une grande réserve de combativité. Il a participé avec ténacité à
toutes les actions de la révolution bourgeoise russe, dont il est devenu
l’instrument le plus acéré et le plus sûr. Il a fait de chacun de ses
affrontements avec le tsarisme un acte révolutionnaire, développant ainsi une
conscience de classe primitive qui, pendant les luttes de 1917 (en particulier
lors de la prise d’assaut spontanée des principales entreprises), a atteint le
point culminant de la volonté subjective du communisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t16">16.</a> L’intelligentsia petite-bourgeoise a joué un rôle précis dans
la révolution russe. Limités à l’extrême sur le plan culturel et matériel,
freinés dans leurs progrès professionnels, ayant été en contact avec les idées
les plus avancées de l’Europe occidentale, les éléments les plus combatifs de
l’intelligentsia étaient à l’avant-garde du mouvement révolutionnaire qu’ils
allaient marquer du sceau jacobin et petit-bourgeois. Le mouvement de la
social-démocratie russe, dirigé par des révolutionnaires professionnels,
représentait essentiellement un parti de la petite-bourgeoisie révolutionnaire.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t17">17.</a> La révolution russe présentait certains problèmes dont la
solution sociale dépendait d’une curieuse combinaison des forces les masses
paysannes constituaient, dans leur passivité, les assises de la révolution; les
masses prolétariennes, plus faibles numériquement, mais puissantes dans l’action
révolutionnaire, en étaient l’arme de combat; et la petite fraction
d’intellectuels révolutionnaires, en était le cerveau.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t18">18.</a> Cette structure triangulaire était une séquelle inévitable de
la société tsariste qui était dominée par un Etat absolutiste autonome,
s’appuyant sur les classes possédantes, privées du droit électoral : la noblesse
féodale et la bourgeoisie. Les problèmes particuliers que posait
l’accomplissement d’une révolution bourgeoise sans la bourgeoisie, et contre
elle, venaient de œ que, pour renverser le tsarisme, il était nécessaire de
mobiliser la paysannerie et le prolétariat dans une lutte pour leurs propres
intérêts, ce qui impliquait, non seulement la destruction du tsarisme, mais
aussi des formes existantes d’exploitation féodale et capitaliste. Par leur
nombre, les paysans auraient pu faire face à la situation; politiquement, ils en
étaient incapables, ne pouvant actualiser leurs intérêts de classe qu’en se
soumettant à l’autorité d’une autre classe qui, à son tour, déterminait dans
quelle mesure ces intérêts pouvaient être satisfaits. En 1917, les travailleurs
russes ont ébauché une politique de classe, communiste et autonome. Il leur
manquait toutefois les bases sociales nécessaires pour réussir, puisque la
victoire de la révolution prolétarienne devait être aussi une victoire sur la
paysannerie. Or le prolétariat russe, dont les effectifs, répartis dans
différents secteurs, ne dépassaient pas dix millions, ne pouvait triompher de la
classe paysanne. En conséquence, il a dû, tout comme la paysannerie, se
soumettre à l’autorité d’un groupe d’intellectuels qui n’étaient pas
intrinsèquement liés à ses intérêts.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t19">19.</a> L’oeuvre des bolcheviks a été de créer la direction de la
révolution russe et de développer une tactique appropriée. Ils ont accompli ce
qui paraissait impossible : la création d’une alliance entre deux classes
antagonistes, les masses paysannes en lutte pour la propriété privée, et le
prolétariat en lutte pour le communisme. Dans les conditions difficiles qui
existaient alors, ils ont rendu la révolution possible, et ils en ont assuré le
succès en accouplant ces éléments ouvriers et paysans dans les fers de la
dictature du parti bolchevique. Ils représentent le parti dirigeant de
l’intelligentsia petite-bourgeoise révolutionnaire de Russie. Ils ont accompli
la tâche historique de la révolution russe qui consistait à lier la révolution
bourgeoise de la paysannerie à la révolution prolétarienne de la classe
ouvrière.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h4">IV. L’ESSENCE DU BOLCHEVISME</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t20">20.</a> Le bolchevisme offre toutes les caractéristiques de la
révolution bourgeoise, mais intensifiées par une connaissance approfondie, tirée
du marxisme, des lois de la lutte des classes. Lorsque Lénine dit : " Le
social-démocrate révolutionnaire est un jacobin uni aux masses <i>",</i> il fait
plus qu’une comparaison superficielle. Pour lui, il existait une profonde
affinité de méthode et de buts entre la social-démocratie russe et la petite
bourgeoisie révolutionnaire de la révolution française.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t21">21.</a> Le principe de base de la politique bolchevique (conquête et
exercice du pouvoir par l’organisation) est jacobin ; la grandiose perspective
politique bolchevique est jacobine; sa réalisation pratique au cours de la lutte
de l’organisation bolchevique pour le pouvoir est jacobine; la mobilisation de
tous les moyens et de toutes les forces de la société capables de renverser
l’absolutisme, ainsi que l’emploi de toute méthode susceptible de mener à bien
ce projet ; les manoeuvres et les compromis du parti bolchevique avec toute
force sociale qui pouvait être utilisée, ne serait-ce que pour un très court
instant, et dans le secteur le moins important... tel est l’esprit jacobin.
Enfin, conception essentielle de l’organisation bolchevique elle-même, est
jacobine la création d’une organisation rigide de révolutionnaires
professionnels qui restera l’instrument obéissant d’une direction omnipotente.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t22">22.</a> Sur le plan de la théorie, le bolchevisme est loin d’avoir
élaboré une pensée autonome qui puisse être considérée comme un système
cohérent. Au contraire, il s’est approprié la méthode marxiste d’analyse des
classes, en l’adaptant à la situation révolutionnaire russe, c’est-à-dire qu’il
en a fondamentalement changé le contenu tout en conservant les concepts.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t23">23.</a> La seule réalisation idéologique du bolchevisme a été de
relier sa propre théorie politique, dans son ensemble, au matérialisme
philosophique. Protagoniste radical de la révolution bourgeoise, il retombe sur
l’idéologie radicale de la révolution bourgeoise, dont il fait le dogme de sa
propre conception de la société humaine. Cet attachement au matérialisme
philosophique s’accompagne d’un glissement en arrière continu vers un idéalisme
qui veut que la pratique politique émane en dernier lieu de l’action des chefs.
(La trahison du réformisme, l’idolâtrie de Lénine et de Staline.)</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t24">24.</a> L’organisation du bolchevisme a émergé des cercles
social-démocrates de révolutionnaires intellectuels et s’est développée, à
travers les luttes, les scissions et les défaites des factions, en une
organisation de dirigeants dont les postes essentiels Sont aux mains des
intellectuels petits-bourgeois. La situation d’illégalité qui se poursuivait en
Russie allait favoriser la croissance du bolchevisme. Celui-ci s’établit alors
comme une organisation politique de caractère militaire, s’appuyant sur des
révolutionnaires professionnels. Sans cet instrument rigide du pouvoir, la
tactique bolchevique n’aurait pu être menée à bien, et l’oeuvre historique de
l’intelligentsia révolutionnaire russe n’aurait pu s’accomplir.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t25">25.</a> Élaborée pour poursuivre la conquête du pouvoir, La tactique
bolchevique s’est avérée — notamment jusqu’au mois d’octobre 1917 — d’une grande
uniformité interne. Ses perpétuelles fluctuations externes n’étaient que des
adaptations temporaires aux changements de situations et aux variations des
rapports de force entre les classes. En concordance avec le principe de
subordination absolue des moyens à la fin, et sans aucune considération pour les
effets idéologiques qu’elle pouvait avoir sur les classes dirigées par le parti
bolchevique, la tactique a été révisée, même sur des points en apparence
fondamentaux. La tâche des fonctionnaires était de rendre ces manoeuvres
accessibles aux " masses ". D’autre part, étant donné que le seul but de la
politique du Parti était la capture inconditionnelle des masses (attitude rendue
nécessaire puisque les masses se composaient des classes ouvrière et paysanne
dont les intérêts et la conscience de classe différaient totalement), toute
agitation idéologique au sein des masses était utilisée, même lorsqu’elle
contredisait radicalement le programme du Parti. C’est précisément en cela que
la méthode tactique du bolchevisme se rapproche de la politique de la révolution <i>
bourgeoise</i> ; et c’est effectivement la méthode de cette politique que le
bolchevisme a remis à l’honneur.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h5">V. LES DIRECTIVES DE LA POLITIQUE BOLCHEVIQUE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t26">26.</a> Le bolchevisme est né de la volonté de renverser le régime
tsariste. En tant qu’attaque contre l’absolutisme, il présente les traits de la
révolution bourgeoise. Au cours des luttes qui se sont déroulées au sein de la
social-démocratie russe au sujet des tactiques à adopter pour atteindre cet
objectif, le bolchevisme a élaboré ses méthodes et ses slogans.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t27">27.</a> La tâche historique du bolchevisme a été de souder deux
révoltes opposées, celle du prolétariat et celle de la paysannerie, en en
prenant la direction et en les orientant vers un objectif commun : l’abolition
de l’État féodal. Il lui a fallu allier la révolte paysanne (phase de la
révolution bourgeoise au début du développement de la société bourgeoise) à
celle du prolétariat (phase de la révolution prolétarienne à la fin du
développement de la société bourgeoise) dans une action commune. Ceci n’a été
rendu possible que par un grand déploiement stratégique qui a utilisé les
agitations et les tendances de classe les plus variées.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t28">28.</a> Cette stratégie (qui consistait à utiliser le mécontentement
des masses) venait du désir d’exploiter jusqu’aux moindres divergences et aux
plus infimes failles dans le camp ennemi. Ainsi Lénine a-t-il pu dire un jour
des propriétaires libéraux qu’ils étaient "nos alliés de demain<i>",</i>
soutenir, une autre fois, les prêtres parce qu’ils s’opposaient à un régime qui
ne les satisfaisait pas matériellement, et se déclarer prêt à appuyer les sectes
religieuses persécutées par le tsarisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t29">29.</a> Toutefois, Lénine a précisé sa tactique en posant
correctement la question des "alliés de la révolution"; en particulier, en se
servant des expériences de 1905<i>,</i> il s’est opposé carrément à tout
compromis avec les groupes capitalistes dominants, et il a limité la politique
des "alliés " et des compromis aux seuls éléments de la petite bourgeoisie ou de
la petite paysannerie — c’est-à-dire, les seuls éléments qui pouvaient être
historiquement mobilisés pour une révolution bourgeoise en Russie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t30">30.</a> Le slogan tactique " dictature démocratique des ouvriers et
des paysans "<i>,</i> indiquait en 1905 la ligne directrice générale du
bolchevisme et exprimait encore l’idée illusoire d’un parlementarisme sans la
bourgeoisie. II allait plus tard être remplacé par le slogan "alliance de classe
entre ouvriers et paysans ". Cette formule ne cachait rien d’autre que la
nécessité de mettre chacune de ces classes en mouvement pour permettre la saisie
du pouvoir par les bolcheviks.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t31">31.</a> Ces slogans temporaires qui ont mobilisé, sur la base de
leurs intérêts contradictoires, les deux classes déterminantes de la révolution
russe, découlaient de la volonté implacable d’utiliser les forces de ces
classes. Pour mobiliser la paysannerie, les bolcheviks ont forgé dès 1905, ou
vers cette époque, le slogan de l’" expropriation radicale des propriétaires
terriens par les paysans ". Slogan qui, du point de vue des paysans, pouvait
passer pour une invitation à se partager entre eux les grands domaines. Lorsque
les mencheviks ont fait ressortir le contenu réactionnaire des slogans agraires
bolcheviques, Lénine leur a répondu que les bolcheviks étaient loin d’avoir
décidé de ce qu’ils allaient faire de ces grands domaines expropriés ; le
règlement de cette question serait l’affaire de la social-démocratie au pouvoir.
En conséquence, la demande d’expropriation des grands domaines par les paysans,
bien qu’essentiellement démagogique, touchait directement les intérêts de la
paysannerie. De la même manière, les bolcheviks ont diffusé leurs slogans parmi
les ouvriers; celui des soviets en particulier. Que le slogan détermine la
tactique des ouvriers n’était en soi qu’un succès momentané; le Parti ne
considérait aucunement que le slogan le liait aux masses par une obligation de
principe; il y voyait au contraire l’instrument de propagande d’une politique
qui visait en dernier lieu la prise du pouvoir par l’organisation.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t32">32.</a> Au cours de la période 1906-1914, le bolchevisme allait
développer la tactique du "parlementarisme révolutionnaire" par une combinaison
d’actes légaux et illégaux. Cette tactique s’accordait à la situation de
révolution bourgeoise en Russie. Grâce à cette tactique, le parti bolchevique
est parvenu à unifier la guerre de guérilla contre l’absolutisme que menaient,
sur deux fronts à la fois, les ouvriers d’une part, et les paysans de l’autre,
et à en faire l’élément essentiel à la préparation de la révolution bourgeoise
dans le contexte russe. En particulier, du fait de la politique dictatoriale
tsariste, chaque progrès de la social-démocratie russe dans l’activité
parlementaire portait la marque de la révolution bourgeoise. Cette tactique de
mobilisation de la paysannerie et du prolétariat (ces deux classes décisives
pour la révolution russe) allait se poursuivre plus avant au cours de la période
qui s’étend de la révolution de 1905 à la guerre mondiale, et la Douma allait
servir de tribune de propagande pour les ouvriers et les paysans.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t33">33.</a> Le bolchevisme a résolu le problème historique de la
révolution bourgeoise dans la Russie féodale et capitaliste avec l’aide du
prolétariat, instrument actif et combattant. Il s’est également approprié la
théorie révolutionnaire de la classe ouvrière en la transformant pour ses
propres besoins. Le " marxisme-léninisme " n’est pas le marxisme, mais un
remplissage de terminologie marxiste adaptée aux besoins de la révolution
bourgeoise en Russie avec le contenu social de la révolution russe. Si cette
théorie a permis de comprendre la structure sociale russe, elle est devenue
également, entre les mains des bolcheviks, un moyen de voiler le contenu de
classe de la révolution bolchevique. Derrière les concepts et les slogans
marxistes se cache une révolution bourgeoise qui a été menée, sous la direction
d’une intelligentsia révolutionnaire petite-bourgeoise, par les forces unies
d’un prolétariat socialiste et d’une paysannerie liée à la propriété privée,
contre l’absolutisme tsariste, la noblesse terrienne et la bourgeoisie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t34">34.</a> La revendication absolue du leadership par l’intelligentsia
révolutionnaire petite-bourgeoise et jacobine se cache sous la conception
bolchevique du rôle du Parti vis-à-vis de la classe ouvrière. L’intelligentsia
petite-bourgeoise ne pouvait élargir son organisation et en faire une arme
révolutionnaire active qu’à la condition de pouvoir attirer et utiliser les
forces prolétariennes. Elle a donc appelé son parti jacobin un parti
prolétarien. La subordination d’une classe ouvrière combattante à une direction
petite-bourgeoise se justifiait par la théorie bolchevique de I’" avant-garde "
du prolétariat — une théorie qui aboutit, en pratique, au principe d’après
lequel le Parti incarne la classe. En d’autres termes, le Parti n’est pas un
instrument de la classe ouvrière, mais au contraire, c’est la classe ouvrière
qui est l’instrument du Parti.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t35">35.</a> La nécessité de fonder la politique bolchevique sur les deux
classes inférieures de la société russe s’est traduite par la formule d’une "
alliance de classe entre le prolétariat et la paysannerie " — une alliance dans
laquelle, logiquement, les intérêts de classe antagonistes sont volontairement
réunis.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t36">36.</a> Par la formule " suprématie du prolétariat dans la révolution
", les bolcheviks ont masqué leur volonté de diriger inconditionnellement la
paysannerie. Or, comme le prolétariat est à son tour dirigé par le parti
bolchevique, la " suprématie du prolétariat " n’est rien d’autre que la
Suprématie du parti bolchevique et sa volonté de gouverner les deux classes.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t37">37.</a> Cette prétention des bolcheviks à vouloir prendre le pouvoir
à l’aide des deux classes, trouve sa plus haute expression dans le concept
bolchevique de la " dictature du prolétariat ". Cette formule, liée àla
conception du Parti comme organisation dirigeante de la classe, signifie tout
naturellement l’omnipotence de l’organisation jacobino-bolchevique. Son contenu
de classe est, de plus, totalement balayé par la définition bolchevique de la
dictature du prolétariat comme étant " une alliance de classe entre le
prolétariat et la paysannerie sous la direction du prolétariat " (Staline et le
programme du Komintern). Le principe marxiste de la dictature de la classe
ouvrière est ainsi déformé par le bolchevisme qui en fait la domination, par un
parti de caractère jacobin, de deux classes opposées.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t38">38.</a> Les bolcheviks ont eux-mêmes souligné le caractère bourgeois
de leur révolution avec leur formule révisée de " révolution du peuple <i>",</i>
c’est-à-dire la lutte commune de différentes classes d’un peuple dans une
révolution. C’est le slogan type de toute révolution bourgeoise qui mobilise
sous la direction de la bourgeoisie les masses de paysans petits-bourgeois et de
prolétaires pour servir les intérêts de la classe bourgeoise.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t39">39.</a> En ce qui concerne la lutte de l’organisation pour assurer
son pouvoir sur les classes révolutionnaires, toute attitude démocratique du
bolchevisme n’est qu’un simple coup tactique dans un jeu d’échecs. Ceci est
apparu clairement lorsque s’est posée la question de la démocratie des
travailleurs dans les soviets. Le slogan léniniste de mars 1917, " tout le
pouvoir aux soviets ", restait fidèle à la caractéristique fondamentale de la
révolution russe (le système des deux classes), puisque les soviets étaient des
" conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats " (les soldats étant des
paysans). De plus, le slogan avait été lancé par Lénine au cours de la
révolution de février dans un but tactique. Il paraissait susceptible d’assurer
la transition "pacifique <i>",</i> à la tête de la révolution, de la coalition
menchevique social-révolutionnaire au bolchevisme, grâce à l’influence
croissante de ce dernier dans les soviets. Après la manifestation de juillet,
les bolcheviks devaient perdre de leur influence sur les soviets, et Lénine,
abandonnant temporairement le slogan des soviets, demanda au parti bolchevique
d’élaborer d’autres slogans d’insurrection [4]. Il a fallu attendre le putsch de
Kornilov pour que l’influence bolchevique dans les soviets remonte en flèche et
pour que le parti de Lénine décide de reprendre ce slogan. (Dès l’instant où les
bolcheviks ont considéré les soviets comme des organes d’insurrection et non
plus comme des organes de la classe ouvrière, il est venu plus évident que pour
eux les soviets n’étaient qu’un instrument qui permettait à leur parti de
s’emparer du pouvoir. Ceci a été démontré dans la pratique, non seulement par
leur organisation de l’État soviétique après la conquête du pouvoir, mais aussi
dans le cas particulier de la répression sanglante de l’insurrection de
Kronstadt. Au terme de cette insurrection, les revendications de caractère
capitaliste faites par des paysans devaient être satisfaites par la NEP,
tandis que les revendications démocratiques du prolétariat ont été noyées dans
le sang de la classe ouvrière.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t40">40.</a> Les divergences d’opinion sur la forme et la composition des
soviets russes ont amené, dès 1920, la formation, dans le Parti, d’un courant
communiste authentique, quoique encore faible dans son ensemble. L’" Opposition
ouvrière "[5] s’appuyait sur la volonté de mener à bien la démocratie
soviétique dans l’intérêt de la classe ouvrière. Comme toute opposition sérieuse
contre le régime, celle-ci devait être matée ultérieurement par
l’emprisonnement, l’exil et l’exécution militaire, mais son programme reste le
point de départ historique d’un mouvement indépendant prolétarien-communiste
contre le régime bolchevique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t41">41.</a> La question des syndicats a été de même déterminée par le
désir du parti bolchevique de dominer et de diriger les ouvriers. En Russie, les
bolcheviks ont éliminé des syndicats tout ce qui avait trait à l’organisation du
travail, en leur imposant, après la conquête du pouvoir, une structure
disciplinaire et militaire. Dans les autres pays, le résultat ultime de la
politique bolchevique a été de protéger les organisations syndicales réformistes
et bureaucratiques; loin de démanteler ces organisations, les bolcheviks ont
préconisé la " conquête " de leurs dispositifs. Ils étaient les adversaires
farouches de l’idée d’organisations industrielles révolutionnaires, qui
incarnaient pour eux la démocratie. Les bolcheviks se sont battus pour la
conquête ou pour la rénovation d’organisations contrôlées par une bureaucratie
centralisée, qu’ils pensaient pouvoir diriger du haut de leurs postes de
commande.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t42">42.</a> En tant que dirigeants d’une dictature de type jacobin, les
bolcheviks ont, à tous les stades, combattu sans relâche l’idée
d’auto-détermination de la classe ouvrière et réclamé la subordination du
prolétariat à l’organisation bureaucratique. Avant la guerre, lors des
discussions qui se déroulèrent au sein de la II<sup>e</sup> Internationale au
sujet de l’organisation, Lénine se révéla un adversaire violent et vindicatif de
Rosa Luxemburg et s’appuya carrément sur le centriste Kautsky qui devait,
pendant et après la guerre, s’avérer un ennemi de classe. Déjà à cette époque,
le bolchevisme avait prouvé (et ne devait jamais se démentir) non seulement
qu’il ne comprenait pas le développement de la conscience de classe du
prolétariat et de ses organisations, mais aussi qu’il combattait par tous les
moyens toute tentative théorique et pratique de développer de véritables
organisations de classe et une véritable politique de classe.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h6">VII. LA RÉVOLUTION BOLCHEVIQUE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t43">43.</a> Le bolchevisme a appelé la révolution de février la
révolution bourgeoise, et celle d’octobre, la révolution prolétarienne, faisant
ainsi passer son propre régime pour le règne de la classe prolétarienne, et sa
politique économique pour du socialisme. Cette vision de la révolution de 1917
est une absurdité de par le simple fait qu’elle suppose qu’un développement de
sept mois aurait suffi à créer les bases économiques et sociales d’une
révolution prolétarienne, dans un pays qui venait à peine d’entrer dans la phase
de sa révolution bourgeoise — en d’autres termes, sauter d’un bond par-dessus
tout un processus de développement social et économique qui nécessiterait au
moins plusieurs décennies. En réalité, la révolution de 1917 est un processus de
transformation unitaire, qui a débuté avec la chute du tsarisme et a atteint son
apogée avec la victoire de l’insurrection armée des bolcheviks, le 7 novembre.
Et ce violent processus de transformation ne peut être que celui de la
révolution bourgeoise russe, dans les conditions historiques et particulières de
la Russie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t44">44.</a> Au cours de ce processus, le parti de l’intelligentsia
jacobine révolutionnaire a pris le pouvoir en s’appuyant sur les deux mouvements
sociaux qui avaient déclenché l’insurrection de masse, celui des prolétaires et
celui des paysans. Pour remplacer le gouvernement triangulaire ébranlé
(tsarisme, noblesse et bourgeoisie), il a créé le triangle bolchevisme,
paysannerie, classe ouvrière. Et de même que l’appareil étatique du tsarisme
régnait de façon autonome sur les deux classes possédantes, de même le nouvel
appareil étatique bolchevique commença par se rendre indépendant des deux
classes qui l’avaient porté au pouvoir. La Russie est sortie des conditions de
l’absolutisme tsariste pour tomber dans celles de l’absolutisme bolchevique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t45">45.</a> Pendant la période révolutionnaire, la politique
bolchevique a atteint son point culminant avec la mobilisation et le contrôle
des forces sociales de la révolution. La tactique révolutionnaire bolchevique a
connu son apogée lors de la préparation et de la mise à exécution de
l’insurrection armée. Le soulèvement violent devint pour les bolcheviks une
action militaire concertée et minutieusement organisée, avec, comme moteur et
comme puissance dirigeante, le parti bolchevique et ses troupes de combat. La
conception, la préparation et l’exécution de l’insurrection armée par les
bolcheviks porte le sceau de la conspiration jacobine (ce qui en Russie était,
répétons-le, la seule politique possible) : une insurrection dans le contexte
particulier d’une révolution bourgeoise contre la bourgeoisie.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t46">46.</a> Les slogans économiques de la révolution bolchevique font
apparaître son caractère de révolution bourgeoise. Pour les masses paysannes,
les bolcheviks symbolisaient l’expropriation violente des grands domaines par
l’action spontanée de la petite paysannerie avide de terres. Les bolcheviks ont
parfaitement exprimé, dans leur pratique et dans leurs slogans (la Paix et la
Terre), les intérêts des paysans en lutte pour la sauvegarde de la petite
propriété privée (intérêts capitalistes). Loin de soutenir les intérêts du
prolétariat socialiste contre la propriété terrienne féodale et capitaliste, ils
se sont ainsi fait, en ce qui concerne la question agraire, les tenants
effrontés des intérêts du petit capitaliste.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t47">47.</a> Pour ce qui est des ouvriers, les revendications économiques
de la révolution bolchevique n’avaient pas davantage un contenu socialiste. En
plusieurs occasions, Lénine devait repousser sévèrement la critique menchevique
selon laquelle le bolchevisme proposait une politique utopique de socialisation
de la production dans un pays qui n’était pas encore mûr pour une telle
situation. Les bolcheviks devaient rétorquer qu’il n’était pas du tout question
de socialiser la production, mais bien d’en remettre le contrôle aux mains des
ouvriers. Le slogan du contrôle de la production fut utilisé pour tenter de
conserver l’efficacité des méthodes capitalistes dans l’organisation technique
et économique de la production, mais en leur ôtant leur caractère
d’exploitation. L’aspect bourgeois de la révolution bolchevique, ainsi que le
fait que les bolcheviks se sont eux-mêmes limités à une économie de type
bourgeois (au lieu de consolider les résultats de la victoire de 1917), est
éclairé de manière exemplaire par ce slogan du contrôle de la production.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t48">48.</a> La violence élémentaire de l’attaque des travailleurs, d’une
part, et le sabotage des patrons détrônés, d’autre part, ont incité les
bolcheviks à s’emparer des entreprises industrielles et à en confier la
direction à la bureaucratie gouvernementale. L’économie étatique qui, pendant
toute la période du communisme de guerre, était presque étouffée par la
surorganisation (Glavkisme), fut qualifiée par Lénine de <i>capitalisme d’Etat.</i>
Ce n’est qu’à l’ère stalinienne qu’on devait parler de l’économie d’Etat comme
d’une économie socialiste.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t49">49.</a> Cependant, la conception de base de la socialisation de la
production n’allait pas pour Lénine au-delà d’une économie étatique dirigée par
l’appareil bureaucratique. Pour lui, l’économie de guerre allemande et les
services postaux étaient des exemples type de l’organisation socialiste : une
organisation économique de caractère ouvertement bureaucratique, dirigée par une
centralisation venant d’en haut. Du problème de la socialisation, il ne vit que
les aspects techniques et non les aspects prolétariens et sociaux. De même,
Lénine se fonda, et avec lui le bolchevisme en général, sur les concepts de
socialisation proposés par le centriste Hilferding [6] qui, dans son <i>Capital
Financier</i>, a tracé un tableau idéalisé d’un capitalisme totalement organisé.
Le véritable problème, en ce qui concerne la socialisation de la production — la
prise en charge des entreprises et des organisations du système économique par
la classe ouvrière et par ses organisations de classe, les conseils ouvriers —,
a été complètement ignoré du bolchevisme. Et il devait être ignoré parce que
l’idée marxiste d’une association de producteurs libres et égaux est totalement
opposée à la conception jacobine de l’organisation, et parce que la Russie ne
possédait pas les conditions sociales et économiques nécessaires à
l’instauration du socialisme. Le concept de socialisation des bolcheviks n’est
par conséquent rien d’autre qu’une économie capitaliste prise en charge par
l’État et dirigée de l’extérieur et d’en haut par sa bureaucratie. Le socialisme
bolchevique est un capitalisme organisé par l’Etat.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h7">VIII. L’INTERNATIONALISME BOLCHEVIQUE ET LA QUESTION NATIONALE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
50<i>.</i> Pendant la Première Guerre mondiale, les bolcheviks
ont représenté de manière continue la position internationaliste avec le slogan
: "transformer la guerre impérialiste en une guerre civile" et ils se sont
comportés en apparence comme des marxistes conséquents. Mais cet
internationalisme révolutionnaire faisait partie de leur tactique de même que
plus tard, leur retournement vers la NEP. L’appel au prolétariat
international n’était qu’un des aspects d’une vaste politique qui cherchait à se
concilier le soutien international en faveur de la révolution russe. L’autre
aspect était la politique et la propagande pour une "auto-détermination
nationale<i>",</i> où les horizons de classe étaient sacrifiés plus radicalement
encore que dans le concept de "révolution du peuple<i>",</i> et qui faisait
appel à certains éléments de toutes les classes.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t51">51.</a> Cet internationalisme à double face correspondait à la
situation internationale de la Russie et de la révolution russe.
Géographiquement et sociologiquement, la Russie se trouvait située entre les
deux pôles du système impérialiste mondial. La rencontre de la tendance
impérialiste active et de la tendance coloniale passive provoqua l’effondrement
de ce système. Les classes réactionnaires s’avérèrent impuissantes à le
rétablir, comme devait le prouver leur défaite décisive lors du putsch de
Kornilov et, plus tard, dans la guerre civile. Le véritable danger qui menaçait
la révolution russe était celui d’une intervention impérialiste. Seule une
invasion militaire lancée par le capital impérialiste pouvait abattre le
bolchevisme et restaurer le tsarisme — cet ancien régime, construit au sein du
système mondial d’exploitation impérialiste pour en être l’instrument. Pour se
défendre contre l’impérialisme mondial, le bolchevisme devait organiser une
contre-attaque des centres impérialistes dominants. C’est ce que fit la
politique internationale à double face du bolchevisme.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t52">52.</a> Au nom de la révolution prolétarienne internationale,
le bolchevisme a lancé le prolétariat international à l’assaut de l’impérialisme
mondial dans les pays capitalistes les plus avancés. Au nom du " droit à
I‘"auto-détermination nationale", il a lancé les peuples paysans opprimés
d’Extrême-Orient contre le centre colonial de l’impérialisme mondial. Avec cette
politique internationale en deux temps qui ouvrait d’immenses perspectives, le
bolchevisme a cherché à pousser l’infiltration des éléments prolétaires et
paysans dans la sphère du capitalisme mondial.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t53">53.</a> Pour le bolchevisme, la " question nationale " était une
question pratique, et n‘était donc pas uniquement un expédient de la révolution
bourgeoise russe — une révolution qui s’est servie des instincts nationaux des
paysans et des minorités nationales opprimées de l’Empire russe pour abattre le
tsarisme. Cette position reflète aussi l’internationalisme paysan d’une
révolution bourgeoise qui s’est accomplie à l’ère de l’impérialisme mondial et
qui n’a pu survivre dans les rets de l’impérialisme qu’à l’aide d’une
contre-politique internationale active.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t54">54.</a> Pour diriger en territoire russe cette politique de soutien
international pour la révolution bourgeoise, le bolchevisme a cherché à créer
deux organisations internationales : la III<sup>e</sup> Internationale, qui
devait mobiliser les travailleurs des pays capitalistes hautement développés, et
l’Internationale des paysans qui rassemblait sous sa bannière les peuples
paysans orientaux. Le but ultime de cette politique internationale qui
s’appuyait sur les classes ouvrières et paysannes était la révolution mondiale,
incluant la révolution prolétarienne internationale (européenne et américaine)
et la révolution paysanne nationale (essentiellement orientale) dans le cadre
d’une politique mondiale bolchevique sous les ordres de Moscou. Ainsi, le
concept de "révolution mondiale" avait, pour les bolcheviks, un contenu de
classe tout à fait différent et n’avait plus rien à voir avec la révolution
prolétarienne internationale.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t55">55.</a> La politique internationale du bolchevisme n’était ainsi
qu’une répétition, à l’échelle mondiale, de la révolution russe (combinant la
révolution prolétarienne et la révolution bourgeoise-paysanne), et plaçait le
parti bolchevique russe à la tête d’un système bolchevique mondial où les
intérêts communistes du prolétariat se combinaient aux intérêts capitalistes de
la paysannerie. Cette politique <i>a</i> eu comme résultat positif de protéger
l’État bolchevique de l’invasion impérialiste, en entretenant l’inquiétude des
Etats capitalistes. Elle a ainsi permis à l’État bolchevique de prendre sa place
dans le système impérialiste mondial, en se servant des méthodes capitalistes de
relations commerciales, d’accords économiques et de pactes de non-agression.
Elle a donné l’occasion à la Russie de se consolider sur le plan national et
d’étendre sa propre position internationale. Mais elle a échoué dans sa
tentative de porter à l’échelle mondiale la politique active du bolchevisme.
L’expérience de l’Internationale des paysans a pris fin avec l’échec de la
politique bolchevique en Chine. La III<sup>e</sup> Internationale, depuis
l’effondrement lamentable du parti communiste allemand, ne représente plus un
facteur important de la politique bolchevique mondiale. L’effort gigantesque
entrepris pour étendre la politique bolchevique russe à la scène mondiale a été
un échec historique <i>qui a prouvé les limitations nationales du bolchevisme
russe.</i> Quoi qu’il en soit, l’expérience bolchevique dans la <i>Machtpolitik</i>
(politique de puissance) internationale a donné le temps au bolchevisme de se
replier sur ses positions nationales (russes) et de se convertir aux méthodes
capitalistes impérialistes en matière de politique internationale. En théorie,
ce repli a été justifié par la formule "socialisme dans un seul pays". Par cette
formule, le concept de "socialisme" qui avait déjà été amputé de son contenu de
classe prolétarien par la pratique économique russe, perdait ses couleurs
internationales et, sous le couvert d’un capitalisme d’Etat, n’était plus guère
éloigné du réformisme et du fascisme petit-bourgeois.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t56">56.</a> En fait, il n’est pas essentiel, maintenant que nous
pouvons voir les résultats de quinze ans de bolchevisme, tant sur le plan
national qu’international, de savoir si Lénine escomptait ou non, à l’époque de
la fondation du Komintern — ou avant — un résultat différent de cette
internationale bolchevique. En pratique, le bolchevisme, avec son concept du "
droit à l’auto-détermination nationale " a développé les tendances à une <i>
Machtpolitik</i> mondiale bolchevique. II est également responsable, à travers
le Komintern, de l’incapacité du prolétariat européen à se hausser au niveau
d’un communisme révolutionnaire et de son enlisement dans la boue d’un
réformisme, ressuscité par le bolchevisme et orné de phrases révolutionnaires.
En fin de compte, le concept de " Patrie russe " est devenu la pierre
d’achoppement de la politique des partis bolcheviques, alors que pour le
communisme prolétarien, la classe ouvrière internationale doit se trouver au
centre de toute orientation internationale.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h8">IX. LE BOLCHEVISME D’ÉTAT ET LE KOMINTERN</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t57">57.</a> L’établissement de l’État soviétique a été
l’établissement de la domination du parti du machiavélisme bolchevik. La base
sociologique de ce pouvoir étatique, qui s’est rendu indépendant des classes qui
l’ont soutenu et qui a créé ce nouvel élément social qu’est la bureaucratie
bolchevique, se composait du prolétariat et de la paysannerie russes. Le
prolétariat, enchaîné par les syndicats (adhésion obligatoire) et par le
terrorisme de la Tchéka, représentait la base de l’économie nationale
bolchevique, sous le contrôle de la bureaucratie. La paysannerie cachait et
cache encore dans ses rangs les tendances au capitalisme privé de cette
économie. L’État soviétique, dans sa politique intérieure, était ballotté entre
ces deux tendances. Il a cherché à les maîtriser par de violentes méthodes
d’organisation, tels le plan quinquennal et la collectivisation forcée. En
pratique, toutefois, il a seulement accru les difficultés économiques,
exacerbant les contradictions économiques jusqu’à leur point d’explosion, et
portant à leur paroxysme les tensions entre ouvriers et paysans. L’expérience
d’une économie nationale planifiée bureaucratiquement est loin de pouvoir être
considérée comme un succès. Les grands cataclysmes internationaux qui menacent
la Russie ne pourront qu’accroître les contradictions de son système économique
jusqu’à ce qu’elles deviennent intolérables, hâtant ainsi probablement la chute
de cette expérience économique gigantesque.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t58">58.</a> L’économie russe est essentiellement déterminée par les
caractéristiques suivantes : elle s’appuie sur les bases d’une production de
marchandises; elle est centrée sur la rentabilité; elle révèle un système
ouvertement capitaliste avec salaires et cadences accélérées; enfin, elle a
porté les raffinements de la rationalisation capitaliste jusqu’à ses limites
extrêmes. L’économie bolchevique est une production étatique qui emploie des
méthodes capitalistes.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t59">59.</a> Cette forme de production étatique s’accompagne
également de plus-value, donc d’une exploitation maximale des travailleurs. Bien
entendu, cette plus-value ne profite directement et ouvertement à aucune classe
particulière de la société russe, mais elle enrichit l’appareil parasitaire de
la bureaucratie dans son ensemble. Outre son entretien coûteux, la plus-value
ainsi produite contribue à augmenter la production et à soutenir la classe
paysanne; elle sert aussi à régler les dettes de l’État envers l’étranger.
Ainsi, la plus-value produite par les ouvriers russes profite non seulement à
l’élément économiquement parasitaire de la bureaucratie au pouvoir, mais encore
à la paysannerie russe, en tant que secteur à part du capital international.
L’économie russe est donc une économie de profit et d’exploitation. Elle
représente un capitalisme d’Etat dans les conditions historiques particulières
du régime bolchevique, soit, une production de type capitaliste qui se
différencie de celle des pays les plus industrialisés et apparaît comme beaucoup
plus avancée.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t60">60.</a> La politique étrangère de l’Union Soviétique est étroitement
déterminée par la nécessité de renforcer la position du parti bolchevique et de
l’appareil étatique qu’il dirige. Sur le plan économique, le gouvernement russe
a déployé tous ses efforts pour établir et maintenir une base industrielle
forte. L’isolement de l’économie soviétique a nécessité une politique énergique
pour mettre fin à I‘autarcie forcée tout en maintenant le contrôle du monopole
commercial avec l’étranger. Les traités commerciaux, les concessions de même que
les transactions pour obtenir de vastes crédits ont rétabli les liens entre
l’économie soviétique et la production capitaliste mondiale et son marché, dans
lequel la Russie est entrée à la fois comme cliente sollicitée et comme
concurrente acharnée. D’autre part, cette politique économique, liée au
capitalisme mondial, a forcé le gouvernement soviétique à cultiver des relations
amicales et pacifiques avec les puissances capitalistes. Le principe d’une
politique mondiale bolchevique, là où il existait encore, était subordonné de
manière opportuniste aux purs traités commerciaux. Toute la politique étrangère
du gouvernement russe a été marquée du sceau de la diplomatie capitaliste, et
par conséquent, dans la sphère internationale, a définitivement séparé la
théorie bolchevique de sa pratique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t61">61.</a> Le bolchevisme a introduit au centre de la propagande
étrangère du Komintem, la thèse de I’ "encerclement impérialiste de l’Union
soviétique <i>",</i> bien que cette définition ne s’accorde guère avec
l’écheveau des conflits d’intérêts impérialistes et de leurs combinaisons sans
cesse renouvelées. Il a cherché à mobiliser le prolétariat international pour
servir sa politique étrangère et, à travers une politique mi-parlementaire,
mi-putschiste, émanant des partis communistes, à créer, de l’intérieur, un
malaise dans les pays capitalistes, renforçant ainsi la position diplomatique et
économique de l’Union soviétique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t62">62.</a> Les oppositions entre l’Union soviétique et les puissances
impérialistes déclenchèrent la contre-propagande du Komintern avec les slogans :
" Menace de guerre contre l’U.R.S.S. " et "Protégez l’Union soviétique". Ces
oppositions étant présentées aux ouvriers comme seules déterminantes de la
politique mondiale, ceux-ci ne pouvaient comprendre les véritables dessous de la
politique internationale. Les membres des partis communistes étrangers
devinrent, avant tout, les défenseurs aveugles et opportunistes de l’Union
soviétique, et furent maintenus dans l’ignorance quant à la place de choix
qu’occupait depuis longtemps l’Union soviétique dans la politique mondiale.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t63">63.</a> Le perpétuel cri d’alarme sur l’imminence d’une guerre des
puissances impérialistes alliées contre l’U.R.S.S. fut utilisé en politique
intérieure pour justifier la militarisation intensive du travail et
l’accroissement des pressions sur le prolétariat russe. Dans le même temps,
cependant, I‘Union soviétique avait, et a toujours, le plus grand intérêt à
éviter un conflit militaire avec les autres Etats. La survie du gouvernement
bolchevique dépend en grande partie de sa capacité à éviter toute convulsion,
tant militaire que révolutionnaire, en politique étrangère. Par conséquent, le
Komintern a, dans la pratique, et en contradiction criante avec sa théorie et sa
propagande intérieures, entrepris de saboter tout véritable développement
prolétarien révolutionnaire. Il a plus ou moins ouvertement propagé, dans les
partis communistes, la conception selon laquelle il fallait tout d’abord
consolider l’Union Soviétique dans ses fondements économiques et militaires
avant de pouvoir pousser plus avant la révolution prolétarienne en Europe.
