Ce qui est intéressant avec le Comité pour le maintien de l’emploi en Centre-Bretagne c’est que cela aurait pu être une tentative de dépassement du carcan syndical par la base, une auto-organisation ouvrière qui aurait pu aboutir à une autonomie de classe loin des débilités nationalistes séparatistes des uns ou du jacobinisme outrancier des autres. Mais en ne démarquant pas une ligne de séparation nette entre les intérêts ouvriers et les intérêts des capitalistes, les ouvriers bretons ont marqué par la même les limites d’un contenu social et donc géographique. La faute à qui ? A ces ouvriers mêmes ? On oublie de signaler que parmi ceux-ci il y a tout un panel de positions : des positions de classe oui, jusqu’à ceux qui jouent clairement les larbins de leur patron. La faute à qui alors ? Le mouvement breton trouve ses limites … dans son isolement géographique même : c’est l’ensemble du prolétariat hexagonal et plus qui aurait du faire irruption dans la lutte pour lui donner une dimension de classe réelle. Tandis qu’ailleurs les ouvriers attaquent les bureaux du Medef, assiègent les réunions d’actionnaires, la manifestation de Quimper établissait l’alliance entre les exploiteurs et les exploités.
Ce qui importe ce n’est pas qu’il y avait 20 000 prolétaires à Quimper
et seulement 500 à Carhaix, ce qui importe alors c’est la consolidation
de l’autonomie ouvrière et ses possibilités de perspectives. Je ne suis
certainement pas le seul à avoir participé à des coordinations/liaisons
ouvrières : chacun sait comment ça se passe, mécaniquement, en tant
qu’affirmation de soi pour notre classe, et qu’on y a jamais accepté la
moindre ambigüité. Et il n’y a pas d’autonomie ouvrière lorsque tu
laisses le patronat vampiriser les choses à son intérêt.
Au lieu de cela c’est la confusion générale qui est organisée. « Vivre
et travailler au pays » sonne comme un mauvais slogan publicitaire pour
s’opposer à la fuite des capitaux … étrangers. Qu’en tant que
travailleur on verbalise spontanément la critique de ce capitalisme qui
nous empêche de vivre où l’on veut et nous considère comme de la main
d’œuvre jetable est une chose. Repris en cœur par l'agitation
groupusculaire cela devient une orchestration générale de la confusion
tendant à faire croire que la solution à l’exploitation capitaliste est
le repli régional au pays ou il fait si bon travailler (oui, mais
travailler comment ?). Soigneusement les parasites groupusculaires
entretiennent la confusion, politisant une critique de l’aliénation
capitaliste qui nous empêche de « vivre où l’on veut », la transformant
en une apologie du « travail breton » (survivre et être exploité au pays
?) mauvais parallèle du « produisons français » des jacobins gâteux.
A Quimper le ver était dans le fruit. Et l’a bouffé tout cru. Plus
besoin d’envoyer les matraqueurs policiers, le mouvement s’est fait
matraqué de l’intérieur, insidieusement, car deux messages ne peuvent
cohabiter car l’un des deux parle toujours mieux le langage de la
bourgeoisie médiatique et se présente comme moins subversif en cherchant
un bouc émissaire étranger commode (le politicien parisien, le
bureaucrate européen face au bon patron breton) mais qui ne change rien
au système plutôt que de relayer un discours qui dénonçait à la racine
l’exploitation par l’actionnariat, local ou international. Dans sa
caricature récupérable ce régionalisme social n’a fait qu’alimenter son
pire produit : le jacobinisme sénile d’une partie de la gauche étatiste.
Dans cette optique, créer un pôle ouvrier est une bonne chose, mais
pourquoi le dissoudre aussitôt dans un mouvement d’exploiteurs (l’appel à
rejoindre la manifestation des Bonnets rouges) ? Encore une fois
l’autonomie ouvrière se dissout dès qu’elle s’en remet à un tiers (des
bureaucrates, un patronat) pour régler ses problèmes de classe. Il ne
s’agit donc plus de critiquer une mauvaise direction d’une partie du
mouvement ouvrier breton mais juste de signaler qu’il n’existe pas en
tant que tel et qu’il sera toujours perdant d’une cohabitation avec
d’autres forces sociales forcément antagonistes. On peut alors
claironner ce que l’on veut sur un prétendu « pôle ouvrier », il ne sera
rien sans autonomie, juste une mauvaise caution pour tous ceux qui, des
groupuscules opportunistes au patronat local veulent s’en servir à ses
propres fins. Les premiers pour « exploiter la colère » en termes de
retombées d’adhésion ou autre, les seconds pour mieux façonner leur
chantage à l’emploi.
