Si beaucoup s’accordent aujourd’hui à voir dans sa composante
ouvrière un des traits caractérisant la révolution iranienne, rares sont
ceux qui soulignent la signification originale de la brève période de
vie des conseils ouvriers, de 1979 à 1981. Bricianer rattache ce mouvement à
l’idée moderne de conseil ouvriers. Non pas en tant que fétichisme
organisationnel, mais en tant que principe d’émancipation sociale
moderne. Transformer ces organisations de base unitaires à vocation de
double pouvoir en organismes consultatifs régis par la représentativité
bourgeoise fut, depuis toujours, la tâche des forces marxistes,
social-démocrates et léninistes. Comme le souligne Bricianer, cette
fois-ci, en Iran, les religieux prirent le relais.
Il ne faut pas chercher dans cet ouvrage une description détaillée de
la révolution iranienne et de son déroulement. Les faits et les
évènements n’intéressent Serge Bricianer que dans la mesure où il peut
en dégager les tendances générales du mouvement, le situer
historiquement. C’est pourquoi il s’attache tout d’abord à montrer
comment, en Iran, les contradictions du développement économique
capitaliste avaient été à même de transformer des forces religieuses en
forces sociales et politiques. Il expose ainsi les éléments constitutifs
de la situation qui permettent de comprendre le cadre général dans
lequel l’explosion sociale avait eu lieu.
« La parenthèse coloniale refermée dans le sang, écrit Serge
Bricianer, les États islamiques d’aujourd’hui, dominés par des pouvoirs
militaires et des conglomérats financiers, affairistes, prenant appui
sur une millénaire tradition de soumission religieuse et sur des
bureaucraties corrompues, vivent de la part que l’impérialisme leur
concède soit directement (rente pétrolière, par exemple), soit
indirectement par allocations de crédits grevés de lourds intérêts. D’où
avec l’irrépressible croissance démographique, l’urbanisation sauvage,
la pénétration des mœurs et des valeurs occidentales, sans parler des
effets de la crise mondiale sur des sociétés peu capitalisées, à
technologie souvent archaïque, l’apparition de situations sociales
explosives, et, à situations extrêmes, idées et conduites extrêmes
qu’une répression féroce parvient seule à endiguer. Et l’Occident affolé
de faire de l’islam une religion de fanatisme alors que, tout au long
des siècles, il a prêché la soumission absolue à Dieu, au prince, au pater familias, les valeurs de la patience et de la docilité. »
Serge Bricianer (1923-1997) est passé par quelques-unes des nuances qui vont du noir au rouge vif. Il a collaboré à Socialisme ou barbarie et à Informations et correspondance ouvrière (ICO). Il est l’auteur de Pannekoek et les conseils ouvriers, Edi, 1969, et de Karl Korsch, marxisme et contre-révolution, Seuil, 1975.
Serge Bricianer Une étincelle dans la nuit – Sur la révolution iranienne 1978-1979 ISBN : 978-2-911917-48-6 2002, 6 euros