D’autre part, si le gouvernement soviétique, pour sauvegarder son prestige,
s’est dépensé en gestes d’hostilité contre les puissances impérialistes, il
s’est toujours incliné, dans les faits, devant ces puissances. La " vente " de
la ligne de chemin de fer mandchourienne est un exemple de capitulation sans
résistance de l’U.R.S.S. devant ses adversaires impérialistes. La reconnaissance
plus que hâtive de l’U.R.S.S. par les Etats-Unis qui eut lieu au même moment
est, réciproquement, une preuve que les puissances impérialistes, dans les
limites de leur politique d’intérêts antagonistes, ont su également reconnaître
dans l’Union soviétique un facteur important. Mais surtout, l’U.R.S.S. a
illustré ses liens avec le capitalisme en nouant d’étroites relations
économiques avec l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. L’Union soviétique
apparaît comme le solide soutien économique, et donc politique, de la plupart
des dictatures fascistes les plus réactionnaires en Europe.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t64">64.</a> Cette politique d’entente absolue entre I ‘U.R.S.S. et les
pays capitalistes et impérialistes n’a pas uniquement des bases économiques.
Elle n’est pas non plus seulement l’expression d’une infériorité militaire. En
fait, la " politique de paix " de l’Union soviétique dépendrait plutôt de façon
décisive de la situation du bolchevisme à l’intérieur du pays. Son maintien en
tant que puissance étatique autonome dépend de son succès à conserver
l’équilibre entre la classe ouvrière dominée et la paysannerie. En dépit des
progrès d’industrialisation du pays, la paysannerie russe conserve encore une
position de force. En premier lieu, la paysannerie détient, dans une large
mesure, et en dépit d’une politique répressive venue d’en haut, les ressources
alimentaires du pays. En second lieu, la collectivisation a renforcé la
puissance non seulement économique, mais aussi politique de la paysannerie qui,
comme auparavant, continue de lutter pour les intérêts capitalistes privés. (Car
la " collectivisation ", en Russie, signifie une union collective de paysans
propriétaires qui restent attachés aux méthodes capitalistes de comptabilité et
de distribution.) En troisième lieu, en cas de guerre, l’armement en masse de la
paysannerie pourrait déclencher un sursaut de violentes révoltes paysannes
contre le système bolchevique — de même qu’une révolution faite par le
prolétariat européen donnerait probablement le coup d’envoi d’une rébellion
ouverte des ouvriers russes. Dans de telles conditions, la politique d’entente
entre le gouvernement soviétique et les puissances impérialistes apparaît d’une
nécessité vitale pour l’absolutisme bolchevique.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t65">65.</a> Le Komintern lui-même a été utilisé pour manipuler
abusivement la classe ouvrière internationale, afin de servir les buts
opportunistes de glorification nationale et de la politique de sécurité
internationale de l’Union soviétique. Il s’est constitué, en dehors de Russie, à
partir de la combinaison des cadres révolutionnaires du prolétariat européen. En
usant de l’autorité de la révolution bolchevique, le principe organisationnel et
tactique du bolchevisme s’est imposé dans le Komintern de façon extrêmement
brutale et sans aucune considération pour les scissions immédiates. Le Comité
exécutif du Komintern (I’E.K.K.I.) — autre instrument de la bureaucratie russe
au pouvoir — s’est vu confier le commandement absolu de tous les partis
communistes, et la politique des partis a complètement perdu de vue les
véritables intérêts révolutionnaires de la classe ouvrière internationale. Les
slogans et les résolutions révolutionnaires ont servi de couverture à la
politique contre-révolutionnaire du Komintern et de ses partis qui, avec leurs
façons bolchevistes, sont devenus aussi experts dans la trahison de la classe
ouvrière et dans la démagogie effrénée, que l’étaient les partis
social-démocrates. En même temps que le réformisme, fusionnant avec le
capitalisme, déclinait dans le sens historique, le Komintern faisait naufrage en
s’unissant à la politique capitaliste de l’Union soviétique.</div>
<div class="skip" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<h3 style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="h9">X. LE BOLCHEVISME ET LA CLASSE OUVRIERE INTERNATIONALE</a></h3>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t66">66.</a> Le bolchevisme, dans ses principes, dans sa tactique et dans
son organisation, est un mouvement et une méthode de la révolution bourgeoise
dans un pays à prépondérance paysanne. Sous l’autorité dictatoriale de
l’intelligentsia jacobine, il a conduit le prolétariat (orienté vers le
socialisme) et la paysannerie (orientée vers le capitalisme) à un soulèvement
révolutionnaire contre l’État absolutiste, le féodalisme et la bourgeoisie, dans
le but d’abattre l’absolutisme féodal-capitaliste. Habile à tourner toute chose
à son avantage, il a réuni les intérêts de classe antagonistes des prolétaires
et des paysans, grâce à son intelligence du caractère de classe des lois du
développement social.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<a href="https://www.blogger.com/null" name="t67">67.</a> En conséquence, le bolchevisme est non seulement incapable de
diriger la politique révolutionnaire du prolétariat international, mais il est
aussi pour elle l’un des plus infranchissables et l’un des plus dangereux
obstacles. La lutte contre l’idéologie bolchevique, contre la pratique
bolchevique et, par là même, contre tous les groupes qui cherchent à ancrer à
nouveau cette idéologie et cette pratique au sein du prolétariat, est l’une des
premières tâches de la lutte pour une réorientation révolutionnaire de la classe
ouvrière. Une politique prolétarienne ne peut se développer qu’à l’intérieur de
la classe ouvrière, avec les méthodes et les formes d’organisation qui lui sont
propres.</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<b><span style="font-size: x-small;">Helmut Wagner / Groupe des communistes internationaux de Hollande (1936)</span></b> </div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: x-small;">Première numérisation : Association documentation édition liaison - Spartacus (1997)</span></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<span style="font-size: x-small;">Marxists.org pour la transcription html publiée ici.</span></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
NOTES:</div>
<div class="fst" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="footnote_text">
[1] II s’agit de la commune rurale (obchtchina).</div>
<div class="footnote_text">
[2] <i>Populistes.</i></div>
<div class="footnote_text">
[3] Il s’agit d’une tentative de coup de force militaire de la
droite, qui eut lieu fin août 1917.</div>
<div class="footnote_text">
[4] Cette manifestation du 3 juillet 1917 eut pour conséquence
diverses mesures de répression contre les bolcheviks, qui conduisirent Trotsky
en prison et contraignirent Lénine à se cacher en Finlande.</div>
<div class="footnote_text">
[5] Il s’agit d’un groupe dissident à l’intérieur du parti
bolchevique, et dont les dirigeants les plus connus furent A. Kollontaï et
Chliapnikov. Les divergences avec le Parti surgirent sur le problème des
syndicats en 1920. Kollontaï, émettait la revendication du contrôle ouvrier au
moyen de syndicats, contre la dictature des spécialistes du Parti. <i>
L’Opposition ouvrière</i> d’Alexandra Kollontaï a été traduite de l’anglais et
publiée dans le n° 35 de <i>Socialisme ou barbarie</i>, janvier-mars 1964.
Voir aussi la traduction du russe par Pierre Pascal, in <i>L’Opposition
ouvrière,</i> Editions du Seuil, Paris, 1974. Avec une étude de J.-M. Gélinet,
"l’opposition ouvrière ou le guetteur mélancolique".</div>
<div class="footnote_text">
[6] <i>Le capital financier,</i> Les Éditions de Minuit, Paris,
1970.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-34722297108416108652017-10-20T14:33:00.001-07:002017-10-20T14:33:57.315-07:00L'impérialisme et les tâches du prolétariat<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjfP3n6n8hIeZYLmNdGB7A-i1jelofJHWGugQbjxMcTI0DeYKliXSH0e9eCRik8QnopK4WhGFE3bgInstxB8jmj9c0lxTzIlPFI0yJsdg1TtnJApc8XnUowD5ufO2vCL9Iu6cZhNdVMGgZr/s1600/big-colon_monde.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="937" data-original-width="1499" height="250" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjfP3n6n8hIeZYLmNdGB7A-i1jelofJHWGugQbjxMcTI0DeYKliXSH0e9eCRik8QnopK4WhGFE3bgInstxB8jmj9c0lxTzIlPFI0yJsdg1TtnJApc8XnUowD5ufO2vCL9Iu6cZhNdVMGgZr/s400/big-colon_monde.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
Le déclenchement de la première grande
guerre mondiale en 1914 a mis en lumière de façon éclatante deux faits :
premièrement, <i>la force gigantesque de l'impérialisme</i>, deuxièmement, <i>la
faiblesse du prolétariat</i>, et notamment celle de son avant-garde et de son
guide, les partis sociaux-démocrates de presque tous les pays.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'impérialisme se différencie de l'ancien
capitalisme par le fait qu'il cherche à placer sous sa dépendance des parties
du monde qui lui sont étrangères afin de trouver de nouveaux marchés pour ses
produits, de nouvelles sources de matières premières et, avant tout, de
nouvelles zones d'investissement pour ses masses de capitaux surabondantes. Durant
la période de prospérité de ces vingt dernières années, les masses de capitaux
ont grossi démesurément, et de ce fait, le désir de les investir avec un profit
élevé dans les pays non-développés s'est emparé totalement de la bourgeoisie.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a>Le
résultat fut que les différentes bourgeoisies entrèrent en conflit en raison de
leur concurrence ; la jeune bourgeoisie allemande, dont l'ascension est
récente, cherche partout à obtenir des territoires (colonies ou sphères
d'influence), elle se voit barrer la route par les anciens Etats dominant le
monde, notamment par l'Angleterre, comme en 1911 au Maroc, tandis qu'elle-même
contient la progression de la Russie en Asie mineure. Toutes se sont armées
afin de pouvoir avoir une voix prépondérante au chapitre dans la lutte pour le
partage du monde : toutes ambitionnent d'être, autant que faire se peut,
des <i>grandes puissances</i>. Et partout, cette aspiration s'est saisie
progressivement de la bourgeoisie entière. La fraction de la bourgeoisie qui
constituait encore une opposition antimilitariste, progressiste et radicale, y prit
part petit à petit, elle dut capituler devant les prétentions militaristes
croissantes ou se vit lâcher par ses anciens partisans. En Angleterre comme en
France et en Allemagne, l'ancienne opposition bourgeoise qui était en désaccord
avec le cours impérialiste fondit de plus en plus pour se résumer à quelques
phrases - car on votait pour la flotte, pour l'armée, pour les dépenses
coloniales. C'est en Allemagne que le développement de ce courant dans la
bourgeoisie fut le plus nettement perceptible parce que <i>l'impérialisme
allemand</i> est nécessairement, de par sa nature, <i>agressif </i>: il a
encore tout à gagner et il se sent assez fort pour l'obtenir. Dans les autres
pays, où l'impérialisme doit avant tout faire attention à la défense de son
état de fortune, cela est moins fortement marqué ; le développement de
l'aspiration et de la volonté impérialiste n'est apparu en toute clarté que
durant la guerre. Mais partout, l'impérialisme est devenu, dans les vingt
dernières années, la politique dominante de tous les grands Etats capitalistes.<br />
<div style="text-align: justify;">
Seule une force se tint à l'écart de
l'impérialisme et le combattit : la social-démocratie en tant que
représentante du prolétariat. Lors de plusieurs congrès internationaux et
nationaux, elle exprima dans des résolutions son hostilité à cette politique.
On ne peut douter de la sincérité de ces déclarations ; le danger
d'embrasement d'une guerre du fait de cette aspiration impérialiste se
rapprochait de jour en jour, et une telle guerre mondiale signifiait pour la
classe ouvrière le plus grand des malheurs, un sacrifice indicible de vies et
de biens, l'effondrement de son union internationale, l'amoindrissement de sa
situation économique pour de longues décennies. C'est pour cette raison que les
congrès internationaux firent de la lutte contre la guerre le devoir principal
des partis sociaux-démocrates. Parfois, on se rengorgeait même sur le fait que
la crainte qu'avaient les gouvernements de la social-démocratie empêcherait la
guerre. Mais quand les gouvernements voulurent réellement la guerre en 1914, <i>la
résistance de la social-démocratie</i> apparut, dans les pays de l'Europe
occidentale, comme un <i>spectre inexistant</i>. Et elle n'avoua pas, même en
grinçant des dents, son impuissance, mais elle prit part à la guerre, se soumit
à la volonté de la bourgeoisie, devint patriotique et approuva les crédits de
guerre - une rupture complète avec tout ce qu'elle avait proclamé être
jusqu'alors ses principes et sa tactique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Comment cela fut-il possible ? On
donne souvent cette réponse : la social-démocratie, le prolétariat étaient
<i>trop faibles</i>. C'est juste mais cela peut facilement être mal compris.
C'est ainsi que des défenseurs de l'attitude du parti allemand disent :
nous étions trop faibles, et donc nous ne pouvions pas résister et nous avons
dû participer. Mais s'il s'était agi là d'une insuffisance de force matérielle,
on aurait pu lutter et tenter de résister le plus possible - comme en Italie
par exemple. Mais c'était bien pire : <i> on n'a pas de tout essayé de
lutter</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
La faiblesse était beaucoup plus
grave : essentiellement une absence de combativité, un manque de force
morale, un défaut de volonté à mener la lutte de classe. Que le parti n'obtint
lors des élections qu'un tiers des voix, qui ne comprend, dans un peuple de 70
millions d'habitants, qu'un million de personnes parmi lesquelles l'immense
majorité se contente de payer sa cotisation, qu'un tel parti ne puisse vaincre
et écraser la bourgeoisie, tout le monde le savait d'avance. Mais, d'après ces
chiffres qui correspondent à la force externe du parti, le parti aurait été
assez puissant pour déclencher un grand mouvement d'opposition. Qu'il n'y ait
pas eu de tentative dans ce sens, qu'on ait mis bas les armes sans combattre,
cela démontre que le parti <i>était pourri de l'intérieur et incapable de
remplir ses tâches nouvelles</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les partis sociaux-démocrates sont issus de
la situation antérieure de l'époque pré-impérialiste ; ils sont,
intellectuellement et matériellement adaptés aux tâches de la lutte
prolétarienne de l'époque précédente. Leur tâche était, pendant la croissance
du capitalisme, de lutter pour des réformes, pour autant qu'elles étaient
possibles sous le capitalisme, et de rassembler et d'organiser les masses
prolétariennes par ce moyen et pour cette fin. C'est ainsi que furent créés de
grands syndicats et partis, mais, entre-temps, <i>la lutte</i> pour les
améliorations dégénéra de plus en plus en <i>une poursuite et une recherche des
réformes à tout prix</i>, jusqu'à demander l'aumône à la bourgeoisie et à se
compromettre avec elle, jusqu'à une politique restreinte aux petits avantages
immédiats, qui ne prenait plus en considération les intérêts généraux de
l'ensemble de la classe et qui renonçait même à la lutte de classe. Sous
l'influence de la grande prospérité qui réduisait fortement la misère la plus
grave qu'est le chômage, un esprit de contentement, d'indifférence à l'égard
des intérêts généraux de classe, fit son apparition. Le <i>réformisme</i>
régnait de plus en plus sur la social-démocratie et il annonçait la
dégénérescence et la décadence des anciennes méthodes précisément à l'époque où
de nouvelles tâches commençaient à se présenter au prolétariat.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ces tâches nouvelles consistaient dans la
lutte contre l'impérialisme. Contre l'impérialisme, on ne pouvait plus se tirer
d'affaire avec les anciennes méthodes. On pouvait critiquer au parlement ses
manifestations (préparatifs d'armement, impôts, réaction, stagnation de la
législation sociale), mais on ne pouvait pas influencer sa politique, étant
donné qu'elle était menée non par les parlements mais par de petits groupes de
personnes (en Allemagne, le Kaiser avec quelques nobles, généraux, ministres et
financiers ; en Angleterre, trois ou quatre aristocrates et
politiciens ; en France, quelques banquiers et ministres). Les syndicats
avaient du mal à défendre leur peau face aux puissantes unions
patronales ; tout le talent de leurs fonctionnaires se brisait sur la
puissance de granit des maîtres de cartels. On ne pouvait pas changer les lois
électorales réactionnaires par les seules élections. De nouveaux moyens de
lutte étaient nécessaires. <i>La masse prolétarienne devait entrer en scène
elle-même avec des méthodes de lutte actives</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il n'était pas a priori impensable que le
parti s'adapte à ces conditions et tâches nouvelles, et change sa tactique.
Tout d'abord, cela aurait impliqué une analyse claire, une appréhension
intellectuelle de l'impérialisme, de ses causes, de sa force et de sa
signification. Ensuite, il aurait fallu engager la masse elle-même dans la
lutte là où la force des parlements n'était pas suffisante. Il y eut un petit
début lorsque, dans la lutte pour le suffrage universel en Prusse, les masses
se manifestèrent dans la rue si vigoureusement que la direction du parti
elle-même recula par peur de l'ampleur des nouvelles luttes qui préfiguraient
brusquement l'avenir immédiat, et qu'elle commença, à partir de ce moment-là, à
les étouffer. Un petit groupe de <i>radicaux de gauche</i> tenta d'entraîner le
parti sur cette voie des luttes de masse ; certains essayèrent de susciter
la compréhension de l'impérialisme. Mais les couches dirigeantes du parti, la
direction, <i>la bureaucratie du parti, Kautsky</i> et ses amis, barrèrent le
chemin à cette tendance. Pour eux, l'impérialisme n'était qu'une folie
bourgeoise de la course aux armements, folie alimentée par quelques grands
capitalistes et dont il fallait détourner la bourgeoisie avec de bons
arguments. Ils cherchèrent leur salut dans le « retour à l'ancienne
tactique éprouvée » avec laquelle ils ont essayé vainement de contenir le
révisionnisme. Ils s'opposèrent à la nouvelle tactique révolutionnaire. <i>La
bureaucratie des fonctionnaires et des chefs</i>, qui identifiait naturellement
ses <i>intérêts de groupe</i> particuliers pour un développement calme et
pacifique du parti avec les intérêts du prolétariat, résista de toutes ses
forces aux « aventures anarcho-syndicalistes » dans lesquelles les
« actionnaires de masse » voulaient précipiter le parti. La
bureaucratie régnait sur le parti, intellectuellement et matériellement, grâce
à la presse, à ses fonctions et à son crédit. Il en résulta que <i>la structure
du parti</i>, léguée par la situation antérieure, <i>n'était pas en mesure de
se transformer conformément aux nouvelles tâches</i>. Elle devait sombrer. Le
déclenchement de la guerre en fut la catastrophe. Surprise par les événements,
abasourdie et décontenancée, incapable d'une quelconque résistance, emportée
par les slogans nationalistes, sans force intellectuelle, la plus fière
organisation de la social-démocratie s'effondra en tant qu'organe du socialisme
révolutionnaire. Et avec elle, presque tous les partis sociaux-démocrates
d'Europe, qui étaient pour la plupart depuis longtemps rongés intérieurement
par le réformisme, prirent le même chemin. Comment une nouvelle force de combat
de socialisme s'élèvera ensuite de ces décombres, il faut laisser cela à
l'avenir. Nous pouvons seulement tirer de l'effondrement de l'ancienne
social-démocratie des enseignements pour savoir quelles sont les tâches à
attendre du prolétariat et de quelle manière il sera capable de leur apporter une
solution.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
La lutte du prolétariat contre le
capitalisme n'est possible, à partir de maintenant, que comme lutte contre
l'impérialisme ; en effet, le capitalisme moderne ne connaît pas d'autre
politique que la politique impérialiste. La lutte de classe, la lutte pour le
socialisme, prend à présent la forme de la lutte contre l'impérialisme. Mais,
en tant que telle, elle acquiert un caractère nouveau, et même prometteur. De
nouvelles perspectives de victoire apparaissent ; oui, on peut affirmer
tranquillement que <i> seul l'impérialisme crée les conditions pour une
victoire du prolétariat, pour la réalisation du socialisme.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
En premier lieu, l'impérialisme rend la
lutte de classe plus intense et plus générale. L'impérialisme éveille toutes
les forces qui sommeillent dans le monde bourgeois, il donne à la bourgeoisie
une forte énergie et un grand enthousiasme pour ses idéaux de grande puissance,
et cela entraîne de grandes masses. Cela signifie tout d'abord, il est vrai, un
effondrement du mouvement ouvrier, tant que les ouvriers restent immobilisés
dans leurs vieilles traditions et ne se sont pas élevés au niveau des exigences
de leur époque. Mais l'espérance du socialisme ne réside pas dans l'incapacité
ou le manque de vigueur de la bourgeoisie mais dans la capacité et la force du
prolétariat. L'action appelle la réaction : de la pression et de l'énergie
venant d'en haut suscitent finalement de l'exaspération, de la détermination
dans la lutte et de l'énergie de la part en bas. Dans l'ancien capitalisme,
c'était le désir d'améliorer les choses qui constituait la force motrice de la
lutte ; mais des millions de gens survivaient dans un état inerte de
satisfaction ; le désir de réformes ne pouvait pas les pousser jusqu'à un
degré d'énergie suffisant. Maintenant, l'impérialisme fait pression sur leurs
conditions d'existence, leur inflige des impôts croissants, exige d'eux des
sacrifices de plus en plus importants, jusqu'à leur écrasement complet ;
maintenant, la dégradation de leur vie les secoue, maintenant, ils doivent se
défendre. On ne peut plus dire : ce n'est pas mon problème puisque je suis
content - on est impliqué, car l'impérialisme s'attaque activement au
prolétariat. Et pas seulement aux prolétaires ; les paysans et les
petits-bourgeois, qui n'avaient pas trop à souffrir autrefois du capital,
doivent également donner leur vie et leurs biens pour les buts impérialistes du
grand capital. Tout le monde est entraîné dans la lutte, d'un côte ou de
l'autre, personne ne peut se tenir à l'écart. Et puisque le socialisme ne peut
pas être obtenu par un petit noyau de combattants se trouvant au sein d'une
masse qui ne participe pas à cette lutte, mais uniquement par le peuple <i>tout
entier</i>, c'est la généralisation de la lutte du fait de l'impérialisme qui
crée justement les conditions pour le socialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
En second lieu, l'impérialisme rend
nécessaire de nouvelles méthodes tactiques. Si l'on parle souvent des <i>actions
de masse</i> comme d'une <i>nouvelle</i> tactique, c'est uniquement parce que,
à l'époque du parlementarisme, l'estimation correcte de la réalité s'est perdue
et qu'a fait son apparition la croyance selon laquelle une classe pourrait
remporter la victoire par l'effet des discours de quelques chefs. Tout grand
bouleversement dans la société, toute transmission de pouvoir à une nouvelle
classe fut l'œuvre des masses, des classes mêmes qui remportèrent la victoire. Le
parlementarisme fut déterminant pendant la période de préparation où il fallait
tout d'abord rassembler la classe et où l'on ne pouvait combattre qu'avec des
mots. Dès que des forces suffisantes sont rassemblées pour des offensives
actives, la vieille vérité reprend ses droits, à savoir que c'est uniquement la
classe elle-même qui peut mener la lutte. Et c'est encore plus valable lorsque
de nouvelles circonstances, de nouvelles misères sociales incitent les masses à
l'action. De même que la révolution française fut sans doute la conséquence du
mûrissement de la bourgeoisie et de la progression de nouvelles idées, mais que
son déclenchement, précisément dans ces années-là, fut en même temps le
résultat d'une grande détresse des masses et d'une tension politique
croissante, de même, ce qui est à l'œuvre dans la révolution prolétarienne
c'est la lente croissance de l'idée socialiste conjointement avec l'effet
stimulant d'événements sociaux déterminés.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette détresse, ces événements sont
produits par l'impérialisme et c'est en cela qu'il pousse les masses à des
agissements spontanés. Les parlements ne peuvent généralement rien faire dans
les domaines où la politique de la classe dirigeante conduit, pour ainsi dire
instinctivement et mécaniquement, aux actes les plus graves en matière
d'oppression et d'hostilité et à l'encontre des masses, au renchérissement des
prix, aux réductions de salaire, aux impôts, au chômage, à la réaction
politique, à la guerre. Dans ces circonstances, seule la masse elle-même peut
faire quelque chose. Si, déconcertée et incertaine, elle demeure inactive,
toutes les protestations au parlement ne servent à rien et, sans défense, elle
doit tout supporter patiemment. Mais si elle veut se manifester, elle doit
alors se manifester en tant que masse, exercer sur le gouvernement une pression
directe par des démonstrations et des actions spontanées ou préparées ;
cette pression se présente comme un facteur politique nouveau, étant donné que,
par peur que de tels mouvements prennent de l'ampleur, la classe dirigeante a
intérêt à y céder plus ou moins. Il est arrivé souvent, dans les années
précédentes, qu'un attentat préparé contre le droit de coalition dans différent
pays ait été empêché par une action des masses, par exemple grâce à une grève
politique. Si le prolétariat allemand était entré en action massivement et
puissamment il y a trois ans contre la vie chère, ou dans les années
antérieures, contre la guerre, les classes dominantes auraient certainement dû
tenir compte plus ou moins de lui.</div>
<div style="text-align: justify;">
Non seulement l'action de la masse
constitue l'unique moyen pour lutter contre de telles difficultés et de tels
dangers avec une possibilité de succès, mais il n'y a pas d'autre façon
d'obtenir des réformes importantes. Dans la première période du
parlementarisme, de nombreuses réformes furent conquises parce que l'augmentation
des voix sociaux-démocrates effrayait la classe dominante ; elle sentait
vaciller les fondements de sa domination. Mais quand elle s'aperçut qu'il ne
s'agissait que d'une façon de voter, que d'un état d'esprit oppositionnel qui
n'était pas suivi d'actions ultérieures, la peur disparut et avec elle son
acceptation bienveillante des réformes. Le précepte : « Oderint, dum
metuant », est également valable dans la lutte de classes ; voter
rouge, quelle importance cela a-t-il pour nous, à condition que l'on s'en
tienne là. C'est seulement par peur que le mécontentement, la puissance, la rébellion
du prolétariat prennent trop d'extension autrement, que la classe dominante
fait des concessions. Avec l'impérialisme qui a donné à la bourgeoisie une
confiance en soi et une assurance nouvelles, les réformes ont cessé. Des
moyens plus énergiques, des actions de masse, sont maintenant nécessaires pour
obtenir des réformes ; et, en Belgique, en Suède, en Russie, cette méthode
d'action a déjà révélé sa force dans la conquête de nouveaux droits politiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cela signifie que la contradiction entre la
tactique révolutionnaire des actions de masse et la tactique non
révolutionnaire du seul parlementarisme ne doit pas être comprise dans un sens
absolu. Est révolutionnaire tout ce qui accroît la puissance de la classe
ouvrière. C'est pourquoi, le parlementarisme était révolutionnaire il y a
trente ans, tandis que les tentatives d'actions subversives étaient en ce
temps-là inefficaces et donc non révolutionnaires. A l'heure actuelle, le
parlementarisme a, sous plus d'un rapport, un effet non révolutionnaire parce
qu'il ne renforce pas la puissance du prolétariat, mais qu'au contraire il
l'affaiblit - mais, naturellement, une lutte parlementaire bien conduite peut
avoir aussi à l'avenir une grande importance révolutionnaire. Et donc
maintenant, sous l'impérialisme, le principe de base de la tactique socialiste
demeure l'unité de la réforme et de la révolution ; la lutte pour les
intérêts vitaux immédiats du prolétariat, contre tout ce qui l'opprime, est en
même temps la lutte pour le socialisme. La différence avec autrefois réside
dans le fait que <i>de grandes, d'importantes réformes ne peuvent être
conquises à l'avenir qu'avec les grands moyens des actions de masse</i>. Les
actions de masse sont les grandes manifestations de force décisives du
prolétariat, dont celui-ci a besoin contre l'énorme puissance de l'impérialisme
pour ne pas être écrasé, pour s'affirmer, pour aller de l'avant. (A côté
d'elles, tous les petits moyens de lutte quotidienne conservent leur valeur et
leur nécessité.) C'est la raison pour laquelle cette nouvelle période du
capitalisme que nous appelons l'époque de l'impérialisme, sera en même temps <i>l'époque
des actions de masse</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Nous voyons donc comment le caractère
nouveau du capitalisme moderne rend nécessaire un <i>socialisme nouveau</i>, un
mouvement ouvrier nouveau avec un caractère nouveau ; nécessaire dans le
sens que ce n'est que comme cela qu'un combat véritable et couronné de succès
est possible contre le capitalisme. Et non seulement ce combat nouveau jaillit
du capitalisme nouveau comme une nécessité inévitable, mais il constitue aussi
en même temps la seule voie pour vaincre la domination du capital, la seule
voie menant au socialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
La domination de la bourgeoisie repose
aujourd'hui, comme celle de toutes les classes dominantes précédentes, sur les
grands moyens de pouvoir dont elle dispose. Bien qu'elle ne constitue
habituellement qu'une minorité, elle dispose de savoirs et de connaissances
grâce auxquels elle est intellectuellement supérieure à la masse des
dominés ; par l'école, l'Eglise, la presse, la classe possédante règne sur
les pensées et les sentiments des masses. Son pouvoir repose en outre sur sa
forte organisation. Une minorité bien organisée peut dominer une majorité,
quand celle-ci n'est pas organisée, c'est-à-dire quand elle ne fait pas corps
et qu'elle n'a pas d'unité de volonté et d'action. Cette organisation de la
classe dominante, c'est le pouvoir d'Etat qui, grâce à son armée de
fonctionnaires finement ramifiée et organisée, se dresse partout, comme un
corps à volonté unitaire, face à la masse du peuple atomisée. Et là où
l'autorité habituelle qui en découle disparaît parmi les masses quand celles-ci
entrent en rébellion, l'Etat a à sa disposition de puissants moyens de pouvoir
matériels : police, justice, et en fin de compte une armée disciplinée et
bien équipée - que peut faire contre cela une masse inorganisée de personnes
prises isolément ?</div>
<div style="text-align: justify;">
On a souvent nourri, dans la période de
parlementarisme, l'illusion que l'on luttait avec la bourgeoisie pour le
pouvoir d'Etat, pour le commandement de cet organisme durable de l'Etat qui est
le maître des lois. La conséquence de cette conception fut la manière de voir
réformiste : il suffisait de remplacer les ministres capitalistes par des
ministres sociaux-démocrates et nous cinglerions vers le socialisme toutes
voiles dehors. A l'encontre de cela, on pourrait poser la question :
qu'est-ce qui changera fondamentalement dans le monde si ce qui change c'est la
personne des ministres ? On peut se rappeler l'expérience selon laquelle
chaque social-démocrate qui devint ministre devint en même temps le serviteur
et le mandataire de la classe dominante. Mais ce qui est déterminant dans la
critique de cette conquête parlementaire du pouvoir, c'est le fait que la
classe dominante peut rendre impossible partout à l'avance une telle prise de
possession pacifique du pouvoir politique grâce à la loi électorale et à la
constitution. Pour le rendre possible, il faut d'abord conquérir partout
l'égalité du droit de vote ; et ceci n'est possible que si les masses
elles-mêmes interviennent de manière extra-parlementaire. La conquête du
pouvoir politique par le prolétariat se compose, selon le droit public, de deux
éléments : premièrement, la majorité du peuple doit être gagnée au
socialisme, et, deuxièmement, cette majorité doit pouvoir disposer du
gouvernement et de l'Etat. Le premier élément requiert de la propagande, de l'agitation,
de l'action, qui sont tout à fait envisageables dans le cadre du
parlementarisme ; le second implique une <i>démocratie politique</i>
absolue qui n'existe nulle part et qui ne peut pas non plus être réalisée par
le travail pacifique d'agitation et de législation du parlement. <i>Elle ne
peut être conquise que par une lutte des masses, par des actions de masse</i>. C'est
pourquoi le centre de gravité de la lutte pour le pouvoir politique se situe de
plus en plus dans la lutte <i>pour</i> les droits politiques qui constituent l'expression
de la domination de la majorité sur l'Etat. Dans cette lutte, comme en général
dans la lutte de classe, la classe dominante met en mouvement le pouvoir
d'Etat, avec ses instruments de force, contre le prolétariat. Le pouvoir d'Etat
n'est pas simplement un objet neutre de la lutte de classe, mais il est au
contraire une arme et une citadelle de la bourgeoisie, son soutien le plus
solide, sans lequel elle n'aurait jamais pu se maintenir. La lutte du
prolétariat est donc en premier lieu une lutte <i>contre le pouvoir d'Etat</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Quelle est l'importance des actions de
masse dans cette lutte ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Toutes les conditions et les situations
politiques sont déterminées par les rapports de force entre les classes. Ce
n'est que lorsque une classe montante est supérieure en force à son adversaire
qu'elle peut prendre le pouvoir. La question du socialisme est la question de
la croissance de la force du prolétariat. La puissance sociale du prolétariat
consiste dans sa supériorité numérique qui augmente d'elle-même grâce au
capitalisme, dans sa force intellectuelle - conscience de classe, pensée
révolutionnaire, claire compréhension de la nature de l'Etat et de la société -
et dans sa force morale et matérielle - organisation, solidarité, unité,
discipline. Ces facteurs sont tous encore à l'heure actuelle en quantité
insuffisante ; mais, grâce à sa croissance, la puissance de la classe
ouvrière dépassera en fin de compte celle de la classe dominante. Du fait de sa
conscience de classe et de son intelligence socialiste, elle se rendra
intellectuellement indépendante de la bourgeoisie et elle deviendra
intellectuellement plus forte qu'elle ; du fait de son organisation, elle
sera capable de résister finalement aux puissantes organisations de la
bourgeoisie et de devenir plus solide que le pouvoir d'Etat de celle-ci. Et
cette croissance des éléments de force du prolétariat signifie en même temps
une transformation de toute l'humanité, d'une masse bornée, manquant de
compréhension, d'individus isolés et égoïstes à une humanité conduite par une
conscience commune de sa nature sociale, laquelle deviendra capable, à cette
condition seulement, de diriger par elle-même et de façonner consciemment sa
production et sa vie sociale. C'est cette même montée en puissance qui permettra
au prolétariat de renverser la domination de la bourgeoisie et qui le rendra,
en même temps, mûr pour le socialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
Qu'est-ce qui produit cette montée ?
La lutte de classe. Tous les combats, qu'ils occasionnent dans l'immédiat des
victoires ou des défaites, participent à l'édification de la puissance du
prolétariat, soit par la clarification de sa compréhension, soit par le
renforcement de son organisation, soit par la liquidation de traditions qui
l'entravent. L'importance du parlementarisme, au cours de la période écoulée,
consiste dans le fait qu'il a construit les premiers débuts de la puissance
prolétarienne, apporté une compréhension socialiste, aidé à créer des
organisations, quelque peu secoué les masses et en même temps fait s'écailler
l'apparence morale du pouvoir d'Etat. Ce n'était pas suffisant pour rendre
possibles les actions de masse. <i>Les actions de masse seront le moyen de
continuer à accroître la puissance du prolétariat jusqu'au degré le plus élevé
et, en même temps, pour anéantir la puissance du pouvoir d'Etat</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans les actions de masse, parmi lesquelles
la grève de masse est la forme la plus puissante, les moyens de force les plus vigoureux
des deux classes s'affrontent. Par sa force morale et intellectuelle, son
organisation, sa violence, l'Etat cherche à empêcher ou à briser l'action des
masses pour ne pas avoir à y céder. L'autorité cherche à décourager, à
intimider et à diviser les travailleurs par la censure de la presse, les
informations mensongères, l'état de siège, les arrestations, les fusillades,
l'empêchement de tout accord mutuel. Ensuite, cela dépend de la conscience
claire et solide, de la détermination et de la discipline sans faille, des
masses que cela réussisse. Si cela réussit, c'est alors une défaite des
travailleurs qui doivent ensuite tenter à nouveau la même chose avec une force
neuve. Mais si cela ne réussit pas, le gouvernement doit alors céder plus ou
moins, et le prolétariat a obtenu un succès, sa force s'est remise à croître et
la puissance de l'Etat a reçu un coup. Lors d'une grève de masse,
l'organisation entière de l'Etat peut temporairement se disloquer et sa
fonction peut temporairement passer à l'organe du prolétariat ; ce qui a
eu lieu en Russie en 1905, peut se représenter à l'avenir en Europe occidentale
sur une échelle bien plus grande. Là, l'organisation du prolétariat a - du
moins temporairement - montré sa supériorité sur l'organisation de la
bourgeoisie. Si on utilise la troupe contre les masses, cela peut signifier
temporairement une victoire pour le gouvernement, mais de ce fait la discipline
commence en même temps à se relâcher et à la fin ce moyen de force le plus
puissant de la classe dominante lui échappe des mains. Naturellement, un
avantage acquis peut être reperdu ; victoires et défaites alterneront ;
mais à la longue, la compréhension, la puissance d'organisation, l'énergie
révolutionnaire des masses augmenteront nécessairement sans cesse alors que la
puissance du pouvoir d'Etat diminuera. Si le prolétariat, et avec lui la
société, ne doivent pas en définitive complètement périr, il n'y a qu'une issue
possible à la lutte : <i>la solidité, qui se développe dans la lutte, de
la solidarité et de l'organisation prolétariennes brise, dans les actions de
masse, les moyens de force et l'organisation de l'Etat</i>. Ainsi, le pouvoir
politique tombe entre les mains du prolétariat, et on peut commencer à créer
les organes qui sont nécessaires à la nouvelle régulation de la production.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'importance historique des actions de
masse est la suivante : par le difficile combat de la classe elle-même,
elles rendront le prolétariat mûr pour le socialisme et elles permettront
d'anéantir le pouvoir de la bourgeoisie. L'importance historique de
l'impérialisme est la suivante : il contraindra la classe ouvrière à
entamer cette lutte au moyen des actions de masse et à choisir le chemin de la
liberté.</div>
<div style="text-align: justify;">
Une nouvelle page de la lutte prolétarienne
commence. Ce n'est que maintenant que cette lutte s'élève à la hauteur de ses
grands buts ; contre le pouvoir très puissant d'un capitalisme qui se
développe de manière gigantesque et d'une bourgeoisie énergique et combative,
c'est à toute la puissance du prolétariat qu'il faut faire appel, c'est la
masse innombrable elle-même qui doit entrer en scène, le regard tourné non plus
vers les sphères étriquées du travail et les petites améliorations, mais vers
la grande lutte mondiale des classes, soulevée par les misères et les
souffrances vers des actions énergiques, le cœur plein d'enthousiasme, l'âme
pleine d'énergie révolutionnaire. Une nouvelle Internationale surgira qui ne
sera plus seulement emplie de sentiments fraternels à l'égard des camarades de
classe d'au-delà les frontières et qui s'effondrera immédiatement devant la
frénésie nationale des détenteurs du pouvoir, mais qui sera prête à combattre
contre sa propre bourgeoisie belliciste avec les prolétaires qui parlent
d'autres langues.</div>
<div style="text-align: justify;">
A l'heure actuelle, nous nous trouvons au
milieu des ruines de l'ancienne Internationale, de l'ancien socialisme :
ce n'est que dans le lointain que nous voyons, et seulement théoriquement pour
ainsi dire, ce qu'il en adviendra nécessairement ; <i>pouvons-nous par
hasard observer déjà dans ce qui se passe aujourd'hui les débuts de la nouvelle
évolution ?</i> Voyons-nous déjà le nouveau mouvement ouvrier, la nouvelle
Internationale, grandir sur les décombres de l'ancien mouvement ouvrier, de
l'ancienne Internationale ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Il a souvent été dit qu'après la guerre, <i>une
scission dans les partis socialistes devait se produire</i>. Ceux qui sont
regroupés aux côtés de l'impérialisme, qui ont de tout leur cœur fait cause
commune « nationale » avec la bourgeoisie - comme <a href="https://www.marxists.org/francais/bios/scheidemann.htm">Scheidemann</a>, Heine,
Lensch, <a href="https://www.marxists.org/francais/bios/vaillant.htm">Vaillant</a>,
<a href="https://www.marxists.org/francais/bios/sembat.htm">Sembat</a>, <a href="https://www.marxists.org/francais/bios/plekhanov.htm">Plekhanov</a>, les liquidateurs, Tillet - tous ceux-là,
quels que soient les services qu'ils aient rendus au mouvement ouvrier, ne
pourront plus cohabiter dans le même parti avec ceux qui ont combattu de
manière résolue l'impérialisme. Mais l'affaire n'est cependant pas aussi
simple. En effet, le réformisme a déjà depuis longtemps voulu accompagner la
bourgeoisie, la politique coloniale, l'impérialisme ; la guerre, qui
démasque l'impérialisme comme le plus grand ennemi de la classe ouvrière,
clarifie donc simplement le fait que <i>les réformistes et les révolutionnaires</i>,
qui pouvaient cohabiter durant la période des petites réformes, ne doivent plus
appartenir au même parti mais au contraire être des <i>ennemis mortels</i>. Mais,
avec la masse du parti allemand et ses milieux dirigeants - dont <i>Kautsky</i>
est le représentant littéraire -, il en est autrement. Ils ne sont pas des
amis, mais des ennemis de l'impérialisme ; ils n'ont pas pris part à la
guerre du fait d'une manière de penser impérialiste et d'une conscience
nationale claire, mais parce qu'ils furent trompés par le mot d'ordre de guerre
défensive, en partie parce qu'ils s'en tenaient à la vieille idéologie de la
défense de la patrie, et donc du fait de leur ignorance et de leur
philistinisme, en partie parce qu'ils ne savaient pas lutter et qu'ils
n'osaient pas lutter contre la classe dominante. Il existe donc là la
perspective d'un reversement d'état d'esprit, qui est déjà notablement perceptible,
et c'est également valable pour la meilleure partie des ouvriers français,
aussi bien parmi ceux qui appartenaient auparavant aux sociaux-démocrates que
parmi ceux qui appartenaient auparavant aux syndicalistes. On peut penser que
ces masses et leurs représentants se manifesteront de manière de plus en plus
acharnée contre la bourgeoisie et la guerre. N'y a-t-il pas en cela l'espoir
que la majorité, la plus grande ou du moins une très grande partie de
l'ancienne social-démocratie se ressaisisse pour une lutte énergique contre
l'impérialisme, qu'instruite par cette cruelle expérience elle se mette en état
de se défendre et utilise les nouvelles méthodes tactiques, et qu'ainsi elle
reconstruise la nouvelle Internationale à partir des décombres de
l'ancienne ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette question est d'une importance
extraordinaire, mais on ne peut rien prédire avec certitude. On peut cependant
mentionner quelques raisons importantes qui produiront vraisemblablement un <i>autre</i>
avenir. Elles résident dans la nature d'ensemble d'un grand parti achevé, dont
la social-démocratie allemande est le modèle. Il est une organisation
gigantesque, solidement construite, qui vit presque comme un Etat dans l'Etat,
avec ses propres fonctionnaires, ses propres finances, sa propre presse, son
propre monde intellectuel, sa propre idéologie (le marxisme). Le caractère
d'ensemble de cette organisation est adapté à l'époque pré-impérialiste
pacifique, et les champions de ce caractère sont les fonctionnaires, les
secrétaires, les agitateurs, les parlementaires, les théoriciens et les
écrivains, qui, avec leur nombre qui atteint plusieurs milliers, constituent
déjà leur propre caste, un groupe avec ses propres intérêts et qui sont
entièrement de ce fait, intellectuellement et matériellement, les maîtres de
l'organisation. Ce n'est pas un hasard si tous, Kautsky à leur tête, ne veulent
rien savoir d'une <i>lutte</i> véritable et acharnée contre l'impérialisme.
