Dans notre série d'articles contre le nationalisme sous toutes ses formes (localisme, protectionnisme, séparatiste, ...) nous proposons ici un article provenant de la publication Révolution Internationale du 6 juin 2012.
Avec l’approfondissement de la crise du capitalisme, le nationalisme
le plus exacerbé s’étale dans les colonnes des journaux et devant les
caméras de télévision. Les prétendues digues idéologiques qui
séparaient, paraît-il, l’extrême-droite du “camp républicain” ont depuis
bien longtemps volé en éclats. Il suffit pour s’en convaincre de se
remémorer la xénophobie ouvertement affichée par le gouvernement de
Nicolas Sarkozy, la traque infâme des Roms ou le populisme décomplexé du
Front national. Mais le nationalisme sait adopter de nombreuses formes,
beaucoup plus subtiles et pernicieuses. Ainsi, l’ensemble de l’appareil
politique bourgeois, y compris l’extrême-gauche, participe à diffuser
le poison de la division nationale, fondement de la concurrence
capitaliste qui est diamétralement et irréductiblement opposé au
terrain, au point de vue internationaliste, aux intérêts et à la
conscience que notre classe, le prolétariat, doit affirmer pour
développer ses luttes et renverser ce système d’exploitation.
Faut-il “protéger” les frontières contre l’immigration pour sauver les emplois ?
Point de vue nationaliste
La
lutte contre l’immigration économique est un thème central du discours
de la bourgeoisie et pas seulement de l’extrême-droite, toutes les
fractions politiques au gouvernement, de gauche comme de droite,
reprennent cette rhétorique à leur compte. C’est le sens des mesures
anti-immigrées adoptées par les gouvernements, de gauche comme de
droite, dans tous les pays à commencer par les plus développés qui
dressent un rideau administratif, policier, judiciaire allant de
l’espace Schengen en Europe à la construction de murs aux frontières des
Etats-Unis : limitation de la durée des séjours, expulsions par
charters ou reconductions massives, harcèlements juridiques, traque
policière, patrouilles navales et aériennes aux frontières, camps de
rétention face à l’exode de populations fuyant la misère ou la guerre,
etc. L’argument peut se résumer dans la célèbre formule du Front
national en France : “3 millions de chômeurs, ce sont 3 millions
d’immigrés de trop.” Ainsi, si ça va mal, s’il y a trop de
licenciements, s’il y a trop de chômeurs dans le pays, “expulsons les immigrés, interdisons leur l’accès au territoire”
pour que les travailleurs nationaux puissent occuper les emplois
vacants. Si la protection sociale baisse, s’il y a trop de déficits,
c’est à cause de ces “étrangers”, qui “profitent” des largesses du
système social !
Point de vue internationaliste
Historiquement,
la classe ouvrière est une classe d’immigrés, contraints de vendre
n’importe où leur force de travail et l’immigration est un élément
essentiel du développement du mouvement ouvrier sous le capitalisme 1.
Dès le xiv siècle, la bourgeoisie britannique a déplacé des masses de
paysans, souvent irlandais, pour les enrôler comme main-d’œuvre dans les
premières manufactures. A partir du xviiiee siècle, lorsque le problème
de la surproduction apparaît, l’immigration s’étend par-delà les
frontières nationales et se massifie progressivement. “Les crises cycliques de surproduction qui frappent l’Europe capitaliste dès le milieu du xixe
siècle vont contraindre des millions de prolétaires à fuir le chômage
et la famine en s’exilant vers les “nouveaux mondes”. Entre 1848 et
1914, ce sont 50 millions de travailleurs européens qui vont quitter le
vieux continent pour aller vendre leur force de travail dans ces
régions, notamment en Amérique.
De la même façon que l’Angleterre du xvie
siècle a pu permettre le développement du capitalisme grâce à
l’immigration intérieure, la première puissance capitaliste mondiale,
les Etats-Unis, se constituera grâce à l’afflux de dizaines de millions
d’immigrés venus d’Europe (notamment d’Irlande, de Grande-Bretagne,
d’Allemagne, des pays d’Europe du Nord).” 2
C’est
au xx siècle, avec le déclin du capitalisme, que les flux migratoires
ralentissent et que les Etats se dotent d’outils pour lutter contre
l’immigration. La bourgeoisie s’appuie sur le fatras idéologique des
thèmes anti-immigrés pour désigner des boucs émissaires alors qu’en
réalité, s’il y a du chômage, c’est précisément parce que les pays
développés ne sont plus en mesure d’intégrer économiquement de nouveaux
prolétaires sur le marché du travail, en particulier les jeunes. En
fait, le capitalisme, parce qu’il est en crise, n’est pas capable de
fournir du travail non seulement à la main-d’œuvre immigrée mais à tous
les prolétaires.
Faut-il “produire et acheter français” pour échapper à la crise ?
Point de vue nationaliste
L’idée
de consommer préférentiellement la production nationale est le cheval
de bataille idéologique des partis politiques bourgeois. Lors de la
précédente campagne électorale, pas moins de trois des principaux
candidats, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, ont
ouvertement prôné de repousser ou de surtaxer les marchandises
étrangères qui viendraient étrangler la compétitivité nationale ou
exercer une pression déloyale car produites par une main d’œuvre payée à
coups de lance-pierre. L’objectif est de favoriser les entreprises
nationales contre la concurrence étrangère afin de “protéger les
emplois”.
