(Communisme primitif...
traite certes avant tout des sociétés sans classes mais, en miroir en
quelque sorte, il aborde également la
question du rôle historique du capitalisme ; l'idée centrale que j'y
défends est que notre idéal moderne dit (de manière très peu
appropriée) d' « égalité des sexes » est fondamentalement le produit des
structures économiques capitalistes. Je ne reviendrai
pas ici sur cette idée, mais sur une autre question, que j'abordais en
passant, et qu'une récente rencontre lors d'une soirée-débat a ravivée :
je veux parler de la possibilité théorique que l'oppression des femmes
puisse disparaître dans le cadre de la société capitaliste.
À celle-ci, le courant féministe bourgeois (c'est même ce qui le définit) a toujours répondu par l'affirmative : à ses yeux on pouvait, et l'on devait, militer pour la réalisation de « l'égalité des sexes » sans pour autant remettre en cause la propriété privée capitaliste et le travail salarié. Le courant socialiste marxiste, à l'inverse, a toujours cherché à lier le combat pour la fin de la domination masculine à celui pour la fin de la domination capitaliste, les paramètres de cette équation donnant lieu au demeurant à des débats nourris.
Mon À celle-ci, le courant féministe bourgeois (c'est même ce qui le définit) a toujours répondu par l'affirmative : à ses yeux on pouvait, et l'on devait, militer pour la réalisation de « l'égalité des sexes » sans pour autant remettre en cause la propriété privée capitaliste et le travail salarié. Le courant socialiste marxiste, à l'inverse, a toujours cherché à lier le combat pour la fin de la domination masculine à celui pour la fin de la domination capitaliste, les paramètres de cette équation donnant lieu au demeurant à des débats nourris.
Il y a quelques décennies, en particulier dans les années 1960-1970,
s'est développé un courant féministe se revendiquant du
matérialisme, voire du marxisme — quand bien même ses analyses l'ont
parfois amené à s'écarter de celui-ci sur des points fondamentaux. Ce
courant entendait mener l'analyse des mécanismes économiques dans
lesquels s'insère l'oppression des femmes au sein de la société
capitaliste, en particulier l'extorsion de travail gratuit qui s'opère
autour du travail domestique.
Je suis très loin d'avoir lu de manière systématique les écrits des féministes matérialistes et d'en connaître toute la diversité et les nuances. Je voudrais simplement discuter ici d'une idée qui, semble-t-il, est souvent défendue dans ce milieu, selon laquelle l'extorsion de travail gratuit au détriment des femmes constituerait une nécessité économique vitale pour le capitalisme ; autrement dit que le « patriarcat » serait un constituant fondamental et impératif du capitalisme.
Je ne sais pas au juste quelles conclusions exactes celles et ceux qui défendent cette idée en tirent, si toutefois ils et elles en tirent tous les mêmes. Il va de soi que cette thèse les oppose aux féministes bourgeois (mais on peut s'opposer aux féministes bourgeois sans pour autant y adhérer). Indépendamment de ce point, il me semble que leur raisonnement souffre d'une faiblesse logique, sur laquelle je voudrais mettre le doigt dans ce billet.
Je suis très loin d'avoir lu de manière systématique les écrits des féministes matérialistes et d'en connaître toute la diversité et les nuances. Je voudrais simplement discuter ici d'une idée qui, semble-t-il, est souvent défendue dans ce milieu, selon laquelle l'extorsion de travail gratuit au détriment des femmes constituerait une nécessité économique vitale pour le capitalisme ; autrement dit que le « patriarcat » serait un constituant fondamental et impératif du capitalisme.
Je ne sais pas au juste quelles conclusions exactes celles et ceux qui défendent cette idée en tirent, si toutefois ils et elles en tirent tous les mêmes. Il va de soi que cette thèse les oppose aux féministes bourgeois (mais on peut s'opposer aux féministes bourgeois sans pour autant y adhérer). Indépendamment de ce point, il me semble que leur raisonnement souffre d'une faiblesse logique, sur laquelle je voudrais mettre le doigt dans ce billet.
Le travail domestique féminin, une nécessité vitale pour le capitalisme ?
En espérant ne pas trahir les positions de ces féministes matérialistes, il me semble que leur raisonnement s'articule ainsi :
- le
système capitaliste est fondé sur l'exploitation de la force de
travail. Le profit provient de la différence entre la valeur créée
par cette force de travail et le salaire qui lui est versé.