Tous leurs intérêts vitaux s'opposent à la tactique nouvelle qui met en péril
leur existence en tant que fonctionnaires. Leur paisible travail dans les
bureaux et les rédactions, dans les conférences et les réunions de comités,
dans l'écriture d'articles savants et non savants contre la bourgeoisie ou
contre certains d'entre eux - toute cette activité à l'affairement tranquille
est menacée par les tempêtes de l'ère impérialiste. La théorie et la tactique
de Kautsky sont une tentative de préserver tout cet appareil bureaucratique et
instruit des dégâts dans la révolution sociale qui s'annonce. Il ne peut être
en réalité sauvé que si on le place en dehors du tumulte désordonné, en dehors
du combat révolutionnaire, et donc en dehors de la vraie vie. Si le parti et sa
direction suivaient la tactique des actions de masse, le pouvoir d'Etat
attaquerait et peut-être détruirait immédiatement les organisations - la raison
de toute leur existence et de toute l'activité de leur vie -, confisquerait les
caisses, emprisonnerait les chefs. Ce serait naturellement une illusion de
croire qu'il aurait ainsi brisé la force du prolétariat : la puissance
d'organisation des ouvriers ne consiste pas dans la forme extérieure des corps
associatifs mais, au contraire, dans l'esprit d'union, de discipline, d'unité,
et c'est ainsi que les ouvriers créeront des formes nouvelles et meilleures
d'organisation. Mais, pour les fonctionnaires, ce serait la fin, car cette
forme d'organisation antérieure est pour eux tout leur monde, sans laquelle ils
ne peuvent ni exister ni agir. L'instinct de conservation, l'intérêt corporatif
de leur groupe les contraignent donc nécessairement à la tactique d'esquiver
l'impérialisme et de capituler devant lui. C'est pourquoi, ce qui s'est passé
avant la guerre et lors de son déclenchement n'est pas un effet anormal du
hasard. Ils disent - comme ils l'ont déjà dit si souvent - que de telles luttes
de masse périlleuses ruineraient les organisations et que, par conséquent,
elles ne peuvent pas être provoquées de gaieté de cœur. L'organisation qui est
contrôlée par eux ne mènera donc pas la lutte contre l'impérialisme de façon
résolue, avec toute sa puissance. Leur lutte sera une lutte en paroles, avec
des accusations, des requêtes et des adjurations, une <i>lutte apparente</i>
qui évite tout <i>acte de lutte</i>. La meilleure preuve de cela est fournie
précisément par Kautsky lequel, après avoir, à la suite d'une longue
indécision, entamé la lutte contre le social-impérialisme, qualifie en même
temps d' « aventure » les manifestations de rue. Et donc, il faut
combattre l'impérialisme, en paroles, mais ne pas se risquer à des
actions !</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est pourquoi il n'y a pas grand'chose
d'autre à attendre de la bureaucratie du parti qui a existé jusqu'ici, étant
donné qu'elle ne veut toujours rien savoir d'une lutte révolutionnaire contre
l'impérialisme. Elle voudra limiter la lutte à de petites querelles inutiles au
parlement et dans la presse, à de longues phrases sur de petites questions, à
la petite lutte syndicale. Bien que les réformistes soient des partisans de
l'impérialisme et les radicaux du centre en soient les adversaires, ils
pourront quand même rester ensemble sur la ligne commune de la seule critique
et du non combat. Ils chercheront à transformer le parti en un parti réformiste
bourgeois, en un parti travailliste sur le modèle anglais, avec seulement
quelques phrases socialistes, qui défend énergiquement les intérêts quotidiens
des travailleurs mais qui ne mène pas de grande lutte révolutionnaire.</div>
<div style="text-align: justify;">
La tâche consistant à faire voir aux
travailleurs l'importance et la nécessité des actions de masse contre
l'impérialisme, et, en toute occasion, à marcher à leur tête en les informant,
en les aidant et en les dirigeant, revient donc aux sociaux-démocrates
révolutionnaires. Mais si ce sont seulement des minorités ou de petits groupes,
qui n'ont pas encore les masses derrière eux, qui font de la propagande pour
cette nouvelle tactique, tandis que les grands partis de masse ne veulent rien
en savoir - l'action de masse, qui n'est pas pensable sans masses, ne devient-elle
pas une utopie ? Cette contradiction démontre seulement que les actions de
masse ne sont pas possibles en tant qu'actions conscientes, préparées
méthodiquement et conduites par le parti social-démocrate, ainsi que
l'extrême-gauche en Allemagne en faisait la propagande dans les années de
l'avant-guerre. Elles se présenteront d'abord comme des actions spontanées,
jaillissant des masses, lorsque celles-ci seront poussées en avant par la
détresse, la misère et la révolte, tantôt comme la conséquence involontaire
d'une petite lutte projetée par le parti qui submergera les digues, tantôt se déchaînant
« contrairement à la discipline » à l'encontre de la volonté et des
décisions des organisations ; mais ensuite, si elles grossissent puissamment,
elles entraîneront ces organisations elles-mêmes et elles les contraindront
temporairement à faire un bout de chemin avec les éléments révolutionnaires. Il
n'est pas exclu que, si la guerre continue un certain temps, quelque chose de
la sorte puisse bientôt se produire ; les symptômes sont déjà
reconnaissables.</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est la raison pour laquelle, dans les
périodes à venir, les organisations existantes (parti et syndicat) joueront
probablement, en vertu de leur nature générale, mais en contradiction avec les
luttes et les tâches des masses prolétariennes, essentiellement un rôle de
frein. Mais si la nouvelle tactique perce de plus en plus et si la force du
prolétariat se redresse peu à peu dans de grandes luttes de masse, elles ne
seront plus en mesure de jouer ce rôle. Alors, les organisations engourdies et
imperturbables du parti et du syndicat se transformeront de plus en plus en une
partie subordonnée à l'intérieur d'un mouvement de classe plus large et d'une
organisation de classe plus grande, qui liera les masses ensemble, non pas
grâce à la liste des adhérents, mais grâce à la communauté des objectifs de
classe, pour parvenir à une puissante collectivité de lutte.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.fr/search/label/Anton%20Pannekoek" target="_blank">Anton Pannekoek</a> </div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-24447688569775725482017-10-10T02:11:00.001-07:002017-10-10T02:22:50.648-07:00Venezuela : Crise, manifestations, lutte politique inter-bourgeoise et menace de guerre impérialiste<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiuN5Z7gBnrSwMI1Bx6F4sRZAm2sSKmiXhaJFbyQumb-ls-_aY4QoANe6uvlMWGMRj58RK1JremwS0BDaXV8rydwiojYutA87j0G6ytGMccnbwrq2MBsWLTFKetw4zJgYWyoi6hYosdR04y/s1600/venezuela-petrole.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="753" data-original-width="855" height="351" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiuN5Z7gBnrSwMI1Bx6F4sRZAm2sSKmiXhaJFbyQumb-ls-_aY4QoANe6uvlMWGMRj58RK1JremwS0BDaXV8rydwiojYutA87j0G6ytGMccnbwrq2MBsWLTFKetw4zJgYWyoi6hYosdR04y/s400/venezuela-petrole.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
– Le Venezuela est en crise parce que le capitalisme est en crise ;
ou plutôt, la crise capitaliste mondiale s’exprime sous une forme
dépouillée, brute et scandaleusement visible au Venezuela, non seulement
au niveau économique, mais aussi politique, social, idéologique et
probablement géopolitique et militaire maintenant et à l’avenir.</div>
<div style="text-align: justify;">
– La situation actuelle au Venezuela est une démonstration de l’échec
des gouvernements du « socialisme du XXI° siècle » de gérer
efficacement la crise capitaliste. Ce qui se passe, c’est que le Capital
et sa crise sont ingouvernables : c’est le Capital qui gouverne la
société et donc l’État, et non l’inverse. Croire le contraire est naïf,
en revanche faire semblant de le faire, c’est du réformisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="text-align: justify;">
– Le gouvernement du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV),
comme un bon capitaliste qu’il est, ne peut que « décharger » ou « faire
payer les pots cassés » aux prolétaires : pénuries, inflation,
sous-emploi, chômage, paupérisation. C’est-à-dire austérité et misère.
Ce qui donne comme conséquence logique de nouvelles manifestations de
rue contre de telles conditions matérielles d’existence, comme celles de
février-avril de cette année (et comme celles de février de l’année
dernière, évidemment). Ensuite, ce gouvernement, en fonction de son
rôle, ne peut qu’opter pour la répression : les lois répressives
« d’exception » adoptées par le Congrès (tel la résolution 008610, ce
qui permet à la police de réprimer les manifestations à balles réelles),
la mort conséquente de quelques jeunes manifestants par la police, etc.
Bien qu’il se justifie en disant qu’il a agi contre « la droite
déstabilisatrice et putschiste, qui complote avec l’impérialisme
américain » et même qu’il « regrette la mort de ces étudiants », il est
évident que le gouvernement de Maduro – comme tous les gouvernements de
gauche – n’est pas le moins du monde révolutionnaire. (Encore une fois,
il est à noter que Rousseff et Correa font essentiellement la même chose
dans leurs pays respectifs.)</div>
<div style="text-align: justify;">
– Bien que lors des manifestations de l’année dernière notre classe
ait revendiqué ses besoins matériels par l’action directe contre le
Capital et l’État (pillages, barricades, jets de pierres, attaques de
sièges de partis, etc.) ; bien que cette année, elle soit une nouvelle
fois descendue dans les rues pour protester contre la pénurie et
« contre le régime » ; et bien que la misère et la répression subie
aujourd’hui puisse la pousser à se débarrasser de tant d’années de
« chavisme » et de « missions sociales », le problème est que le
prolétariat au Venezuela – comme dans beaucoup d’autres régions – est
encore faible ; c’est-à-dire qu’il ne parvient pas encore à se
réorganiser et agir avec autonomie et puissance, avec ses propres
revendications et organisations, en tant que force sociale réelle, comme
classe de négation. Mais il ne faudrait pas pour autant exclure la
possibilité d’une explosion de colère prolétarienne incontrôlable tant
pour le gouvernement que pour l’opposition, l’émergence d’un prolétariat
sauvage au Venezuela précisément en raison des conditions difficiles
dans lesquelles survit actuellement notre classe. En fin de compte, nos
besoins humains en tant que prolétaires, insatisfaits ou niés par la
propriété privée et l’argent, se trouvent partout en opposition
matérielle et totale avec les besoins de l’accumulation et la gestion du
Capital ; de sorte que l’antagonisme structurel et latent entre la
classe capitaliste et le prolétariat peut exploser tôt ou tard ; en
particulier dans les situations de crise, puisque celle-ci peut à son
tour réchauffer ce « terrain fertile » de la lutte prolétarienne contre
le Capital et son État.</div>
<div style="text-align: justify;">
– Depuis les étudiants ayant de faibles revenus, en passant par les
chômeurs et les sous-employés « informels » dans les rues, qui au
Venezuela (et en Amérique latine en général) prolifèrent dans la misère,
et qui de plus sont ceux qui résident dans les banlieues et les
campements périphériques. Ainsi que les prolétaires « indigènes » et
« paysans » d’autres provinces, qui se sont déjà affrontés à plusieurs
reprises aux entreprises pétrolières, minières, charbonnières, ces
dernières étant soutenues par les forces de l’ordre du socialisme du
XXI° siècle ; sans oublier les différents secteurs de la classe ouvrière
qui ont protesté pour des questions revendicatives : les licenciements,
les salaires, les services, etc. Ils constituent tous le prolétariat en
lutte, et leur présence dans les rues, suscitant ainsi des tentatives
de révolte, le prouve. Il est donc tout à fait stupide de considérer les
protestations comme s’il s’agissait d’un mélange homogène qui obéit
exclusivement aux objectifs de la Table de l’Unité Démocratique.
« Opposition fasciste » ou « agents impérialistes » sont quelques-uns
des surnoms ridicules que nous voyons tous les jours dans tous les
médias de la gauche rance pour désigner ceux qui luttent contre leurs
misérables conditions d’existence… Il est nécessaire une fois pour toute
de rompre avec toutes ces fausses interprétations réductionnistes qui
ne font que défendre à tout prix le réformisme progressiste orné de
drapeaux anticolonialistes.</div>
<div style="text-align: justify;">
– Nous avons dit qu’une révolte prolétarienne au Venezuela est une
possibilité et non quelque chose d’« inévitable », car penser cette
dernière serait mécaniciste et conserver de fausses attentes. En outre,
parce que ce serait stupide et irresponsable de ne pas remarquer que
tant le gouvernement que la droite vénézuéliens peuvent, comme toujours,
pêcher en eaux troubles ou encadrer la mobilisation pour démobiliser
tout le mouvement. En effet, le gouvernement de Maduro, de fait, profite
déjà de la menace des USA contre le Venezuela pour protéger davantage
son appareil d’État et pour masquer ou faire passer à l’arrière-plan la
crise et la lutte des classes internes, appelant au « patriotisme », à
la « souveraineté », à la « solidarité anti-impérialiste » et au passage
exhorter au sacrifice pour « l’économie nationale ». Et la droite
vénézuélienne (représentée par la dénommée Table de l’Unité Démocratique
– MUD), car elle est évidemment soutenue par l’impérialisme
nord-américain et parce que, en cas d’invasion, elle remplacerait le
pouvoir politique. L’histoire politique régionale et mondiale montre
qu’il en est ainsi et qu’il n’y a aucun doute à ce sujet. Face à cela,
nous précisons que la rupture et l’autonomie prolétariennes que nous
jugeons nécessaires d’apparaître au Venezuela, seront non seulement en
dehors et contre le gouvernement de gauche de Maduro ou la bourgeoisie
« bolivarienne », mais aussi en dehors et contre l’opposition de droite
vénézuélienne, cette bourgeoisie « oligarchique », rance et
ultraréactionnaire. Non seulement en dehors et contre telle ou telle
fraction du Capital-État, mais en dehors et contre tout le Capital-État
lui-même. Tout cela signifie et implique, dans ce cas concret, de ne pas
participer à la lutte politique inter-bourgeoise gouvernement contre
opposition, de ne pas jouer leur jeu, mais au contraire : de les
déborder, rompre avec eux, assumer la lutte des classes pour défendre,
généraliser et imposer nos besoins humains sur ceux du Capital, nos
propres revendications de classe au moyen de nos propres structures de
lutte. Ce qui, à son tour, pourrait conduire à une révolte, puis
d’assumer la nécessité de lutter pour la révolution sociale ou totale ;
pas pour une révolution politique, partielle, bourgeoise (où la droite
reprend le pouvoir politique ou encore la gauche le conserve), et encore
moins pour que cela débouche sur la guerre impérialiste qui transforme
le prolétariat en chair à canon (dans le cas où les USA envahiraient le
Venezuela). L’existence ou l’émergence de minorités révolutionnaires
militantes et actives au Venezuela – dont nous n’avons pas encore de
signe réel et convaincant –, devrait être l’une des principales tâches
du moment. Ou peut-être que le prolétariat au Venezuela – y compris ses
minorités radicales – ne réagira et ne luttera contre ses ennemis
mortels de classe que lorsque la guerre sera en train de tuer des
milliers de prolétaires dans les rues et aux frontières, non plus
seulement de faim, mais aussi avec des balles de la part des deux
États ? La vraie lutte de classe aura le dernier mot.</div>
<div style="text-align: justify;">
– Tous les gouvernements socialistes, nationalistes et
anti-impérialistes qui ont existé ont été, sont et seront capitalistes,
la « révolution bolivarienne » laisse intacte l’État national, la
propriété privée et le commerce extérieur et intérieur, éléments
fondamentaux du système capitaliste ; les gouvernements de gauche et
progressistes sont différents dans la forme mais pas dans le contenu de
leurs rivaux de droite et impérialistes. Leurs luttes, y compris leurs
guerres, sont inhérentes, inévitables et nécessaires pour que ce système
fonctionne et survive : le capitalisme ne peut exister ou être tel sans
concurrence et sans guerre. (En outre, il n’y a pas eu de guerre de
défense de la souveraineté nationale et/ou de libération nationale qui
n’ait été partie de fait d’une guerre inter-impérialiste.) Mais ces
luttes inter-capitalistes continueront simplement d’occuper un rôle de
premier plan jusqu’à ce que le prolétariat réapparaisse sur la scène
avec force et autonomie pour contester l’ordre existant. Ensuite, les
deux fractions bourgeoises qui sont aujourd’hui des adversaires
s’uniront ouvertement et sans apparences en un seul parti – le parti de
l’ordre, de la réaction et de la démocratie – contre notre classe, car
avant tout ils préfèreront s’allier que voir chanceler le système qui
leur assure la puissance et la domination.</div>
<div style="text-align: justify;">
– Ce tableau émergent serait encore plus catastrophique si la Chine
et la Russie se décidaient à soutenir le Venezuela même militairement,
non par « affinité idéologique » ou par « anti-impérialisme », mais
parce que ces deux puissances émergentes de l’Est doivent se soucier de
leurs puissants intérêts économiques et géostratégiques aussi bien dans
ce pays qu’en Amérique du Sud en général. De leur côté, comme ces
derniers temps les USA ont perdu du terrain et du pouvoir dans d’autres
régions, aujourd’hui ils retournent dans leur « arrière-cour » de
toujours pour l’utiliser comme un « joker » de leur politique de
suprématie « unipolaire » en déclin. Ainsi, le conflit ne porte pas
seulement sur le pétrole et le contrôle territorial, mais aussi sur une
partie de l’hégémonie mondiale même. La Libye, l’Irak et/ou l’Ukraine au
Venezuela ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, les tambours de la guerre
impérialiste résonnent en Amérique du Sud, ou plus exactement ceux de
l’invasion militaire américaine du territoire de l’État vénézuélien.</div>
<div style="text-align: justify;">
– La « violation des droits de l’homme » par ce gouvernement de
gauche (comme si aucun État n’exerçait son terrorisme répressif !
Hypocrites !) n’est rien de plus qu’un prétexte vraisemblable pour
brandir un discours de « manque de liberté au Venezuela ». Les USA ont
déjà utilisé des excuses semblables à cet effet, il y a quelques années à
propos de la Libye et de l’Irak [et actuellement en Syrie] – ainsi qu’à
la veille de quelques guerres durant le 20° siècle. Non, ce n’est pas
un « manque de démocratie », mais c’est partout la même démocratie qui
nous réprime, emprisonne, torture, assassine ; parce que la démocratie,
en réalité, c’est la dictature « légale et légitime » du Capital sur le
prolétariat. Rappelons-nous aussi qu’avec ce prétexte, les USA ont déjà
mené plusieurs guerres dans diverses régions périphériques ou
« non-occidentales » de la planète. Alors, vous voulez le faire pour le
pétrole ? Bien sûr que si, compte tenu des grandes réserves d’« or
noir » que possède le Venezuela, ainsi que les principaux accords
pétroliers entre la « bolibourgeoisie » et Chevron, dans le sens de
monopoliser le marché international du pétrole dans cette région (comme
disait Marx, la concurrence et le monopole ne sont pas des pôles
antagoniques mais complémentaires, les deux faces d’une même pièce de
monnaie ; et comme les bourgeois et leurs économistes ont l’habitude de
dire : « en affaires, il n’y a pas d’amis »). Plus en profondeur encore,
étant donné que le pétrole c’est de l’énergie et que l’énergie est
l’élément vital de l’économie, à savoir qu’il est une activité lucrative
en soi ainsi qu’une soupape d’échappement pour l’actuelle crise
capitaliste mondiale. Ce qui, cependant, sera « plus cher » et
catastrophique à l’avenir en raison de l’actuelle « crise pétrolière »
et de tous les désastres et conflits que cela implique. Cependant, le
pétrole n’est pas encore la principale cause de ce drame ou des tensions
internationales dans la région.</div>
<div style="text-align: justify;">
– La bourgeoisie américaine et le Pentagone ne sont pas stupides, ni
ne restent les bras croisés. Tout le contraire. Si ni un gouvernement de
gauche ni l’opposition de droite n’ont été en mesure de gérer la crise
capitaliste dans une partie importante de leur « arrière-cour », le
« risque » existe aussi que dans ce pays le prolétariat (ce « fantôme »
que craint tellement toute bourgeoisie) ré-émerge de manière explosive
et hors de contrôle, comme une véritable force, autonome et indomptée.
Alors, s’agit-il d’une « émeute de la faim » potentielle et contre
l’État au Venezuela ? Face à cette menace, les USA ne peuvent pas
échouer à remplir leur rôle de gendarme ou de police mondiale : voilà
une des nécessités d’intervention armée au Venezuela. Et peut-être ne
faut-il pas attendre qu’une telle révolte potentielle ne se produire,
mais plutôt anticiper les mouvements visant à « la prévenir ». En
conclusion, comme toujours la guerre impérialiste consiste à écraser
toute tentative révolutionnaire et à repolariser le pouvoir de la
bourgeoisie. La guerre, c’est toujours la guerre contre le prolétariat.
Dans ce cas précis, il s’agit de « neutraliser » la contradiction
fondamentale et réelle, de fond : l’antagonisme de classe et toute
tentative de révolution radicale.</div>
<div style="text-align: justify;">
– En outre, ce n’est pas seulement à cause de la menace d’un
prolétariat sauvage dans ce pays que les USA mèneraient la guerre
impérialiste au Venezuela, mais parce qu’ils ont déjà un problème
potentiel « chez eux » : le mouvement des manifestations et des émeutes
déclenché dans les villes de Ferguson, Baltimore, Oakland et Charlotte
ces quatre dernières années. Autrement dit, les USA feraient également
la guerre afin de se renforcer et de gagner la guerre contre le
prolétariat qu’ils mènent sur leur propre territoire : par exemple,
l’enrôlement dans l’armée de jeunes prolétaires (des noirs, des latinos
et des blancs) pour qu’ils aillent tuer et mourir dans d’autres pays, et
ainsi éviter qu’ils trainent dans les rues comme des « paresseux » et
des « vandales ». Ce qui pourrait paradoxalement se transformer en un
boomerang, et il y a déjà quelques indices ou signes de cela. Ceci est
un autre fait qui justifie l’importance aujourd’hui de la relation
internationale entre le Venezuela et les USA ainsi que la situation
intérieure dans les deux pays, dans le sens de manifester la dialectique
historique concrète entre la guerre de classe et la guerre
impérialiste.</div>
<div style="text-align: justify;">
– Par ce fait même, le seul qui puisse arrêter et inverser la guerre
impérialiste dirigée par les USA dans pratiquement le monde entier,
c’est le prolétariat non seulement des pays en guerre (de manière réelle
ou potentielle) mais aussi le prolétariat de tous les pays et de toutes
les régions, de toutes les « couleurs » ou « races », agissant comme
une seule force mondiale et historique contre un seul ennemi : le
Capital-État mondial. La seule façon d’en finir vraiment et radicalement
avec la guerre et le capitalisme, c’est la révolution prolétarienne
mondiale. Mais pour cela, il est d’abord nécessaire que notre classe
s’assume en tant que telle, en tant que prolétariat, en tant que classe
antagonique au Capital ; une classe qui dépasse les séparations
(nationales, raciales, sexuelles, idéologiques, etc.) qui lui sont
imposées ; qui se réapproprie son programme historique et qui lutte pour
l’imposer ; qui se bat pour ses propres revendications avec ses propres
formes d’association et méthodes de lutte de classe ; qui assume
qu’elle n’a pas de patrie et qui pratique l’internationalisme
prolétarien, en luttant contre « ses propres » bourgeoisies et États
nationaux, et contre tout nationalisme et régionalisme (qui sont des
entraves idéologiques et identitaires si profondément enracinées en
Amérique latine) ; qui à la guerre impérialiste, lui oppose le
défaitisme révolutionnaire et la transforme en guerre de classe
révolutionnaire et mondiale. Il nous faut un sujet révolutionnaire. Mais
cela ne se reconstitue qu’à la chaleur de la lutte des classes même et,
comme le montre l’histoire, après de nombreuses défaites. Combien de
défaites supplémentaires seront nécessaires, frères prolétariens dans le
monde entier ?</div>
<div style="text-align: justify;">
– Il se peut que nous soyons en avance sur les faits, mais si une
telle chose ne finit pas par se concrétiser, ou si les USA n’envahisse
pas le Venezuela, nous l’exclamerons pareillement et continuerons de
l’exclamer parce qu’aujourd’hui (comme toujours), peu importe où on
regarde, nous sommes en guerre. Le Capital et son État ont toujours été,
sont et seront en guerre permanente contre notre classe pour nous
maintenir exploités et dominés, divisés et faibles, annihilés et
détruits en tant que classe. Ensuite, pour défendre et récupérer nos
vies, il est temps que les prolétaires assument la guerre de classe et
passent à l’offensive contre leurs ennemis. Partout et jusqu’à la fin…</div>
<div style="text-align: justify;">
Prolétaires qui vivez au Venezuela et partout ailleurs :</div>
<div align="center">
<b>Ni gouvernement, ni opposition, ni invasion !<br />
Aucun sacrifice pour aucune nation !<br />
Contre la guerre inter-capitaliste et impérialiste : lutte de classe
autonome, anticapitaliste, antiétatique et internationaliste !<br />
La Révolution Prolétarienne Mondiale ou la Mort !</b></div>
<div align="right">
<b>Proletarios Revolucionarios*<br />
<i>[Prolétaires Révolutionnaires]</i></b></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>* (Nous avons légèrement modifié certains paragraphes du texte
afin d’en stimuler la lecture, sans bien sûr en altérer le contenu et
les positions exposées, puisque nous sommes complètement d’accord avec
celles-ci). [Ndr]</i></div>
<br />
Auteur : <a href="http://proletariosrevolucionarios.blogspot.fr/" target="_blank">Proletarios Revolucionarios</a><br />
Traduction : Tridni Valka<br />
Illustrations : Contre Capital<i><br /></i>Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-57979298378455354152017-08-19T03:01:00.000-07:002017-10-04T01:19:27.193-07:00Lutte autonome du prolétariat et intervention communiste<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEja-r-zy0kb8pwuBZKp2Jnql4CpV-fkh5K84AdSlwgRNPK7z5Ltj0JL-0XUdKGhBiSx-l17I4GZEGbeIqMN0w2eHl57o5418kgHVutd6Zjj1FR7r17_5zbAHmYhFr_WRqWulbVFZTMJ1Lx4/s1600/.........jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="316" data-original-width="634" height="197" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEja-r-zy0kb8pwuBZKp2Jnql4CpV-fkh5K84AdSlwgRNPK7z5Ltj0JL-0XUdKGhBiSx-l17I4GZEGbeIqMN0w2eHl57o5418kgHVutd6Zjj1FR7r17_5zbAHmYhFr_WRqWulbVFZTMJ1Lx4/s400/.........jpg" width="400" /></a></div>
<br />
L'optique syndicaliste, revendicativiste, défendue par tout ce que le mouvement ouvrier compte d'activistes poussiéreux au service de la logique capitaliste mérite qu'on s'y attarde un peu, afin de régler le compte aux maniaques de l'échelle mobile, mais aussi de renvoyer à la niche tous les inactivistes de profession qui foisonnent dans le milieu ultra-gauche.</div>
<div style="text-align: justify;">
Si la lutte pour l'amélioration des conditions salariales a été l'un des facteurs essentiels de la lutte prolétarienne démarrée au XIXe siècle, le cercle vicieux de cet axe de lutte déjà dénoncé par les révolutionnaires est déjà ressenti intuitivement par la masse de la classe ouvrière ... L'amélioration toute relative du "pouvoir d'achat" n'a fait que révéler plus crûment l'aliénation profonde de cette société : consommer plus n'a pas fait de l'ouvrier d'aujourd'hui un être plus émancipé que son arrière grand-père !<br />
<br />
<a name='more'></a> </div>
<div style="text-align: justify;">
Confusément les ouvriers d'aujourd'hui sont de moins en moins dupes des luttes revendicatives traditionnelles dans lesquelles, d'une part ils ne puisent aucune conscience de leur force (les syndicats qui encadrent ces luttes étant de A à Z inféodés aux nécessités de conservation du capitalisme) [1] et surtout parce que ces luttes ne peuvent plus constituer le moteur d'un associationnisme ouvrier réellement subversif, c'est à dire rompant avec la logique des rapports capitalistes. Prévues et programmées, ces luttes sont bien souvent des soupapes de sécurité et permettent l'auto-justification des syndicats ...</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il est pourtant faux de croire que les combats revendicatifs de la classe ouvrière sont totalement intégrés dans le système. Ils sont aussi porteurs d'un énergie qui dépasse le cadre du marchandage de la force de travail. La seule base matérielle qui permet aux prolétaires de passer au stade de l'affrontement ouvert avec le Capital, ce sont les liens tissés au cour des luttes, ces liens qui brisent momentanément la concurrence entre ouvriers ... Seules les fractions révolutionnaires voient dans cette mise en commun des efforts une tension, un désir d'une autre vie, c'est l'associationnisme prolétarien qui crée la base de la socialisation du point de vue du communisme ...</div>
<div style="text-align: justify;">
Chaque étape dans le processus de constitution d'associations combatives au sein de la classe ouvrière est une étape dans le processus de la prise de conscience <i>communiste</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
En poussant à une lutte dépassant le cadre de l'usine et s'attaquant à tous les aspects des rapports marchands, les fractions communistes, loin de dédaigner les avantages que l'on peut obtenir, ouvrent des perspectives réelles aux travailleurs, élargissent le champ d'action de la transformation sociale, approfondissent la critique du Capital comme rapport social. Ils ne font qu'exprimer pratiquement ce que l'ensemble des travailleurs sera contraint d'accomplir ...</div>
<div style="text-align: justify;">
Tout ceci est bien sûr une donnée générale dont la compréhension ne suffit pas à régler la difficile intervention locale. De nombreux groupes autonomes d'usine se sont enfermés dans le particularisme et n'ont pas su s'ouvrir à une pratique plus large en direction des foyers de résistance faute de perspectives révolutionnaires générales. En se soumettant aux aspects spécifiques des lieux où l'on travaille, on se ruine dans un activisme qui conduit généralement, en période de non-lutte, au pessimisme et au mépris des prolétaires eux-mêmes dont on n'attend plus rien, ainsi la voie est ouverte au terrorisme sensé réveillé les masses de leur torpeur ... Il n'est pas question évidemment de rejeter le terrorisme comme extérieur combat prolétarien, il s'agit de le situer comme effet de la faiblesse de ce combat. Car ce n'est pas en réduisant les moyens de l'intervention révolutionnaire qu'on fait avancer d'un pouce la capacité de combat du prolétariat dans son ensemble.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
La politique liquidatrice du gauchisme, son influence désastreuse sur les éléments combatifs, le dilettantisme des groupes anarcho-conseillistes, le sectarisme ultra-gauche sont des faits matériels réels qui, jusqu'à présent, ont freiné les efforts de lutte autonome du prolétariat. C'est en mettant sur pied les moyens sociaux d'une intervention communiste véritable, tranchant avec la vieille merde revendicative que les groupes de l'<i>autonomie ouvrière</i> pourront effectivement accélérer le processus de rupture communiste qui se fait sentir dans les luttes actuelles, et cela en développant les conditions d'apparition du facteur essentiel de cette rupture : l'autonomie dans la lutte par la confiance des travailleurs en eux, par la défense d'objectifs incompatibles avec le maintien du salariat et de l'économie marchande !</div>
<div style="text-align: justify;">
Tout cela ne pourra se mener sans une critique ferme et positive des impasses proposées par tout ceux qui veulent maintenir les luttes ouvrières autour de thèmes visant à réformer le capitalisme au nom des intérêts de la classe ouvrière. Il faut clairement combattre tous ceux qui veulent faire de l'autogestion, du contrôle ouvrier sur la production en période de crise, des nationalisations des objectifs nécessaires pour passer à l'étape supérieure de la révolution. Nous n'avons pas à dresser de plan transitoire de passage au communisme ! [2] Ce sont les exigences du prolétariat mondial lors de l'affrontement révolutionnaire qui détermineront les mesures de transformation de l'organisation capitaliste du travail.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Développer cette critique au sein des luttes ne signifie pas pour autant développer un sectarisme de boutique imbécile à l'égard des travailleurs combatifs encore influencés par telle ou telle officine de la conservation sociale. Si nous travaillons à l'<i>autonomie ouvrière</i> dans la lutte ce n'est pas pour créer une division supplémentaire chez les travailleurs, c'est au contraire pour faire surgir une unité réelle des prolétaires, une unité qui dépasse les divisions corporatistes, les querelles de boutiques syndicales qui accentuent leur sabotage des luttes par la démoralisation, les tripotages et les magouilles gauchistes, etc ... Nous pensons que les objectifs communistes dans une grève sont liés à des méthodes de lutte qui unissent effectivement les travailleurs ! C'est en rompant avec le légalisme, le pacifisme, le démocratisme qui soumet les plus combatifs à l'avis des moins combatifs, voire des non-grévistes etc. que les travailleurs tissent entre eux des liens infiniment plus solides, c'est ainsi que les travailleurs dans l'action, se rendent compte de leur force de transformation sociale !C'est ainsi que les ruptures ébauchées confusément par les travailleurs avec les agents du capitalisme et leurs propres préjugés (racisme, corporatisme, pacifisme) s'accomplissent pratiquement ! Renoncer à impulser la pratique révolutionnaire de la classe ouvrière, se refuser à peser dans la maturation de cette pratique, en croyant qu'il suffit d'apporter la bonne parole sans se "salir" les mains dans les conflits tels qu'ils sont, revient à se nier comme facteur actif de la lutte des classe, cela revient à accepter la soumission des autres prolétaires, cela revient en fait à sortir des contradictions réelles des luttes pour entrer dans le confort béat du dispenseur de discours idéologiques.<br />
<br />
Ceux qui prétendront qu'une telle pratique réintroduit l'idée qu'il y aurait une différence de nature entre la base "ouvrière" des Partis et syndicats et les directions de ceux-ci, oublient qu'en période de lutte c'est l'ensemble des prolétaires qui sont tiraillés par les contradictions de la lutte des classes [3] Syndiqués, gauchistes ou ouvriers de rang, tous sont poussés par des forces antagoniques, les unes visant à casser la tension révolutionnaire, les autres à la faire émerger ... Découper, au moment des luttes, le prolétariat en tranches, idéaliser une partie de celui-ci : l'ouvrier "moyen", le jeune ou l'immigré, etc ... C'est reconduire la division et sombrer dans la démagogie à l'égard de la "base" ouvrière parée de toutes les qualités à partir du moment où elle correspond aux critères arbitraires cités plus haut ... Il n'y a pas à attendre d'une catégorie de travailleurs bien particulière des velléités communistes supérieures ! Est-ce faire du frontisme, est-ce se compromettre avec les forces capitalistes au sein du mouvement ouvrier ? Nous ne proposons pas une tactique d'alliance avec ces forces, nous les combattons toutes au même titre, et c'est parce que nous prétendons les combattre effectivement sur le terrain que nous devons développer des actions susceptibles d'ébranler réellement leur base sociale !<br />
<br />
<span style="font-size: x-small;">[1] Si les syndicats sont adaptés aux limites de la lutte revendicative, il serait faux de croire qu'ils sont pour autant les organes appropriés pour obtenir effectivement victoire sur ce terrain. Là où le prolétariat se bat pour le pain, pour les conditions de survie minimum, les syndicats se dressent contre lui. Les syndicats sont, mondialement, les organes du Capital à part entière, tous sont liés aux intérêts de l'économie nationale, leur fonction n'est pas seulement de maintenir les luttes dans le cercle viceux de la lutte économique, elle est essentiellement de casser toute velléité autonome des travailleurs hors des luttes ...</span><br />
<span style="font-size: x-small;">[2] Les fractions communistes n'avancent pas de mots d'ordre "transitoires" sous prétexte qu'ils sont plus faciles à comprendre par les travailleurs. Les révolutionnaires contribuent aux ruptures entamées par les prolétaires, ils en montrent le côté émancipateur, supérieur aux rapports sociaux en place. Les contre-révolutionnaires se distinguent par le fait qu'ils défendent ce qui est encore compatibles avec le salariat et la marchandise dans les mesures prises par les travailleurs au cours de leur lutte ...</span><br />
<span style="font-size: x-small;">[3] Les périodes de luttes ouvertes ébranlent la totalité des structures de conservation sociale, ces structures sont d'autant plus ébranlées que leurs racines sont plus profondes au sein de la classe ouvrière. Il n'existe pas deux blocs monolithiques qui s'affrontent au moment révolutionnaire. La rupture communiste ne recouvre pas les divisions sociologiques, elle entraîne des pans entiers de l'édifice capitaliste en dissolvant les couches sociales qui lui sont liées ...</span><br />
<br />
Combat pour l'Autonomie Ouvrière - novembre 1977.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Numérisation : <a href="http://archivesautonomies.org/" target="_blank">Archives Autonomie</a></div>
<div style="text-align: justify;">
Transcription : Contre Capital</div>
<br />Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-50541079162494712012017-07-13T03:22:00.001-07:002017-07-13T03:22:57.606-07:00L’insurrection ouvrière en Allemagne de l’Est – juin 1953<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjdZqjOHCAxr7CK5k-_Df-9PB_ZudReDJg2RyLkPxuzInvNjbrlqs1UkuHQeTOOk-1l26VI-FC_8dDwKP-g8rF_p7mlhptzTh2T5N85cdplDfT5w3dPUK-jQqFa2JtRAD02vjEof78XnQlI/s1600/eg.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="372" data-original-width="500" height="297" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjdZqjOHCAxr7CK5k-_Df-9PB_ZudReDJg2RyLkPxuzInvNjbrlqs1UkuHQeTOOk-1l26VI-FC_8dDwKP-g8rF_p7mlhptzTh2T5N85cdplDfT5w3dPUK-jQqFa2JtRAD02vjEof78XnQlI/s400/eg.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<b>UN MOUVEMENT SPONTANÉ</b></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Il existe une conception assez
répandue qu’une révolution prolétarienne ne peut se réaliser qu’à
condition qu’on ait créé avant des organisations puissantes et mis à
leur tête une direction résolue qui formule des slogans et montre le
chemin, C’est seulement une telle organisation et une telle direction
qui pourraient stimuler les masses et les amener une résistance réelle.