Les bureaucrates syndicaux n’agissent donc pas contre une dynamique
ouvrière pour la simple raison qu’elle n’existe pas encore. Croire le
contraire c’est affirmer qu’une autonomie de classe s’exprime
entièrement, alors qu’elle le fait aux côtés du patronat et parfois aux
ordres du patronat. Si la diversion existe, elle existe des deux côtés.
D’un côté il y a eu Force ouvrière de l’autre la CGT et d’autres
bureaucraties syndicales. Est-ce à dire que les bons syndicats sont ceux
qui sont d’un côté plutôt que de l’autre ? Que ceux qui sont avec les
20 000 de Quimper n’ont pas d’idées opportunistes derrière la tête ?
Sauf à considérer une union syndicale qui décide à la base on sait bien
que l’ensemble des confédérations n’a pas un fonctionnement démocratique
permettant de connaître les positions de l’ensemble des travailleurs
syndiqués, ou non.
Si la contre-manifestation de Carhaix a rassemblé des écolocrates et
autres étatistes démagogiques il y a avait aussi des ouvriers qui
avaient leurs propres perspectives. Entre la dynamique de la fausse
conscience et l’isolement classiste ils ont choisi un camp plutôt que
l’autre. D’une part car la gauche étatiste et les bureaucraties
syndicales paniquées à l’idée de perdre leur contrôle sur la classe
ouvrière bretonne ont joué la corde « classiste », quitte à se tirer une
balle dans le pied, pour maintenir le contrôle sur une fraction du
prolétariat (dont ils se foutent royalement le reste du temps) d’autre
part parce que l’affrontement direct dans leurs boîtes avec le capital
ne leur permettait pas de s’associer avec leurs exploiteurs dans un
mouvement confus de diversion.
Pour les « gauchistes » la contorsion dialectique se mettait en place :
il ne fallait pas laisser le prolétariat « égaré » de Quimper se laisser
embrigader par le patronat et donc participer au mouvement comme un
poisson dans l’eau (trouble). Que ce soient les bureaucrates, les
patrons ou les « gauchistes », on retrouve toujours le même paternalisme
envers les ouvriers. Tandis que les uns –les bureaucrates- qualifient
les ouvriers bretons de Quimper de « nigauds » les autres s’engouffrent
avec eux dans la grande kermesse médiatique au nom du sempiternel «
coller aux masses », pauvres ouvriers « trompés » jusque dans la
direction même de leur mouvement ? Du haut de leur avant-gardisme
essoufflé certains ne voulaient donc pas laisser le prolétariat aux
mains de la confusion sans comprendre en quoi un certains nombres de
paramètres objectifs agissent pour configurer un mouvement avec toutes
ses limites, et se vautrent alors contradictoirement dans un ouvriérisme
démagogique qui n’est que le reflet de la « prolophobie » des
bureaucrates d’en face, la même méfiance en une classe ouvrière qu’ils
infantilisent en permanence.
On passera sur l’ironie d’organiser le départ d’un « pôle ouvrier » à
partir du site du festival des Vieilles Charrues dont le patron est un
briseur de grève notoire, mais il faudra bien prendre garde à ne pas
confondre « manifestation » et « mouvement social ». Tandis que la
première est un concentré de codes militants publicitaires (avec des
enjeux qui ne regardent que la stratégie d’organisations concurrentes),
le second trouve ses racines dans un mouvement profond fait d’assemblées
générales, de comités d’action et de liaison, de grèves actives, etc.
L’important n’est donc pas qu’il y ait une, quatre, ou dix
manifestations, de « faire du chiffre », vision comptable militante
aliénée, mais en quoi ces manifestations sont l’expression d’une
cohérence minimale pour la classe ouvrière. La manifestation
publicitaire, mécaniquement, parle le langage de la bourgeoisie
médiatique là où à l’inverse nous devons reprendre le sens de la
manifestation pour notre propre classe : traverser les quartiers
ouvriers au lieu des centre villes, rallier des usines entre elles pour
mobiliser et entraîner une dynamique. C’est sur cette base que se
construira une autonomie ouvrière réelle dont la formulation des
objectifs immédiats n’est pas une dualité caricaturale entre la
revendication concrète et la transformation sociale mais bien
l’affirmation d’intérêts de classe universels, contradictoire avec
l’isolement facteur d’échec. En ce sens le caractère concret de cette
lutte fera des ouvriers bretons l’amorce d’un mouvement global de
contestation du capital.
Ici ou là bas, partout, travail contre capital !
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