- la force de travail doit être elle-même produite. Pour une
très large part, ce travail de production est effectué dans le cadre
domestique, avec deux caractéristiques fondamentales. a) il incombe aux
femmes b) celles-ci l'effectuent à titre gratuit, ou semi-gratuit —
puisque leur force de travail doit elle-même être reproduite et qu'elles
reçoivent, sous forme d'argent ou
de valeurs d'usage, une partie du salaire de leur mari pour leur
propre subsistance. Cette gratuité, ou semi-gratuité, est la
conséquence du fait que ce travail s'effectue dans le cadre
familial, où la force de travail des femmes n'est pas une
marchandise. Leur production est donc appropriée de droit par le mari
et, par son
intermédiaire, par les capitalistes (la question de savoir si le travail
domestique était ou non créateur de valeur a suscité une discussion
nourrie ; je l'écarte ici). Pour la suite du raisonnement, je propose
d'appeler cette situation « configuration 1 »
- si, en revanche, on se trouvait dans la configuration 2, où le
travail domestique des femmes se voyait rémunéré au taux normal (celui
de la force
de travail vendue comme marchandise), la rémunération globale de la
classe travailleuse
s'en trouverait considérablement augmentée. La valeur globale créée par
son travail restant par définition la même, cela se traduirait
nécessairement par une
considérable diminution des profits, voire par leur disparition.
- La conclusion s'impose : le capitalisme repose de manière immédiate sur l'exploitation de la classe ouvrière (en priorité masculine) et, de manière médiate, sur celle du travail domestique (effectué par les femmes). Le patriarcat est donc pour le capitalisme une nécessité vitale, qui plonge ses racines dans les contraintes économiques qui pèsent sur ce système.
Or, ce raisonnement me paraît prêter le flanc à au moins deux objections
majeures. Sans doute ont-elles déjà été émises de nombreuses fois, mais
je le répète, je suis très loin d'être familier de l'immense
littérature sur ce sujet. Je procéderai, comme disent les physiciens
lorsqu'ils échafaudent une expérience impossible à réaliser en
laboratoire, à deux expériences de pensée, en faisant à chaque fois
varier un paramètre du raisonnement indépendamment de l'autre. Dans la
première, je supposerai que le travail domestique reste gratuit, mais
que le sexe de ceux (celles ?) qui le fournissent se modifie. Dans la
seconde, indépendamment du sexe des travailleurs concernés, je
supposerai que le travail domestique devienne rémunéré.
Argument n°1 : l'indifférence au sexe
Commençons donc par supposer que le travail domestique gratuit soit pour
le capitalisme une condition vitale de sa pérennité et qu'on reste
ainsi dans le cadre de la configuration 1. On ne voit cependant pas en
quoi le fait que ce travail domestique échoie aux femmes plutôt qu'aux
hommes, ou aux deux sexes à parts égales, changerait quoi que ce soit à
la rentabilité du capital. Si la « déféminisation » (pardon pour ce
néologisme) du travail domestique se heurte à tant d'obstacles, ceux-ci
relèvent de l'histoire et des pratiques sociales mais, a priori,
nullement du taux de profit. Si quelque chose devait importer au
capital, ce serait que la force de travail soit produite gratuitement et
qu'il puisse ensuite l'exploiter librement. Le sexe des producteurs de
la force de travail, pour sa part, lui indifférerait tout autant que,
par exemple, leur couleur de peau.
À cela, certains objecteraient peut-être que si le travail domestique était accompli à parts égales par les femmes et les hommes, alors il ne pèserait plus à la baisse sur les salaires féminins comme il le fait aujourd'hui ; ceux-ci seraient alors enclins à rattraper ceux des hommes. Pour être indirect, l'impact de la « désexualisation » du travail domestique sur la rentabilité du capital serait néanmoins tout à fait réel. On glisserait alors nécessairement de la configuration 1 vers une configuration 1bis, où le travail domestique resterait gratuit, mais son « asexualisation » (re-pardon) entraînerait néanmoins une hausse globale de la rémunération des salariés.
Or, ce raisonnement, qu'il se présente sous sa forme radicale (configuration 2) ou atténuée (configuration 1bis) repose sur une hypothèse implicite tout à fait contestable.
À cela, certains objecteraient peut-être que si le travail domestique était accompli à parts égales par les femmes et les hommes, alors il ne pèserait plus à la baisse sur les salaires féminins comme il le fait aujourd'hui ; ceux-ci seraient alors enclins à rattraper ceux des hommes. Pour être indirect, l'impact de la « désexualisation » du travail domestique sur la rentabilité du capital serait néanmoins tout à fait réel. On glisserait alors nécessairement de la configuration 1 vers une configuration 1bis, où le travail domestique resterait gratuit, mais son « asexualisation » (re-pardon) entraînerait néanmoins une hausse globale de la rémunération des salariés.
Or, ce raisonnement, qu'il se présente sous sa forme radicale (configuration 2) ou atténuée (configuration 1bis) repose sur une hypothèse implicite tout à fait contestable.
Argument n°2 : peut-on raisonner « toutes choses égales par ailleurs » ?
Cette hypothèse, c'est celle selon laquelle en cas de changement de
configuration, d'autres grandeurs économiques, en particulier le salaire
masculin, resteraient nécessairement constantes. Il est évident qu'à
travail fourni égal, si la masse salariale féminine croît (hypothèse
explicite) et que la masse salariale masculine reste stable (hypothèse
implicite), seuls les profits peuvent servir de variable d'ajustement —
et c'est le même mode de raisonnement qui est à l'oeuvre dans la
configuration 1bis. On « démontre » alors que la salarisation du travail domestique porterait directement atteinte aux intérêts du capital.