Ainsi, une avant garde politique serait la condition indispensable
pour la lutte décisive qui seule peut briser le pouvoir de la classe
dirigeante. Dans le passé, cette conception a été détruite pour une
bonne part par la réalité historique. L’insurrection ouvrière
d’Allemagne de l’Est de 1953 a relégué une fois de plus cette
conception au royaume des fables.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Les masses se sont mises en mouvement
sans être le moins du monde stimulées par certaines organisations. Il
ne pouvait d’ailleurs guère en être autrement. Des organisations qui
auraient pu remplir cette « tâche historique » n’existaient pas dans
l’Etat d’Ulbricht et de Gretewohl sous la dictature du parti unique, le
S.E.D. Des mots d’ordre ou des résolutions qui auraient pu indiquer
aux ouvriers « que faire » étaient absolument inexistants. Il n’y
avait, et pour cause, aucune trace de ce qui aurait pu ressembler à une
direction d’en haut ou de l’extérieur (1). Après la lutte, un ouvrier
de l’usine de films Agfa à Wolfen près de Bitterfeld déclarait : « Il
n’y avait aucun plan, tout est venu spontanément. Les ouvriers des
usines d’à côté ne savaient pas ce qui se passait dans notre usine
jusqu’au moment où nous nous sommes trouvés ensemble dans la rue. »</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Un berlinois qui marchait dans un
cortège qui traversait la capitale décrivait ainsi ses expériences :
« Nous avons atteint le Lustgarten, le but de notre marche et personne
ne pouvait dire ce qu’il fallait faire ensuite ». Un habitant de Dresde
déclarait de son côté : « Nous voulions faire une manifestation Place
du Théâtre. Nous ne pensions pas à d’autres actions pratiques. C’était
comme une première ivresse. Nous avions oublié les choses les plus
simples et les plus urgentes. »</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
C’est aussi ce que racontait un
ouvrier d’usine quelque part dans la zone russe : « C’était une
catastrophe qu’il n’y eut pas d’organisations ou quelque chose dans ce
genre. Dans cette région, nous étions tous des gens qui n’avions jamais
fait la grève. Tout était improvisé. Nous n’avions aucun rapport avec
d’autres villes ou d’autres usines. Nous ne savions pas par quoi
commencer. Mais on était tout joyeux que les choses se passent comme
ça. On ne voyait que des visages rayonnants et émus dans la foule parce
que tout le monde pensait : c’est enfin l’heure où nous nous libérons
du joug de la servitude ». Un témoin oculaire d’Halberstadt déclarait :
« Toutes les actions se caractérisaient par leur spontanéité. S’il en
avait été autrement, tout aurait mieux marché… »</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Un des premiers auteurs qui a écrit
sur les événements de cet été là en a conclu que « les actions qui
prenaient ainsi la forme d’une grève générale se déroulèrent d’une
manière non coordonnée et d’une manière totalement différente de ce qui
se serait produit s’il s’était agi d’une grève proclamée par un
mouvement syndical. Les syndicats existants étaient dominés par les
adhérents du système et ne servaient que les intérêts de l’Etat. Cela
explique le fait que des initiatives surgirent en plusieurs endroits à
la fois, dans les maisons de centaines et de milliers d’ouvriers qui,
au soir du 16 juin écoutaient la radio et apprenaient ainsi ce que les
ouvriers du bâtiment de Berlin avaient fait » (2). Plus loin, le même
auteur constate que « dès 7 heures du matin le 18 juin, l’inquiétude
s’étendait partout dans la zone Est sans qu’il y eut à ce moment de
communication entre les villes et les villages » (3). Plus tard,
d’autres historiens ne purent que confirmer cette première
constatation.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Tous les participants aux événements
et tous les témoins oculaires qui les ont rapportés sont tombés
d’accord sur ce point : l’insurrection de l’Allemagne de l’Est en juin
1953 ne peut être caractérisée que comme un mouvement spontané de la
classe ouvrière.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: center;">
<b>DES MENSONGES BOLCHEVIQUES</b></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Le déroulement du mouvement de masse
en Allemagne de l’Est était un arrêt de mort pour toutes les théories
qui, comme la théorie bolchevique, essaient de prouver la nécessité
d’un parti de révolutionnaires professionnels comme précurseurs de la
révolution prolétarienne. Comme on pouvait s’y attendre, les
bolcheviques de l’Allemagne de l’Est ont essayé de se défendre contre
ce coup que les ouvriers leur portaient. Après 48 heures de réflexion,
ils prétendirent qu’il ne s’agissait nullement d’une lutte ouvrière
mais… d’un « complot qui aurait été ourdi bien avant », de la « terreur
semée par des bandes menées par Adenauer, Ollenhauer, Kaiser et Reuter
(4) personnellement », l’action de « milliers de provocateurs
fascistes étrangers » qui « échouait grâce au bon sens des travailleurs
berlinois ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
L’impudence de ces menteurs ne
connaissait pas de bornes. Dans leur propre journal Neues Deutschland,
le quotidien du S.E.D., du 17 juin 1953, les dirigeants de l’Allemagne
de l’Est devaient reconnaître que les ouvriers qui s’étaient mis en
grève le 16 juin « mettaient soigneusement leurs distances des
provocateurs et des éléments troubles ». Plus tard, ils ont
complètement passé sous silence le fait que l’insurrection de juin
n’était pas tombée du ciel mais était l’aboutissement d’un mouvement
qui s’était amp1ifié au cours des mois précédents. Des semaines déjà
avant les 16 et 17 juin, des grèves avaient éclaté à Eisleben,
Finsterwalde, Fürstenwald, Chemnitz-Borna et dans d’autres villes. Au
cours de ces grèves apparaissaient les mêmes revendications que celles
qui furent avancées en juin au cours de l’insurrection. Ces grèves
antérieures, les bolcheviques n’avaient jamais prétendu qu’elles
étaient poussées par des « provocateurs ». Cependant, leur relation
avec le mouvement qui se déclencha plus tard est tellement évidente que
cette évidence, à elle seule, détruit tous les incroyables mythes sur
un prétendu jour X où devait être mené l’assaut contre la R.D.A.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Selon les bolcheviques, « 95 % des
manifestants de Berlin Est étaient venus des secteurs occidentaux ».
Cela veut dire que ce 16 juin 1953, vu le nombre des manifestants,
plusieurs centaines de milliers de personnes auraient passé aux
quelques postes de contrôle aux frontières des secteurs Est et Ouest de
Berlin. Affirmation complètement ridicule. Et qui n’était même pas
prise au sérieux par les bureaucrates eux-mêmes comme le prouve le
nombre imposant d’arrestations qu’ils opérèrent ensuite dans les usines
ou dans les quartiers populaires de Berlin Est. Et cela, en dépit du
fait que leur propre organe, Neues Deutschland ait écrit, la veille des
arrestations, que précisément dans les quartiers ouvriers de Berlin
Est habitaient des ouvriers « intelligents qui ne se laissaient pas
provoquer ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Si les bolcheviques veulent continuer
à prétendre que les manifestants venaient des secteurs occidentaux de
Berlin, ils sont alors forcés de reconnaître qu’ils ont arrêté des
innocents dans les quartiers de Berlin-Est et qu’ils ont condamné des
innocents à de lourdes peines de prison et même à mort. Si, au
contraire ils maintiennent que ces condamnés sont « coupables » il ne
reste pas grand chose de toutes leurs affirmations sur l’origine des
manifestants.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais, quel était donc le crime de
ceux que l’on avait ainsi emprisonnés ou fusillés ? Même le journal
est-allemand Vorwärts écrivait le 22 juin et Neues Deutschland le 23
que dans les chantiers de construction de la Stalinallee ― où ne
travaillaient pratiquement que des membres du S.E.D. ― à l’usine de
cables de Köpenick ainsi que dans la région de Leipzig fonctionnaient
des comités de grève élus par les ouvriers. Est-ce que cela veut dire
que l’élection d’un comité de grève ou bien être élu dans un comité de
grève était le crime dont étaient accusés des dizaines de condamnés ?</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
C’était bien cela en effet. Mais, il
n’était pas question qu’ils soient accusés ouvertement de cela. La
classe dirigeante de l’Allemagne de l’Est ne pouvait pas se permettre
de reconnaître qu’elle poursuivait des ouvriers seulement pour le fait
qu’ils menaient la lutte de classe et ce faisant menaçaient le pouvoir
bolchevique. Et, malgré les contradictions que nous venons de relever,
les bolcheviques ont maintenu leur interprétation minable que
l’insurrection aurait été « l’oeuvre des agents de l’Ouest et des
provocateurs ». Dans le journal Berliner Zeitung (Est) du 21 juin 1953,
cette interprétation était formulée comme suit : « les provocateurs
étaient vêtus de chemises de cowboys » et cela, sans que la rédaction,
pas très intelligente, explique pourquoi, étant vêtus ainsi, on pouvait
les reconnaître du premier coup comme des provocateurs. Peut-être
parce que des lecteurs intelligents auraient pu leur poser la même
question que nous, peut-être parce que personne n’avait aperçu ces
hommes déguisés en cow-boys, le quotidien Tägliche Rundschau avançait le
24 juin une autre interprétation selon laquelle les « provocateurs »
et « espions de l’Ouest » s’étaient « déguisés en ouvriers du
bâtiment ». Mais cette fois, on ne disait pas comment les soit-disant
espions auraient pu réussir à se procurer les habits ouvriers
caractéristiques de l’Allemagne de l’Est et de plus avec leur mauvaise
qualité.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Le 20 juin 1953, un certain Kuba
donnait une troisième interprétation dans le Neues Deutschland. Il
parlait des « hooligans », c’est-à-dire des gens de cette espèce qui
« se seraient mêlés à la population ouvrière de Berlin Est et qu’on
aurait tout de suite reconnu à leur apparence ». Dans toutes ces
interprétations, les bolcheviques s’empêtraient dans leurs propres
mensonges.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne leur restait pas autre chose.
Ils étaient bien loin de penser que l’action des masses dans la R.D.A.
surgissait des relations sociales elles-mêmes et que l’ordre établi par
le S.E.D. soulevait la perspective d’une révolution prolétarienne tout
autant que le capitalisme en Europe ou aux U.S.A. Le même Kuba que
nous venons de citer déclarait aux ouvriers de l’Allemagne de l’Est :
« On a envie de lutter que si l’on a des raisons pour le faire et de
telles raisons, vous n’en aviez pas ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
L’idée que, le fait qu’ils luttaient,
montrait précisément qu’ils avaient des raisons pour ça, ne
l’effleurait même pas. Il y avait un abîme entre les dirigeants de
l’Allemagne de l’Est et la classe ouvrière. Pour ces dirigeants, le
socialisme, c’était un salaire aux pièces avec des primes. Pour eux,
« l’intérêt du prolétariat », c’était une exploitation plus intense
qu’à l’Ouest. Que la classe ouvrière résiste à une telle situation
était causé, à leurs yeux de dirigeants, par un « malentendu », un
malentendu qui devait être clarifié par l’armée russe avec ses chars
d’assaut et par la police soi-disant populaire – la Volkspolizei.</div>
<table style="text-align: justify;">
<tbody>
<tr>
<td>« La politique des salaires dans la zone Est d’Allemagne a pour but
d’obtenir une augmentation de la productivité au moyen d’un plus grand
effort et d’une baisse des salaires. Là où cela est possible, on peut
pratiquer le salaire au rendement. Le montant du salaire dépend d’abord
de la catégorie dans laquelle on se trouve, ensuite de la mesure dans
laquelle l’ouvrier remplit sa norme, c’est-à-dire le nombre de produits
qu’il doit produire dans un temps déterminé. Déjà, en 1950, il y avait
en Allemagne de l’Est de grandes différenciations dans les salaires. Le
système russe que voulaient appliquer les dirigeants ne pouvait que
mener des différences encore plus grandes. »<br />
« Le système des salaires dans la zone soviétique », <i>Der Gewerkschafter</i> (« Le Syndicaliste » – ouest -allemand), juillet 1953.</td>
</tr>
</tbody>
</table>
<div style="text-align: center;">
<b>LA MARÉE DE LA RÉVOLUTION<br />
</b></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Le 16 juin changeait tout et tout le
monde. Le 17 juin apporterait encore plus de changements. La raison en
était que les manifestations de masse coïncidaient avec des grèves de
masse et que ces deux formes de la lutte prolétarienne entremêlées
provoquent rapidement des réactions en chaîne. Parce que les ouvriers
avaient senti leur force de classe, ils commençaient à agir comme
classe. Parce qu’ils commençaient à agir comme classe, le sentiment de
leur force augmentait.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour pouvoir manifester, il faut
d’abord cesser le travail. D’autre part, là où les ouvriers
manifestaient, ils se dirigeaient d’abord vers les usines où leurs
camarades hésitants n’avaient pas encore rejoint leur action. Les
grévistes devenaient des manifestants et les manifestants stimulaient
l’activité de la grève.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Leur unité, les ouvriers, sentaient
qu’elle existait. Pour éviter qu’elle ne soit brisée, pour empêcher que
l’extension permanente de leur lutte et que cette lutte elle-même en
même temps ne soit brisée, il fallait prendre heure par heure des
mesures dont chacune avait pour résultat que le mouvement global
faisait un pas en avant chaque fois et s’élevait alors à un niveau plus
haut.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Partout, en Allemagne de l’Est, les
ouvriers formaient leurs propres comités de grève qui réglaient leurs
affaires soit par usine, soit dans toute une ville, soit dans toute une
région industrielle. En conséquence, le pouvoir se déplaçait.
L’autorité des organes qui s’étaient formés pendant et pour la lutte
s’accroissait de plus en plus. Le pouvoir du parti et du gouvernement
s’évanouissait. Le pays échappait à l’emprise de toutes les
institutions qui existaient jusqu’à ce moment. Celles-ci perdaient
leurs fonctions de gouvernement dans la mesure où de plus en plus, les
ouvriers se gouvernaient eux-mêmes. Leurs comités de grève ne prenaient
pas seulement pratiquement mais aussi formellement le caractère de
conseils ouvriers. Ainsi naquit une organisation qui n’était pas du
tout formée en vue du bouleversement des relations sociales, mais qui
était au contraire le produit d’un processus révolutionnaire.</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj8IV7TqD_-FsiXj06TqCvxjlahku7p847F94UwGY-Y4Zy-gmBonbXFoBLIKbriD_PPbMXJW932hPoqChZjDWfZlp3DyvYvOY5Np_Q3SgmndtLtjTP0ZXvNDB0tPun-GQwmk8ublJoA2Ude/s1600/1953.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="274" data-original-width="422" height="258" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj8IV7TqD_-FsiXj06TqCvxjlahku7p847F94UwGY-Y4Zy-gmBonbXFoBLIKbriD_PPbMXJW932hPoqChZjDWfZlp3DyvYvOY5Np_Q3SgmndtLtjTP0ZXvNDB0tPun-GQwmk8ublJoA2Ude/s400/1953.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Les grèves de masse prenaient dans
leur ensemble la forme d‘une grève générale, C’était leur quantité qui
leur donnait une autre qualité. Ce changement de qualité se manifestait
aussi comme un changement de conscience. Au début, on faisait la grève
pour faire annuler l’augmentation des normes de travail et pas du tout
pour faire tomber le gouvernement. Le 16 avril, pendant les
discussions à la centrale électrique de Zeits, l’ouvrier Engelhardt
s’écriait : « Nous voulons vivre comme des êtres humains et nous ne
voulons rien de plus ! » Mais du moment où l’on avait bloqué toutes les
usines, la situation était différente. Afin de pouvoir vivre comme des
êtres humains, les ouvriers demandaient la chute du régime. En effet,
ils étaient en train de transformer les relations sociales et cela
conditionnait la chute d’un régime basé sur ces relations. Au début,
ils criaient : « A bas l’augmentation des normes de travail » ; un peu
plus tard ils criaient : « A bas Walter Ulbricht ». Cela caractérise le
processus révolutionnaire. Ce n’était pas telle ou telle organisation
qui avait fait la révolution, mais c’était la révolution qui créait ses
propres organisations. Ce n’était pas une conscience révolutionnaire
qui poussait la révolution, mais c’était la révolution qui faisait
naître une conscience révolutionnaire. L’un était lié à l’autre. Il
semblait que les organisations nouvelles qui n’existaient pas avant
surgissaient comme par un coup de baguette magique. En réalité, elles
surgissaient grâce à l’initiative des dirigeants complètement inconnus
qui étaient poussés par les masses, de dirigeants qui eux-mêmes
s’étonnaient de leurs propres actions. Ils avaient été saisis
soudainement par la tension des événements et ils avaient été portés en
avant alors que, dans le tourbillon social, la conscience de tout
s’était transformée. D’un côté la formation des organisations nouvelles
stimulait grandement cette transformation de la conscience : il y a
beaucoup d’exemples de cela.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans la ville de Görlitz sur la
Neisse, le 17 juin, la foule insurgée s’emparait de l’installation des
hauts-parleurs de la ville. Tout de suite les premiers orateurs se
présentaient : 20.000 hommes les écoutaient. Le son était mauvais. Ils
parlaient quand même les uns après les autres. Des ouvriers de la
grande usine de wagons Lowa, des ouvriers d’autres usines, de petits
artisans, un propriétaire de bistrot, un architecte, des employés et
après eux, des ouvriers et des ouvriers. La plupart d’entre eux ne
s’étaient jamais trouvés devant un micro, mais leur enthousiasme, leur
joie d’être témoins de telles choses les aidaient à surmonter leur
trac : ils se trouvaient devant des milliers et ils parlaient. A
Magdebourg, le soir du 16 juin, le musicien K. jouait en froc noir et
chemise blanche à l’Opéra « La Chauve Souris » de Johann Strauss devant
une salle comble. Jamais il ne s’était occupé de politique. Il ne se
doutait pas qu’il se trouverait le lendemain à la tête des ouvriers de
cette ville industrielle et qu’il serait forcé de s’enfuir ensuite à
Berlin-Ouest pour cette raison.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
A Dresde, un certain Richard S. ― 34
ans ― habitant de cette ville, conduisait les grévistes et les
manifestants d’une usine à l’autre pour appeler les travailleurs à se
joindre à l’action. Dans chaque usine, il entrait dans les grands
ateliers, sautait sur les tours et gesticulait jusqu’à ce que les
machines soient stoppées et les courroies de transmission débranchées.
Alors, il commençait à parler : « Est-ce que vous avez entendu les
nouvelles de la Stalinallee ? Il faut être solidaires avec eux. Venez
dans la rue ! » Lui et deux autres formaient un comité révolutionnaire.
Ils arrêtaient tous les camions qui passaient et persuadaient chaque
chauffeur de faire demi-tour et de se joindre à l’action. En peu de
temps, ils disposaient d’une division motorisée qui à 11 heures du
matin déjà avait transporté 15.000 ouvriers. Plus tard S. raconta :
« Je me sentais comme si j’étais né de nouveau. J’ai envoyé 50
cyclistes pour occuper la station de radio. »</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
A Dresde, cette tentative échouait,
mais à Halle elle réussit. La station de radio locale fut occupée par
30 ouvriers insurgés. Ils s’assuraient que les communiqués de la
direction centrale de grève étaient bien diffusés. Les événements du 17
juin 1953 étaient comme une avalanche. Le jour se levait à peine que,
dans toutes les villes et tous les villages et pratiquement dans toutes
les usines de l’Allemagne de l’Est, les ouvriers entraient en lutte.
Comme à Berlin-Est, cela commençait par des grèves et des
manifestations. Quelques heures plus tard, on désarmait la police. On
se pressait autour des bureaux du parti, on déchirait les brochures de
propagande du S.E.D., on envahissait les prisons pour libérer ceux qui
étaient dedans. Mais ce n’était qu’après ces manifestations de la
colère populaire que l’insurrection spontanée prenait plus clairement le
caractère de révolution prolétarienne.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
On pouvait observer et pas par hasard
― ce processus le plus clairement dans cette partie de l’Allemagne de
l’Est qui était la plus industrialisée et où se trouvait la plus forte
concentration de population ouvrière. C’était là le foyer de
l’incendie. A Halle, Wolfen, Mersebourg, Bitterfeld, Rosslau, Gera et
d’autres villes de cette région surgissaient des organisations qui
prenaient pour une courte période le pouvoir exécutif entre leurs
mains. Ils mettaient en place une nouvelle structure qui n’était ni
bourgeoise, ni étatique. Une structure conçue spécialement pour une
réelle libération des ouvriers. A Halle, à 13h30 il y eut une réunion
dans une des usines de la ville à laquelle participaient des
représentants des comités de grève de presque toutes les usines de la
ville. On élisait un conseil qui s’appelait « comité d’initiative »
mais qui, si l’on y regardait de plus près avait tous les traits d’un
conseil ouvrier et qui fonctionnait comme tel. C’était ce conseil
ouvrier qui proclamait la grève générale ; c’était lui qui décidait
qu’il fallait occuper un des journaux locaux pour y faire imprimer un
manifeste. L’opération était en cours lorsque, dans le dos des
ouvriers, la police secrète fut avertie et on dut renoncer à ce
travail.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Personne n’avait besoin de se
demander quelle classe bougeait à Halle. Dès les premières heures de la
matinée, plusieurs colonnes d’ouvriers venant des usines
métallurgiques de la banlieue entraient dans la ville et marchaient en
direction du centre. Ils faisaient comme les ouvriers d’Hennigsdorf qui
avaient envahi Berlin-Est. Sur la place du marché de Halle une foule
de plus de 50.000 manifestants se rassemblait.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
A Mersebourg se déroulaient des
événements semblables : 20.000 ouvriers se dirigeaient vers la Uhland
Platz dans le centre ; ils venaient des usines Leuna (5) et ils avaient
entraîné avec eux les ouvriers de l’usine Buna Werk à Schkopau, de la
mine de lignite Gross-Kayna, des mines de houille de la vallée du
Geisel et de trois autres usines (papeteries). La direction de la
grève, convaincue que la force des ouvriers se trouvait dans les
entreprises, conseilla aux manifestants de rentrer dans leurs usines
pour lutter là pour leurs revendications.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
De quelles revendications il
s’agissait, c’était déjà très clair dans la matinée. Devant le bâtiment
de la direction de Leuna Werke, tout le personnel s’était rassemblé.
Un des porte-paroles, demanda entre autres qu’il soit mis fin à
l’accélération incessante des cadences et que l’on désarme, tout de
suite la police de l’usine. Les ouvriers occupèrent la radio de
l’usine.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
A Bitterfeld, dans l’après-midi du 17
juin, ce que l’on voyait, personne ne l’avait vu auparavant. Venus de
toutes les usines de banlieue, les ouvriers, en habits de travail,
s’avançaient sur un large front, les mineurs encore noirs de la
poussière du charbon. La ville était toute en fête. Le président du
comité de grève prenait la parole sur la Place de la Jeunesse. Il
parlait encore lorsque l’on apprit que la police avait arrêté quelques
ouvriers. A cette nouvelle, le comité de grève décide d’occuper toute
la ville. A ce moment, le comité de grève commença à fonctionner comme
un conseil ouvrier qui exerçait le pouvoir à Bitterfeld. Les employés
municipaux devaient continuer leur travail. Les pompiers recevaient
l’ordre d’enlever dans la ville toutes les affiches du S.E.D. En même
temps, le comité de grève envisageait la grève générale, non seulement
dans la ville et ses environs, mais dans toute l’Allemagne de l’Est.
Dans un télégramme envoyé au soi-disant gouvernement de la R.D.A. À
Berlin-Est, le comité de grève de Bitterfeld demandait la « formation
d’un gouvernement provisoire composé d’ouvriers révolutionnaires ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
A Rosslau sur l’Elbe, les ouvriers
étaient aussi maîtres de la ville pendant une certaine période. Ceux
qui travaillaient dans les chantiers navals étaient le noyau de la
résistance.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
On retrouvait dans toutes les usines
et toutes les villes d’une certaine importance la même situation qu’au
centre vital du pays. A Dresde, les ouvriers de toutes les grandes
usines, y compris les usines Zeiss, étaient en grève et manifestaient.
Dans la province de Brandebourg, les ouvriers des chantiers navals
Thälmann, de l’entreprise de transport Brandenbourg, de la mine
Elisabeth et de l’usine de chars Kirchmöser (sous direction russe)
étaient aussi en lutte. A Falkensee, le travail avait cessé dans toutes
les usines. De même à Leipzig, Francfort sur l’Oder, à Fürstenberg, à
Greifswald et à Gotha pour ne citer que quelques villes, les ouvriers
étaient dans la rue. Même dans les mines d’uranium à la frontière
tchèque, c’était la grève ; même dans le nord du pays, là où la
population était la moins dense.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Tout cela n’empêchait pas pas le
« Neues Deutschland » de proclamer un mois plus tard, le 28 juillet
1953, que la grève qui « avait été préparée par des putschistes avait
échoué parce que la majorité des ouvriers ne les écoutait pas et que
seulement 5 % de la classe ouvrière s’était lancée dans la grève » (6).
En réalité, les dirigeants bolcheviques étaient confrontés à la
résistance de toute la classe opprimée.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: center;">
<b>NI ULBRICHT, NI ADENAUER</b></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Lorsque le gouvernement Ulbricht et
le S.E.D. annoncèrent au printemps de 1953 l’augmentation des normes de
travail, une partie de la classe ouvrière en Allemagne de l’Est
espérait pouvoir en neutraliser les effets en se faisant passer dans
une catégorie supérieure du salaire. Mais cet espoir s’avéra rapidement
complètement vain. Le 22 mai, « Neues Deutschland » écrivait qu’une
telle revendication était en complète contradiction avec les intérêts
des ouvriers. Les ouvriers avaient pourtant une toute autre opinion de
leurs intérêts. Le compte avait été vite fait : un ouvrier qui gagnait
entre 20 et 24 marks (Est) par jour n’en toucherait plus après
l’augmentation des normes qu’entre 13 et 16. Ils ne pouvaient pas
accepter cela. Ils se révoltaient contre une attaque aussi brutale sur
leur niveau de vie ; ils ne résistaient pas pour des buts politiques ou
des idéaux révolutionnaires.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Les circonstances faisaient que leur
lutte contre la politique des salaires du gouvernement se développait
en quelques heures en une lutte contre le gouvernement comme tel. Ce
n’était pas une conséquence de leurs intentions. Cela surgissait de
l’essence de la lutte même et de son caractère de classe. Ce caractère
de classe leur montrait le chemin pour leur action et, à chaque moment,
jouait un rôle décisif dans le contenu et la forme de leur mouvement.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce caractère de classe est largement
ignoré à l’Est comme à l’Ouest. Pour les mêmes raisons d’ailleurs. Si
les bolcheviques l’avaient reconnu, ils auraient été forcés de renoncer
en même temps à tous les mythes autour de leur propre société. Les
démocraties bourgeoises de leur côté n’avaient aucun intérêt à mettre
l’accent sur la signification sociale d’événements qui, justement à
cause de cette signification là, auraient pu avoir des répercussions
dans la classe ouvrière en Occident. C’est pour cela que les chefs
politiques de la R.F.A. parlaient d’une insurrection du peuple contre
l’occupant russe et mettaient au premier plan des choses qui se
déroulaient en marge du mouvement mais qui pouvaient servir facilement
de support à une interprétation favorable à la classe dominante. C’est
pour cela que la classe dominante de l’Occident parlait d’une lutte
« pour l’unité allemande ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Lors d’une manifestation solennelle,
Place Rudolf Wilde dans le quartier de Schöneberg à Berlin-Ouest, le
chancelier Adenauer déclarait le 23 juin 1953 : « La partie du peuple
allemand qui se trouve derrière le rideau de fer nous a fait savoir
qu’il ne faut pas que nous l’oublions… Je jure devant tout le peuple
allemand que nous n’aurons pas de repos tant qu’ils ne connaîtront pas
la liberté, jusqu’au moment où toute l’Allemagne sera réunifiée. » Et
le bourgmestre Reuter ajoutait : « Aucune puissance dans le monde ne
peut nous diviser nous allemands. La jeunesse a retiré de la Porte de
Brandebourg le drapeau de la servitude. Un jour viendra où cette
jeunesse y plantera le drapeau de la liberté… »</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
C’est vrai que le 17 juin, des jeunes
avaient ôté le drapeau de la R.D.A. de cette porte monumentale et
avaient essayé de le remplacer par celui de la R.F.A. C’est vrai aussi
qu’en plusieurs occasions, on avait scandé « Liberté » et que certains
cortèges brandissaient des drapeaux du gouvernement de Bonn. Mais cela
ne prouvait rien d’autre qu’une partie des participants au mouvement
n’avaient pas une idée claire de leur propre action. Si le sens de leur
action leur est apparu peu à peu, certainement ils n’y sont pas tous
parvenus au même moment. Les ouvriers de l’Allemagne de l’Est ont montré
en plusieurs occasions au cours de leur action qu’ils ne se
dirigeaient pas en premier lieu contre l’armée russe qui stationnait
sur le territoire de l’Allemagne de l’Est mais contre le gouvernement
du S.E.D. Jusqu’au dernier moment où cette armée prenait part
ouvertement aux luttes, l’attitude des ouvriers vis à vis de cette
armée n’était pas agressive et se distinguait nettement de leur
attitude contre la police populaire et contre les fonctionnaires du
parti.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Si l’on pose la question de savoir si
tous les ouvriers d’Allemagne de l’Est ont compris leur action comme
un mouvement de classe, alors, la réponse est sans aucun doute
négative. Mais cela ne change rien au fait incontestable que malgré
cela, leur action était un mouvement de classe parce que ce que
pensaient les ouvriers était moins important que ce qu’ils faisaient
dans leur totalité. Il est certain que malgré certains symboles de la
R.F.A. et malgré le fait qu’on scandait d’une façon assez naïve
« Liberté » et même « Unité », la classe ouvrière ne voulait pas vivre
dans une Allemagne réunifiée. Les cheminots de Magdebourg écrivaient à
la peinture blanche, en grandes lettres sur les wagons dans la gare de
triage : “Ni Ulbricht, ni Adenauer, mais Ollenhauer ».</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Ils exprimaient ainsi, sous la forme
d’un malentendu, qu’ils tenaient un social-démocrate comme Ollenhauer
comme un représentant de leur classe, mais en même temps, ils disaient
clairement qu’ils n’avaient rien à faire avec une Allemagne gouvernée
par Adenauer, pas plus qu’avec une Allemagne gouvernée par Ulbricht.
Ils exprimaient, d’une façon qui formellement était fausse, qu’ils
luttaient non seulement contre le capitalisme d’Etat, mais aussi contre
le capitalisme tout court et que pour eux cela ne présentait aucun
attrait de passer du joug du bolchevisme sous le joug de la
bourgeoisie.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Les politiciens de l’Allemagne de
l’Ouest ont fait du 17 juin une journée nationale pour « l’unité
allemande ». Cela escamotait complètement le fait que la révolte
exprimait avant tout le refus d’une division de classe qui existait
autant à l’Est qu’à l’Ouest et que les ouvriers d’Allemagne de l’Est
avaient montré au cours de cette journée là qu’en tant qu’ouvriers, ils
étaient les ennemis d’une société fondée sur l’oppression de classe.</div>
<table>
<tbody>
<tr>
<td><div style="text-align: justify;">
« <i>L’histoire de toutes les révolutions précédentes nous montre
que les larges mouvements populaires, loin d’être un produit arbitraire
et conscient des soi-disant “chefs” ou des “partis”, comme se le
figurent le policier et l’historien bourgeois officiel, sont plutôt des
phénomènes sociaux élémentaires, produits par une force naturelle
ayant sa source dans le caractère de classe de la société moderne… </i>»</div>
Rosa Luxembourg</td><td></td><td></td><td></td><td></td><td></td>
</tr>
</tbody>
</table>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.fr/search/label/Cajo%20Brendel" target="_blank">Cajo BRENDEL </a><span style="text-decoration: underline;"><b><br /></b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="text-decoration: underline;"><b>Notes</b></span>:<br />
(1) Certains ont voulu rechercher les « traditions ». Le chef
social-démocrate Willy Brandt a soutenu que « les couches pur sang du
vieux mouvement ouvrier syndicaliste et politique » ont influencé les
événements. D’autres ont même cru bon de remonter jusqu’à 1919 et 1921.
Selon Baring rien ne permet de conclure dans ce sens, le soulèvement
ayant eu lieu aussi bien dans les régions qui élisaient des députés
communistes dans les années 30 comme dans les autres. « En tout cas,
dans la rue, la ‘tradition’ incarnée par les ‘anciens’ était absente
(les sociaux-démocrates de Weimar, puis les nazis, enfin le Guépéou
assassinèrent pratiquement tous les ouvriers actifs) » (ICO p.19). Sans
compter tous les ‘anciens’ restés sur les champs de bataille.<br />
(2) Joachim G. Leithäuser – Der Monat – octobre 1953 p. 46.<br />
(3) id. sept. 1953. p 613.<br />
(4) Adenauer était chancelier de l’Allemagne Fédérale (chrétien
démocrate) ; Ollenhauer président du SPD, Kaiser chef du parti
chrétien-démocrate et Reuter bourgmestre socialiste (SPD) de Berlin
Ouest.<br />
(5) Les usines chimiques Leuna sont les plus grandes usines de l’Allemagne de l’Est.<br />
(6) La critique du livre d’Arnulf Baring, Le 17 juin 1953, publiée dans
ICO souligne que d’après Baring, seulement 5 à 7 % du total des
salariés d’Allemagne de l’Est participèrent au soulèvement et ajoute :
« Certes il est possible que la proportion réelle fût supérieure, mais,
en tout cas, ce pourcentage exprime un ordre de grandeur très
vraisemblable ». Les différentes sources citées précédemment infirment
ces estimations sans donner de pourcentages précis. A plusieurs endroits
de son livre très documenté, Stefan Brant (Der Aufstand –
L’Insurrection) parle de « toute la classe ouvrière » qui se levait.
L’auteur de cette brochure estime de plus que l’ampleur des événements
montre qu’un nombre beaucoup plus important d’ouvriers que celui
« avoué » par les dirigeants de l’Allemagne de l’Est fut impliqué dans
l’insurrection de juin 1953.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-50649053722523007072017-07-06T09:07:00.000-07:002017-07-06T09:07:15.412-07:00Action de masse et révolution<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj7-_dZAUM3HFLIjAL2KpidxM-hhyphenhyphenjyywXmdBuGPi9qXG03hDEFBNMNTHpLhq8WP4S1YRLWk4O76QcP4SUtmLMWgaWEzrzXtV_WH8ywO9EdU1W1gpqvlwDma-qeNR9fGpUSLg0kjdtSYqQw/s1600/%2527%2527%2527%2527.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="438" data-original-width="610" height="286" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj7-_dZAUM3HFLIjAL2KpidxM-hhyphenhyphenjyywXmdBuGPi9qXG03hDEFBNMNTHpLhq8WP4S1YRLWk4O76QcP4SUtmLMWgaWEzrzXtV_WH8ywO9EdU1W1gpqvlwDma-qeNR9fGpUSLg0kjdtSYqQw/s400/%2527%2527%2527%2527.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
L'évolution politique et sociale au cours
de ces dernières années a placé toujours plus la question des actions de masse
sur le devant de la scène. A partir des enseignements de la Révolution russe,
les actions de masse ont été prises en compte en 1905, sur le plan théorique,
comme appartenant à l'arsenal de la lutte de classe ; en 1908 et 1910,
elles ont, d'un seul coup, pratiquement, fait une entrée en scène grandiose
dans le combat pour la réforme du système électoral en Prusse ; et depuis,
rejetées, de façon momentanée seulement, à l'arrière-plan par les besoins de la
lutte électorale, elles ont été l'objet de débats et de discussions
approfondis. Ce n'est pas un hasard. Cela découle, d'une part, de la force
croissante du prolétariat et, de l'autre, c'est une conséquence inévitable de
la nouvelle figure du capitalisme que nous désignons du terme d'impérialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a><br />
<div style="text-align: justify;">
D'où provient l'impérialisme, et
quelles sont ses forces motrices, c'est une question que nous n'aborderons pas
ici ; procédons simplement à l'inventaire des phénomènes qui le
caractérisent et des effets qu'il engendre : la politique de grande
puissance, la course aux armements, notamment la construction de flottes de
guerre, les conquêtes coloniales, la pression fiscale croissante, le danger de
guerre, la montée dans la bourgeoise d'un état d'esprit agressif, d'une mentalité
de maître du monde, le triomphe de la réaction en politique intérieure, le coup
d'arrêt porté aux réformes sociales, le renforcement des liens de solidarité au
sein du patronat, l'aggravation des conditions de la lutte syndicale, la cherté
croissante de la vie. Tout ceci oblige la classe ouvrière à mener le combat de
façon différente. Dans le passé, elle a pu, parfois, nourrir l'espoir qu'elle
pourrait aller de l'avant lentement mais sûrement : grâce à l'amélioration
des conditions de travail au plan syndical, grâce aux réformes sociales et à
l'extension de ses droits politiques, au plan politique. Mais maintenant, elle
doit mobiliser toutes ses forces pour ne pas être délogée de ses positions, en
ce qui concerne son niveau du vie et les droits qu'elle a conquis. <i>Elle
était à l'offensive, elle est maintenant acculée à la défensive</i>. De ce
fait, la lutte de classe gagne en acuité et tend à se généraliser ; la
force motrice du combat, ce n'est plus l'espoir d'améliorer sa situation,
c'est, de façon croissante, la triste nécessité de faire face à la
détérioration de ses conditions de vie. L'impérialisme fait peser de nouveaux
dangers, de nouvelles catastrophes sur les masses populaires - classes
petites-bourgeoises aussi bien qu'ouvriers -, il fouette ainsi leur
résistance ; les impôts, le renchérissement de la vie, les dangers de guerre
les contraignent à se défendre avec bec et ongles. Mais ces facteurs n'ont leur
origine qu'en partie dans les décrets parlementaires, et ce n'est donc que
partiellement qu'ils peuvent être combattus au Parlement. Il faut que les
masses elles-mêmes entrent en lice, qu'elles fassent valoir directement leurs
prérogatives, qu'elles exercent une pression sur la classe dominante. A cette
nécessité s'ajoutent les possibilités qu'offre la force croissante du
prolétariat ; la contradiction entre l'impuissance du Parlement ,
celle de nos fractions parlementaires à combattre ces phénomènes, <i>et</i> la
conscience sans cesse accrue que le prolétariat a de sa force, l'aiguise. Pour
cette raison, les actions de masse sont une conséquence naturelle du
développement du capitalisme moderne en impérialisme, elles sont sans cesse
davantage la forme de combat qui s'impose contre lui.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'impérialisme et les actions de masse sont
des phénomènes nouveaux dont on ne peut saisir et maîtriser l'essence et
l'importance que petit à petit. Ce n'est que grâce à la discussion ouverte dans
le Parti que l'on y parviendra, et c'est pour cette raison que la plupart des
débats dans le Parti au cours des dernières années tournent autour de ces
questions. Ces discussions transforment notre façon de penser et de sentir, <i>elles
orientent les esprits dans une nouvelle direction</i> qui dépasse l'opposition
entre radicalisme et révisionnisme découlant avant tout de la tactique de lutte
parlementaire. Elles divisent, provisoirement ou durablement, ceux qui,
jusqu'alors, menaient le combat au coude à coude, ne se connaissaient pas de
divergences ; ce phénomène entraîne, dès que la discussion commence à
s'enflammer, de pénibles et regrettables malentendus qui donnent aux débats une
tournure particulièrement âpre. Il est d'autant plus nécessaire, si l'on veut
éclaircir ces divergences, de débattre des fondements de la tactique de combat
du prolétariat. Nous allons articuler notre propos, pour avancer dans le débat,
à deux articles du camarade Kautsky essentiellement, qui ont été publiés l'an
dernier.</div>
<h4 style="text-align: justify;">
Le pouvoir de la bourgeoisie et celui du prolétariat</h4>
<div style="text-align: justify;">
Le
pouvoir d'Etat est l'organe de la société qui dispose du droit et de la loi. La
domination politique, la maîtrise du pouvoir d'Etat, tel doit donc être le but
de toute classe révolutionnaire. La conquête du pouvoir politique est la
condition préalable du socialisme. Actuellement, la bourgeoisie dispose du
pouvoir d'Etat et l'utilise de façon à façonner le droit et la loi dans le sens
de ses intérêts capitalistes, et ainsi à les maintenir. Mais elle se trouve
réduite de plus en plus à une position de minorité qui, de surcroît, joue un
rôle décroissant sur la plan économique, dans le procès de production. La
classe ouvrière constitue une majorité toujours plus forte de la population,
c'est elle qui remplit la fonction économique la plus importante ; c'est
ce facteur qui fait qu'à coup sûr elle sera capable de conquérir le pouvoir
politique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il faut examiner de plus près les
conditions et les méthodes de cette révolution politique. Pourquoi la classe
ouvrière, bien que par son nombre et son poids économique elle l'emporte sur la
bourgeoisie, n'a-t-elle encore jamais pu imposer sa domination ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Comment, comme ce fut presque toujours le
cas au cours de l'histoire de la civilisation, une petite minorité
d'exploiteurs a-t-elle pu imposer sa domination à une grande masse populaire
exploitée ? C'est qu'interviennent ici beaucoup d'autres facteurs sur lesquels
se fonde sa domination.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le premier d'entre eux, c'est la
supériorité de la minorité dominante <i>sur le plan intellectuel</i>. En tant
que classe qui vit de la plus-value et dirige la production, elle dispose du
monopole de la formation intellectuelle, de la connaissance scientifique ;
sa vision globale qui embrasse l'ensemble de la société lui permet, même quand
elle est menacée très sérieusement par les masses en rébellion, à découvrir de
nouvelles ressources et de duper les masses pleines de naïveté, tantôt grâce à
sa confiance en elle-même et sa capacité d'endurer, tantôt en portant des coups
fourrés. Qu'il suffise de citer, à titre d'exemple, les soulèvements d'esclaves
dans l'Antiquité et toutes les révoltes paysannes au Moyen Age. Le pouvoir
spirituel est le pouvoir le plus important dans le monde humain. Dans la
société bourgeoise où une certaine formation intellectuelle devient le
patrimoine commun de toutes les classes, ce n'est plus tant la classe dominante
qui s'assure le monopole de l'activité intellectuelle que la bourgeoisie qui
impose sa domination intellectuelle à la masse populaire. Grâce à l'Ecole,
l'Eglise, la presse bourgeoise, elle empoisonne sans répit les grandes masses
du prolétariat avec des idées bourgeoises. Cette dépendance intellectuelle
vis-à-vis de la bourgeoisie constitue la principale cause de la faiblesse du
prolétariat.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le second facteur, le plus important, sur
lequel se fonde la force de la classe dominante, c'est, par ailleurs, la
rigidité, la solidité de son organisation. Un petit nombre de personnes bien
organisé est toujours plus fort qu'une masse importante mais dépourvue
d'organisation. <i>Cette organisation de la classe dominante est le pouvoir
d'Etat</i>. Elle se présente comme l'ensemble des employés de l'Etat qui,
disséminés partout dans les masses populaires y représentent les autorités,
tout en étant dirigés d'une façon particulière par le siège central du
gouvernement. L'unité de volonté qui part du sommet constitue la force
intrinsèque et l'essence de cette organisation. Ainsi, elle dispose d'une
supériorité morale colossale qui se traduit par l'assurance avec laquelle elle
agit face aux masses dépourvues de cohésion, dépourvues de toute volonté
commune. Elle est en quelque sorte une gigantesque pieuvre dont les tentacules
très fines, mises en mouvement par le cerveau situé au centre, pénètrent dans
tous les coins et recoins du pays, elle constitue un organisme cohérent face
auquel les autres hommes, quel que puisse être leur nombre, ne sont que des
atomes impuissants. Chaque individu séparé qui ne fait pas montre d'obéissance
est, pour ainsi dire, automatiquement saisi et écrasé par cet ingénieux
mécanisme ; les masses le savent, et c'est pour cela qu'elles ne bronchent
pas.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais que l'esprit de rébellion s'empare des
masses et voilà que s'évanouit leur respect de l'autorité, voilà que
s'assemblent les atomes, mus par l'idée qu'ils viendront aisément à bout de
quelques fonctionnaires ; mais l'Etat dispose alors encore de très
puissants moyens d'action : l'armée, la police. Celles-ci, il est vrai, ne
constituent que de petits détachements, des minorités, mais elles sont équipées
d'armes meurtrières, soudées ensemble par une sévère discipline militaire qui
en fait des formations invulnérables agissant comme des machines, des automates
entre les mains de ceux qui les commandent. Face à cette puissance, la masse
populaire, même quand elle cherche à s'armer, demeure sans défense.</div>
<div style="text-align: justify;">
Une classe montante peut s'emparer du
pouvoir d'Etat et le conserver, en raison de ce qu'elle représente sur le plan
économique, en raison de sa force ; c'est ce que fit la bourgeoisie, en sa
qualité de classe dirigeante de la production capitaliste et de propriétaire de
l'argent. Mais plus elle est superflue sur le plan économique, plus elle est
réduite à un rôle de classe parasite et plus ce qui faisait sa force s'estompe.
