Dans le cadre des élections européennes de 2014,
le Front de Gauche, et en particulier le Parti de Gauche, bien loin
d’utiliser la tribune que sont les élections pour mettre en avant les
intérêts communs de la classe ouvrière en Europe, et au-delà du monde
entier, mène une campagne marqué par le chauvinisme et le nationalisme
français.
En effet, lors de cette campagne, le principal mot d’ordre du Parti
de Gauche est « Non à l’Europe américaine ». Le slogan n’est pas
nouveau, cela fait au moins un an que le PG l’utilise. Il n’est pas
nouveau non plus que ce parti se complaise dans le nationalisme et le
chauvinisme. Mais cette fois, sous prétexte de dénoncer le « Grand
Marché Transatlantique », c’est devenu le principal thème de campagne du
PG.
Il est bien clair que la mise en place, par les gouvernements et les
capitalistes d’Europe et d’Amérique, d’un grand marché ne pourrait se
faire que dans l’intérêt des bourgeois. Pas que des bourgeois américains
d’ailleurs, mais aussi des bourgeois européens, et en particulier des
bourgeois français. Les actionnaires de Véolia par exemple rêvent de
s’emparer du marché de l’eau aux Etats-Unis, secteur aujourd’hui
largement nationalisé. Toute la rhétorique du Parti de Gauche, avec les
affiches « non à l’Europe américaine », les clips ridicules des
« brigades de poulets anti-Grand Marché Translatlantique », conduits par
une « bonne paysanne bien de chez nous » affublée de bleu-blanc-rouge,
vise à opposer non pas les prolétaires aux bourgeois, mais les
« Français », voir les Européens, aux Américains. Selon les déclarations
de Mélenchon et les textes du Parti de Gauche d’ailleurs, ce grand
marché conduirait à transformer les pays européens... en colonies
américaines. A entendre les déclarations du PG, la France ne serait pas
une des principales puissances impérialistes, et on se souvient des
déclarations de Mélenchon pour soutenir l’intervention militaire
française au Mali, les ventes d’armes françaises à travers le monde ou
même la dissuasion nucléaire « made in France ». Comme bien souvent,
l’antiaméricanisme dans la « gauche de la gauche » conduit à la défense
de l’impérialisme français.
Et à Besançon, un meeting du Front de Gauche s’est fait sur le thème
« Non à l’Europe allemande »... bref, il s’agit de dénoncer le caractère
« allemand » ou « américain » de l’Union Européenne, plutôt que sa
nature capitaliste. De tels slogans semblent ignorer aussi que la France
n’a pas attendu l’Union Européenne pour qu’y soit instauré le système
capitaliste, qu’Union Européenne ou pas, la bourgeoisie ne connaît comme
seule limite à l’exploitation que la résistance de la classe ouvrière.
A entendre certains discours des nationalistes de gauche, on pourrait
croire qu’il serait pire de subir le capital allemand ou américain que
de subir le capital français. Chez PSA ou Renault, « fleurons de
l’industrie française », ce sont les mêmes attaques, les mêmes plans de
licenciements que chez ArcelorMittal, General Motors, Volkswagen ou
Toyota. Des capitalistes « bien de chez nous », comme la famille
Peugeot, Bettencourt ou Pinault n’ont jamais eu besoin de la « main de
l’étranger », venue d’Allemagne ou des Etats-Unis, pour exploiter la
classe ouvrière. Etre licencié par Pinault quand on travaille à La
Redoute ou par Taylor quand on bosse pour Goodyear, ne change pas grand
chose. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est que par la capacité de
résistance et de lutte des travailleurs que l’on parvient à s’opposer
aux licenciements ou du moins à imposer une indemnité de licenciement
supérieur à l’indemnité légale. Bref, pour nous les travailleurs et les
travailleuses, la nationalité de nos patrons importe peu, la seule
question pour nous est de construire un rapport de force en notre faveur
que nous bossions pour un patron américain, indien, japonais ou
berrichon.