Mais la démonstration est illusoire, car en réalité, aucune espèce de « loi d'airain » n'obligerait le capital à verser le même salaire aux hommes après que le travail domestique des femmes est devenu rémunéré. Si, dans la configuration 1, le revenu global de la classe ouvrière, masculine et féminine, était égal à un certain montant, rien n'empêcherait ce montant de rester strictement inchangé dans la configuration 2 ; le salaire masculin, qui ne servirait alors plus alors à rémunérer indirectement le travail domestique des femmes, baisserait dans la même proportion que monterait la rémunération féminine. Au final, le passage de la configuration 1 à la configuration 2 modifierait considérablement la situation des sexes au sein de la classe travailleuse ; mais pour la classe capitaliste, elle serait totalement neutre.
Pour pousser l'argument, on ne peut pas non plus écarter la possibilité que la baisse du salaire masculin fasse plus que compenser la rémunération accrue du travail domestique féminin, et que la salarisation du travail domestique se traduise par un repartage global de la richesse en faveur de la classe capitaliste.
Si l'on ne peut privilégier, ou éliminer, aucune de ces hypothèses, c'est pour une raison simple, située au cœur des enseignements de Marx : les termes du partage de la richesse entre salaires et profits ne sont fixés par aucune loi économique immanente. Ils sont le résultat de la lutte des classes, c'est-à-dire d'un pur rapport de forces. Et si les travailleurs peuvent éventuellement imposer que le travail féminin (domestique ou non) soit rémunéré à hauteur du travail masculin, les capitalistes s'emploient pour leur part à diminuer l'une comme l'autre de ces rémunérations.
Ajoutons que la marchandisation et la salarisation du travail domestique n'aurait aucune raison de voir son impact limité aux seuls salaires. En transformant la préparation des repas ou les tâches ménagères en marchandises, matérielles ou non, produites par des salariés, le capital y bouleverserait infailliblement les conditions de production et donc la productivité — il n'est qu'à voir ce qui s'est passé avec les vêtements, auparavant fabriqués par les femmes dans le cadre familial, ou même avec la nourriture préparée industriellement. Il trouverait là de nouveau champs d'accumulation, de nouveaux salariés à exploiter et de nouvelles marchandises à vendre. Il parait alors d'autant plus difficile d'anticiper les conséquences de ces évolutions sur le taux moyen de profit.
Mais la démonstration est illusoire, car en réalité, aucune espèce de « loi d'airain » n'obligerait le capital à verser le même salaire aux hommes après que le travail domestique des femmes est devenu rémunéré. Si, dans la configuration 1, le revenu global de la classe ouvrière, masculine et féminine, était égal à un certain montant, rien n'empêcherait ce montant de rester strictement inchangé dans la configuration 2 ; le salaire masculin, qui ne servirait alors plus alors à rémunérer indirectement le travail domestique des femmes, baisserait dans la même proportion que monterait la rémunération féminine. Au final, le passage de la configuration 1 à la configuration 2 modifierait considérablement la situation des sexes au sein de la classe travailleuse ; mais pour la classe capitaliste, elle serait totalement neutre.
Pour pousser l'argument, on ne peut pas non plus écarter la possibilité que la baisse du salaire masculin fasse plus que compenser la rémunération accrue du travail domestique féminin, et que la salarisation du travail domestique se traduise par un repartage global de la richesse en faveur de la classe capitaliste.
Si l'on ne peut privilégier, ou éliminer, aucune de ces hypothèses, c'est pour une raison simple, située au cœur des enseignements de Marx : les termes du partage de la richesse entre salaires et profits ne sont fixés par aucune loi économique immanente. Ils sont le résultat de la lutte des classes, c'est-à-dire d'un pur rapport de forces. Et si les travailleurs peuvent éventuellement imposer que le travail féminin (domestique ou non) soit rémunéré à hauteur du travail masculin, les capitalistes s'emploient pour leur part à diminuer l'une comme l'autre de ces rémunérations.
Ajoutons que la marchandisation et la salarisation du travail domestique n'aurait aucune raison de voir son impact limité aux seuls salaires. En transformant la préparation des repas ou les tâches ménagères en marchandises, matérielles ou non, produites par des salariés, le capital y bouleverserait infailliblement les conditions de production et donc la productivité — il n'est qu'à voir ce qui s'est passé avec les vêtements, auparavant fabriqués par les femmes dans le cadre familial, ou même avec la nourriture préparée industriellement. Il trouverait là de nouveau champs d'accumulation, de nouveaux salariés à exploiter et de nouvelles marchandises à vendre. Il parait alors d'autant plus difficile d'anticiper les conséquences de ces évolutions sur le taux moyen de profit.