Disparaissent alors son prestige et sa supériorité intellectuelle, et il ne
demeure finalement, comme seul fondement de sa domination, que le pouvoir
d'Etat dont elle dispose, et tous ses moyens d'action. Si le prolétariat veut
conquérir le pouvoir, il doit vaincre le pouvoir d'Etat, la forteresse où s'est
retranchée la classe possédante. Le combat du prolétariat n'est pas simplement
un combat contre la bourgeoisie, <i>pour</i> le pouvoir d'Etat en tant
qu'objet, c'est aussi un combat <i>contre</i> le pouvoir d'Etat. Le problème de
la révolution sociale peut s'exprimer, d'une manière concentrée, comme
suit : il s'agit de développer la force du prolétariat au point qu'elle
soit supérieure à celle de l'Etat ; <i>le contenu de cette révolution,
c'est l'anéantissement et la dissolution des moyens d'action de l'Etat par ceux
du prolétariat.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
La force du prolétariat tient en premier
lieu à un facteur qui est indépendant de notre action et que nous avons déjà mentionné
plus haut : son nombre et son rôle économique, deux facteurs auxquels
l'évolution économique donne une importance sans cesse croissante et qui font
de la classe ouvrière celle qui joue un rôle toujours plus déterminante dans la
société. Par ailleurs, deux autres facteurs importants fondent la puissance de
la classe ouvrière, facteurs que l'ensemble du mouvement ouvrier s'efforce de
développer : <i>le savoir et l'organisation</i>. Dans sa forme première,
la plus simple, le savoir est cette conscience de classe qui, progressivement,
permet d'accéder à la compréhension de l'essence du combat politique, de la
lutte de classe, de la nature du développement capitaliste. La conscience de
classe du travailleur le libère de la dépendance intellectuelle vis-à-vis de la
bourgeoisie, son savoir politique et social lui permet de briser la supériorité
intellectuelle de la classe dominante ; il ne reste plus à celle-ci que la
force matérielle brutale. Chaque jour, l'histoire nous montre à quel point
l'avant-garde du prolétariat dépasse déjà sur ce plan la classe dominante.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'organisation rassemble dans un cadre
unique des individus qui, auparavant, se trouvaient atomisés. Avant
l'organisation, la volonté de chacun s'orientait indépendamment de tous les
autres ; l'organisation, cela signifie l'unité de toutes les volontés
individuelles agissant dans la même direction. Aussi longtemps que les
différentes atomes s'orientent en tous sens, ils se neutralisent les uns les
autres et l'addition de leurs actions est égale à zéro ; mais qu'ils se
mettent à agir tous dans le même sens, et l'ensemble de la masse se tiendra
derrière cette force, derrière cette volonté commune. Le ciment qui les unit et
les force à marcher ensemble, c'est la discipline ; grâce à elle,
l'activité de chacun ne découle pas de son propre jugement, de sa propre
inclination, de son propre intérêt, mais de la volonté et de l'intérêt de la
collectivité. L'habitude contractée dans le travail organisé de la grande
entreprise de subordonner sa propre activité à l'ensemble, crée, dans le
prolétariat moderne, les prémisses qui permettent de développer de telles
organisations. La pratique de la lutte de classe construit de telles
organisations, accroît sans cesse leur dimension, leur donne un ciment, la
discipline, toujours plus solidement. L'organisation est l'arme la plus
puissante du prolétariat. Cette force colossale qui est celle d'une minorité au
pouvoir dotée d'une organisation solide ne peut être défaite que par la force
plus colossale encore que constitue l'organisation de la majorité.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le développement constant de ces facteurs
(rôle économique essentiel, savoir et organisation) fait que la force du
prolétariat vient à l'emporter sur celle de la classe dominante (1) ; ce n'est que quand ces conditions
sont remplies que devient possible la révolution sociale. Cela fait apparaître
en toute clarté combien la vieille idée d'une conquête rapide du pouvoir
politique par une minorité était une illusion. Sans doute cette perspective ne
pouvait-elle pas être exclue d'emblée et elle aurait pu donner un formidable
élan à l'évolution sociale, si elle s'était réalisée ; mais, dans son
essence, la Révolution est tout autre chose. La révolution conclut un processus
de transformation radicale qui bouleverse l'essence et l'identité profonde de
la masse populaire exploitée. Au cours de ce processus, d'un amas d'individus
bornés, ignorants, vivant chacun l'œil rivé sur sa situation propre,
n'obéissant qu'à ses intérêts propres, on passe à une armée solidement
charpentée, rassemblant des combattants aux vastes desseins, mus par le
sentiment de l'intérêt général. Auparavant, nous avions une masse impuissante,
docile, d'une inertie de cadavre face à la force dominante qui, elle, est bien
organisée et sait ce qu'elle veut, qui manipule la masse à son gré ; et
voilà que cette masse se transforme en humanité organisée, capable de
déterminer son propre sort en exerçant sa volonté consciente, capable de faire
face crânement à la vieille puissance dominante. Elle était passive ; elle
devient une masse active, un organisme doté de sa vie propre, cimentée et
structurée par elle-même, dotée de sa propre conscience, de ses propres
organes.</div>
<div style="text-align: justify;">
La condition fondamentale pour que soit
abolie la domination du capital, c'est que la masse prolétarienne soit solidement
organisée et inspirée par l'esprit du socialisme. Que cette condition soit
remplie de manière satisfaisante, et la domination du capitalisme devient
impossible. Cet essor des masses, leur organisation, leur accession à la
conscience constituent ainsi déjà l'essentiel, le noyau du socialisme. La
domination de l'Etat capitaliste qui commence par chercher à entraver par la
contrainte le libre développement de ce nouvel organisme vivant se réduit sans
cesse davantage à n'être qu'une coquille vide, comme la coquille qui enferme
l'oisillon - et éclate. Sans doute, pour en finir avec cette domination, pour
conquérir le pouvoir, reste-t-il encore beaucoup de pain sur la planche, le
combat est-il loin de toucher à son terme ; mais ce qui compte vraiment,
c'est que la croissance de l'organisme prolétarien, le développement de cette
force de la classe ouvrière nécessaire à la victoire constituent la base, la
condition préalable de cette destruction du pouvoir en place</div>
<h4 style="text-align: justify;">
La conquête du pouvoir politique</h4>
<div style="text-align: justify;">
L'illusion
que le pouvoir puisse être conquis par la voie parlementaire repose sur l'idée
fondamentale selon laquelle le Parlement élu par le peuple constitue l'organe
législatif le plus important. Si c'était <i>le régime parlementaire et la
démocratie</i> qui régissaient la société, si le Parlement disposait de
l'ensemble du pouvoir d'Etat, si la majorité du peuple disposait du Parlement,
le combat politico-parlementaire, c'est-à-dire la conquête progressive de la
majorité du peuple par la pratique parlementaire, le travail d'éveil des masses
et la lutte électorale constitueraient la voie correcte pour conquérir le
pouvoir d'Etat. Mais ces conditions préalables ne sont pas remplies ;
nulle part elles ne le sont, et en Allemagne moins qu'ailleurs. Il faut d'abord
que ces conditions soient créées par les luttes pour l'aménagement de la
Constitution, avant tout par la conquête d'un mode de scrutin démocratique. Si
l'on prend le côté formel des choses, il y a deux aspects dans la conquête du
pouvoir politique : d'abord la mise en place des fondements
constitutionnels de cette lutte, la conquête des droits politiques de la masse
et ensuite l'utilisation correcte de ces droits, la conquête de la majorité
populaire pour le socialisme. Là où est déjà en place la démocratie, c'est le
second aspect qui est le plus important ; mais, inversement, là où de
larges masses sont déjà gagnées à notre cause mais où font défaut les droits,
comme en Allemagne, le centre de gravité du combat pour le pouvoir ne se situe
pas au niveau de la lutte <i>au moyen</i> des droits acquis mais de la lutte <i>pour
</i>les droits politiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette situation n'est évidemment pas le
fruit du hasard ; le fait que fassent défaut les fondements
constitutionnels d'une souveraineté populaire dans un pays où le mouvement ouvrier
est très développé est la forme nécessaire de la domination du capital. Cela
exprime le fait que le pouvoir réel est entre les mains de la classe dominante.
Aussi longtemps que ce pouvoir est intact, la bourgeoisie ne peut tout de même
pas nous proposer des moyens, même formels, de l'éconduire pacifiquement. Il
faut l'abattre, <i>son pouvoir doit être brisé</i>. La Constitution exprime le
rapport de force entre les classes ; mais cette force doit s'éprouver dans
le combat. Une modification du rapport de force entre les classes tel qu'il
s'exprime au niveau des droits garantis par la Constitution n'est possible que
si les classes qui s'affrontent mettent en œuvre leurs moyens d'action dans
cette lutte et se mesurent. Ce qui se présente, sous son aspect formel, comme
un combat pour les droits politiques essentiels est en réalité, dans son
essence la plus profonde, l'entrechoc des deux classes qui s'affrontent de
toute leur force, un combat où elles mettent en œuvre leurs plus puissants
moyens d'action, où elles s'efforcent de s'affaiblir et en fin de compte de
s'anéantir l'une l'autre. Sans doute le combat est-il fait tantôt de victoires
et tantôt de défaites, de concessions et de périodes de réactions ; mais
il reste qu'il ne peut s'achever que quand l'un des adversaires en présence est
abattu, lorsque ses moyens d'action sont anéantis et que le pouvoir politique
échoit au vainqueur.</div>
<div style="text-align: justify;">
Au cours des combats qui ont eu lieu
jusqu'alors, aucune des deux classes en présence n'a été en mesure encore de
mettre en œuvre ses plus puissants moyens d'action. La classe dominante, à son
grand regret, n'a jamais pu utiliser son arme la plus puissante, sa puissance
militaire dans le combat parlementaire et elle a dû assister impuissante, au
développement constant de la force du prolétariat. C'est en cela que consiste
la signification historique du combat parlementaire comme méthode à l'époque où
le prolétariat était encore faible, dans la première phase de son essor. Mais
ainsi, le prolétariat n'a pas non plus mis en œuvre ses moyens d'action les
plus puissants ; dans cette phase, seul son nombre et sa clairvoyance
politique comptaient ; mais n'entraient pas en jeu alors sa place centrale
dans le procès de production, pas plus que sa formidable puissance
organisationnelle (qui ne fut mise en œuvre que dans le combat syndical, pas
dans le combat politique contre l'Etat). Ainsi, les combats qui ont eu lieu
jusqu'à ce jour n'ont été au fond que des combats d'avant-poste : de part
et d'autre, on conservait en réserve l'essentiel de ses forces. Au cours des
luttes pour le pouvoir qui s'annoncent, les deux classes antagonistes devront
utiliser leurs armes les plus puissantes, leurs moyens d'action les plus
radicaux : <i>à défaut de cela, aucun déplacement décisif du rapport de
force n'est possible</i>. La classe dominante essaiera d'écraser dans le sang
le mouvement ouvrier. Le prolétariat entreprendra des actions de masse, allant <i>crescendo</i>
du rassemblement le plus simple aux manifestations de rue et aux grèves de
masse les plus vigoureuses.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ces actions de masse présupposent que le
prolétariat ait déjà considérablement développé sa force ; elles ne sont
possibles qu'à une étape avancée de l'évolution sociale, car elles requièrent
des qualités morales et intellectuelles, un savoir et une discipline de la part
des travailleurs qui ne peuvent qu'être le fruit de luttes politiques et
syndicales de longue haleine. Pour que des actions de masse soient conduites
avec succès, il faut que les travailleurs disposent d'une conscience sociale et
politique suffisamment développée pour être aptes à discerner et apprécier
quelles sont les conditions préalables de telles luttes, leurs effets, leur
dangers, lorsqu'on les entreprend et lorsqu'on les interrompt. Que la classe
dominante mette brutalement en œuvre son arsenal répressif, qu'elle interdise
la presse, interdise les rassemblements, incarcère les dirigeants de la lutte,
qu'elle rende impossible aux travailleurs de se concerter normalement, qu'elle
cherche à les intimider en proclamant l'état de siège, à les décourager en
répandant de fausses nouvelles : le succès de cette politique sera alors
suspendu à la clairvoyance plus ou moins grande dont saura faire preuve le
prolétariat, à la solidité de sa discipline, à sa confiance en lui-même, à sa
solidarité, à la force de son enthousiasme pour la grande cause commune. Dans
une telle épreuve, la violence autoritaire de l'Etat bourgeois et l'élan
vaillant des masses travailleuses en rébellion se mesurent jusqu'à ce que
l'emporte le plus fort.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous devons nous préparer à ce que l'Etat
ne recule pas devant l'adoption des mesures extrêmes que nous venons d'évoquer.
Qu'il soit placé dans une situation offensive ou défensive, le prolétariat
cherche toujours, en recourant aux actions de masse, à avoir barre sur le
pouvoir d'Etat, à peser sur lui directement, à exercer sur lui une pression
morale, le contraindre à se plier à sa volonté. Cela est possible parce que le
pouvoir d'Etat est étroitement dépendant de la poursuite normale de l'activité
économique. Si le processus de production se trouve perturbé par des grèves de
masse, l'Etat se trouve d'un coup placé face à des impératifs anormalement
difficiles à remplir. Il doit rétablir l' « ordre », mais
comment ? Peut-être est-il en état d'empêcher que les masses manifestent,
mais il ne peut les contraindre à retourner au travail ; tout au plus
peut-il essayer de les démoraliser. Placé face à ces tâches nouvelles,
confronté à la peur et l'émoi de la classe possédante qui incite le
gouvernement tantôt à aller de l'avant, tantôt à céder, le pouvoir peut très
bien perdre la tête, être incapable de faire montre d'une volonté ferme et
unie : l'Etat se trouve alors atteint à la source de son pouvoir, de sa
force, de son autorité, il perd confiance en lui-même.</div>
<div style="text-align: justify;">
La situation est pire encore quand
surviennent des grèves dans les moyens de communication qui perturbent les
liaisons entre autorités locales et pouvoir central, en démembrent ainsi tout
l'édifice organisationnel, morcèlent la pieuvre gigantesque dont les membres se
contorsionnent impuissants - comme cela fut le cas un moment pendant la grève
d'Octobre au cours de la Révolution russe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Tantôt le gouvernement aura recours à la
force et il dépendra alors de la détermination du prolétariat que cela lui soit
profitable ou non ; tantôt il cherchera à apaiser les masses en faisant
preuve de souplesse, en faisant des promesses, ce qui signifie alors que la
lutte des masses est - entièrement ou partiellement - victorieuse. Bien sûr,
l'affaire n'est pas terminée pour autant. Lorsqu'un droit important est
conquis, peut intervenir une période d'accalmie pendant laquelle on en tire
parti autant que faire se peut. Mais, ensuite, le combat reprendra
nécessairement ; le gouvernement ne peut pas se permettre d'accorder des
droits politiques qui placent les masses dans une position de pouvoir
décisive ; ou alors, s'il doit le faire, il tentera de les lui reprendre
par la suite ; par ailleurs, les masses ne peuvent cesser la lutte avant
qu'elles n'aient entre les mains les clés du pouvoir d'Etat. Ainsi, le combat
recommence sans cesse, organisation contre organisation ; sans répit, le
pouvoir d'Etat se trouve exposé à l'action dissolvante, disloquante des actions
de masse. Le combat ne cesse qu'avec la complète destruction de l'organisation
étatique. <i>L'organisation de la majorité du peuple a alors manifesté sa
supériorité en anéantissant l'organisation de la minorité dominante.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Mais, pour en arriver là, il faut que les
luttes de masse influent de la manière la plus profonde sur le prolétariat
lui-même et le transforment. Ces luttes de masse, comme tous les combats
politiques et syndicaux menés jusqu'alors, accroissent la force du
prolétariat ; simplement, elles le font d'une manière beaucoup plus ample,
beaucoup plus puissante, radicale. Lorsque ont lieu des actions de masse qui
agitent l'ensemble de la vie sociale jusque dans ses tréfonds, tous les esprits
en sont ébranlés ; c'est avec une attention passionnée que tous, y compris
ceux qui, habituellement, se contentent de jeter leur bulletin dans l'urne, suivent
l'évolution rapide de la situation. Quant à ceux qui participent à l'action, il
leur faut concentrer de façon très intense toute leur attention sur la
situation politique qui détermine leur action ; ainsi, leur conscience
sociale, leur vision politique globale progresse en ces périodes de crise
politique davantage en l'espace de quelques jours que, normalement, en l'espace
de plusieurs années. Ces combats placent le prolétariat face à des exigences
élevées, tout en faisant apparaître les moyens d'y faire face dans la pratique
du combat, les expériences de la victoire et de la défaite. Au fur et à mesure
que se développe la lutte, croît la maturité du prolétariat qui le rend apte à
mener de difficiles combats par la suite.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne s'agit pas là seulement de la
conscience politique, mais aussi de l'organisation, même si, souvent, on
affirme le contraire. On redoute souvent qu'au fil de ces dangereux combats,
l'organisation prolétarienne, son atout le plus fort, ne risque d'être
anéantie ; c'est cette crainte qui fonde l'aversion qu'inspire
l'utilisation de la grève de masse chez ceux qui consacrent tout leur temps à
diriger les grandes organisations prolétariennes de notre époque. Ils craignent
que dans cet affrontement entre les organisations prolétariennes et celle de
l'Etat, les premières qui sont les plus faibles aient nécessairement le
dessous. C'est que l'Etat a encore le pouvoir de dissoudre sans autre forme de
procès les organisations ouvrières qui s'aventurent à engager le combat contre
lui, de les empêcher de poursuivre quelque activité que ce soit, de saisir
leurs caisses, d'emprisonner leur dirigeants ; et il est certain qu'il ne
se laissera pas retenir sur cette voie par quelque scrupule juridique ou moral.
Pourtant, ces actions violentes ne lui seront d'aucune utilité ; ce
faisant, il ne peut détruire que l'enveloppe extérieure de l'organisation du
prolétariat, pas son être même. Il ne faut pas confondre l'organisation du
prolétariat que nous considérons comme son moyen d'action le plus important et
les organisations et associations dans leur forme actuelle qui sont le cadre de
l'action du prolétariat dans une situation où, comme aujourd'hui, l'ordre
bourgeois est encore stable. <i>Dans son être même, cette organisation est
quelque chose d'intellectuel qui représente un total bouleversement dans
l'identité des prolétaires</i>. Peut-être la classe dominante anéantira-t-elle
en apparence les organisations existantes en faisant donner sans scrupule ses
forces de police et sa justice ; mais cela ne suffira pas à faire retomber
les travailleurs dans l'état d'atomisation qui était auparavant le leur, à une
époque où ils n'agissaient qu'au gré de leurs humeurs, de leurs intérêts. Ils
demeurent animés par le même esprit, la même discipline, la même cohésion, la
même habitude de l'action organisée et ils trouveront ainsi de nouvelles formes
d'action. Sans doute une agression de la classe dominante comme celle que nous
avons évoquée peut-elle porter un coup sévère au prolétariat, mais sans briser <i>l'essentiel</i>
de sa force, pas plus que la loi contre les socialistes ne put abattre le
socialisme, même si cette loi empêchait l'organisation et l'agitation
socialistes sous leur forme normale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Inversement, l'organisation est
considérablement renforcé par les luttes de masse. De telles luttes secouent
des centaines de milliers de travailleurs qui n'adhèrent pas encore,
aujourd'hui, à notre cause - qu'ils soient indifférents, craintifs ou
sceptiques - et les entraînent au combat. Dans le cours indolent de l'Histoire,
fait du train-train de la lutte quotidienne, tel que nous l'avons connu jusqu'à
nos jours, les divergences idéologiques jouent un grand rôle et divisent les
travailleurs ; mais en période révolutionnaire, quand le combat prend une
tournure plus radicale, quand il tranche rapidement la situation, c'est le sens
de classe naturel qui s'impose irrésistiblement - et si ce n'est pas du premier
coup, ce sera d'une manière d'autant plus certaine par la suite. Ce processus
renforcera la solidité de l'organisation ; la discipline, soumise à
l'épreuve la plus rude par ces combats difficiles deviendra solide comme
l'acier : c'est qu'elle <i>doit</i> le devenir. Ce sont ces combats
eux-mêmes qui accroîtront la force encore insuffisante du prolétariat au point
qu'il devienne capable d'affirmer sa domination sur la société.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais la classe dominante ne pourra-t-elle
pas infliger aux travailleurs au cours de ces luttes de masse une défaite
certaine, en mettant en œuvre ses armes les plus acérées, en recourant à une
violence sanglante ? Elle a montré, à l'occasion des manifestations pour
la réforme du système électoral du début de 1910 qu'elle ne recule pas devant
l'emploi d'une telle violence. Mais il est apparu à la même occasion que le
sabre du sergent de ville ne peut rien face à une masse populaire déterminée.
On a pu, en le brandissant, gravement toucher un certain nombre de gens, mais
pas intimider la masse au point qu'elle renonce à son dessein, à manifester,
alors que des centaines de milliers de personnes étaient là, déterminées,
enthousiastes, disciplinées. Il en va autrement lorsque c'est l'armée qu'on met
en œuvre contre les masses populaires ; celles-ci ne peuvent manifester
quand elles essuient les salves de troupes régulières lourdement armées. Mais
cela n'avance pas beaucoup la classe dominante. Car ce sont les fils du peuple
qui composent l'armée, et, de plus en plus, notamment, des jeunes prolétaires
qui ont acquis à la maison des éléments de conscience de classe et les ont
apportés à l'armée. Cela ne signifie pas que cette armée puisse aussitôt
échapper aux mains de la bourgeoisie : la discipline de fer va,
mécaniquement, pour ainsi dire, refouler toute réflexion critique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais ce qui était, dans une certaine
mesure, vrai des anciennes armées de mercenaires, à savoir qu'à long terme on
ne pouvait les utiliser contre le peuple, l'est plus encore des armées
populaires modernes. Même une discipline de fer ne résiste pas à pareil emploi.
Rien n'ébranle aussi sûrement la discipline que l'injonction (parfois suivie
d'effet) faite aux soldats de tirer sur leurs frères de classe, sur le peuple,
alors qu'il ne prétend rien faire d'autre que se rassembler ou défiler
pacifiquement. C'est précisément pour conserver intacte la discipline de
l'armée au cas où éclaterait une révolution que le gouvernement des Junkers a
évité jusqu'alors, en Allemagne, d'utiliser la troupe contre les grèves. C'est
là un habile calcul, mais cela ne suffira pas à le tirer d'affaire. Les
réactionnaires qui ne cessent d'appeler à une « solution militaire »
de la question ouvrière ne se doutent pas que, ce faisant, ils ne font
qu'accélérer leur propre chute. Si la gouvernement est contraint d'utiliser
l'armée contre les actions de masse du prolétariat, cette arme perd autant de
sa force intrinsèque. Elle est comme un glaive étincelant qui inspire le
respect, peut infliger de profondes blessures, mais commence à perdre son
tranchant dès qu'on l'utilise. Et, si elle vient à perdre cette arme, la classe
dominante perd son ultime, son plus puissant moyen d'action, elle reste sans
défense.</div>
<div style="text-align: justify;">
La révolution sociale est le processus de
la dissolution progressive, graduelle de l'ensemble des moyens d'action de la
classe dominante, en particulier de l'Etat, le processus au cours duquel
s'édifie de manière constante la force du prolétariat, ceci jusqu'à son complet
achèvement. Il faut qu'au début de ce processus le prolétariat ait accédé à un
niveau relativement élevé de compréhension politique fondée sur la conscience
de classe, de force intellectuelle et de solidité organisationnelle pour qu'il
soit capable d'entreprendre les combats difficiles qui succèdent à cette
phase ; mais ce n'est pas tout, pourtant. Si le prestige de l'Etat et de
la classe dominante qui les considèrent comme leurs ennemis est alors ruiné
dans les masses, le pouvoir matériel de la bourgeoise est encore intact. Au
terme du processus révolutionnaire, il ne reste plus rien de ce pouvoir ;
le peuple travailleur dans son ensemble est devenu capable d'assurer sa
domination, bien organisé, déterminant son propre sort en connaissance de
cause, il peut commencer à prendre en main la production.</div>
<h4 style="text-align: justify;">
L'action de la masse</h4>
<div style="text-align: justify;">
<b> </b>Dans
la <i>Neue Zeit</i> du 12 au 27 octobre [1911], le camarade Kautsky analyse,
dans une série d'articles intitulée « L'action de masse », les
formes, les conditions et les effets des actions de la grande masse populaire.
Sans doute ces articles ont-ils suscités par le fait qu'au cours des dernières
années la question des actions de masse a sans cesse été agitée avec plus de
vigueur ; mais il faut dire tout de suite que la façon dont Kautsky pose
le problème ne permet pas de répondre à la véritable question, telle qu'elle se
pose dans la pratique. Kautsky souligne au début de son article qu'il ne veut
pas dire, évidemment, en évoquant l'action de masse, que les actions de la
classe ouvrière organisée deviennent sans cesse plus massives du fait de la
croissance de ses organisations ; mais bien qu'il a en vue l'entrée en
scène de la « grande masse populaire inorganisée qui se rassemble de
manière occasionnelle, pour se séparer ensuite, de ce qu'on appelle la
« rue » . . . En constatant, ajoute-t-il, que les actions politiques
et économiques deviennent toujours plus des actions de masse, « on
n'affirme nullement que cette forme particulière d'action de masse que l'on
décrit pour faire vite comme l'action de la rue soit appelée à jouer un rôle
sans cesse croissant ».</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour Kautsky, il y a donc deux formes
d'action extrêmement différentes. D'un côté la lutte des travailleurs sous la
forme que l'on a connue jusqu'alors, celle d'un petit détachement d'élite du
peuple, de la classe ouvrière organisée qui représente peut-être un dixième
seulement de l'ensemble de la masse qui ne possède rien, et qui mène de son
côté son combat politique et syndical. De l'autre côté, nous aurions l'action
de la grande masse inorganisée, de la « rue » qui, pour une raison
quelconque, se soulève et joue ainsi un rôle historique. La question, dit
Kautsky, est de savoir si la première figure sera, à l'avenir, la seule qui
donnera sa configuration au mouvement prolétarien, ou si la seconde, l'action
de masse, jouera encore un rôle important.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais lorsque, dans la discussion interne au
Parti, au cours des dernières années, on a souligné le caractère inévitable ou
encore l'opportunité des actions de masse, ce ne fut jamais en se fondant sur
cette opposition. Ces positions ne se fondaient ni sur la simple affirmation
que nos combats deviennent plus massifs, ni sur celle que les masses
inorganisées entrent sur la scène politique, mais sur un troisième : à
savoir que se dessine <i> une nouvelle forme particulière d'activité des
travailleurs organisés</i>. C'est le développement du capitalisme moderne qui a
contraint le prolétariat conscient de ses intérêts de classe à adopter ces
nouvelles formes d'action. Gravement menacé par l'impérialisme, il doit mettre
en œuvre sa volonté de la manière la plus énergique face aux autres forces
puissantes que suscite le capitalisme dans sa lutte pour que lui soient
reconnus davantage de droits, davantage de prérogatives dans l'Etat ; il
doit le faire de manière plus énergique que ne le peuvent les discours de ses
représentants au Parlement. Il doit agir par lui-même, se lancer dans le combat
politique, chercher à infléchir l'attitude de la bourgeoisie et du gouvernement
en faisant peser le poids des masses qu'il représente. Quand nous parlons
d'actions de masse, de leur nécessité, nous voulons désigner par là une
activité politique extra-parlementaire de la classe ouvrière organisée,
activité par laquelle elle agit directement sur la politique, au lieu de le
faire par le truchement de ses représentants. Ces actions de masse ne sont pas
synonymes d'action de « la rue », même si les manifestations de rue
en sont une forme, la plus puissante de ces actions, la grève de masse, signifie,
elle, que les rues dont désertes. Les luttes syndicales qui mettent en branle
d'emblée les masses constituent d'elles-mêmes, dès qu'elles engendrent des
effets politiques d'importance, une transition vers ces actions de masse
politiques. Lorsqu'on envisage la question pratique des actions de masse, il ne
s'agit rien d'autre que d'une extension du champ d'activité des organisations
prolétariennes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ces actions de masse s'opposent d'une
manière absolument radicale aux mouvements populaires antérieurs dans le cours de
l'histoire et que Kautsky analyse comme actions de masse. Au cours de ces
mouvements, les masses se rassemblaient un instant, agglomérées par un puisant
courant social qui les dotait d'une volonté commune ; ensuite, la masse se
redécomposait et les individus redevenaient les atomes dispersés qu'ils étaient
auparavant. Mais maintenant, les masses sont déjà organisées, leur action est
élaborée, préparée d'avance et, quand elle s'achève, l'organisation demeure.</div>
<div style="text-align: justify;">
A cette époque, lors des anciennes actions
de masse, il ne pouvait s'agir que de renverser un régime honni, donc de
conquérir momentanément le pouvoir par un acte révolutionnaire unique ;
mais comme, une fois ce but atteint, la masse se dissolvait, le pouvoir
retombait entre les mains d'un petit groupe ; et, même si le peuple
essayait d'ancrer son pouvoir en imposant le suffrage universel, cela ne
suffisait pas à empêcher que s'établisse la domination d'une nouvelle classe.
Nos actions de masse visent également, d'ailleurs, la conquête du pouvoir, mais
nous savons qu'elle ne peut être le fait que d'une masse populaire socialiste
et hautement organisée. C'est pour cette raison que le but <i>immédiat</i> de
nos actions ne peut être toujours qu'une réforme déterminée, la perspective
d'une concession que l'on arrachera à l'ennemi, qui diminuera d'autant sa force
et fera progresser d'autant la nôtre. Dans le passé, le pouvoir du peuple ne
pouvait être construit de manière permanente et sûre ; la masse populaire
ne pouvait s'exprimer que par des éruptions soudaines et violentes qui jetaient
bas une domination oppressive ; mais ensuite, toute cette force retournait
au néant et une domination nouvelle venait s'abattre sur la masse populaire
impuissante. L'élimination de toute domination de classe comme nous le concevons
n'est possible que parce qu'existe un pouvoir populaire permanent qui se
construit pas à pas et de manière inexorable jusqu'au point où sa force sera
telle qu'il écrasera tout simplement le pouvoir d'Etat de la bourgeoisie et le
dissoudra dans le néant. Autrefois, il fallait que les soulèvements populaires
l'emportent sur toute la ligne, ou, s'ils n'avaient pas la force de le faire,
ils échouaient totalement. Nos actions de masse ne peuvent pas échouer ;
même si nous n'atteignons pas le but que nous nous sommes assigné, ces actions
ne sont pas vaines, car même des retraites temporaires contribuent à la
victoire future. Les actions de masse d'autrefois n'entraînaient toujours
qu'une fraction minime de la population : il suffisait qu'une partie des
classes populaires se soulève et s'ameute dans la capitale pour que tombe le
gouvernement ; on ne pouvait, de toute façon, guère espérer davantage.
Aujourd'hui aussi, nos actions de masse ne rassemblent au début qu'une
minorité ; mais elle entraînent dans l'action des secteurs toujours plus
importants de la population qui se tenaient auparavant à l'écart de ces
actions, elles les entraînent à grossir les rangs de notre armée : ainsi,
l'ensemble des actions de masse finit par entraîner l'action de la grande masse
populaire exploitée qui rend impossible la poursuite de toute domination de
classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Si nous soulignons avec insistance
l'opposition entre ce que l'on entend, dans la pratique du Parti, par action de
masse et ce que Kautsky entend par là, cela ne nous dispense pas pour autant de
prêter attention à son analyse. Car on ne peut exclure qu'éclatent dans
l'avenir de brusques et puissantes soulèvements des masses inorganisées,
rassemblant des millions de personnes contre un gouvernement. Kautsky démontre
dans le détail - à très juste titre - que l'existence de l'action parlementaire
et du mouvement syndical, loin de rendre superflues les actions de masse
directes, les rendent au contraire pour la première fois vraiment possibles.
L'enchérissement de la vie et la guerre qui, dans le passé, ont si souvent
poussé les masses sur la voie de soulèvement révolutionnaires se profilent à
nouveau comme quelque chose de tangible. C'est pour cette raison qu'il est
d'une importance vitale que nous étudions ce qui fonde de telles actions de
masse spontanées, que nous étudions leurs conséquences, en analysant autant que
possible les faits historiques.</div>
<div style="text-align: justify;">
Et pourtant, la manière dont Kautsky
procède à cet examen ne peut que susciter de sérieuses réserves. Il suffit
d'examiner le résultat auquel il parvient pour se convaincre que sa méthode est
défectueuse. Car quelle est l'impression générale que retire le lecteur de son
second article où est analysée l'intervention de la masse dans
l'histoire ? Il en ressort que parfois l'action de la masse va dans un
sens révolutionnaire, parfois dans un sens réactionnaire ; la masse
détruit, et parfois cela est utile, parfois nuisible ; parfois elle se
lance dans l'action lorsqu'on s'y attend le moins, et parfois elle se dérobe
totalement lorsqu'on compte sur son entrée en scène.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les formes d'apparition et les effets de
l'action de masse peuvent ainsi être des plus divers ; il est difficile de
les évaluer à l'avance, car les facteurs qui les déterminent sont infiniment
complexes. L'effet produit par ces actions est presque toujours surprenant,
tantôt il dépasse toutes les espérances et tantôt il suscite la déception.</div>
<div style="text-align: justify;">
Bref, on ne peut en réalité rien dire de
ces actions, en ce qui les concerne on ne peut compter sur rien de déterminé,
tout est aléatoire et incertain. Le résultat de l'analyse de Kautsky n'en est
donc pas un ; en dépit de nombreuses remarques de détail intéressantes et
précieuses, son analyse est demeurée sans résultat. A quoi cela tient-il ?
Nous ne pouvons mieux faire pour le dire que citer ce que nous écrivions il y a
sept ans afin de critiquer la conception téléologique de l'histoire (<i>Neue Zeit</i>,
XXIII, t. 2, p. 423 : Marxisme et téléologie) :</div>
<div style="text-align: justify;">
<blockquote>
« Si l'on prend la masse dans son sens
tout à fait général, l'ensemble du peuple, il apparaît que, dans la mesure où
se neutralisent réciproquement les conceptions et volontés divergentes des uns
et des autres, il ne reste apparemment rien d'autre qu'une masse sans volonté,
fantasque, adonnée au désordre, versatile, passive, oscillant de-ci de-là entre
diverses impulsions, entre des mouvements incontrôlés et une indifférence
apathique - bref, comme on le sait, le tableau que les écrivains libéraux
peignent le plus volontiers du peuple. En fait, les chercheurs bourgeois
pensent qu'en raison des différences infinies qui existent entre les individus,
faire abstraction de l'individu, c'est en même temps faire abstraction de tout
ce qui fait de l'homme un être doté de volonté, un être vivant, si bien qu'il
ne demeure alors qu'une masse dépourvue de toute qualité. Car pour eux, entre
la plus petite unité, la personne individuelle et le grand Tout dans lequel
sont supprimées toutes les différences, la masse inerte, il n'y a pas
d'intermédiaire ; ils ne connaissent pas les classes. A l'opposé, c'est la
force de la doctrine socialiste que d'avoir apporté un principe d'ordre et un
système d'interprétation de l'infinie variété des individualités humaines, en
introduisant le principe de la division de la société en classes. Dans chaque
classe, on trouve les individus ensemble, qui ont en gros les mêmes intérêts,
la même volonté, les mêmes conceptions qui s'opposent à ceux des autres
classes. Que l'on identifie dans les mouvements de masse historiques les
différentes classes, et l'on voit aussitôt émerger d'un impénétrable brouillard
une image claire du combat entre les classes, avec ses phases successives
d'attaque, de retraite, de défense, de victoire et de défaite. Il suffit de
comparer les descriptions que Marx a données des Révolutions de 1848 avec
celles d'auteurs bourgeois. La classe est, dans la société, le général, qui
conserve en même temps un contenu particulier ; que l'on supprime ce
caractère particulier pour tomber dans un concept de l'Humain en général, et il
ne demeure rien de particulier. Une science sociale ne peut avoir de contenu
que si elle s'occupe des classes, c'est-à-dire d'un cadre où disparaît le
caractère aléatoire de l'individualité humaine, mais où, en même temps, est
demeuré l'essentiel de l'homme, une volonté, une façon de sentir particulières,
différentes des autres, sous une forme pure, abstraite. »</blockquote>
</div>
<div style="text-align: justify;">
Personne, parmi les disciples de Marx, n'a
mis en relief avec autant de force que Kautsky dans ses écrits sur l'Histoire
l'importance de la théorie marxiste pour celui qui étudie l'histoire ; et
s'il traite de façon si lumineusement claire tous les sujets qu'il aborde,
c'est essentiellement parce qu'en chaque chose il va droit aux classes, à leur
situation, à leurs intérêts, à leurs visions des choses et explique leurs
actions à partir de ces données. Mais, dans le cas présent, il a oublié son
équipement marxiste à la maison, et c'est pour cela qu'il ne parvient à rien.
Nulle part dans son exposé historique il n'est question du caractère de classe
spécifique des masses ; quand il fait référence à Le Bon et Kropotkine et
polémique contre eux, il ne met l'accent que sur la dimension psychologique des
choses qui n'est qu'accessoire, mais il ne prend pas en considération
l'essentiel, l'aspect économique où s'enracinent les différences de forme et de
but des mouvements de masse. L'action du lumpenprolétariat qui ne sait
que piller et détruire sans poursuivre des buts qui lui soient propres,
l'action des petits-bourgeois qui sont montés sur les barricades à Paris,
l'action des salariés d'aujourd'hui qui arrachent par une grève de masse des
réformes politiques, l'action des paysans dans des pays économiquement arriérés
- comme en 1808 en Espagne ou au Tyrol - contre la volonté de greffer
artificiellement des lois modernes, toutes ces actions sont différentes les
unes des autres et ne peuvent être comprises quant à la spécificité de leurs
méthodes et des effets qu'elles engendrent que si l'on examine la situation de
classe et les sentiments de classe qui étaient à l'origine de ces mouvements.
