Les tentatives d’auto-gestion (ou les
moments où celle-ci est apparue comme solution possible) qui se
sont
déroulées durant les événements de mai [1968] ne sont intéressantes que parce
qu’elles constituaient une critique des formes de gestion actuelle
fondée sur une organisation hiérarchisée et fonctionnelle (ou
prétenduement fonctionnelle) mais elles sont insuffisantes et posent le
problème de l’analyse critique de l’auto-gestion, son "remplacement"
dans un cadre plus global et plus radical.
En effet, toute tentative d’auto-gestion qui n’est pas fondée sur
une critique radicale du monde existant ne peut contribuer qu’à le
renforcer en l’aidant à résoudre ses propres contradictions, et par
conséquent, entraîner une adhésion plus grandes de ses victimes,
consentantes. Le monde existant est totalitaire, il tend à englober le
plus de forces et d’énergies possibles, il tend donc à les intégrer,
dans cette perspective l’idéal d’un régime totalitaire est de se faire
gérer par ses propres victimes, ainsi elles deviennent plus que
consentantes…
L’auto-gestion, quand elle est conquise par les masses (par la lutte
ou par la nécessité de la survie) permet à ses masses de faire la
preuve de leurs pouvoir, de s’émanciper.
Mais si ce processus ne met pas en jeu (ne détruit pas) l’idéologie
dominante à laquelle ces masses ont adhéré par la force de la
contrainte, de l’éducation, de l’information et de l’introjection les
valeurs de cette idéologie sont renforcées car alors elles sont
assumées, acceptées comme des réalités et au lieu d’avoir fait la
révolution, on a renforcé la répression, même en détruisant la classe
qui était liée fondamentalement à cette idéologie, et on risque de ne
rien y voir. Car en fait, actuellement, la vie de chaque individu,
quotidiennement, est façonnée plus ou moins complètement par cette
idéologie.
Quand les Assurances Générales Françaises se sont posées le problème
de l’auto-gestion, elles se sont posées un faux problème, c’est le problème de leur disparition qu’elles auraient dû se poser car enfin qu’est-ce que le phénomène du développement des assurances signifie?
Il ne s’agit pas d’auto-gérer n’importe quoi. Naturellement, étant
donné le processus suivi par cette entreprise, il est possible qu’elle
ait pu dépasser la simple autogestion, mais qui posera sans angoisse,
le problème du sens de son métier, de son utilité alors que les
principes sur lesquels l’idéologie dominante repose est celui de la
justification de la vie par le travail.
Et alors, si tout le secteur tertiaire suivait le même processus,
nous nous trouverions avec une auto-gestion de la Survie Organisée
Bureaucratiquement, etc…
Il est évident que toute révolution doit
passer par une critique idéologique de l’ensemble du système auquel
l’idéologie se rapporte et une destruction de cette idéologie. (État,
Travail , Productivité, Famille, Patrie,…). La Révolution est donc le
lieu et le temps privilégié de la critique, la révolte y trouve sa
dimension, sa justification. En dehors de ce temps, la révolte est sans
issue et la critique idéologique reste un discours, mais toutes les
deux restent toujours nécessaires.
Serge BRICIANER
Serge BRICIANER
Extrait d'un article non signé de Serge Bricianer dans ICO N°74 (octobre 1968) numérisé et mis en ligne par LA BATAILLE SOCIALISTE.