dimanche 17 janvier 2016

L'idéologie bureaucratique militante


On renforce le capitalisme lorsqu'on ne critique pas ses manifestations négatives comme le produit de son essence même. La violence publicitaire intrinsèque à la multinationale "Etat islamique" a déjà été analysée sous ses différents aspects ici même. La prétendue exportation [1] du conflit dans les quartiers parisiens aura eu comme effet d'inonder les espaces d'expressions journalistiques ou militants d'une flopée de textes au mieux insipides au pire indigestes. Ce n'est pas notre objectif ici de débattre des événements paramilitaires de l' "Etat islamique", ce qui nous intéresse c'est la façon dont les sphères militantes ont abordé le sujet dans un état d'hystérie ou chacun "tenait" le coupable selon la marotte de sa sainte-chapelle, pour les néo-léninistes fatigués l' "impérialisme", et pour les anarchisants asthmatiques on nous a refait le coup du "fanatisme religieux" ... Devant tant de lucidité la critique marxiste n'a plus qu'à rendre les armes, ou à mourir de rire.
La palme revient bien entendu aux bureaucrates de la principale organisation d'extrême gauche française qui sont les auteurs du texte le plus abject jamais écrit sur la question. On y reviendra.
Les vieilles lunes dogmatiques des chapelles révolutionnaires sont de retour. Mais à travers toutes les interprétations que nous avons épluchées il en ressort ceci principalement : racisme sous-jacent, idéalisme inavoué, mais surtout, à travers tous ces textes emprunts des tics nauséabonds de la science bourgeoise qu'est la géopolitique, il s'agit d'un rationalisme morbide qui prend la place d'un "matérialisme dialectique".
Il peut paraître au premier abord étonnant que les textes les plus lisibles sur le sujet ne proviennent pas des sphères marxistes pourtant chacune persuadée d'être armée de la redoutable dialectique mais qu'ils proviennent des milieux anarchistes. En effet ces derniers, plus habitués à s'intéresser aux questions éthiques fondamentales n'ont pas versé dans le mécanisme rationnel froid, malheureusement pour mieux tomber dans l'interprétation idéaliste du "fanatisme religieux" par la suite.
Disons-le tout de suite, les salopards qui trouvent à s'employer pour les massacres aveugles de la multinationale daech sont véritablement les premiers coupables de leurs actes. Tout le reste, sur l'impérialisme qui les détermine ou le fanatisme qui les habite n'est qu'un baratin qui sert à masquer le vide théorique de la radicalité en carton-pâte. 
Le communiqué, évoqué ci-dessus, d'une organisation d'extrême gauche, titre fièrement sur sa petite trouvaille : "Leurs guerres, nos morts : la barbarie impérialiste engendre celle du terrorisme". Sur le moment on reste interdit : comment une organisation de la gauche radicale, aux ramifications internationales, peut-elle concentrer autant de bêtise en un seul titre ? L'ignorance crasse de ces froids bureaucrates idéologues se cache alors tout au long du communiqué sous un rationalisme morbide tentant de s'habiller des guenilles de l'analyse matérialiste dialectique.
Non, daech, militarisme multinational, n'a pas attendu l'impérialisme occidental pour exister, ses miliciens n'ont pas attendu les "bombardements alliés" pour massacrer les Kurdes, les Yézidis des Mont Sinjar et pour raser Kobane. Daech, son militarisme et son capital transnational, est d'abord d'essence impérialiste. Parce que daech, c'est avant tout du capital, un capital qui s'accroît, qui se valorise et qui utilise pour cela le militarisme. Et les salopards sociopathes qui le servent.
On reste également interdit devant la mécanique d'extériorisation du conflit : le "terrorisme" n'est pas engendré par les terroristes ... mais par les impérialismes. Il faudrait alors nous expliquer pourquoi la quasi-totalité des luttes anti-impérialistes ont toujours refusé les massacres aveugles de civils. L'analyse a-dialectique du communiqué ne peut donc pas saisir la modernité de daech dans ses pratiques militaro-publicitaires, et son utilisation de la violence comme capital, en cela le spectacle-monde intègre la publicité de ce militarisme avec une coopération exemplaire.
Et ce communiqué de continuer en nous expliquant que "cette barbarie [sic] abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l'aviation française en Syrie". On atteint là carrément un sommet de pathologie mentale idéologique en nous apprenant que daech répondrait-là à des bombardements meurtriers. Deux choses. Soit les auteurs de ce pauvre communiqué font allusion aux bombardements des bases de daech par l'aviation française auquel cas je ne vois ce qu'il y a d'aveugle et meurtrier (nous n'avons pas à émettre de jugements de valeurs lorsqu'un militarisme en affronte un autre). Soit, ce que je pense le plus possible, ces bureaucrates évoquent les victimes civils des bombardements impérialistes français, et là on ne peut qu'être navré de constater que ces militants pensent réellement que daech puisse vouloir venger des civils vivant dans leur zones contrôlées alors que la politique de daech est de tuer et terroriser ces mêmes populations. L'impérialisme, dans sa version daech ou française, se moque bien des victimes civiles arabes dans ce conflit. Prêter à daech un intérêt pour "ses" civils est proprement hallucinant, entre ces jihadistes et (par exemple) les khmers rouges c'est le même mépris pathologique de la vie humaine, affirmer le contrainte c'est déjà commencer l'apologie de ces mouvances.
Voir daech comme un mouvement contre-impérialiste c'est d'abord l'expression d'un vide théorique d'une clique de bureaucrates qui, encore un fois, ne nous aura pas épargné l'inévitable "communiqué d'actualité" creux et redondant de la logorrhée post-gauchiste.
Le mécanicisme froid qui nous soutient qu' "une nouvelle fois, les principaux responsables de ce déferlement de violence barbare appellent à l'union nationale" est le même qui a produit des textes comme "Auschwitz ou le Grand alibi" en son temps [2]. Les "principaux responsables" ? Cette barbarie commence donc seulement au Bataclan ? Les massacres du Rojava, Kobane, les monts Sinjar ? Comme nous l'avons déjà dit les sociopathes de daech n"ont pas attendu l'intervention de l'impérialisme français d'une part, et d'autre part "nos morts", en tant qu'internationalistes ce sont également les Kurdes, les Arabes et les Yézidis victimes bien avant le Bataclan des crapules fascisantes des milices daech et de leurs leaders bourgeois du Moyen-Orient. Non la saloperie de daech n'a pas commencé ici en réaction à l'intervention française là-bas, et faire peu de cas des victimes là-bas relèverait plutôt d'un racisme, produit d'un eurocentrisme typique de la gauche française. Dans les confins du monde blanc industriel la vie des populations là-bas a-t-elle si peu de valeur pour ces bureaucrates pour ne pas mériter d'être comptés parmi nos morts (et donc par le même coup invalider la théorie de la responsabilité impérialiste) ? Les compter ferait de leur thèse à la fois une uchronie et une utopie pour une grille de lecture sous-gauchiste à bout de souffle.
Une éthique révolutionnaire existe, ce qui pour des manipulateurs maladifs d'assemblées générales de grèves peut paraître surprenant. Mais c'est un fait, un projet autogestionnaire ne pourra naître sans l'éthique révolutionnaire. Affirmer que les responsables des actes sanguinaires contre des civils ne sont pas responsables de leurs actes revient à tirer la réalité vers une pré-construction idéologique, donc à instrumentaliser les faits pour les coller aux dogmes anti-impérialistes mécaniques et plus largement à un anticapitalisme structuraliste qui ira alimenter la littérature bureaucratique militante auto-satisfaite.
Le mécanicisme adialectique qui infuse dans l'idéologie bureaucratique militante n'est pas seulement le prétexte à une manipulation, il est également là où réside la froideur calculatrice d'un monde-comptable avec lequel nous devons rompre.