Mais si on les jette tous indistinctement dans le même sac sous le label
« action de masse », il n'en sortira qu'un méli-mélo qui nous
apportera tout sauf la clarté. Présenter la guerre de guérilla espagnole comme
une action de masse réactionnaire qui chassa les Français (qui se consacraient
à une œuvre utile) pour remettre en selle une « racaille
réactionnaire » composée de « curés, de propriétaires terriens et de
courtisans », cela peut apparaître sympathique en ces temps de lutte
contre le bloc de Junkers et des cléricaux, mais cela n'est pas conforme pour
autant à la méthode historique qui est habituellement celle du camarade
Kautsky. Quand il évoque la bataille de Juin comme l'exemple à méditer d'une
action de masse provoquée par le gouvernement et écrasé dans le sang, ceci afin
que les générations actuelles en fassent leur profit et leur bénéfice, il
manque à sa démonstration l'essentiel : dans ce cas-là, deux masses se
faisaient face, l'une bourgeoise, l'autre prolétarienne. Ainsi, tout événement
historique se trouve placé sous un mauvais éclairage, si l'on essaie, en
négligeant ce qui fait l'essentiel de sa spécificité, de le mettre sous le
signe de l'abstraction généralisante et vide de l'action de masse.</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est là un défaut que l'on trouve dans le
troisième article de Kautsky où il examine les « transformations
historiques des actions de masse ». Dans cet article où il analyse les
conditions et les effets des actions de masse du prolétariat, Kautsky, une
nouvelle fois, nous livre nombre de réflexions précieuses et importantes ;
il reste pourtant que c'est la base même de ses développements qui, en général,
appelle la critique. Kautsky voit que les actions de masse modernes seront
d'une autre nature que celles du passé ; mais il cherche le fondement de
cette différence avant tout dans le développement de l'organisation du
prolétariat et dans celui de sa conscience historique.</div>
<div style="text-align: justify;">
<blockquote>
« Mais, même si l'on conçoit que les
actions de masse qui naîtront de cette situation seront très puissantes, elles
seront différentes de celles que nous avons connues. Les quarante dernières
années pendant lesquelles le prolétariat a pu jouir des droits démocratiques et
s'organiser ne peuvent s'être écoulées sans laisser de trace. Le nombre
d'éléments organisées, conscients dans la masse est devenu trop important pour
que ces éléments ne fassent pas entendre leur voix lors d'explosions
spontanées, quelle que soit la puissance de l'exaspération dont elles
surgissent, quelle que soit la soudaineté avec laquelle elles apparaissent, et
quand bien même y fait totalement défaut une direction agissant de façon
concertée. »</blockquote>
</div>
<div style="text-align: justify;">
Kautsky fait totalement disparaître ici ce
qui fonde pour l'essentiel l'opposition entre les actions de masse du passé et
celles d'aujourd'hui et demain : <i> le fait que les masses modernes
ont une tout autre composition sociale que celles du passé</i>. Même les masses
inorganisées d'aujourd'hui doivent agir tout autrement que les masses
populaires d'antan : ce sont des masses <i>prolétariennes</i> par
opposition à des masses <i>bourgeoises</i>. Les mouvements de masse que nous
avons connus dans l'histoire étaient des actions mues par des masses
bourgeoises ; c'étaient des artisans, des paysans, des ouvriers de
sensibilité petite-bourgeoise travaillant dans de petites entreprises et chez
les paysans, qui y entraient en action. Ces classes étant individualistes, en
raison de la nature de leur activité économique, la masse, nécessairement, éclatait
en petites unités dispersées dès que l'action était achevée. Aujourd'hui, les
grandes masses agissantes sont constituées essentiellement de prolétaires, de
travailleurs qui sont au service du grand capital, dont le caractère de classe
est tout différent et dont la façon de penser, de sentir, d'être, est toute
différente de celle de la petite-bourgeoisie.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mise en regard de cette différence
fondamentale de nature entre les masses d'hier et d'aujourd'hui, l'opposition
entre masses organisées et masses inorganisées ne devient certes pas
insignifiante - car la différence est grande entre des membres de la classe ouvrière
dotés des mêmes dispositions selon qu'ils ont une formation politique et une
expérience - mais, du moins, secondaire. Nous avons insisté à plusieurs
reprises déjà sur le fait que toutes les catégories de travailleurs ne peuvent
pas être organisées dans le même mesure. Précisément, ce sont les travailleurs
des entreprises capitalistes les plus développées et les plus concentrées, ceux
de l'industrie lourde aux mains des cartels, ceux des chemins de fer,
partiellement aussi ceux des mines, qu'il est beaucoup plus difficile
d'organiser que ceux de la grande industrie moins concentrée. La raison en est
évidente : ces travailleurs ont en face d'eux la puissance du capital - ou
celle de l'Etat-patron -, une force si colossale et accablante que toute idée
de résistance, y compris au moyen de l'organisation, y apparaît vouée à
l'échec. Ces masses, dans leur essence profonde, sont aussi prolétariennes que
d'autres ; le travail au service du capital leur a inculqué une discipline
instinctive. Leurs luttes ont revêtu, jusqu'alors, le caractère d'explosions
spontanées ; mais, en ces occasions, elles ont fait montre d'une
discipline et d'une solidarité étonnantes, d'une inébranlable fermeté dans le
combat dont on a eu ces dernières années, en Amérique particulièrement, de
beaux exemples avec les grèves des masses inorganisées employées par les
trusts. Certes, il leur manque l'expérience, l'endurance, la clairvoyance qui
ne peuvent être acquises que par une très longue pratique du combat. Mais ces
masses ne présentent plus trace de cet individualisme ancien de la petite-bourgeoisie
inorganisée. Du fait de leur situation de classe, elles saisissent en un clin
d'œil les enseignements de l'organisation et de la lutte de classe socialiste,
et elles s'entendent à en tirer profit. Quand on dit que ces masses ne sont pas
organisables ou qu'elles le sont difficilement, cela ne renvoie qu'à la forme
de l'organisation sociale actuelle, pas à la discipline au combat, pas à
l'esprit d'organisation, pas à la capacité de prendre part aux actions de masse
prolétariennes. Qu'à la faveur de quelque événement la puissance du capital
n'apparaisse plus intouchable et d'une supériorité écrasante, et les voilà qui
entrent en lutte, et il n'est nullement à exclure qu'elles jouent dans les
actions de masse un rôle plus grand encore, qu'elles constituent des bataillons
plus valeureux encore que la masse de ceux qui sont actuellement organisés.</div>
<div style="text-align: justify;">
Aussi, l'action de la masse inorganisée
vient-elle rejoindre d'elle-même celle des masses organisées que nous avons
considérée pour commencer. Les actions de masse décidées par la classe ouvrière
organisée drainent rapidement d'autres couches du prolétariat et se
transforment petit à petit en actions embrassant l'ensemble de la classe
prolétarienne. Ainsi s'estompe le contraste qui apparaît souvent aujourd'hui
comme si important entre organisés et inorganisés ; non pas parce que ces
derniers s'assimilent maintenant aux cadres des organisations existantes - car
il n'est pas certain du tout que celles-ci vont pouvoir conserver sans problème
leur forme actuelle - mais au sens où les nouvelles formes de combat qui
apparaissent permettent à tous de mettre en œuvre de la même façon leur sens de
la discipline, de la solidarité, leur conscience socialiste, leur dévouement à
leur classe. La tâche de la social-démocratie - qu'elle s'incarne dans la forme
actuelle d'organisation du Parti ou quelque autre cadre - c'est d'agir comme
l'expression intellectuelle de ce qui vit dans la masse, de diriger son action,
de forger son unité.</div>
<div style="text-align: justify;">
Tout autre est l'impression que l'on retire
de l'exposé de Kautsky. De même qu'il résulte de son examen du cours de
l'histoire que l'on ne peut rien dire de précis d'une action de masse, de même
il voit dans les actions de masse à venir des éruptions puissantes qui
déferleront sur nous de manière totalement imprévisible, comme un cataclysme
naturel, un tremblement de terre, par exemple. Jusqu'à ce que se produisent de
tels mouvements, le mouvement ouvrier n'a qu'à continuer d'agir comme il l'a
fait jusqu'à présent ; les élections, les grèves, le travail
parlementaire, le travail d'éducation des masses, tout continue comme avant, en
s'amplifiant progressivement sans rien changer d'essentiel au cours des
choses ; ceci jusqu'à ce qu'un jour, suscité par quelque motif externe,
ait lieu un colossal soulèvement populaire qui, peut-être, reversera le régime
existant : exactement, donc, selon le modèle des révolutions bourgeoises,
avec cette simple différence que le Parti et son organisation sont maintenant
prêts à prendre le pouvoir en main, à établir solidement les fruits de la
victoire au lieu de profiter de leur nouvelle position dominante pour manger
les marrons que la masse a tirés du feu, ils sont prêts au contraire à en faire
profiter tout le monde. On retrouve là la théorie que défendait Kautsky il y a
deux ans dans le débat sur la grève de masse - l'idée d'une grève de masse
conçue comme un acte révolutionnaire unique conçue pour renverser d'un coup la
domination capitaliste - et qu'il présente ici sous une forme rénovée. C'est <i>la
théorie de l'expectative passive</i> - passive non pas au sens où il s'agirait
de poursuivre de la même manière le travail parlementaire et syndical - mais au
sens où l'on attend passivement que surviennent comme des événements naturels
les grandes actions de masse, au lieu de les organiser systématiquement et
activement au moment opportun, de les pousser de l'avant. C'est la théorie
adéquate à la pratique de la direction du Parti et à sa répulsion pour les
actions de masse, et c'est elle seulement qui permet de comprendre dans sa
logique la pratique souvent critiquée de la direction du Parti consistant à
demeurer les bras croisés aux moments cruciaux où serait nécessaire l'action du
prolétariat et à tout faire, lors de la lutte pour la réforme du système
électoral, pour mettre un terme aussi vite que possible aux manifestations de
rue afin que tout rentre dans l'ordre. Par contraste avec notre conception de
l'<i>activité révolutionnaire</i> du prolétariat qui repose sur l'idée que
celui-ci construit son hégémonie dans une période d'actions de masse montantes
et ruine progressivement le pouvoir d'Etat de la classe adverse, cette théorie
du <i>radicalisme passif</i> considère que l'activité consciente du prolétariat
ne peut être porteuse d'aucun changement radical. Ce radicalisme passif
converge avec le révisionnisme au sens où il débouche sur l'épuisement de notre
activité consciente dans le combat parlementaire et syndical ; il n'est
donc pas surprenant que trop souvent, dans la pratique, on le voit se
rapprocher de la tactique révisionniste - comme tout récemment à propos de
l'accord de désistement.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce radicalisme se distingue du
révisionnisme dans la mesure où, pour ce dernier, c'est ce type d'activité même
qui entraînera le changement, le passage au socialisme ; c'est pour cette
raison qu'il se concentre sur les réformes ; au contraire, le radicalisme
passif ne partage pas ces attentes, il prévoit des explosions révolutionnaires
qui se présentent comme des cataclysmes tout à coup surgis, comme d'un autre
monde, indépendamment de notre volonté et de notre action, et qui viennent
donner le coup de grâce au capitalisme. C'est « la vieille tactique
éprouvée » dans sa dimension négative, érigée en système. C'est la théorie
des cataclysmes que nous ne connaissions jusqu'à présent que comme une sottise
bourgeoise et qui se trouve promue au rang de doctrine de Parti.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour conclure, Kautsky affirme :</div>
<div style="text-align: justify;">
<blockquote>
« Ce n'est pas en nous fondant sur
une théorie générale, mais en analysant la situation actuelle dans sa
spécificité que nous en arrivons à considérer que, pour la période à venir, la
situation politique est grosse de développements cataclysmiques. Mais la
spécificité de cette situation engendre-t-elle la nécessité d'une nouvelle tactique
spécifique ? C'est ce qu'affirment certains de nos amis. Ils veulent
réviser notre tactique. Il serait plus facile d'aller de l'avant dans cette
discussion si ces camarades avançaient des propositions particulières. Ils ne
l'ont pas fait jusqu'à présent. Avant tout, il faudrait savoir s'ils exigent de
nouveaux <em>principes</em> tactiques ou de nouvelles <em>mesures</em> tactiques .
. . »</blockquote>
</div>
<div style="text-align: justify;">
La seule chose que nous puissions répondre à cela,
c'est tout simplement que nous n'avons pas besoin de faire des
propositions : la tactique qui nous paraît juste, <i>c'est déjà celle du
Parti</i>. Sans qu'il ait été nécessaire d'en faire la proposition, elle s'est
réalisée en pratique par les manifestations de rue. En théorie, le Parti l'a
adoptée déjà avec la résolution d'Iéna qui évoque la grève de masse comme un
moyen à mettre en œuvre pour conquérir de nouveaux droits politiques. Ceci ne
signifie pas que nous soyons satisfaits à tous points de vue de la pratique qui
a été la nôtre au cours de ces dernières années. Mais on ne peut donner la
dimension d'une nouvelle tactique à la revendication que la direction du Parti
cesse de considérer qu'il est de son devoir de faire taire autant que possible
les actions de masse du prolétariat ou d'interdire les discussions sur la
tactique. Quand, de temps à autre, nous parlons d'une nouvelle tactique, ce
n'est pas au sens où nous préconiserions de nouveaux principes ou des mesures
d'un type nouveau - nous considérons comme allant de soi que l'on agit chaque
fois comme la situation l'exige - mais, en le faisant, nous plaidons pour que
l'on présente une vision théorique claire <i>du cours réel des choses</i>. La
tactique du prolétariat se transforme, mieux encore, elle prend de l'extension
en adoptant des moyens de lutte nouveaux, plus puissants ; c'est notre tâche,
en tant que Parti, de faire en sorte que les masses en prennent clairement
conscience, qu'elles comprennent les causes de ce phénomène, mais aussi ses
conséquences à plus longue échéance. Nous devons expliquer que la situation qui
découle de la croissance des luttes de masse n'est pas un hasard, un phénomène
dont on ne peut rien dire, mais qu'elle découle de la situation ordinaire et
normale du capitalisme dans la dernière période. Nous devons attirer
l'attention sur le fait que les actions de masse qui ont eu lieu jusqu'alors ne
sont que le début d'une période de luttes de classe révolutionnaires au fil
desquelles le prolétariat, au lieu d'attendre passivement que des événements
cataclysmiques viennent, de l'extérieur, ébranler le monde, doit construire
lui-même son pouvoir et sa liberté en prenant constamment l'offensive, en
allant constamment de l'avant, en s'activant dans un grand esprit de sacrifice.
Voilà la « nouvelle tactique » que l'on pourrait à bon droit désigner
comme la poursuite naturelle de l'ancienne, comprise dans sa dimension
positive.</div>
<h3 style="text-align: justify;">
La lutte contre la guerre</h3>
<div style="text-align: justify;">
<b> </b>Nous avons décrit plus haut le combat pour une
constitution démocratique comme une lutte où se mesurent les forces des deux
classes en présence, afin de s'affaiblir l'une l'autre. Mais il est bien clair
que l'enjeu de leur affrontement, la lutte pour des droits politiques
fondamentaux, n'est que l'enveloppe extérieure du combat, tandis que son <i>contenu</i>
essentiel est le suivant : les classes font entrer en lice leurs moyens
d'action et chacune tente d'anéantir ceux de l'adversaire. C'est pour cette
raison que d'autres motifs peuvent déclencher cette lutte ; il n'est pas
certain que seule la lutte pour la réforme du système électoral en Prusse
puisse susciter de grandes épreuves de force, même s'il va de soi que
l'anéantissement du pouvoir de la bourgeoisie implique de lui-même la mise en
place d'une constitution démocratique.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le développement de l'impérialisme crée sans relâche
le terrain pour de puissants soulèvements des classes exploitées contre la
domination du capital, des affrontements où viennent s'entrechoquer toutes les
forces des adversaires en présence. La plus importante des occasions qui
peuvent déchaîner ces affrontements, c'est <i>le danger de guerre</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Certains pensent qu'il ne faudrait pas, en
l'occurrence, parler de danger, sans autre forme de procès. C'est que les
guerres sont de grands mouvements qui bouleversent le monde et fraient le
chemin aux révolutions. Dans des conditions normales, la masse populaire
supporterait encore longtemps avec patience le joug du capital, elle ne
trouverait pas l'énergie nécessaire pour se rassembler contre cette domination,
la considérant comme intangible ; mais une guerre, surtout quand elle
évolue défavorablement, la jette dans l'action, sape l'autorité du régime en
place, en dévoile la faiblesse, le rend très vulnérable à l'assaut des masses.
Tout ceci est indubitablement vrai et c'est pour cette raison que l'existence
d'une classe ouvrière d'orientation révolutionnaire a constitué, au cours des
dernières décennies, le plus important facteur de paix. L'indifférence et
l'apathie des masses qui sont les plus solides appuis de la domination du
capital disparaissent en temps de guerre ; l'exacerbation des passions qu'engendre
une guerre ne se transformera pas, dans un prolétariat où est fortement
enracinée la doctrine socialiste, en excitation nationaliste, comme cela serait
le cas avec des masses dépourvues de conscience politique, mais en
détermination révolutionnaire et elle se tournera à la première occasion contre
le gouvernement. Cela, le grand capital le sait bien, et c'est pour cela qu'il
se gardera de susciter à la légère une guerre européenne qui signifierait par
là même une révolution européenne.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais il n'en découle aucunement que nous devions
appeler de nos vœux, de sang-froid, une guerre. Même s'il n'y a pas de guerre,
le prolétariat saura, en développant constamment ses actions, se défaire de la
domination du capital. Il faut désespérer de la capacité d'action autonome du
prolétariat pour voir dans une guerre l'indispensable condition préalable à la
révolution.</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est exactement le contraire qui se passe. Nous ne
devons pas trop escompter que la conscience du danger révolutionnaire chez les
gouvernants nous épargne la guerre. La soif de pillage impérialiste et les
conflits qui en découlent peuvent les entraîner dans une guerre qu'ils ne
souhaitaient pas. Et quand, dans un pays, le mouvement révolutionnaire est
devenu dangereux au point de menacer à brève échéance la domination du capital,
ce dernier n'a rien à perdre à se lancer dans une guerre et il sera alors bien
tenté d'y recourir afin de conjurer ainsi le danger qui pèse sur lui. Mais,
pour la classe ouvrière, une guerre représente le pire des maux. Dans le monde
capitaliste moderne, une guerre est une terrible catastrophe qui, bien plus que
toutes les guerres du passé, anéantit le bien-être et la vie d'innombrables
êtres humains. C'est la classe ouvrière qui supporte toutes les souffrances
engendrées par cette catastrophe et c'est la raison pour laquelle elle devra
tout entreprendre afin de l'empêcher. Elle ne doit pas s'orienter selon la
question : que se passera-t-il après la guerre ?, mais selon
celle-ci : comment empêcher que n'éclate une guerre ? C'est là une
des plus importantes questions tactiques qui se posent à la social-démocratie
internationale, qui a été à l'ordre du jour de nombreux congrès où les opinions
les plus diverses se sont exprimées à ce propos. Kautsky traite ce problème
dans son article pour le Ier Mai de l'an dernier, intitulé <i>Guerre et paix</i>
(<i>Neue Zeit</i>, XXIX, t. 2, p. 97). Il s'y pose la question de savoir si les
travailleurs peuvent empêcher une guerre en déclenchant une grève de masse
(« Une grève de l'ensemble des travailleurs »), ou s'ils peuvent, par
ce moyen, l'étouffer dans l'œuf ; sa réponse est la suivante : c'est
assurément possible dans certaines conditions ; quand un gouvernement, par
sa seule inconséquence, sa seule stupidité, déclenche une guerre, en l'absence
de toute menace d'invasion - par exemple lors de la guerre de l'Espagne contre
le Maroc -, le renversement de ce gouvernement par une grève de masse peut
amener la paix - ce que le prolétariat espagnol fut malheureusement trop faible
pour entreprendre. Seulement, un tel cas de figure ne peut se présenter que
dans des pays où le capitalisme est très peu développé, où ce n'est pas la
bourgeoisie dans son ensemble, mais un petit groupe seulement qui a intérêt à
l'aventure guerrière, où un autre parti bourgeois est prêt à prendre la place
du gouvernement, s'il est renversé, où le prolétariat est faible et inoffensif.
Quand le prolétariat est assez fort pour mener à bien une grève de masse d'une
telle vigueur, l'ensemble des conditions que nous venons d'évoquer fait en général
défaut. Mais Kautsky n'analyse pas ces rapports entre les classes, il établit
une autre opposition :</div>
<div style="text-align: justify;">
<blockquote>
« Il en va tout autrement, dit
il, quand une population, à bon ou à mauvais escient, se sent menacée par le
pays voisin et n'impute pas la responsabilité de la guerre à son propre
gouvernement, quand le pays voisin n'est pas aussi inoffensif que le Maroc, par
exemple, qui n'aurait jamais pu porter la guerre en Espagne et quand, au
contraire, pèse la menace qu'il envahisse le pays. Un peuple ne craint rien
davantage qu'une invasion ennemie. Les horreurs de la guerre contemporaine sont
terribles pour tout belligérant, y compris le vainqueur. Mais elles deviennent
encore deux ou trois fois plus cruelles pour le plus faible dont le territoire
est livré à la guerre. La pensée qui tourmente aujourd'hui les Français comme
les Anglais, c'est la crainte d'être envahis par le voisin allemand disposant
de forces supérieures.</blockquote>
<blockquote>
« Si l'on se trouve dans la
situation où la population ne rend pas son propre gouvernement responsable de
la guerre, mais l'impute à la malfaisance du voisin - et quel est le
gouvernement qui n'essaie pas, avec sa presse, ses parlementaires, ses
diplomates de faire admettre cette version à la masse de la
population ! - si, donc, la guerre éclate dans de telles conditions,
toute la population unanime est saisie par le besoin brûlant d'assurer la sécurité
des frontières face à ce voisin mal disposé, de se protéger contre son
invasion. Dans une telle situation, tous deviennent immédiatement des patriotes,
même ceux qu'animent des sentiments internationalistes et s'il se trouvait
d'aventure des individus animés du courage surhumain de vouloir refuser et
empêcher que l'armée vole aux frontières et soit le plus abondamment pourvue de
matériel de guerre, le gouvernement n'aurait même pas besoin de remuer le petit
doigt pour les neutraliser. C'est la foule en furie qui les abattrait
elle-même. »</blockquote>
</div>
<div style="text-align: justify;">
Si, avec ses considérations sur l'action de masse nous
n'avions pas eu déjà un échantillon de la nouvelle vision de l'histoire de
Kautsky, nous aurions peine à croire que ces phrases sont sorties de sa plume.
Le phénomène le plus important dans la vie sociale, le fondement de la
conception socialiste - l'existence des classes, dotées d'intérêts et de vues
opposés - ont ici totalement disparu. Entre prolétaires, capitalistes,
petits-bourgeois, plus de différence : les voilà, tous ensemble, devenus
une « population » qui « unanimement » fait front contre le
méchant ennemi. Ce n'est pas seulement le sentiment de classe instinctif, mais
ce sont aussi des décennies de doctrine socialiste qui se trouvent réduites à
néant ; les sociaux-démocrates pudiquement désignés ici comme des
personnes « animées de sentiments internationalistes » sont tous
devenus, à quelques exceptions près, des patriotes. Tout ce qu'ils avaient
appris sur la manière dont les intérêts du capital provoquent les guerres est
oublié. La presse social-démocrate qui a plus d'un million de lecteurs et les
éclaire sur ce que sont les forces motrices de la guerre semble avoir
soudainement disparu ou, comme par un coup de baguette magique, avoir perdu
toute influence. Les travailleurs sociaux-démocrates qui, dans les grandes
villes, constituent la majorité de la population, sont devenus une « foule »
qui, pleine de fureur, assomme ceux qui osent s'opposer à la guerre. Autant il
est superflu de démontrer que toute cette conception n'a rien à voir avec la
réalité, autant il est important d'analyser ce qui la rend possible, ce qui la
fonde.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce qui la fonde, c'est une conception de la guerre qui
reflète les conditions et les effets de la guerre dans le passé, mais n'est
plus adéquate aux conditions modernes. Depuis la dernière grande guerre
européenne, la structure de la société s'est totalement transformée. A l'époque
de la guerre franco-allemande, l'Allemagne et la France étaient des pays
agraires dans lesquels se trouvaient disséminées quelques zones
industrielles ; l'économie paysanne et la petite-bourgeoisie imprimaient
leur marque à l'esprit du peuple. Ce qui est demeuré présent dans la mémoire
populaire et toutes les descriptions de cette guerre, comme dans la vision des
choses de Kautsky, ce sont <i>les incidences de cette guerre sur l'économie
paysanne et la petite-bourgeoisie</i>. Pour ces classes, les horreurs de la
guerre - outre le risque de mourir qui pèse sur les appelés - c'est avant tout
la perspective d'une invasion ennemie qui dévaste les champs et leurs maisons,
fait retomber sur leurs épaules les impôts et contributions les plus lourds,
réduisant ainsi à néant leur prospérité péniblement acquise. Ce sont les
régions qui sont le théâtre de la guerre qui se trouvent le plus durement
frappées ; par contre, celles que ne touche pas directement la guerre ont
relativement peu à en souffrir. La vie économique s'y poursuit comme
d'habitude ; les femmes, les vieillards et les jeunes peuvent, si besoin
est, cultiver les champs et seules la mort ou la mutilation des hommes qui sont
partis faire la guerre peuvent porter un sévère coup économique aux familles.</div>
<div style="text-align: justify;">
Voilà comment les choses se présentaient en 1870.
Aujourd'hui, il en va tout autrement dans les pays importants, à commencer par
l'Allemagne. Le développement à un haut niveau du capitalisme a fait de
l'activité économique un tout savamment unifié où chaque partie dépend de ce
tout de la manière la plus étroite. L'époque où le village et la petite ville
se suffisaient quasiment à eux-mêmes presque indépendamment du monde est
révolue. Les paysans et petits-bourgeois sont entraînés dans le cercle de la
production capitaliste des marchandises. Toute perturbation de ce mécanisme
productif très fragile débouche sur un préjudice subi par la grande masse de la
population. Ainsi, la guerre exerce sur le prolétariat et tous ceux qui sont
dans la dépendance du capital des effets d'une autre nature que ceux
d'autrefois. Les horreurs de la guerre, ce ne sont plus quelques champs
dévastés, quelques villages incendiés, mais la paralysie de l'ensemble de la
vie économique. Le déclenchement d'une guerre européenne, fît-elle seulement
continentale, qui appelle sur les champs de bataille des millions d'hommes
jeunes, ou encore une guerre maritime qui entrave l'acheminement des matières
premières pour l'industrie et des produits alimentaires implique une crise
économique d'une extrême vigueur, c'est une catastrophe qui, dans le pays
entier, tarit les sources de l'existence de très larges secteurs de la
population ; ainsi se trouve paralysé notre organisme social hautement
développé, tandis que s'anéantissent avec des armes de guerre sophistiquées
d'énormes masses d'hommes, à la chaîne, pour ainsi dire. Cette crise engendre
pour le capital des pertes auprès desquelles des maisons incendiées, des champs
foulés aux pieds ne sont que bagatelles et qui peut-être sont plus importantes
que les coûts directs de la guerre. L'horreur d'une telle guerre ne se limite
pas, se concentre à peine sur les zones où se déroulent les batailles, elle
s'étend à tout le pays. Même si l'ennemi ne franchit pas les frontières, la
catastrophe pour le pays n'en est pas moins grande. Pour un pays capitaliste
moderne, c'est n'est pas <i>l'invasion de l'ennemi, mais la guerre elle-même</i>
qui constitue un grand malheur qui incite à la riposte au premier chef les
masses prolétariennes qui ont le plus à souffrir de la crise. Le but de
l'action qui mobilise de la manière la plus passionnée les masses, ce n'est
pas, comme aux époques anciennes où prédominait la paysannerie, <i>d'éloigner
l'ennemi</i>, mais <i>d'empêcher la guerre</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
C'est là le but sans cesse plus décisif pour le
mouvement ouvrier ; ce dont on a débattu dans les congrès internationaux,
ce n'est pas de savoir <i>si</i> on devait tenter d'empêcher la guerre ou, en
bons patriotes, se ruer aux frontières, mais de savoir comment on pouvait, de
la meilleure façon, empêcher la guerre. Mais à l'examen des actions qui y sont
destinées préside trop souvent une conception mécaniste, comme si on pouvait
décider de ces actions à l'avance, les mettre en route au moment voulu et
laisser les choses agir d'elles-mêmes. Ainsi, la social-démocratie se présente
non pas comme l'expression des masses prolétariennes, de leur emportement
soulevé par un sens profond de leurs intérêts de classe, mais comme la
« sixième grande puissance » qui entre en lice au moment où les canons
devraient commencer à tonner et s'efforce, par d'habiles manœuvres, de faire
échec aux opérations militaires des autres grandes puissances. C'est cette
conception mécaniste qui présidait à l'idée jadis défendue par les anarchistes
et récemment remise au goût du jour par les Français et les Anglais à
Copenhague : il s'agirait de jouer un mauvais tour aux gouvernements
désireux de se lancer dans la guerre en décrétant une grève des employés des
transports et des travailleurs des usines de munitions. C'est à très bon
escient que Kautsky rejette cette idée et insiste sur le fait que seule une
action de l'ensemble de la classe peut influer sur un gouvernement.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais dans les propres conceptions de Kautsky perce la
même conception mécaniste : il s'efforce de découvrir les conditions
objectives dans lesquelles une grève de masse déclenchée pour empêcher une
guerre peut atteindre son but ou ne pas l'atteindre. Il s'agirait donc pour le
prolétariat de décider : ou bien les choses se présentent favorablement
pour nous et nous déclenchons la grève de masse et ruinons les projets du
gouvernement, ou bien la situation n'est pas propice à une telle action ;
alors nous ne faisons rien, nous faisons comme les Berlinois en novembre 1848
qui ruinèrent habilement les plans de la réaction prête à se lancer dans des
actions violentes en laissant entrer les troupes, en se laissant désarmer sans
opposer de résistance. Donc, ne dressons aucun obstacle face aux projets du
gouvernement et laissons-nous docilement envoyer sur les frontières. Sans doute
les choses peuvent-elles se présenter ainsi dans quelque théorie ou dans la
tête de dirigeants qui se figurent qu'ils ont vocation d'empêcher, par leur
sagesse, le prolétariat de faire des bêtises. Mais dans la réalité de la lutte
de classe où s'impose la volonté pleine de passion des masses, un tel choix
n'existe pas. Dans un pays capitaliste hautement développé où la masse
prolétarienne sent qu'elle incarne la grande force populaire, elle <i>devra</i>
tout simplement agir si elle veut s'épargner la pire de catastrophes. <i>Elle
doit tenter</i> d'empêcher la guerre par tous les moyens ; si, voulant
jouer au plus malin, elle se dérobait à la confrontation, cela reviendrait à
une reddition sans combat, pire qu'une défaite ; et ce n'est qu'en étant
battue et terrassée en tentant cette riposte qu'elle peut prendre conscience de
ses faiblesses.</div>
<div style="text-align: justify;">
La question n'est pas, bien sûr, de savoir s'il est
bon ou recommandable que les choses se passent ainsi ; le problème n'est
pas de savoir comment les travailleurs <i>doivent</i> agir, mais comment ils <i>agiront</i>.
En l'occurrence, ce ne sont pas les résolutions et décisions de quelque
instance de direction, de quelque organe bureaucratique qui comptent, pas même
les organisations ; ce qui est important, ce sont les effets en profondeur
que les événements exercent sur les masses. Quand nous disons plus haut que la
classe ouvrière « doit » tenter d'intervenir, nous ne voulions pas
dire qu'à notre avis les choses doivent se passer ainsi ; nous voulions
dire que les choses se passeront ainsi, avec une absolue nécessité. En période
normale, il y a toujours dans la vision des choses du Parti comme une part de
tradition qui « pèse sur le cerveau des vivants comme un mauvais
rêve ». Les périodes de guerre, comme les périodes de révolution, sont des
périodes d'extrême tension intellectuelle ; le train-train de la vie
quotidienne s'y trouve brisé, les idées enracinées par l'habitude perdent leur
force et cèdent la place aux intérêts de classe qui s'imposent dans leur clarté
native à la conscience des masses violemment ébranlées par ce choc. Mesurés à
ces conceptions nouvelles, aux objectifs nouveaux spontanément surgis des
grands bouleversements engendrés par ces événements, les programmes
traditionnels des partis pèsent de peu de poids et souvent les partis et
groupes sortent complètement transformés du creuset de ces périodes critiques.
Un exemple instructif de ce phénomène est fourni par l'effet que fit la guerre
de 1866 sur la bourgeoisie allemande. Elle y fit l'expérience que son beau
programme de réformes progressistes ne correspondait pas à ses intérêts
profonds ; une partie des électeurs laissa tomber les parlementaires
libéraux, une partie des parlementaires laissa tomber le programme et se jeta
dans les bras du nationalisme et de la réaction gouvernementale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cela ne veut pas dire que les résolutions du Parti
soient dépourvues d'importance. Sans doute celles-ci ne régentent-elles pas
l'avenir et ne font qu'exprimer le degré de clarté avec lequel le Parti
envisage l'avenir. Mais plus est grande l'exactitude avec laquelle le Parti
examine l'inéluctable cours des choses et ses propres tâches, et plus seront
vouées au succès et déterminées les actions du prolétariat. C'est la tâche du
Parti de donner une forme unitaire et cohérente à l'action des masses
prolétariennes ; il doit pour cela comprendre clairement ce qui emporte
les masses, savoir ce qui, à chaque instant, est nécessaire, se placer à la
pointe de l'action et, ce faisant, lui donner une formidable impulsion. S'il ne
se montrait pas à la hauteur de cette tâche, il ne pourrait certes pas empêcher
les explosions de la masse que le submergeraient, mais le conflit surgi entre
la discipline du Parti et l'élan au combat, le manque d'unité entre la
direction et les masses jetteraient le désarroi dans les actions, les
dévoieraient, les désarticuleraient et leur feraient perdre énormément de leur
force et de leur efficacité. Les résolutions du Parti, les programmes, les
motions d'orientation ne déterminent pas le développement historique, mais sont
déterminés par notre capacité à comprendre l'évolution historique dans ce
qu'elle a d'inéluctable : voilà une vérité qu'il faut inlassablement
rappeler à ceux qui se figurent que le Parti peut créer ou empêcher un
mouvement révolutionnaire, en particulier à nos adversaires bourgeois qui
dénoncent à grands cris la social-démocratie comme si elle disposait de plans
tour prêts pour empêcher l'éclatement d'une guerre, une sorte d'ordre de
mobilisation rangé dans un tiroir secret. Mais il faut pas oublier pourtant que
le Parti, avec ses résolutions, est en même temps par nature même une partie
vivante et active de l'évolution historique, qu'il ne peut être absolument rien
d'autre que la troupe d'élite de toute action prolétarienne et qu'ainsi c'est à
bon escient qu'il s'attire toute la haine dont sont capables les défenseurs du
capitalisme à l'endroit de tout mouvement révolutionnaire.</div>
<div style="text-align: justify;">
De divers côtés - de celui de nos propres
porte-parole, qui en tirent argument contre les attaques des nationalistes, de
celui de camarades étrangers qui nous en font le blâme - on a souvent souligné
comme quelque chose de particulièrement important que la classe ouvrière
allemande s'est jusqu'à présent refusée à se prononcer en faveur d'un moyen
particulier destiné à empêcher l'éclatement de la guerre. On peut néanmoins
évoquer la résolution du Congrès de Stuttgart qui laisse ouverte la porte à
l'emploi de tous les moyens appropriés contre la guerre. Mais il ne serait pas
juste, indépendamment de cela, d'accorder trop d'importance à cette question.
Plus que les décrets du Parti, ce qui compte ici, c'est l'état d'esprit des
masses. Il est certain que la réserve qui a prévalu jusqu'alors sur cette
question exprimait l'état d'esprit des masses qui ressentaient instinctivement
qu'elles n'étaient pas de taille à engager la lutte contre toute la puissance
du plus solide Etat militaire qui soit. Mais l'accroissement permanent de la
puissance du prolétariat entraîne nécessairement des transformations dont les
signes sont apparus à plusieurs reprises déjà. Une classe ouvrière qui,
quarante années durant, a été formée à l'école du socialisme ne se laissera pas
entraîner sur les champs de bataille avec un sentiment de totale impuissance.
Le prolétariat allemand qui est en tête de tous les pays de monde pour ce qui
est de la force de ses organisations ne peut ni rester passif face aux
machinations du grand capital international, ni s'en remettre à de prétendues
tendances pacifiques du monde bourgeois. Il ne pourra faire autrement
qu'intervenir dès qu'apparaît le danger de guerre et opposer la force de son
action aux moyens d'action du gouvernement.</div>
<div style="text-align: justify;">
De quel type seront les actions qu'il
entreprendra ? Cela dépend pour l'essentiel des conditions, de l'ampleur
du danger et des actions de l'ennemi, de la classe dominante. Ces actions se
fondent sur le principe très simple que le capital se garde de déclencher la
guerre par crainte de la riposte du prolétariat. Mais si le prolétariat s'avère
impuissant, indifférent, s'il demeure inactif, alors le danger n'apparaît pas
grand à la bourgeoisie et elle se lancera plus facilement dans une guerre.
Ainsi, les actions du prolétariat revêtent, sous leur forme première, le
caractère d'un avertissement visant à montrer à la classe dominante à quel
danger elle s'expose et à l'inciter à la prudence. Face aux appels à la guerre
des cercles capitalistes qui y voient leur intérêt, le prolétariat doit exercer
une pression sur les gouvernements afin de les intimider. Mais plus est grand
le danger de guerre, plus il faut porter l'agitation parmi les couches
populaires les plus larges, plus les manifestations seront offensives et
radicales, surtout si l'adversaire tente de les réprimer par la violence.
S'agissant d'une question de vie ou de mort pour le prolétariat, il devra en
fin de compte recourir aux moyens extrêmes, comme, par exemple, la grève de
masse. Ainsi se déploie le combat entre la volonté de guerre de la bourgeoisie
et la volonté de paix du prolétariat en un épisode de lutte de classe déchaînée
auquel s'applique tout ce qui a été dit auparavant des conditions et des effets
des actions de masse pour la conquête d'un mode de scrutin démocratique. Les
actions contre la guerre feront prendre conscience aux catégories de
travailleurs les plus larges, les mobiliseront, les entraîneront au combat,
affaibliront le capital, renforceront le prolétariat. La lutte pour empêcher la
guerre qui, dans sa conception mécaniste, se présentait comme un plan
habilement préparé d'avance ne peut être, en cas de guerre, que le couronnement
d'une lutte de classe dont l'intensité croît d'action en action, d'où la force
du pouvoir d'Etat ressort extrêmement affaiblie et celle du prolétariat
considérablement accrue.</div>
<div style="text-align: justify;">
Kautsky se fonde sur l'opposition suivante : ce
n'est que quand nous aurons assis notre domination que le danger de guerre sera
écarté ; aussi longtemps que se perpétue la domination capitaliste, il est
impossible d'empêcher à coup sûr une guerre. En présentant cette opposition
abrupte entre deux formes sociales qui sont censées se succéder sans
transition, comme par un saut soudain, Kautsky oublie <i> le processus de
la Révolution</i> par lequel le prolétariat développe progressivement sa propre
force en agissant, tandis que l'on assiste à l'émiettement de la domination du
capital. C'est pour cette raison qu'à son alternative nous opposons une
troisième voie, celle de « la pratique du renversement » : la
lutte dont la guerre est <i>l'enjeu</i>, l'effort auquel le prolétariat ne peut
se dérober pour empêcher la guerre, tout ceci devient un épisode du processus
de la Révolution, une partie essentielle de la lutte du prolétariat pour la
conquête du pouvoir.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<a href="https://contrecapital.blogspot.fr/search/label/Anton%20Pannekoek" target="_blank">Anton Pannekoek</a> </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
(1) Nous n'examinons pas ici dans quelle mesure ces
facteurs se développent constamment au fil des luttes parlementaires et
syndicales ; nous renvoyons à notre texte : « Les divergences
stratégiques dans le mouvement ouvrier » où je traite cette question
précisément, dans le détail</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-49841455153227809422017-06-11T01:53:00.002-07:002017-06-11T01:53:42.990-07:00Que fut l'autonomie ouvrière ?<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZzNZpl51LoANJB8EJLk5IY9yRexwP3Mjd3xH0CZ7czU6DRyv_0rjEsIlVTK38Xy8j-11Z_OZ-GYe8qbhnB2Otebe920AgMvS429N0Sj3_xzQpeNOfH6ykSa2hw_0Fefr-Sbtm0T3CWXAG/s1600/U_737_630086760028_P1043_345219b.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="918" data-original-width="1300" height="281" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZzNZpl51LoANJB8EJLk5IY9yRexwP3Mjd3xH0CZ7czU6DRyv_0rjEsIlVTK38Xy8j-11Z_OZ-GYe8qbhnB2Otebe920AgMvS429N0Sj3_xzQpeNOfH6ykSa2hw_0Fefr-Sbtm0T3CWXAG/s400/U_737_630086760028_P1043_345219b.jpg" width="400" /></a></div>
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<br /></div>
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<b>Note <a href="https://vosstanie.blogspot.fr/2017/06/que-fut-lautonomie-ouvriere-par-miguel.html" target="_blank">Vosstanie</a> : <i>Nous publions un texte en vu de notre émission
sur l'Autonomie Ouvrière (pour juillet 2017 ? ). On y trouvera une
réflexion importante même si nous ne partageons pas toutes les analyses
et perspectives comme par exemple ce propos "Le mouvement ouvrier s’est
volatilisé" ah bon ? On partage bien su-r toutes les critiques
concernant l"autonomie" retardataire et spectaculaire liée à la
décomposition du bolchevisme ...Ce texte nous permettra donc d'alimenter
notre son.</i></b></div>
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<br /></div>
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Le mot « autonomie » a été lié à la cause du prolétariat dès ses premières interventions comme classe. Dans le <i>Manifeste communiste, </i>Marx
définissait le mouvement ouvrier comme « le mouvement autonome de
l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ». Plus tard,
mais en se basant sur l’expérience de 1848, dans <i>De la capacité politique de la classe ouvrière</i>
(1865), Proudhon affirmait que pour que la classe ouvrière agisse d’une
manière spécifique, il fallait qu’elle remplisse les trois exigences de
l’autonomie : qu’elle ait conscience d’elle-même, que par conséquent
elle affirme « son idée », c’est-à-dire, qu’elle connaisse « la loi de
son être », qu’elle sache « [la] traduire par la parole, [l’]expliquer
par la raison », et qu’elle tire de cette idée des conclusions
pratiques. Aussi bien Marx que Proudhon avaient été témoins de
l’influence de la bourgeoisie radicale dans les rangs ouvriers et
essayaient de faire en sorte que le prolétariat se sépare d’elle
politiquement. L’autonomie ouvrière fut exprimée définitivement dans la
formule de la Première Internationale : « l’émancipation des
travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
</div>
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<a name='more'></a></div>
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<span id="m_515545015104177806m_7394978891496622812m_-6674372672507398697gmail-more-1279"></span></div>
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Dans l’étape qui suit l’insurrection de la Commune de Paris et dans
la double polémique entre légalistes et clandestins, collectivistes et
communistes, qui divisait le mouvement anarchiste, la question de
l’autonomie dérivait vers le problème de l’organisation. Dans des
conditions de recul révolutionnaire et de répression croissante, la
publication anarchiste de Séville <i>L’Autonomie </i>défendait en 1883
l’indépendance absolue des Fédérations locales et leur organisation
secrète. Les communistes libertaires élevaient au rang de principe la
négation de l’organisation de masses. Les collectivistes catalans
écrivaient dans la <i>Revue Sociale </i>que « les communistes
anarchiques n’acceptent que l’organisation de groupes et n’ont pas de
sections organisées par métiers, de fédérations locales ou régionales
[…] La constitution de groupes isolés, aussi complètement autonomes que
leurs individus, qui souvent, n’étant pas d’accord avec l’opinion de la
majorité, quittent un groupe pour en constituer un autre… » (n°12, 1885,
Sants). Le concept d’autonomie se déplaçait vers l’organisation
révolutionnaire.</div>
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En 1890, il existait à Londres un groupe anarchiste d’exilés allemands dont l’organe d’expression <i>L’Autonomie </i>soulignait
effectivement la liberté individuelle et l’indépendance des groupes.