Point de vue internationaliste
Si
le protectionnisme ne fonctionne pas, c’est parce que le marché
capitaliste est mondial. Des mesures protectionnistes qu’ont pu prendre
certains Etats, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, n’ont eu de
validité qu’à une époque où elles pouvaient s’appuyer sur un marché
extra-capitaliste paysan ou artisanal suffisamment conséquent et
n’avaient jamais qu’une durée limitée. Après le début du xxee siècle,
ces mesures se sont avérées souvent désastreuses pour les économies
nationales. Les mesures prises par l’Allemagne, censées lui permettre de
vivre en autarcie, n’ont fait qu’aggraver démesurément la crise
mondiale. Leur principal résultat a été la contraction ou la fermeture
des marchés internationaux et l’augmentation du coût des marchandises
dans les pays où était pratiquée la fermeture économique des frontières.
C’est pour cette raison que la bourgeoisie a essayé de freiner les
tentations protectionnistes qui n’ont cessé de se manifester depuis les
premiers signes de la crise actuelle dont l’origine remonte à la fin des
années 1960.
Accepter de “se serrer la ceinture” pour favoriser la compétitivité nationale ?
Point de vue nationaliste
La
défense de la compétitivité est également un grand classique pour
l’argumentation nationaliste. Le message est revenu en force avec la
crise économique qui est expliquée d’un point de vue national : si le
pays est en crise, c’est à cause de la faiblesse de la compétitivité
française par exemple, c’est-à-dire à cause du coût trop élevé des
marchandises produites en France par rapport à celui des autres pays,
comme l’Allemagne, la Chine ou les Etats-Unis. Ainsi, les travailleurs
devraient patriotiquement accepter de diminuer leur salaire et baisser
toujours plus leur niveau de vie pour faciliter la vente des
marchandises nationales à l’étranger. C’est une logique assez voisine
qui s’est exprimée récemment par la mise en avant de différents
“coupables” à l’ampleur de la dette souveraine des Etats ainsi menacés
de faillite : “C’est la faute aux Grecs” qui ont profité des largesses
de l’Europe pour vivre au-dessus de leurs moyens et n’ont pas “payé
leurs impôts”, dont les fonctionnaires “sont payés à ne rien faire”,
etc. Ou encore, les autres nations n’ont pas à payer les “erreurs de
gestion ou le gaspillage des Grecs...”. A l’inverse, côté Grec, la
source des maux qui accablent ce pays serait “la pression de l’Europe”
ou des banques centrales (FMI, Banque mondiale)...
Point de vue internationaliste
En
fait, les explications avancées par la bourgeoisie pour justifier les
plans de rigueur ou d’austérité au nom de la compétitivité sont
grossièrement mensongères : plus les exploités acceptent de “se serrer
la ceinture”, plus on leur demande et on leur demandera des
“sacrifices”. Cette course sans fin à la productivité a déjà fait ses
preuves. Hier, l’Irlande, le “tigre celtique”, était porté aux nues pour
l’exemplarité des ouvriers gaéliques qui avaient courageusement accepté
les sacrifices… jusqu’à ce que l’Irlande soit ébranlée par la récession
et le chômage. De même avec l’Espagne ou le Portugal. Aujourd’hui,
c’est l’Allemagne qui fait figure de parangon mais, déjà, le “modèle
allemand” se fissure de toute part, comme le Royaume-Uni et il y a
quelques années etc. En fait, la racine de la crise réside dans la
surproduction généralisée de marchandises face à laquelle la restriction
des coûts salariaux ne peut être que totalement impuissante au niveau
du capital global.
Les solutions nationalistes avancées par la
bourgeoisie de tous les pays sont des leurres lancés à la face du
prolétariat pour le diviser et le détourner de la claire compréhension
que le capitalisme est un système en faillite. L’identification “du
peuple”, des “citoyens” à leur Etat, à leur gouvernement, à leur
entreprise ne sert qu’à faire écran à une véritable compréhension des
enjeux de la situation historique mondiale, empoisonne la conscience des
prolétaires de leur responsabilité historique pour abattre le système.
Les
prolétaires n’ont pas à faire cause commune avec leurs exploiteurs
mais, au contraire, ils doivent mener la lutte contre eux en s’unissant,
se solidarisant par delà les frontières.
Rien ne peut sauver le
capitalisme. Cette guerre de tous contre tous et cette concurrence
permanente à travers lesquelles toutes les bourgeoisies, tous les Etats
tentent de nous dresser le uns contre les autres est à l’opposé de notre
perspective. La bourgeoisie distille partout le poison du nationalisme
économique afin de démolir la conscience d’appartenir à une même classe
internationale qui n’a rien à gagner à soutenir les vieilles recettes
chauvines, fondement de ce système et de ses contradictions. Alors que
la solidarité internationale à l’œuvre dans la lutte des travailleurs,
dans nos combats de classe, nous grandit, élève notre conscience en
mettant en avant la perspective d’une société édifiée collectivement à
partir des besoins réels de l’humanité, sur d’autres rapports humains,
capables d’offrir la seule issue possible à l’humanité face au gouffre
de misère et de barbarie dans lequel l’entraîne l’impasse avérée du
capitalisme. Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous
les pays, unissons-nous !
V. (25 mai)
1 Voir RI no 206 et fr.internationalism.org/ri369/immigration.htm