[1] Il n'y a pas d'exportation du conflit, ce conflit est latent depuis un certain temps et surtout il est interne à ce pays -la "France"- qui a produit en grande partie ses propres tueurs, il s'agit d'une de premières manifestations spectaculaires de l'implosion sociale par une minorité des exclus du précariat local, qui en d'autres temps auraient pu trouver à s'employer comme briseurs de grève, salopards employés aujourd'hui par la multinationale "Etat islamique".
[2] A vouloir jouer les apprentis matérialistes les déchets ultra-léninistes sont passés à côté de l'analyse de la subjectivité, ce n'est pas la révolution sociale qui changera du jour au lendemain les subjectivités, penser le contraire c'est désarmer le prolétariat face à ses ennemis, "fascistes", "jihadistes", "nazis", "identitaires" ou autres. Penser que la Shoah n'est que le produit du Capital contemporain c'est oublier qu'il y avait des salopards pour participer à la machine exterminatrice, en dehors de la mécanique économique. Ici les bureaucrates que nous incriminons nous refont le même coup de la mécanique historique, le sujet de l'histoire c'est l'économie capitaliste seule. Jamais le marxisme d'origine n'a affirmé une telle énormité.

Lire également :

 Notes sur l’Etat islamique : l’essence de la modernité capitaliste