Face au réformisme de la politique socialiste et à l’aventurisme de la
propagande par le fait qui caractérisa une période concrète de
l’anarchisme, la question de l’autonomie ouvrière, c’est-à-dire, du
mouvement indépendant des travailleurs, se posa à nouveau. C’est ainsi
que surgit le syndicalisme révolutionnaire, théorie qui défendait
l’auto-organisation ouvrière à travers les syndicats, libres de toute
tutelle idéologique ou politique. Moyennant la tactique de la grève
générale, les syndicats révolutionnaires aspiraient à être des organes
insurrectionnels et d’émancipation sociale.</div>
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</div>
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D’un autre coté, les révolutions russes et allemandes érigèrent un
système d’autogouvernement ouvrier, les conseils d’ouvriers et de
soldats. Aussi bien les syndicats que les conseils étaient des
organismes unitaires de classe, mais les premiers étaient plus
appropriés à la défense et les seconds à l’attaque, quoique les uns et
les autres exercèrent les deux fonctions. Tous deux connurent leurs
limites historiques et tous deux succombèrent à la bureaucratisation et à
la récupération. La question de l’autonomie toucha aussi les modes
d’expropriation de la bourgeoisie dans la période révolutionnaire. En
1920, le marxiste conseilliste Karl Korsch désignait l’« autonomie
industrielle » comme une forme supérieure de socialisation qui
correspondrait plus ou moins à la « collectivisation »
anarcho-syndicaliste et à ce qu’on appela l’« autogestion » dans les
années soixante.</div>
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La pensée bourgeoise, elle aussi, eut recours au concept. Kant
parlait d’autonomie se référant à l’individu conscient. L’« Autonome »
était le bourgeois idéalisé, comme l’est aujourd’hui l’homme de
Castoriadis. Cet idéologue gélatineux appelle « autonome » (comme les
dictionnaires) le citoyen responsable d’une société capable de se doter
de ses propres lois. En outre, les mots « autonomie » ou « autonome »
peuvent sortir de la bouche d’un citoyenniste ou d’un nationaliste,
peuvent être prononcés par un universitaire negriste ou par un
squatteur… Ils définissent donc des réalités différentes et
correspondent à des concepts distincts. Les <i>Comandos Autónomos Anticapitalistas</i>
se dénommèrent ainsi en 1976 pour souligner leur caractère non
hiérarchique et leurs distances d’avec ETA, mais dans d’autres milieux,
« autonome » est celui qui refuse de s’appeler anarchiste pour éviter le
réductionnisme qu’implique cette étiquette, et « autonome » est encore
l’enthousiaste Hakim Bey ou l’adhérent à une mode italienne dont il
existe des versions différentes et très changeantes, dont la pire de
toutes fut inventée par le professeur Negri en 1977 quand il était
léniniste créatif… Cependant, l’autonomie ouvrière a une signification
non équivoque qui se manifeste durant une période concrète de
l’histoire : elle apparaît comme telle dans la péninsule ibérique au
début des années soixante en tant que conclusion fondamentale de la
lutte des classes de la décade antérieure.</div>
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<span style="font-size: medium;"><b>Les années préautonomiques</b></span></div>
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Ce n’est pas par hasard que les ouvriers, quand ils commençaient à
radicaliser leur mouvement, revendiquaient leur « autonomie »,
c’est-à-dire, l’indépendance par rapport à des représentations
extérieures, qu’il s’agisse de la bureaucratie verticale de l’Etat, des
partis d’opposition ou des groupes syndicaux clandestins. En effet, pour
eux c’est de ça qu’il était question : d’agir ensemble, de s’occuper
directement de leurs affaires selon leurs propres normes, de prendre
leurs propres décisions et de définir leur stratégie et leur tactique de
lutte : en somme, de se constituer comme classe révolutionnaire. Le
mouvement ouvrier moderne, c’est-à-dire, celui qui est apparu après la
Guerre Civile, commença dans les années soixante, une fois épuisé celui
que représentaient les centrales CNT et UGT. Il fut formé
majoritairement par des ouvriers d’extraction paysanne, émigrés en ville
et logés dans des quartiers périphériques d’« habitations à bon
marché », HLM et bidonvilles.</div>
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À partir de 1958, début du premier Plan de développement franquiste,
l’industrie et les services connurent une forte expansion qui se
traduisit par une offre d’emploi généralisée. Les zones rurales se
dépeuplèrent et l’agriculture traditionnelle disparut ; dans les centres
urbains, des quartiers ouvriers modernes apparurent. Les conditions
d’exploitation de la population ouvrière d’alors – bas salaires,
horaires prolongés, mauvais logements, lieux de travail éloignés,
infrastructures déficientes, analphabétisme, habitudes de servitude –
faisaient d’elle une classe abandonnée et marginale qui put néanmoins
faire son chemin et défendre bec et ongles sa dignité.</div>
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La protestation se faufila dans les églises et dans les brèches du
Syndicat vertical qui se révélèrent bientôt étroites et sans issues. À
Madrid, à Vizcaya, en Asturies, à Barcelone et ailleurs, les ouvriers
accompagnés de leurs représentants élus conformément à la loi sur les
jurés, commencèrent à se réunir en assemblées pour traiter des questions
du travail, établissant un réseau informel de contacts qui fut à
l’origine des premières « Commissions Ouvrières ». Ces commissions se
mouvaient dans le cadre de la légalité, quoique, étant donné ses
limites, elles le débordaient fréquemment ou l’enfreignaient si
nécessaire. La structure informelle des Commissions Ouvrières, leur
autolimitation revendicative et leur couverture catholico-verticale,
durant une époque intensément répressive, furent efficaces dans un
premier temps ; à l’ombre de la loi des conventions collectives, les
Commissions menèrent à bien d’importantes grèves, qui générèrent une
nouvelle conscience de classe. À mesure que cette conscience gagnait en
solidité, la lutte ouvrière était envisagée non plus seulement contre le
patron, mais contre le Capital et l’État incarné par la dictature de
Franco. L’objectif final de la lutte n’était autre que le
« socialisme », à savoir, l’appropriation des moyens de production par
les travailleurs eux-mêmes. Après Mai 68, on commença à parler
d’« autogestion ». Les Commissions Ouvrières devaient assumer cet
objectif et radicaliser leurs méthodes en s’ouvrant à tous les
travailleurs. Le régime franquiste se rendit bientôt compte du danger et
les réprima ; les partis comptant des militants ouvriers – le PCE et le
FLP (1) – démontrèrent bientôt leur utilité d’instrument politique et les récupérèrent.</div>
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L’unique possibilité de syndicalisme était celle offerte par le
régime, c’est pourquoi le PCE et ses alliés catholiques profitèrent de
l’occasion en construisant un syndicat à l’intérieur d’un autre,
officiel. La montée de l’influence du PCE à partir de 1968 établit le
réformisme et conjura la radicalisation des Commissions. Les
conséquences auraient pu être graves si l’incrustation du PCE n’avait
été relative : d’un coté la représentation ouvrière se séparait des
assemblées et échappait au contrôle de la base. Le rôle principal revint
exclusivement aux soi-disant leaders. D’un autre coté, le mouvement
ouvrier s’en tenait à une pratique légaliste, évitant autant que
possible le recours à la grève, employée uniquement comme démonstration
de force des dirigeants. La lutte ouvrière perdait le caractère
anticapitaliste qu’elle avait récemment acquis. Finalement, comme
l’orientation du mouvement était sous la tutelle des communistes, la
lutte se dépolitisait. Les objectifs politiques cessaient d’être ceux du
« socialisme » pour devenir ceux de la démocratie bourgeoise. Le coup
était clair ; les « Commissions Ouvrières » s’érigeaient en
interlocuteurs uniques du patronat dans les négociations, au mépris des
travailleurs. Ce prétendu dialogue syndical n’était que le reflet du
dialogue politico-institutionnel recherché par le PCE. Le réformisme
stalinien ne triompha pas mais provoqua la division du mouvement
ouvrier, entraînant la fraction la plus modérée et portée à
l’embourgeoisement ; cependant, la conscience de classe s’était
développée suffisamment pour que les secteurs ouvriers les plus avancés
défendent tout d’abord à l’intérieur, et ensuite à l’extérieur des
Commissions, des tactiques plus appropriées, donnant lieu à des
organisations de base plus combatives appelées selon les endroits
« commissions autonomes d’usine », « plateformes de commissions »,
« comités ouvriers » ou « groupes ouvriers autonomes ». Pour la première
fois le mot « autonome » apparaissait dans la région de Barcelone pour
souligner l’indépendance d’un groupe partisan de la démocratie directe
des travailleurs face aux partis et à toute organisation avant-gardiste.
En outre, les lacunes d’une loi ayant permis la création d’associations
de riverains, la lutte se déplaça aux quartiers et entra dans la sphère
de la vie quotidienne. De la même manière, dans les quartiers des
faubourgs et les villages, l’alternative se posa entre rester dans le
cadre institutionnel des associations ou organiser des comités de
quartiers et aller à l’assemblée de quartier comme organe représentatif.</div>
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<span style="font-size: medium;"><b>Le moment de l’autonomie</b></span></div>
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La résistance du régime franquiste à toute velléité réformiste fit
que les grèves à partir de celle du secteur de la construction à
Grenade, en 1969,furent toujours sauvages et dures, dans l’impossibilité
de se dérouler dans la légalité où voulaient les maintenir les
staliniens. Les ouvriers anticapitalistes comprenaient, qu’au lieu de
s’entasser aux portes de la CNS (2)
en attendant les résultats des démarches des représentants légaux, il
fallait tenir des assemblées dans les usines mêmes, sur le chantier ou
dans le quartier, et élire là leurs délégués, qui ne devaient pas être
permanents, mais révocables à tout moment. Ne serait-ce que pour
résister à la répression, un délégué devait durer entre deux assemblées,
et un comité de grève, le temps d’une grève. L’assemblée était
souveraine parce qu’elle représentait tous les travailleurs. La vieille
tactique d’obliger le patron à négocier avec des délégués d’assemblées
« illégaux », en étendant la lutte à toute la branche productive ou en
transformant la grève en une grève générale grâce aux « piquets »,
c’est-à-dire, l’« action directe », faisait de plus en plus d’adeptes.
Avec la solidarité, la conscience de classe progressait, tandis que les
manifestations confirmaient ce progrès de plus en plus scandaleux. Les
ouvriers n’avaient plus peur de la répression et l’affrontaient dans la
rue. Chaque manifestation était non seulement une protestation contre le
patronat, mais, prenant la forme d’une altération de l’ordre public,
c’était une remise en cause politique de l’État, de son pouvoir et de
son autorité. Maintenant, le prolétariat s’il voulait avancer, devait se
séparer de tous ceux qui parlaient en son nom – qui avec l’apparition
des groupes et partis à la gauche du PCE étaient légion – et cherchaient
à le contrôler. Il devait « s’auto-organiser », à savoir, « conquérir
son autonomie », comme on disait en Mai 68 et rejeter les prétentions
dirigeantes que s’attribuaient le PCE et le reste des organisations
léninistes. On commença alors à parler de l’« autonomie prolétaire », de
« luttes autonomes », en entendant par là les luttes réalisées en marge
des partis et syndicats, et celles de « groupes autonomes », des
groupes de travailleurs révolutionnaires menant une activité pratique
autonome au sein de la classe ouvrière dont l’objectif évident était de
contribuer à sa « prise de conscience ». Mises à part les distances
historiques et idéologiques, les groupes autonomes ne pouvaient que
ressembler aux groupes d’« affinité » de l’ancienne FAI, celle d’avant
1937. Sauf que les « syndicats uniques » dans lesquels ceux-ci
agissaient alors n’étaient ni possibles, ni désirables.</div>
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Au début des années soixante-dix, le processus d’industrialisation
entrepris par les technocrates franquistes s’acheva avec pour résultat
non désiré la cristallisation d’une nouvelle classe ouvrière de plus en
plus convaincue de ses possibilités historiques et disposée à se battre.
Sa peur du prolétariat poussait le régime franquiste à l’autoritarisme
perpétuel contre lequel conspiraient même les nouvelles valeurs
bourgeoises et religieuses. La mort du dictateur relâcha la répression
juste assez pour que se déclenche un processus imparable de grèves dans
tout le pays. Le réformisme syndical stalinien fut complètement débordé.
Les assemblées tenues continuellement dans le but de résoudre les
problèmes réels des travailleurs dans l’entreprise, le quartier et même
chez eux en accord avec leurs intérêts de classe les plus élémentaires,
n’avaient devant elles aucun appareil bureaucratique qui les freine. Les
délégués de Commissions et les responsables communistes n’étaient
tolérés que dans la mesure où ils ne gênaient pas, se voyant obligés à
fomenter les assemblées s’ils voulaient exercer le moindre contrôle. Les
masses travailleuses commençaient à être conscientes de leur rôle de
sujet principal dans le déroulement des événements et rejetaient une
réglementation politico-syndicale des problèmes qui concernaient leur
vie réelle. En 1976, les idées d’auto-organisation, d’autogestion
généralisée et de révolution sociale pouvaient facilement revêtir une
expression de masses immédiate. Aussi, les voies qui conduisaient à
celles-ci restaient ouvertes. La dynamique sociale des assemblées
poussait les ouvriers à prendre en main toutes les affaires qui les
concernaient, en commençant par celle de l’autonomie. De nombreux
conseils d’usines se constituèrent, connectés aux quartiers. Ce mode
d’action autonome qui poussait les masses à sortir du milieu du travail
et à fouler des terres qui paraissaient jusqu’alors étrangères dût
causer une véritable panique dans la classe dominante, étant donné
qu’elle mitrailla les ouvriers à Vitoria, liquida le processus de
réforme continuiste du franquisme, supprima le syndicat vertical avec
les Commissions à l’intérieur et légalisa les partis et syndicats. Le
Pacte de La Moncloa de tous les partis et syndicats fut un pacte contre
les assemblées. Nous ne nous attarderons pas à narrer les péripéties du
mouvement assembléiste, ni à compter le nombre d’ouvriers tombés ; il
suffit d’affirmer que le mouvement fut vaincu en 1978 après trois années
d’âpres combats. Le statut des travailleurs promulgué par le nouveau
régime « démocratique » en 1980 condamna légalement les assemblées. Les
élections syndicales fournirent un contingent de professionnels de la
représentation qui avec l’aide d’assembléistes accommodants se saisirent
de la direction des luttes. Cela ne veut pas dire que les assemblées
disparurent, ce qui disparut réellement ce fut leur indépendance et leur
capacité défensive, et cet égarement fut suivit d’une dégradation
irréversible de la conscience de classe que même la résistance à la
restructuration économique des années quatre-vingt ne put arrêter.</div>
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En réalité, ce qu’on importa ne furent pas les pratiques du mouvement
de 1977 dans plusieurs villes italiennes baptisé Autonomia Operaia,
mais la partie la plus retardataire et spectaculaire de cette
« autonomie », celle qui correspondait à la décomposition du bolchevisme
milanais – Potere Operaio – et particulièrement les masturbations
littéraires de ceux qui furent désignés par la presse comme les leaders,
à savoir, Negri, Piperno, Scalzone… En résumé, très peu de groupes
furent conséquents dans la défense active de l’autonomie ouvrière mis à
part les Travailleurs pour l’Autonomie Prolétaire (conseillistes
libertaires), quelques collectifs d’usine (par exemple, ceux de
FASA-Renault, ceux de Roca radiateurs, les arrimeurs du port de
Barcelone…) et les Groupes Autonomes. Attardons-nous sur ces derniers.</div>
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<span style="font-size: medium;"><b>L’autonomie armée</b></span></div>
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L’organisation « 1000 » ou « MIL » (Mouvement Ibérique de Libération)
pionnière à bien des égards, se dénomma elle-même « Groupes Autonomes
de Combats » (GAC) en 1972. La lutte armée débuta dans l’intention de
soutenir la classe ouvrière pour la radicaliser, et non pas pour s’y
substituer. C’est aussi en ce sens que se considérèrent « autonomes »
les groupes qui se coordonnèrent en 1974 pour soutenir et libérer les
prisonniers du MIL – que la police dénomma OLLA – ainsi que les groupes
qui continuèrent en 1976, et après un débat dans la prison de Ségovie
adoptèrent le nom de « Groupes Autonomes » ou GGAA (en 1979). Sans
vouloir donner de leçon après coup, nous ferons cependant remarquer que
le fait de se considérer comme une partie de l’embryon de la future
« armée de la révolution » ou comme la « fraction armée du prolétariat
révolutionnaire » était quelque chose non seulement de critiquable, mais
aussi de faux en soi.Tous les groupes, qu’ils pratiquent ou non la
lutte armée, étaient des groupes séparés qui ne représentaient personne
d’autre qu’eux-mêmes, c’est ce que signifie réellement être
« autonomes ». Une autonomie qui, soit dit en passant, devait être mise
en doute puisqu’il existait au sein du MIL une spécialisation des tâches
qui divisait ses membres en théoriciens et activistes. Le prolétariat
se représente lui-même comme classe à travers ses propres organes. Et il
ne s’arme jamais que quand cela lui est nécessaire, quand il se dispose
à détruire l’État. Par contre, ce n’est alors pas une fraction qui
s’arme mais toute la classe, formant ses milices, « le prolétariat en
armes ». L’existence de groupes armés, y compris au service des grèves
sauvages, n’apportait rien à l’autonomie de la lutte dans la mesure où
il s’agissait de gens en marge de la décision collective et hors du
contrôle des assemblées. Ils constituaient un pouvoir séparé et, plutôt
qu’une aide, un danger s’ils étaient infiltrés par quelque indicateur ou
provocateur. Dans la phase où en était la lutte, les piquets étaient
suffisants. L’identification entre lutte armée et radicalisation était
abusive. La pratique la plus radicale de la lutte des classes n’était
pas les expropriations ou les pétards dans les entreprises ou les
bureaux d’organismes officiels. Ce qui était réellement radical, c’était
ce qui aidait le prolétariat à passer à l’offensive : la généralisation
de l’insubordination contre toute hiérarchie, le sabotage de la
production et de la consommation capitaliste, les grèves sauvages, les
délégués révocables, la coordination des luttes, leur autodéfense, la
création de moyens d’information spécifiquement ouvriers, le rejet du
nationalisme et du syndicalisme, les occupations d’usines et de
bâtiments publiques, les barricades… La contribution des groupes
mentionnés à l’autonomie du prolétariat était limitée par leur position
volontariste dans la question des armes.</div>
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Dans le cas particulier des Groupes Autonomes, il est certain qu’ils
désiraient se placer à l’intérieur des masses et qu’ils recherchaient
leur radicalisation maximale, mais les conditions de clandestinité
qu’imposait la lutte armée les éloignaient de celles-ci. Ils étaient
pleinement lucides quant à ce qui pouvait servir à l’extension de la
lutte des classes, c’est-à-dire, quant à l’autonomie prolétaire. Ils
connaissaient l’héritage de Mai 68 et condamnaient toute idéologie comme
élément de séparation, y compris l’idéologie de l’autonomie, puisque
dans les périodes ascendantes les ennemis de l’autonomie sont les
premiers à se déclarer pour l’autonomie. D’après un de leurs
communiqués, l’autonomie du groupe était simplement « une pratique
commune fondée sur un accord minimum pour passer à l’action, mais aussi
une théorie autonome correspondant à notre manière de vivre, de lutter,
et à nos besoins concrets ». Ils en arrivèrent au point de s’enlever le L
de libertaires (3) pour
éviter d’être étiquetés et de tomber dans l’opposition spectaculaire
anarchisme-marxisme. Ainsi que pour ne pas être récupérés en tant
qu’anarchistes par la CNT, une organisation qu’ils considéraient, parce
quelle était syndicale, comme bureaucratique, intégratrice et favorable à
l’existence du travail salarié et par conséquent, du capital. Ils
n’avaient pas vocation à la permanence comme les partis parce qu’ils
rejetaient le pouvoir ; tout groupe réellement autonome s’organisait
pour des tâches concrètes et se dissolvait quand ces tâches
s’achevaient. La répression mit brutalement fin à leur existence mais
leur pratique s’avère exemplaire, tant par ses succès que par ses
erreurs, et par conséquent, pédagogique.</div>
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<span style="font-size: medium;"><b>La technique autonome</b></span></div>
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</div>
<div style="text-align: justify;">
Il y a un abîme entre les milieux prolétariens des années soixante et
soixante-dix et le monde technicisé et globalisé. Nous vivons une
réalité historique radicalement différente créée sur les ruines de
l’antérieure. Le mouvement ouvrier s’est volatilisé, et pour cela parler
d’« autonomie », ibérique ou non, n’a pas de sens si nous essayons par
là de nous rallier à une figure inexistante du prolétariat et d’édifier
sur celle-ci un programme d’action fantasmagorique, basé sur une
idéologie faite de bribes d’autres. Dans le pire des cas, cela
signifierait la résurrection du cadavre léniniste et de l’idée
d’« avant-garde », ce qu’il y a de plus contraire à l’autonomie. Il ne
s’agit pas non plus de se distraire dans le cyber-espace, ni dans le
« mouvement des mouvements », en exigeant la démocratisation de l’ordre
établi moyennant la participation à ses institutions des prétendus
représentants de la société civile. Il n’y a pas de société civile ;
cette « société » se trouve divisée en ses composants de base, les
individus, et ceux-ci ne sont plus seulement séparés des résultats et
des produits de leur activité, mais les uns des autres. Toute la liberté
que la société capitaliste puisse offrir repose non pas sur
l’association entre individus autonomes mais sur leur séparation et
dépossession la plus complète, de façon à ce qu’un individu ne découvre
pas chez un autre un soutien à sa liberté mais un concurrent et un
obstacle. Cette séparation finit par être consommée par la technique
digitale en tant que communication virtuelle. Les individus dépendent
alors absolument des moyens techniques pour se mettre en rapport.
Cependant, ce qu’ils obtiennent n’est pas un contact réel mais une
relation éthérée. À la limite, les individus accros aux appareils sont
incapables d’avoir des rapports directs avec leurs semblables. Les
technologies de l’information et de la communication ont mené à bien le
vieux projet bourgeois de la séparation totale des individus entre eux.
Elles ont alors créé l’illusion d’une autonomie individuelle grâce au
fonctionnement en réseau qu’elles ont permis. D’un côté, elles créent un
individu totalement dépendant des machines, et par conséquent,
parfaitement contrôlable ; d’un autre elles imposent les conditions dans
lesquelles se déroule toute activité sociale, dont elles marquent les
rythmes, et exigent une adaptation permanente aux changements. Ce n’est
donc pas l’individu mais la technique qui a conquis l’autonomie. Malgré
tout, si l’autonomie individuelle est impossible dans les conditions
actuelles, la lutte pour l’autonomie ne l’est pas, même si elle ne devra
pas se réduire à un décrochage du mode de survie capitaliste
techniquement équipé. Refuser de travailler, de consommer, d’utiliser
des appareils, de rouler dans un véhicule privé, de vivre dans des
villes, etc., constitue en soi un vaste programme, mais la survie sous
le capitalisme impose ses règles. L’autonomie personnelle n’est pas la
simple autosuffisance dont le prix est l’isolement et la marginalisation
auxquels on échappe grâce à la téléphonie mobile et au courrier
électronique. La lutte contre ces règles et contraintes est aujourd’hui
le B.A.-BA de l’autonomie individuelle et elle a devant elle beaucoup de
voies, toutes légitimes. Le sabotage sera complémentaire de
l’apprentissage d’un métier éteint ou de la pratique du troc. Ce qui
définit l’autonomie de quelqu’un par rapport au Pouvoir dominant, c’est
sa capacité de défense face à celui-ci. Quant à l’action collective, les
mouvements conscients de masses sont aujourd’hui impossibles, parce
qu’il n’y a pas de conscience de classe. Les masses sont exactement le
contraire des classes. En l’absence de classe ouvrière, il est absurde
de parler d’« autonomie ouvrière », mais pas de parler de groupes
autonomes.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<div style="text-align: justify;">
Les conditions actuelles ne sont pas si désastreuses qu’elles ne
permettent plus l’organisation de groupes en vue d’actions défensives
concrètes. L’avancée du capitalisme spectaculaire s’effectue toujours
comme une agression, à laquelle il faut répondre là où c’est possible :
contre le TGV, les parcs éoliens, les incinérateurs, les terrains de
golf, les plans hydrologiques, les ports de plaisance, les autoroutes,
les lignes à haute tension, les résidences secondaires, les pistes de
ski, les centres commerciaux, la spéculation immobilière, la précarité,
les produits transgéniques… Il s’agit d’établir des lignes de résistance
à partir desquelles reconstruire un milieu réfractaire au capital dans
lequel se cristallise à nouveau la conscience révolutionnaire. Si le
monde n’est pas prêt pour de grandes stratégies, il l’est par contre
pour des actions de guérilla, et la formule organisationnelle la plus
opportune c’est les groupes autonomes. Voilà l’autonomie qui nous
intéresse.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<br />
<b>NOTES</b><br />
</div>
<i>(1) Parti Communiste Espagnol et Front de Libération Populaire. [NdT]</i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<i>(2) Centrale Nationale de Syndicats (Central Naciónal de Sindicatos), le syndicat vertical franquiste. [NdT]</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>(3) En 1978, suite à une série d’arrestations à Madrid, Barcelone et
Valence de personnes accusées de braquages, d’attentats et de détention
d’armes et d’explosifs, la police créa pour l’occasion le nom de Groupes
Autonomes Libertaires (GAL). Ces prisonniers reprirent ensuite ce nom
avant de le transformer en 1979 en Groupes Autonomes (GA). [NdT]</i></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-33529686877858403782017-05-23T12:25:00.000-07:002017-05-23T12:25:37.344-07:00Projets d'embellissements rationnels de la ville de Paris<div id="articletext" style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjc9uERTeuGEB9-WCso_mmCihjFE2PJvHRTwQImVJf144jc2EveScckBPyYYcpQzoXI_SMl2YjAKCfq6r76diTwCxQVXVtCi5Va50A2LG-0f8ePIHEQoDyVwmTmmarZjoQ6-QVnGhjv3oIi/s1600/.............jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="266" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjc9uERTeuGEB9-WCso_mmCihjFE2PJvHRTwQImVJf144jc2EveScckBPyYYcpQzoXI_SMl2YjAKCfq6r76diTwCxQVXVtCi5Va50A2LG-0f8ePIHEQoDyVwmTmmarZjoQ6-QVnGhjv3oIi/s400/.............jpg" width="400" /></a></div>
<br />
Les lettristes présents le 26 septembre ont proposé communément
les solutions rapportées ici à divers problèmes d'urbanisme soulevés
au hasard de la discussion. Ils attirent l'attention sur le fait
qu'aucun aspect constructif n'a été envisagé, le déblaiement du
terrain paraissant à tous l'affaire la plus urgente.<br />
Ouvrir le métro, la nuit, après la fin du passage des rames. En
tenir les couloirs et les voies mal éclairés par de faibles lumières
intermittentes.<br />
Par un certain aménagement des échelles de secours, et la création
de passerelles là où il en faut, ouvrir les toits de Paris à la
promenade.<br />
Laisser les squares ouverts la nuit. Les garder éteints. (Dans
quelques cas un faible éclairage constant peut être justifié par
des considérations psychogéographiques.)<br />
<br />
<a name='more'></a>Munir les réverbères de toutes les rues d'interrupteurs ; l'éclairage
étant à la disposition du public.<br />
Pour les églises, quatre solutions différentes ont été avancées,
et reconnues défendables jusqu'au jugement par l'expérimentation,
qui fera triompher promptement la meilleure :<br />
G.-E. Debord se déclare partisan de la destruction totale des
édifices religieux de toutes confessions. (Qu'il n'en reste aucune
trace, et qu'on utilise l'espace.) <br />
Gil J Wolman propose de garder les églises, en les vidant de tout
concept religieux. De les traiter comme des bâtiments ordinaires.
D'y laisser jouer les enfants. <br />
Michèle Bernstein demande que l'on détruise partiellement les
églises, de façon que les ruines subsistantes ne décèlent plus
leur destination première (la Tour Jacques, boulevard de Sébastopol,
en serait un exemple accidentel). La solution parfaite serait
de raser complètement l'église et de reconstruire des ruines à
la place. La solution proposée en premier est uniquement choisie
pour des raisons d'économie. <br />
Jacques Fillon, enfin, veut transformer les églises en <i>maisons à faire peur</i>. (Utiliser leur ambiance actuelle, en accentuant ses effets paniques.)
<br />
Tous s'accordent à repousser l'objection esthétique, à faire taire
les admirateurs du portail de Chartres. La beauté, <i>quand elle n'est pas une promesse de bonheur</i>, doit être détruite. Et qu'est-ce qui représente mieux le malheur
que cette sorte de monument élevé à tout ce qui n'est pas encore
dominé dans le monde, à la grande marge inhumaine de la vie ?
<br />
Garder les gares telles qu'elles sont. Leur laideur assez émouvante
ajoute beaucoup à l'ambiance de passage qui fait le léger attrait
de ces édifices. Gil J Wolman réclame que l'on supprime ou que
l'on fausse arbitrairement toutes les indications concernant les
départs (destinations, horaires, etc.). Ceci pour favoriser la
<i>dérive</i>. Après un vif débat, l'opposition qui s'était exprimée renonce
à sa thèse, et le projet est admis sans réserves. Accentuer l'ambiance
sonore des gares par la diffusion d'enregistrements provenant
d'un grand nombre d'autres gares -- et de certains ports. <br />
Suppression des cimetières. Destruction totale des cadavres, et
de ce genre de souvenirs : ni cendres, ni traces. (L'attention
doit être attirée sur la propagande réactionnaire que représente,
par la plus automatique association d'idées, cette hideuse survivance
d'un passé d'aliénation. Peut-on voir un cimetière sans penser
à Mauriac, à Gide, à Edgar Faure ?) <br />
Abolition des musées, et répartition des chefs-d'oeuvre artistiques
dans les bars (l'oeuvre de Philippe de Champaigne dans les cafés
arabes de la rue Xavier-Privas ; le <i>Sacre</i> de David, au Tonneau de la Montagne-Geneviève). <br />
Libre accès illimité de tous dans les prisons. Possibilité d'y
faire un séjour touristique. Aucune discrimination entre visiteurs
et condamnés. (Afin d'ajouter à l'humour de la vie, douze fois
tirés au sort dans l'année, les visiteurs pourraient se voir raflés
et condamnés à une peine effective. Ceci pour laisser du champ
aux imbéciles qui ont absolument besoin de courir un risque inintéressant :
les spéléologues actuels, par exemple, et tous ceux dont le <i>besoin de jeu</i> s'accommode de si pauvres imitations.) <br />
Les monuments, de la laideur desquels on ne peut tirer aucun parti
(genre Petit ou Grand Palais), devront faire place à d'autres
constructions. <br />
Enlèvement des statues qui restent, dont la signification est
dépassée -- dont les renouvellements esthétiques possibles sont
condamnés par l'histoire avant leur mise en place. On pourrait
élargir utilement la présence des statues -- pendant leurs dernières
années -- par le changement des titres et inscriptions du socle,
soit dans un sens politique (<i>Le Tigre dit Clemenceau</i>, sur les Champs-Élysées), soit dans un sens déroutant (<i>Hommage dialectique à la fièvre et à la quinine</i>, à l'intersection du boulevard Michel et de la rue Comte ; <i>Les grandes profondeurs</i>, place du parvis dans l'île de la Cité). <br />
Faire cesser la crétinisation du public par les actuels noms des
rues. Effacer les conseillers municipaux, les résistants, les
Émile et les Édouard (55 rues dans Paris), les Bugeaud, les Gallifet,
et plus généralement tous les noms sales (rue de l'Évangile).
<br />
À ce propos, reste plus que jamais valable l'appel lancé dans
le numéro 9 de <i>Potlatch</i> pour la non-reconnaissance du vocable <i>saint</i> dans la dénomination des lieux.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-54244402439859616402017-02-25T03:42:00.000-08:002017-02-25T03:42:18.035-08:00Sail Mohamed, anarchiste Algérien, anticolonialiste.<!--[if gte mso 9]><xml>
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<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
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<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>Sail Mohamed
Ameriane ben Amerzaine est né le 14 octobre 1894 à Tarbeit-Beni-Ouglis, en
Kabylie.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>Comme beaucoup d’Algériens
d’alors il fut très peu scolarisé. Chauffeur-mécanicien par nécessité, toute sa
vie il fut assoiffé de culture et fit beaucoup d’effort pour s’auto-éduquer. D’une
famille berbère musulmane il devint un athée convaincu. Pendant le Première
guerre mondiale il fut interné pour insubordination et désertion de l’armée
française. Ses sympathies pour l’anarchisme se développaient déjà.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>A la fin de la
guerre, avec la reconstruction du mouvement anarchiste, il rejoignit l’organisation
Union anarchiste (UA). En 1923, avec son ami Sliman Kiouane, un chanteur, il
fonda le Comité de Défense des Indigènes Algériens. Dans ses premiers articles
il dénonça la pauvreté de la population colonisée et l’exploitation coloniale.
Il devint un expert de la situation nord-africaine. Il organisait des réunions
en langues Arabe et Française avec les groupes anarchistes du 17<sup>ème</sup>
arrondissement de Paris sur le thème de l’exploitation des nord-africains. Sail
créa un groupe anarchiste à Aulnay-sous-Bois et devint un de ses militants les
plus impliqués.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span></span></span></div>
<a name='more'></a><span style="font-size: small;"><span>En 1929, il devint
secrétaire d’un nouveau comité : le Comité de Défense des Algériens contre
le Centenaire de la Provocation (la France se préparait à célébrer le centenaire
de la conquête de l’Algérie du 5 juillet 1830). Toutes les tendances du
mouvement anarchiste, l’UA, les anarcho-syndicalistes de la
CGT-Syndicaliste-Révolutionnaire et le Fédéralistes dénoncèrent le « colonialisme
meurtrier, la mascarade sanguinaire ». Ils mirent en avant le mot d’ordre :
« Civilisation ? Progrès ? Nous disons meurtre ! ». En
conséquence Sail rejoignit les anarcho-syndicalistes de la CGT-SR au sein de
laquelle il créa la Section des Algériens indigènes. L’année suivante, avec l’Exposition
Coloniale de Paris, le mouvement anarchiste redémarra sa campagne contre le
colonialisme. Sail était au premier plan de cette lutte.</span></span><br />
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><b><span>L’Eveil Social</span></b><span><br />
En janvier 1932, il devint le responsable légal de l’Eveil Social. A la suite d’un
article anti-militariste il fut traduit en justice pour « provocation à la
désobéissance militaire ». Le Secours Rouge International, une
organisation satellite du Parti communiste, lui apporta son soutien, soutien qu’il
rejeta au nom de victimes du stalinisme.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>En 1934, l’ « Affaire
Sail Mohamed » éclata. La manifestation des Ligues antisémites et fascistes
du 6 février 1934 provoqua une réaction en chaine à travers le mouvement
ouvrier. Said récolta des armes et les cacha. Le 3 mars il fut arrêté pour « port
d’armes prohibées ». Le mouvement ouvrier lui apporta alors tout son
soutien, à l’exclusion du Parti Communiste, qui le dénonça comme agent
provocateur. Condamné à un mois de prison, puis un autre mois de plus pour « détention
d’armes de guerre », il finit par rester quatre mois en prison. Libéré, il
reprit la lutte.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>L’Eveil Social
fusionna avec Terre Libre (le mensuel de l’Alliance Libre des Anarchistes du Midi
de Paul Roussenq). Sail avait la charge de la version nord-africaine de Terre
Libre. Il tenta d’établir un Groupe Anarchiste des Indigènes Algériens, sous
différentes appellations dans la presse anarchiste. En même temps il continua à
être actif au sein de l’Union anarchiste.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><b><span>L’Espagne</span></b><span><br />
A la suite du coup d’Etat franquiste en Espagne, Sail rejoignit le groupe
Sébastien Faure, section francophone de la milice anarchiste « Colonne
Durruti » en septembre 1936 et finit par en être le commandant. Blessé à
la main en novembre 1936, il retourna en France après avoir diffusé de
nombreuses lettres décrivant la situation du mouvement anarchiste espagnol.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>Après que sa
blessure fut guérie, il prit part à de nombreuses mobilisations concernant la
situation espagnole avec l’Union anarchiste. Immédiatement après cette série de
mobilisations il participa à un meeting par des organisations révolutionnaires
à Paris pour protester contre la censure de l’Etoile Nord-Africaine, édité par
Messali Hadj, et contre la répression des manifestations en Tunisie qui firent
en tout au moins 16 morts. Encore une fois il fut arrêté pour « provocation
de l’armée » et fut condamné à 18mois de prison en décembre 1938.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>Au début de la
Seconde Guerre mondiale il fut de nouveau arrêté et envoyé au camp de
concentration de Riom. Sa grande bibliothèque fut détruite après un raid policier.
Il s’échappa alors, s’établit de faux papiers et entra dans la clandestinité
pendant tout el temps de l’Occupation.</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>A partir de 1944
il oeuvra, avec d’autres, à la reconstruction du mouvement anarchiste. A la Libération
il créa de nouveau le groupe d’Aulnay-sous-Bois, et essaya de reformer le
Comité des Anarchistes Algériens. Dans <i>Le
Libertaire</i> il écrivit un éditorial sur la situation en Algérie. Il publia
également une série d’articles sur la « Cavalerie des Indigènes Algériens ».</span></span></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><span>Il décéda en avril
1953. Le communiste libertaire George Fontenis lui rendit hommage au nom du
mouvement anarchiste lors de ses funérailles le 30 avril 1953.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<span style="font-size: small;">
</span><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: small;"><i><span>Traduction
Contre Capital d’un article du journal anarchiste Organise! #58. </span></i></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: center;">
<i><span style="font-size: 14.0pt;"> ***</span></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<b>"La mentalité kabyle"</b>,<br />par Mohamed SAÏL <br />Paru dans <i>Le Libertaire</i> n° 257, 16 février 1951.</div>
<div style="text-align: justify;">
A maintes occasions, j’ai parlé dans ces colonnes du tempérament
libertaire et individualiste caractérisé de mes compatriotes berbères
d’Algérie . Mais aujourd’hui, alors que la caverne d’Ali Baba
d’outre-mer craque et croule, je crois utile d’affirmer, contre tous les
pessimistes professionnels ou les rêveurs en rupture de places
lucratives que l’Algérie libérée du joug colonialiste serait
ingouvernable au sens religieux, politique et bourgeois du mot. Et je
mets au défi toutes les canailles prétendant à la couronne d’apporter la
moindre raison valable et honnête à leurs aspirations malsaines, car je
leur oppose des précisions palpables et contrôlables, sans nier
cependant que leur politique a quelque succès quand il s’agit d’action
contre le tyran colonialiste.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il faut voir l’indigène algérien, le Kabyle surtout, dans son
milieu, dans son village natal et non le juger sur son comportement
dans un meeting, manifestant contre son ennemi mortel : le
colonialisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour l’indigène algérien, la discipline est une soumission
dégradante si elle n’est pas librement consentie. Cependant, le Berbère
est très sensible à l’organisation, à l’entraide, à la camaraderie
mais, fédéraliste, il n’acceptera d’ordre que s’il est l’expression des
désirs du commun, de la base. Lorsqu’un délégué de village est désigné
par l’Administration, l’Algérie le considère comme un ennemi.</div>
<div style="text-align: justify;">
La religion qui, jadis, le pliait au bon vouloir du marabout, est en
décadence, au point qu’il est commun de voir le représentant d’Allah
rejoindre l’infidèle dans la même abjection. Tout le monde parle encore
de Dieu, par habitude, mais. en réalité plus personne n’y croit. Allah
est en déroute grâce au contact permanent du travailleur algérien avec
son frère de misère de la métropole, et quelques camarades algériens
sont aussi pour beaucoup dans cette lutte contre l’obscurantisme.</div>
<div style="text-align: justify;">
Quand au nationalisme que j’entends souvent reprocher aux Algériens,
il ne faut pas oublier qu’il est le triste fruit de l’occupation
française. Un rapprochement des peuples le fera disparaître, comme il
fera disparaître les religions. Et, plus que tout autre, le peuple
algérien est accessible à l’internationalisme, parce qu’il en a le goût
ou que sa vie errante lui ouvre inévitablement les yeux. On trouve des
Kabyles aux quatre coins du monde ; ils se plaisent partout,
fraternisent avec tout le monde, et leur rêve est toujours le savoir,
le bien-être et la liberté.</div>
<div style="text-align: justify;">
Aussi, je me refuse à croire que des guignols nationalistes puissent
devenir un jour ministres ou sultans dans le dessein de soumettre ce
peuple, rebelle par tempérament.</div>
<div style="text-align: justify;">
Jusqu’à l’arrivée des Français, jamais les Kabyles n’ont accepté de
payer des impôts à un gouvernement, y compris celui des Arabes et des
Turcs dont ils n’avaient embrassé la religion que par la force des
armes. J’insiste particulièrement sur le Kabyle, non pas parce que je
suis moi-même Kabyle, mais parce qu’il est réellement l’élément dominant
à tout point de vue et parce qu’il est capable d’entraîner le reste du
peuple algérien dans la révolte contre toute forme de centralisme
autoritaire.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le plus amusant de l’histoire, c’est que la bande des quarante
voleurs ou charlatans politiciens nous représente le nationalisme
d’outre-mer sous la forme d’une union arabe avec l’emblème musulman et
avec des chefs politiques, militaires et spirituels à l’image des pays
du Levant. J’avoue que le dieu arabe de nos sinistres pantins
d’Algérie a bien fait les choses, puisque la guerre judéo-arabe nous
révéla que les chefs de l’islamisme intégral ne sont rien d’autre que de
vulgaires vendus aux Américains, aux Anglais, et aux Juifs eux-mêmes,
leurs prétendus ennemis. Un coup en traître pour nos derviches
algériens, mais salutaire pour le peuple qui commence à voir clair.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pensez donc, un bon petit gouvernement algérien dont ils seraient
les caids, gouvernement bien plus arrogant que celui des roumis, pour la
simple raison qu’un arriviste est toujours plus dur et impitoyable
qu’un "arrivé" ! Rien à faire, les Algériens ne veulent ni de la peste,
ni du choléra, ni d’un gouvernement de roumi, ni de celui d’un caid.
D’ailleurs, la grande masse des travailleurs kabyles sait qu’un
gouvernement musulman, à la fois religieux et politique, ne peut
revêtir qu’un caractère féodal, donc primitif. Tous les gouvernements
musulmans l’ont jusqu’ici prouvé.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les Algériens se gouverneront eux-mêmes à la mode du Village, du
douar, sans députés ni ministres qui s’engraissent à leurs dépens, car
le peuple algérien libéré d’un joug ne voudra jamais s’en donner un
autre, et son tempérament fédéraliste et libertaire en est le sûr
garant. C’est dans la masse des travailleurs manuels que l’on trouve
l’intelligence robuste et la noblesse d’esprit, alors que la horde des
"intellectuels" est, dans son immense majorité, dénuée de tout sentiment
généreux.</div>
<div style="text-align: justify;">
Quant aux staliniens, ils ne représentent pas de force, leurs membres
se recrutent uniquement parmi les crétins ou déchet du peuple. Car
l’indigène n’a guère d’enthousiasme pour se coller une étiquette, qu’elle
soit mensongère ou superfasciste.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour les collaborateurs, policiers, magistrats, caïds et autres
négriers du fromage algérien, leur sort est réglé d’avance : la corde,
qu’ils valent à peine.</div>
<div style="text-align: justify;">
Pour toutes ces raisons, mes compatriotes doivent-ils être
considérés comme d’authentiques révolutionnaires frisant l’anarchie ?
Non, car s’ils ont le tempérament indiscutablement fédéraliste et
libertaire, l’éducation et la culture leur manquent, et notre
propagande, qui est cependant indispensable à ces esprits rebelles,
leur fait défaut</div>
<div style="text-align: justify;">
C’est ce pourquoi oeuvrent nos compagnons anarchistes de la fédération nord-africaine.</div>
<hr />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 14.0pt;"></span></div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-4334314855693214592017-01-15T01:25:00.001-08:002017-01-15T01:27:00.958-08:00Parti et classe<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi3Xdrehanhah3ukozA4ClHu3stvnkRBu16L0XjDpxoMeSwkXYHdLUafCJcwDqVVMhUTb03r5vUypF5X5wRhWAWNww2XAG1NMtHn8aUhOm6mRrPUwt6ZM8K5oPgOkZlIU171FhVsUvtK1xW/s1600/....jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="265" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi3Xdrehanhah3ukozA4ClHu3stvnkRBu16L0XjDpxoMeSwkXYHdLUafCJcwDqVVMhUTb03r5vUypF5X5wRhWAWNww2XAG1NMtHn8aUhOm6mRrPUwt6ZM8K5oPgOkZlIU171FhVsUvtK1xW/s400/....jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Le vieux mouvement ouvrier est organisé en partis. La croyance aux
partis est la principale raison de l’impuissance de la classe ouvrière.
Nous évitons donc de créer un nouveau parti, non pas parce que nous
sommes trop peu nombreux, mais parce qu’un parti est une organisation
qui vise à guider et contrôler la classe ouvrière. Au contraire, nous
maintenons que la classe ouvrière ne pourra aller à la victoire que
quand elle s’attaquera à ses problèmes de manière indépendante et
qu’elle décidera de son propre destin. Les travailleurs ne doivent pas
suivre aveuglément les slogans des autres, ni même ceux de nos propres
groupes ; ils doivent penser, agir et décider par eux-mêmes. Cette
conception est en totale contradiction avec la tradition qui voit le
parti comme le moyen principal pour éduquer le prolétariat. Il s’ensuit
que nous rencontrons beaucoup de résistance et d’opposition à nos idées,
même de la part de gens qui rejettent les partis socialiste et
communiste. Cela est dû en partie à leurs conceptions traditionnelles ;
après avoir vu la lutte de classe comme une lutte de partis, il devient
difficile de la considérer comme simplement la lutte de la classe
ouvrière, comme une lutte de classe. Mais cette conception se fonde en
partie sur l’idée que le parti joue quand même un rôle important et
essentiel dans la lutte du prolétariat. Etudions cette idée de plus
près.<br />
<br />
<a name='more'></a>Essentiellement, le parti est un regroupement autour de visions, de
conceptions ; les classes sont des regroupements suivant des intérêts
économiques. L’appartenance de classe est déterminée par la place qu’on
occupe dans le processus de production ; un parti c’est le regroupement
de personnes qui sont d’accord sur la conception des problèmes sociaux.
On pensait autrefois que cette contradiction disparaîtrait dans le parti
de classe, le parti ouvrier. Pendant la période ascendante de la
social-démocratie, il semblait qu’elle allait finir par intégrer toute
la classe ouvrière, soit comme membres, soit comme sympathisants. Comme
la théorie marxienne avait déclaré que des intérêts similaires
engendraient des points de vue et des objectifs similaires, la
contradiction entre parti et classe devait disparaître graduellement.
L’histoire ne lui a pas donné raison. La social-démocratie est restée
minoritaire, d’autres groupes ouvriers se sont organisés contre elle,
des sections en ont scissionné, et son caractère propre a changé. Son
programme a été révisé ou interprété autrement. La société n’évolue pas
de manière égale et linéaire, mais à travers des conflits et des
contradictions.</div>
<div style="text-align: justify;">
Avec l’intensification de la lutte ouvrière, la force de l’ennemi
s’accroît aussi, et les ouvriers se trouvent assaillis de nouveaux
doutes et de craintes quant au meilleur chemin à suivre. Et chaque doute
entraîne des scissions, des contradictions et des luttes fractionnelles
au sein du mouvement ouvrier. Cela ne sert à rien de déplorer ces
conflits et ces scissions comme nocifs parce qu’ils divisent et
affaiblissent la classe ouvrière. La classe ouvrière n’est pas faible
parce qu’elle est divisée, elle est divisée parce qu’elle est faible.
Parce que l’ennemi est puissant et que les vieilles méthodes de lutte
s’avèrent inefficaces, la classe ouvrière doit chercher de nouvelles
méthodes. Elle ne va pas être éclairée sur ce qu’elle doit faire par
quelque illumination venue d’en haut ; elle doit découvrir ce qu’elle
doit faire par un travail ardu, par la pensée et des conflits
d’opinions. Elle doit trouver son propre chemin ; d’où la lutte interne.
Elle doit abandonner les vieilles idées et les vieilles illusions et en
adopter de nouvelles. C’est difficile, d’où l’importance et la dureté
des scissions.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne faut pas non plus se faire d’illusions en croyant que cette
période de conflits partisans et idéologiques n’est que temporaire et
qu’elle va ouvrir la voie à une nouvelle harmonie. Certes, dans le cours
de la lutte de classe il y a des occasions où toutes les forces
s’unissent pour un grand objectif à atteindre, et la révolution se fait
grâce à la force d’une classe ouvrière unie. Mais après cela, comme
après chaque victoire, surgissent des divergences sur la question : et
maintenant ? Même quand la classe ouvrière est victorieuse, elle se
trouve toujours confrontée à la tâche la plus difficile : continuer à
combattre l’ennemi, réorganiser la production, créer un ordre nouveau.
Il est impossible que tous les travailleurs, toutes les couches et
groupes de la société, avec leurs intérêts encore divers, puissent, à ce
stade, être d’accord sur toutes les questions et être prêts à y
répondre par une action unie et décisive. Ils ne trouveront la bonne
marche à suivre qu’après des controverses et des conflits des plus
âpres, seul moyen d’atteindre la clarification.</div>
<div style="text-align: justify;">
Si, dans une telle situation, des personnes qui partagent les mêmes
conceptions fondamentales se regroupent pour discuter des étapes
pratiques, cherchent à se clarifier par des discussions et font
connaître leurs conclusions, de tels groupes pourraient s’appeler
partis, mais ce serait des partis dans un sens tout à fait différent de
ceux d’aujourd’hui. L’action, la lutte de classe réelle, c’est l’affaire
des masses travailleuses elles-mêmes, dans leur totalité, dans leurs
regroupements réels en tant qu’ouvriers d’usine ou d’autres groupes de
production, parce que l’histoire et l’économie les ont placées dans une
position où elles doivent et peuvent lutter en tant que classe. Ce
serait absurde que ceux qui soutiennent tel parti fassent grève alors
que ceux qui soutiennent un autre parti continuent à travailler. Mais
les deux tendances défendront leurs positions sur faire grève ou pas
dans les assemblées d’usine, se donnant la possibilité de prendre une
décision bien fondée. La lutte est si vaste, l’ennemi si puissant, que
seules les masses dans leur ensemble sont à même d’obtenir une victoire,
résultat du pouvoir matériel et moral de l’action, de l’unité et de
l’enthousiasme, mais résultat aussi de la force de la pensée et de sa
clarté. C’est là que réside la grande importance de ces partis ou
groupes basés sur la communauté d’opinions : ils apportent la clarté
dans les conflits, les discussions et la propagande. Ils sont les
organes d’une classe ouvrière qui s’éclaire elle-même et au moyen
desquels les travailleurs trouveront le chemin de la liberté.</div>
<div style="text-align: justify;">
Bien entendu, de tels partis ne sont pas statiques ni immuables. <br />
Toute nouvelle situation, tout nouveau problème créera de nouvelles
divergences et de nouvelles convergences qui donneront naissance à de
nouveaux groupes avec de nouveaux programmes. Ils ont un caractère
fluctuant et s’adaptent constamment aux nouvelles situations.</div>
<div style="text-align: justify;">
Comparés à ces groupes, les partis ouvriers actuels ont un caractère
complètement différent, parce qu’ils ont un objectif différent : ils
veulent prendre le pouvoir pour eux. Ils ne cherchent pas à être une
aide pour la classe ouvrière en lutte pour son émancipation, mais à la
diriger eux-mêmes, tout en proclamant que cela constitue l’émancipation
du prolétariat. La social-démocratie qui s’est développée à l’époque du
parlementarisme concevait ce pouvoir sous la forme d’un gouvernement
parlementaire. Le parti communiste a poussé l’idée du parti dirigeant à
l’extrême, avec la dictature du parti.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEikKZvfa-BmfO07klnPJvHRUldoWDjENG6TIFTbK5Ypu04SaaKG5k2g-H_zSWDOXSS32u5bHWAYUuwefmJn-NF7xKFXQSRZHux3tfSNVbtZbWi8GTVdXSsbRmdj98JhrUIlYB7u4It80U6e/s1600/.....jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="265" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEikKZvfa-BmfO07klnPJvHRUldoWDjENG6TIFTbK5Ypu04SaaKG5k2g-H_zSWDOXSS32u5bHWAYUuwefmJn-NF7xKFXQSRZHux3tfSNVbtZbWi8GTVdXSsbRmdj98JhrUIlYB7u4It80U6e/s400/.....jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Contrairement aux groupes décrits plus haut, ces partis doivent avoir
des structures rigides avec des lignes de démarcation bien définies,
des cartes d’adhésion, des statuts, une discipline de parti et des
procédures d’admission et d’exclusion. Comme ce sont des instruments de
pouvoir, ils luttent pour le pouvoir, maintiennent leurs membres
sévèrement bridés, et essaient constamment d’étendre leur pouvoir. Ils
ne cherchent pas à développer l’initiative chez les travailleurs, ils
essaient plutôt d’inculquer une fidélité et une foi aveugles à leurs
membres. Alors que, pour lutter pour le pouvoir et la victoire, la
classe ouvrière a besoin d’une liberté intellectuelle illimitée, le
parti dirigeant doit supprimer toutes les opinions qui ne sont pas les
siennes. Dans les partis « démocratiques « , cette suppression est
camouflée ; dans les partis dictatoriaux c’est une suppression ouverte
et brutale.</div>
<div style="text-align: justify;">
Beaucoup de travailleurs se rendent déjà compte que la direction du
parti socialiste ou du parti communiste ne peut être qu’une forme
camouflée de la direction de la classe bourgeoise, où l’exploitation et
la répression de la classe ouvrière continuent d’exister. Pour remplacer
ces partis ils en appellent à la formation d’un « parti révolutionnaire
« qui sera vraiment pour le pouvoir des travailleurs et la réalisation
du communisme. Non pas un parti dans le nouveau sens décrit plus haut,
mais un parti comme ceux d’aujourd’hui, qui luttent pour le pouvoir en
tant qu’avant-garde de la classe, comme organisation minoritaire
consciente et révolutionnaire, qui prend le pouvoir pour le mettre au
service de l’émancipation de la classe.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous affirmons qu’il y a une contradiction interne dans l’expression
« parti révolutionnaire « . Un tel parti ne peut pas être
révolutionnaire. Il n’est pas plus révolutionnaire que nous n’avons été
les créateurs du Troisième Reich. Quand on parle de révolution, on parle
de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire de la prise du pouvoir par
la classe ouvrière elle-même.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le « parti révolutionnaire « est fondé sur l’idée que la classe
ouvrière a besoin d’un nouveau groupe de dirigeants pour vaincre la
bourgeoisie au nom des ouvriers et construire un nouveau gouvernement
(notez que la classe ouvrière n’est pas encore considérée comme étant
capable de réorganiser et régler la production). Mais n’est-ce pas ainsi
que cela devrait être ? Puisque la classe ouvrière ne semble pas
capable de faire la révolution, n’est-il pas nécessaire que
l’avant-garde révolutionnaire, le parti, fasse la révolution pour elle ?
Et cela n’est-il pas valable tant que les masses supporteront le
capitalisme de bon gré ?</div>
<div style="text-align: justify;">
Contre cela, nous posons la question : quelle force peut avoir un tel
parti pour la révolution ? Comment peut-il vaincre la classe
capitaliste ? Il ne le peut que si les masses le suivent, si les masses
se soulèvent et attaquent massivement, luttent massivement, font des
grèves de masses pour renverser l’ancien régime. Sans l’action des
masses, il ne peut pas y avoir de révolution.</div>
<div style="text-align: justify;">
Deux cas de figure peuvent se poser. Les masses restent en action :
elles ne rentrent pas chez elles et ne laissent pas le gouvernement au
nouveau parti. Elles organisent leur pouvoir dans les usines et les
ateliers et se préparent pour de futurs conflits dans le but de battre
le capital ; grâce aux conseils ouvriers, elles établissent une forme
d’union permettant de prendre complètement la direction de toute la
société. En d’autres termes, elles prouvent qu’elles ne sont pas aussi
incapables de faire la révolution qu’on pouvait le croire. Alors un
conflit surgira nécessairement avec le parti qui veut tout contrôler et
qui ne voit que désordre et anarchie dans l’auto-organisation de la
classe ouvrière. Il est probable que les ouvriers développent leur
mouvement et balaient le parti. Ou bien que le parti, avec l’aide
d’éléments bourgeois, batte les ouvriers. Dans les deux cas, le parti
est un obstacle à la révolution parce qu’il veut être plus qu’un moyen
de propagande et de clarification ; parce qu’il se sent investi de la
tâche de guider et diriger en tant que parti.</div>
<div style="text-align: justify;">
Autre cas de figure : les masses suivent le parti en lui laissant la
totale direction des affaires. Elles suivent les slogans venus d’en
haut, font confiance au nouveau gouvernement (comme en Allemagne et en
Russie) qui est censé réaliser le communisme, et rentrent chez elles
pour se remettre au travail. La bourgeoisie exercera immédiatement tout
son pouvoir de classe, dont les racines n’auront pas été coupées : ses
forces financières, ses grandes ressources intellectuelles et son
pouvoir économique dans les usines et les grandes entreprises. Contre
cela le gouvernement du parti sera trop faible. Il devra user de
modération, faire des concessions et des reculades pour convaincre les
ouvriers que c’est de la folie que de vouloir obtenir des revendications
impossibles. Ainsi, le parti privé du pouvoir de la classe, devient
l’instrument de maintien du pouvoir bourgeois.</div>
<div style="text-align: justify;">
Nous disions plus haut que l’expression « parti révolutionnaire
« était une contradiction du point de vue prolétarien. On peut le dire
autrement : dans l’expression « parti révolutionnaire « ,
« révolutionnaire « se réfère toujours à la révolution bourgeoise. Quand
les masses font tomber un gouvernement et permettent à un nouveau parti
de prendre le pouvoir, on a toujours affaire à une révolution
bourgeoise - la substitution d’une caste dominante par une nouvelle
caste dominante. C’était le cas à Paris en 1830 quand la bourgeoisie
financière a pris la place des propriétaires fonciers, ou en 1848 quand
la bourgeoisie industrielle a pris les rênes du pouvoir.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans la révolution russe la bureaucratie du parti est devenue la
nouvelle caste dominante. Mais en Europe occidentale et en Amérique la
bourgeoisie est beaucoup plus puissamment installée dans les banques et
les entreprises, ce qui fait qu’un parti ne peut pas s’en débarrasser
aussi facilement. La bourgeoisie de ces pays ne peut être vaincue que
par les assauts unifiés et répétés des masses, au cours desquels elles
s’empareront des lieux de production et construiront leurs propres
organisations de conseils.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ceux qui parlent de « partis révolutionnaires « tirent des
conclusions incomplètes, limitées, de l’histoire. Quand les partis
socialiste et communiste sont devenus des organes de domination
bourgeoise, pour la perpétuation de l’exploitation, ces gens bien
pensants en ont simplement conclu qu’il faudra faire mieux la prochaine
fois. Ils ne se rendent pas compte que la faillite de ces partis est due
au conflit fondamental qui existe entre l’auto-émancipation de la
classe ouvrière pour son propre pouvoir et la pacification de la
révolution par une nouvelle clique dominante. Ils se croient
l’avant-garde révolutionnaire parce qu’ils voient les masses
indifférentes et inactives. Mais les masses ne sont inactives que parce
qu’elle ne peuvent pas encore saisir le cours de la lutte et l’unité des
intérêts de classe, tout en sentant intuitivement le grand pouvoir de
l’ennemi et l’immensité de leur tâche. Une fois que les conditions les
forceront à entrer en action, elles s’attaqueront à la tâche de
l’auto-organisation et à la conquête du pouvoir économique du capital.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Anton Pannekoek</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-12334285624292700322016-12-11T09:54:00.000-08:002016-12-11T09:55:11.659-08:00Avis aux civilisés relativement à l’autogestion généralisée<div style="text-align: justify;">
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5jGB08dl-eak9Tjqs-8NG-Zgv9hxCcKV9MdUlTKopDrA-wyhAYLv6cwNsvZh0KZgS_E5jF2aDYqD8E8iazhQDbTxNJjfircwbouJ9chDbM-0Ilj_t25MqVJqArh5eMbe3QZf8D-ypKiKi/s1600/Kurt_Schwerdtfeger_2_s.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="298" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5jGB08dl-eak9Tjqs-8NG-Zgv9hxCcKV9MdUlTKopDrA-wyhAYLv6cwNsvZh0KZgS_E5jF2aDYqD8E8iazhQDbTxNJjfircwbouJ9chDbM-0Ilj_t25MqVJqArh5eMbe3QZf8D-ypKiKi/s400/Kurt_Schwerdtfeger_2_s.jpg" width="400" /></a></div>
<blockquote class="spip">
<div style="text-align: justify;">
« Ne sacrifiez point le bien présent au bien à venir. Jouissez du
moment, évitez toute association de mariage ou d’intérêt qui ne
contenterait pas vos passions dès l’instant même. Pourquoi
travailleriez-vous pour le bien à venir, puisqu’il surpassera vos vœux,
et que vous n’aurez dans l’ordre combiné qu’un seul déplaisir, ce sera
de ne pouvoir doubler la longueur des jours, afin de suture au cercle
immense des jouissances que vous aurez à parcourir ? » <br />
Charles Fourier, <i>Avis aux civilisés
relativement à la prochaine métamorphose sociale</i>.</div>
</blockquote>
</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
1</h3>
<div style="text-align: justify;">
Dans son inachèvement, le mouvement des occupations (1) a vulgarisé de
façon confuse la nécessité d’un dépassement. L’imminence d’un
bouleversement total, ressentie par tous, doit maintenant découvrir sa
pratique : le passage à l’autogestion généralisée par l’instauration des
conseils ouvriers. La ligne d’arrivée, où l’élan révolutionnaire a
porté la conscience, va désormais devenir une ligne de départ.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
2</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’histoire répond aujourd’hui à la question posée par Lloyd George
aux travailleurs, et reprise en chœur par les serviteurs du vieux
monde : « Vous voulez détruire notre organisation sociale, que
mettrez-vous à sa place ? » Nous connaissons la réponse grâce à la
profusion de petits Lloyd George, qui défendent la dictature étatique
d’un prolétariat de leur choix, et attendent que la classe ouvrière
s’organise en conseils pour la dissoudre et en élire une autre.</div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a><br />
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
3</h3>
<div style="text-align: justify;">
Chaque fois que le prolétariat prend le risque de changer le monde,
il retrouve la mémoire globale de l’histoire. L’instauration d’une
société des conseils - jusqu’ici confondue avec l’histoire de son
écrasement à différentes époques - dévoile la réalité de ses
possibilités passées à travers la possibilité de sa réalisation
immédiate. L’évidence en est apparue à tous les travailleurs depuis
qu’en malle stalinisme et ses résidus trotskistes ont montré, par leur
faiblesse agressive, leur impuissance à écraser un éventuel mouvement
des conseils et, par leur force d’inertie, leur aptitude à en freiner
encore l’apparition. Sans se manifester vraiment, le mouvement des
conseils s’est trouvé présent dans un arc de rigueur théorique
jaillissant de deux pôles contradictoires la logique interne des
occupations et la logique répressive des partis et des syndicats. Ceux
qui confondent encore Lénine et "que faire ?" ne font que s’aménager
une poubelle.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
4</h3>
<div style="text-align: justify;">
Le refus de toute organisation qui ne soit pas l’émanation directe du
prolétariat se niant comme prolétariat a été ressenti par beaucoup,
inséparablement de la possibilité enfin réalisable d’une vie quotidienne
sans temps morts. La notion de conseils ouvriers fonde, en ce sens, le
premier principe de l’autogestion généralisée.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
5</h3>
<div style="text-align: justify;">
Mai a marqué une phase essentielle de la longue révolution :
l’histoire individuelle de millions d’hommes, chaque jour à la recherche
d’une vie authentique, rejoignant le mouvement historique du
prolétariat en lutte contre l’ensemble des aliénations. Cette unité
d’action spontanée, qui fut le moteur passionnel du mouvement des
occupations, ne peut développer qu’unitairement sa théorie et sa
pratique. Ce qui fut dans tous les cœurs va passer dans toutes les
têtes. D’avoir éprouvé qu’ils « ne pourraient plus vivre comme avant,
même pas un peu mieux qu’avant », beaucoup inclinent à prolonger le
souvenir d’une part de vie exemplaire, et l’espoir, un instant vécu,
d’un grand possible, en une ligne de force à laquelle il ne manque, pour
devenir révolutionnaire, qu’une lucidité plus grande sur la <i>construction historique des rapports individuels libres</i>,<i> </i>sur l’autogestion généralisée.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
6</h3>
<div style="text-align: justify;">
Seul le prolétariat précise, en se niant, le projet d’autogestion
généralisée, parce qu’il le porte en lui objectivement et
subjectivement. C’est pourquoi les premières précisions viendront de
l’unité de son combat dans la vie quotidienne et sur le front de
l’histoire ; et de la conscience que toutes les revendications sont
réalisables dans l’immédiat, mais par lui seul. C’est en ce sens que
l’importance d’une organisation révolutionnaire doit désormais s’estimer
à sa capacité de bâter sa disparition dans la réalité de la société des
conseils.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
7</h3>
<div style="text-align: justify;">
Les conseils ouvriers constituent un type nouveau d’organisation
sociale, par lequel le prolétariat met fin à la prolétarisation de
l’ensemble des hommes. L’autogestion généralisée n’est que la totalité
selon laquelle les conseils inaugurent un style de vie fondé sur
l’émancipation permanente individuelle et collective, unitairement.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
8</h3>
<div style="text-align: justify;">
De ce qui précède à ce qui suit, il est clair que le projet
d’autogestion généralisée exige autant de précisions qu’il y a de désirs
en chaque révolutionnaire, et autant de révolutionnaires qu’il y a de
gens insatisfaits de leur vie quotidienne. La société
spectaculaire-marchande fonde les conditions répressives et -
contradictoirement, dans le refus qu’elle suscite - la positivité de la
subjectivité ; de même la formation des conseils, pareillement issue de
la lutte contre l’oppression globale, fonde les conditions d’une
réalisation permanente de la subjectivité, sans autre limite que sa
propre impatience à taire l’histoire. Ainsi l’autogestion généralisée se
confond avec la capacité des conseils à réaliser historiquement
l’imaginaire.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
9</h3>
<div style="text-align: justify;">
Hors de l’autogestion généralisée, les conseils ouvriers perdent leur
signification. Il faut traiter en futur bureaucrate, donc sur-le-champ
en ennemi, quiconque parle des conseils en termes d’organismes
économiques ou sociaux, quiconque ne les place au centre de la
révolution de la vie quotidienne ; avec la pratique que cela suppose.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
10</h3>
<div style="text-align: justify;">
C’est un des grands mérites de Fourier d’avoir montré qu’il faut
réaliser sur-le-champ - et, pour nous, cela signifie dès le début de
l’insurrection généralisée - les conditions objectives de l’émancipation
individuelle. Pour tous, le début du moment révolutionnaire doit
marquer une <i>hausse immédiate du plaisir de vivre </i> ;<i> </i>l’entrée vécue et consciente dans la totalité.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
11</h3>
<div style="text-align: justify;">
La cadence accélérée à laquelle le réformisme laisse derrière lui des
déjections, toutes aussi ridicules que gauchistes - la multiplication,
dans la colique tricontinentale, des petits tas maoïstes, trotskistes,
guévaristes - prouve à odeur de nez ce que la droite, et en particulier
socialistes et staliniens, avait subodoré depuis longtemps les
revendications partielles contiennent <i>en soi </i>l’impossibilité d’un
changement global. Mieux que de combattre un réformisme pour en cacher
un autre, la tentation de retourner la vieille ruse comme une peau de
bureaucrate apparaît, par bien des aspects, comme une solution finale du
problème des récupérateurs. Cela implique le recours à une stratégie
qui déclenche l’embrasement général à la faveur de moments
insurrectionnels de plus en plus rapprochés ; et à une tactique de
progression qualitative où des actions, nécessairement partielles,
contiennent toutes, comme condition nécessaire et suffisante, la
liquidation du monde de la marchandise. Il est temps de commencer le <i>sabotage positif </i>de
la société spectaculaire-marchande. Tant que l’on gardera pour tactique
de masse la loi du plaisir immédiat, il n’y aura pas lieu de
s’inquiéter du résultat.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
12</h3>
<div style="text-align: justify;">
Il est facile, à seule fin d’exemple et d’émulation, d’évoquer ici
quelques possibilités, dont la pratique des travailleurs libérés
montrera vite l’insuffisance en toute occasion - ouvertement dans la
grève, plus ou moins clandestinement dans le travail - <i>inaugurer le règne de la gratuité </i>en
offrant aux amis et aux révolutionnaires des produits usinés ou
stockés, en fabriquant des objets-cadeaux (émetteurs, jouets, armes,
parures, machines à usages divers), en organisant, dans les grands
magasins, des distributions « perlées » ou « sur le tas » de
marchandises ; <i>briser les lois de l’échange et amorcer la fin du salariat </i>en
s’appropriant collectivement des produits du travail, en se servant
collectivement des machines à des fins personnelles et
révolutionnaires ; <i>déprécier la fonction de l’argent </i>en généralisant les grèves de paiements (loyer, impôts, achats à tempéraments, transports, etc.) <i>encourager la créativité de tous </i>en
mettant en marche, même par intermittence mais sous seul contrôle
ouvrier, des secteurs d’approvisionnement et de production, et en
regardant l’expérience comme un exercice nécessairement hésitant et
perfectible ; <i>liquider les hiérarchies et l’esprit de sacrifice, </i>en traitant les chefs patronaux et syndicaux comme ils le méritent, en refusant le militantisme ; <i>agir unitairement partout contre toutes les séparations </i> ;<i> extraire la théorie de toute pratique, et inversement </i>par la rédaction de tracts, d’affiches, de chansons, etc.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
13</h3>
<div style="text-align: justify;">
Le prolétariat a déjà montré qu’il saurait répondre à la complexité
oppressive des Etats capitalistes et « socialistes » par la simplicité
de l’organisation exercée <i>directement </i>par tous et pour tous. Les
questions de survie ne se posent à notre époque qu’à la condition
préalable de n’être jamais résolues ; au contraire, les problèmes de
l’histoire à vivre se posent clairement à travers le projet des conseil
ouvriers, à la fois comme positivité et comme négativité ; autrement
dit, comme élément de base d’une société unitaire industrielle et
passionnelle, et comme anti-Etat.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
14</h3>
<div style="text-align: justify;">
Parce qu’ils n’exercent aucun pouvoir séparé de la décision de leurs
membres, les conseils ne tolèrent d’autre pouvoir que le leur.
Encourager partout les manifestations d’anti-Etat ne peut donc se
confondre avec la création anticipée de conseils, ainsi privés de
pouvoir absolu sur leurs zones d’extension, séparés de l’autogestion
généralisée, nécessairement vides de contenu et prêts à se farcir de
toutes les idéologies. Les seules forces lucides qui puissent
aujourd’hui répondre à l’histoire faite par l’histoire seront les
organisations révolutionnaires développant, dans le projet des conseils,
une égale <i>à faire </i>conscience de l’adversaire à combattre et des
alliés à soutenir. Un aspect important d’une telle lutte s’annonce sous
nos yeux avec l’apparition d’un <i>double pouvoir. </i>Dans les usines,
les bureaux, les rues, les maisons, les casernes, les écoles, s’esquisse
une réalité nouvelle, le mépris des chefs, sous quelque nom et dans
quelque attitude qu’ils aboient. Il faut désormais que ce mépris
atteigne son aboutissement logique en démontrant, par l’initiative
concertée des travailleurs, que les dirigeants ne sont pas seulement
méprisables, mais qu’ils sont inutiles, et qu’on peut, de leur point de
vue même, les liquider impunément.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
15</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’histoire récente ne va pas tarder à se manifester, dans la
conscience des dirigeants comme dans celle des révolutionnaires, sous la
forme d’une alternative qui les concerne les uns et les autres :
l’autogestion généralisée ou le chaos insurrectionnel ; la nouvelle
société d’abondance, ou la désagrégation sociale, le pillage, le
terrorisme, la répression. La lutte dans le double pouvoir est déjà
inséparable d’un tel choix. Notre cohérence exige que la paralysie et la
destruction de tous les modes de gouvernement ne se distingue pas de la
construction des conseils : l’élémentaire prudence de l’adversaire
devrait, en bonne logique, s’accommoder de ce qu’une organisation de
nouveaux rapports quotidiens vînt empêcher l’extension de ce qu’un
spécialiste de la police américaine appelle déjà notre “cauchemar” de
petits commandos d’insurgés surgissant des bouches de métro, tirant des
toits, usant de la mobilité et des ressources infinies de la guerilla
urbaine pour abattre les policiers, liquider les serviteurs de
l’autorité, susciter des émeutes, détruire l’économie. Mais nous n’avons
pas à sauver les dirigeants malgré eux. Qu’il nous suffise de préparer
les conseils et d’assurer leur autodéfense par tous les moyens. Lope de
Vega montre, dans une de ses pièces, comment des villageois, excédés par
les exactions d’un fonctionnaire royal, le mettent à mort et répondent
tous aux magistrats chargés de découvrir le coupable, par le nom du
village « Fuenteovejuna ». La tactique « Fuenteovejuna », dont usent
envers les ingénieurs mal avisés beaucoup de mineurs asturiens, a le
défaut de s’apparenter trop au terrorisme et à la tradition du
watrinage. L’autogestion généralisée sera notre « Fuenteovejuna ». Ce
n’est plus assez qu’une action collective décourage la répression (que
l’on juge de l’impuissance des forces de l’ordre si, lors des
occupations, les employés d’une banque dilapidaient les fonds), il faut
encore qu’elle encourage, dans le même mouvement, le progrès vers une
cohérence révolutionnaire plus grande. Les conseils sont l’ordre face à
la décomposition de l’Etat, contesté dans sa forme par la montée des
nationalismes régionaux, et dans son principe par les revendications
sociales. Aux questions qu’elle se pose, la police ne peut répondre
qu’en estimant le nombre de ses morts. Seuls les conseils apportent une
réponse définitive. Qu’est-ce qui empêche le pillage ? L’organisation de
la distribution et la fin de la marchandise. Qu’est-ce qui empêche le
sabotage de la production ? L’appropriation des machines par la
créativité collective. Qu’est-ce qui empêche les explosions de colère et
de violence ? La fin du prolétariat par la construction collective de
la vie quotidienne. Il n’y a d’autre justification à notre lutte que la
satisfaction immédiate de ce projet ; que ce qui nous satisfait
immédiatement.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
16</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’autogestion généralisée n’a, pour se soutenir, que l’essor de la
liberté vécue par tous. C’est bien assez pour inférer dès maintenant de
la rigueur préalable à son élaboration. Une telle rigueur doit
caractériser dés maintenant les organisations conseillistes
révolutionnaires ; inversement, leur pratique contiendra déjà
l’expérience de la démocratie directe. C’est ce qui va permettre de
serrer de plus près certaines formules. Ainsi, un principe comme
« l’assemblée générale est seule souveraine » signifie aussi que ce qui
échappe au contrôle direct de l’assemblée autonome ressuscite en
médiations toutes les variétés autonomes d’oppression. A travers ses
représentants, c’est l’assemblée toute entière, avec ses tendances, qui
doit être présente à l’instant de décider. Si la destruction de l’Etat
interdit essentiellement que se répète la plaisanterie du Soviet
Suprême, encore faut-il veiller à ce que la simplicité d’organisation
garantisse l’impossibilité d’apparition d’une néo-bureaucratie. Or,
précisément, la richesse des techniques de télécommunications, prétexte
au maintien ou au retour des spécialistes, permet le contrôle permanent
des délégués par la base, la confirmation, la correction ou le désaveu
immédiat de leurs décisions à tous les niveaux. Télex, ordinateurs,
télévisions appartiennent donc incessiblement aux assemblées de base.
Ils réalisent leur ubiquité. Dans la composition d’un conseil - on
distinguera sans doute conseils locaux, urbains, régionaux,
internationaux -, il sera bon que l’assemblée puisse élire et contrôler
une <i>section d’équipement</i>,<i> </i>destinée à recueillir les
demandes en fournitures, à dresser les possibilités de production, à
coordonner ces deux secteurs ; une <i>section d’information</i>,<i> </i>chargée de maintenir une relation constante avec la vie des autres conseils ; une <i>section de coordination</i>,<i> </i>à
qui il incombe, à mesure que les nécessités de la lutte le permettent,
d’enrichir les rapports intersubjectifs, de radicaliser le projet
fouriériste, de prendre en charge les demandes de satisfaction
passionnelle, d’équiper les désirs individuels, d’offrir ce qui est
nécessaire aux expérimentations et aux aventures, d’harmoniser les
disponibilités ludiques de l’organisation des corvées (services de
nettoyage, garde des enfants, éducation, concours de cuisine, etc.) ;
une <i>section d’autodéfense</i>.<i> </i>Chaque section est responsable
devant l’assemblée pleinière ; les délégués, révocables et soumis au
principe de rotation verticale et horizontale, se réunissent et
présentent régulièrement leur rapport.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
17</h3>
<div style="text-align: justify;">
Au système logique de la marchandise, qu’entretient la pratique
aliénée, doit répondre, avec la pratique immédiate qu’elle implique, la
logique sociale des désirs. Les premières mesures révolutionnaires
porteront nécessairement sur la diminution des heures de travail et sur
la réduction la plus large du travail-servitude. Les conseils auront
intérêt à distinguer entre <i>secteurs prioritaires </i>(alimentation,
transports, télécommunications, métallurgie, constructions, habillement,
électronique. imprimerie, armement, médecine, confort et, en général,
l’équipement matériel nécessaire à la transformation permanente des
conditions historiques), <i>secteurs de reconversion</i>,<i> </i>considérés par les travailleurs concernés comme détournables au profit des révolutionnaires, et <i>secteurs parasitaires</i>,<i> </i>dont
les assemblées auront décidé la suppression pure et simple. Evidemment,
les travailleurs des secteurs éliminés (administration, bureaux,
industries du spectacle et de la marchandise pure) préféreront à 8
heures quotidiennes de présence dans un lieu de travail, 3 ou 4 heures
par semaine d’un travail librement choisi par eux parmi les secteurs
prioritaires. Les conseils expérimenteront des formes attractives de
corvées, non pour en dissimuler le caractère pénible, mais pour le
compenser par une organisation ludique, et autant que possible, pour les
éliminer au profit de la créativité (selon le principe « travail non,
jouissance oui »). A mesure que la transformation du monde s’identifiera
avec la construction de la vie, le travail nécessaire disparaîtra dans
le plaisir de l’Histoire pour soi.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
18</h3>
<div style="text-align: justify;">
Affirmer que l’organisation conseilliste de la distribution et de la
production empêche le pillage et la destruction des machines et des
stocks, c’est se placer encore dans la seule perspective de l’anti-Etat.
Ce que le négatif conserve ici de séparations, les conseils, comme
organisation de la société nouvelle, en viendront à bout par une <i>politique collective des désirs</i>.<i> </i>La
fin du salariat est réalisable immédiatement, dès l’instauration des
conseils, dès l’instant précis où la section « équipement et
approvisionnement » de chaque conseil organisera la production et la
distribution en fonction des souhaits de l’assemblée pleinière. C’est
alors qu’en hommage à la meilleure prédiction bolchévik, on pourra
appeler « lénines » les pissotières en or et en argent massif.</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
19</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’autogestion généralisée implique l’extension des conseils. Au
début, les zones de travail seront prises en charge par tes travailleurs
concernés, groupés en conseils. Pour débarrasser les premiers conseils
de leur aspect corporatif, les travailleurs les ouvriront, aussi vite
que possible, à leurs compagnes, aux gens du quartier, aux volontaires
venus des secteurs parasitaires, en sorte qu’ils prennent rapidement la
forme de conseils locaux, fragments de la Commune (soient des unités à
peu près équivalentes numériquement, de 8 à 10 000 personnes ?).</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
20</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’extension interne des conseils doit aller de pair avec leur
extension géographique. Il faut veiller à la parfaite radicalité des
zones libérées, sans l’illusion de Fourier sur le caractère attractif
des premières communes, mais sans sous-estimer la part de séduction que
comporte, une fois débarrassée du mensonge, toute expérience
d’émancipation authentique. L’autodéfense des conseils illustre ainsi la
formule : « la vérité en armes est révolutionnaire ».</div>
<h3 class="spip" style="text-align: justify;">
21</h3>
<div style="text-align: justify;">
L’autogestion généralisée aura un jour prochain son <i>code des possibles</i>,<i> </i>destiné
à liquider la législation répressive et son emprise millénaire.
Peut-être apparaîtra-t-il dans le double pouvoir, avant que soient
anéantis les appareils juridiques et les charognards de la pénalité. Les
nouveaux droits de l’homme (droit pour chacun de vivre à sa guise, de
bâtir sa maison, de participer à toutes les assemblées, de s’armer, de
vivre en nomade, de publier ce qu’il pense - à chacun son journal
mural -, d’aimer sans réserves ; droit de rencontre, droit à
l’équipement matériel nécessaire à la réalisation de ses désirs, droit
de créativité, droit de conquête sur la nature, fin du
temps-marchandise, fin de l’histoire en soi, réalisation de l’art et de
l’imaginaire, etc.) attendent leurs anti-législateurs.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Raoul Vaneigem</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
(1) Le mouvement des occupations d'usines au printemps 1968.<br />
<br />
Source Infokiosques </div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-4045569036987780453.post-59411773278526704562016-11-24T09:59:00.000-08:002016-11-24T09:59:00.596-08:00Le rôle du sujet et de l'objet historiques<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmCFMKxTSlcgty7uW8w1yT-ZVK8YEN4cgaFHi15kzdxcqxqjfjDBaA6zToY5s0t0AlsfV1GWQnfnbjRIBFLP7ywtaHrKZI_9WHwp3q6sBOagjGwyBSoZ9rVgUDxjSUhpAiAbfMPaMx7efF/s1600/tumblr_muh9l6a04S1sj653ao5_r1_1280.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="208" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjmCFMKxTSlcgty7uW8w1yT-ZVK8YEN4cgaFHi15kzdxcqxqjfjDBaA6zToY5s0t0AlsfV1GWQnfnbjRIBFLP7ywtaHrKZI_9WHwp3q6sBOagjGwyBSoZ9rVgUDxjSUhpAiAbfMPaMx7efF/s400/tumblr_muh9l6a04S1sj653ao5_r1_1280.jpg" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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Dans l'univers réifié, l'individu est écrasé par l'univers économique, fruit de sa propre activité. Cela est, <i>mutatis mutandis</i>, aussi vrai pour le capitaliste que pour l'ouvrier. Cet état d'écrasement de l'homme par une pseudo-réalité presque hallucinatoire est reflété par l'oeuvre de Kafka. La prise de conscience historique de la classe ouvrière (la formation de la conscience de classe) est essentiellement une déréification analogue à la désobjectivation qui caractérise la prise de conscience du malade en cours de psychanalyse. La classe ouvrière ayant, au-delà de l'atomisme réificationnel, retrouvé sa propre totalité comme sujet agissant de l'histoire, retrouve en même temps l'identité sujet-objet (classe révolutionnaire-société). A l'état d'écrasement par des forces obscures succède l'action historique consciente et libre. - J. Gabel.</div>
Conseils Ouvriers Contre Capitalhttp://www.blogger.com/profile/09609132055309350891noreply@blogger.com