Et construire ce rapport de force implique, surtout lorsque l’on
travaille dans une multinationale, de tisser des liens et de lutter avec
nos collègues des autres pays. Ce n’est pas une utopie. Dès les débuts
du mouvement ouvrier, les travailleurs se sont organisés, avec la
Première Internationale, à une échelle mondiale. Aujourd’hui, on a pu
voir des travailleurs des sites Amazon d’Allemagne venir soutenir leurs
collègues en lutte pour des revendications similaires tant aux
Etats-Unis qu’en France. Le 15 mai, les travailleurs de la restauration
rapide, et en particulier ceux de Mac Donald’s, se sont mis en grève et
ont manifesté dans 150 villes aux Etats-Unis alors que des actions ont
été organisées par leurs collègues en Inde, au Pakistan, au Maroc ou en
Suisse. On pourrait multiplier les exemples qui vont dans ce sens, et
qui reprennent finalement la conclusion plus que jamais d’actualité du
« Manifeste Communiste » : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».
Ce qui est vrai au niveau d’un groupe l’est d’autant plus au niveau
des revendications de l’ensemble de la classe ouvrière. Le 1er Mai,
Journée Internationale des Travailleurs, était à l’origine une journée
de grèves et de manifestations à l’échelle mondiale pour imposer les 8
heures au patronat. Or, la propagande du Parti de Gauche, désigne comme
responsables des attaques que nous subissons non seulement les « mauvais
capitalistes », Allemands ou Américains (laissant entendre que les
capitalistes français seraient « moins pires »), mais toute la société
allemande ou américaine.
Ainsi, dans sa brochure « Contributions sur l’Allemagne »,
Mélenchon a beau feindre de dénoncer la politique anti-ouvrière que
subissent les travailleurs allemands et affirmer sa solidarité avec Die
Linke (l’équivalent du Front de Gauche en Allemagne), des chapitres
entiers opposent la France et l’Allemagne. On peut même y lire :
« Aujourd’hui, la politique européenne est exclusivement calculée pour
répondre aux intérêts de la population vieillissante de l’Allemagne ».
Ce ne sont donc pas seulement les capitalistes et gouvernements
allemands qui y sont dénoncés, mais « la population vieillissante »,
population qui, en Allemagne comme dans les autres pays, est composée
majoritairement de prolétaires. Les responsables des politiques
d’austérité en Europe seraient-ils donc les ouvriers, employés et autres
travailleurs en retraite d’Allemagne ? Si c’est le cas, il faut alors
tourner le dos à la perspective d’une lutte commune, des deux côtés du
Rhin comme ailleurs en Europe, pour imposer un âge européen de départ à
la retraite à 60 voire 55 ans avec des pensions de retraite décentes !
Dénoncer le nationalisme, fut-il de gauche, n’est pas seulement
défendre des principes, c’est surtout défendre une perspective qui peut
nous permettre de construire un rapport de force favorable à la classe
ouvrière face à la bourgeoisie. Depuis ses origines, le capitalisme
s’est imposé comme mode de production mondial, créant, en se
développant, une classe ouvrière mondiale. Le protectionnisme, le repli
national entre des frontières, n’a jamais servi les intérêts de la
classe ouvrière. Les ouvriers de Grande-Bretagne subissent des attaques
similaires à celles que nous subissons en France, même si la bourgeoisie
britannique a préféré conserver la Livre Sterling que de passer à
l’euro. En Turquie, le fait que la perspective d’une intégration
européenne ne soit plus à l’ordre du jour, n’a pas empêché les attaques
du gouvernement contre la classe ouvrière. En Russie, la politique
nationaliste de Poutine n’empêche pas la paupérisation des travailleurs
et des retraités...
Les dirigeants ont toujours joué le « diviser pour mieux régner »...
et les exploités ne peuvent gagner que grâce au principe inverse
« L’union fait la force ». Face aux politiques d’austérité européennes,
notre force c’est de nous battre à l’échelle du continent, à l’échelle
de groupes comme Peugeot, Renault, General Motors, Mac Donald’s, Casino
ou Amazon, de mener un combat commun. Partout dans le monde, c’est la
même lutte qui oppose le travail au capital, la classe productrice des
richesses à celle qui possède les moyens de production, bref le
prolétariat et la bourgeoisie. Le véritable antagonisme traverse chaque
pays et chaque continent et oppose les travailleurs au patronat. Tout
comme à l’échelle d’une boîte la division entre intérimaires et ouvriers
en CDI ne peut que renforcer le pouvoir du patron, tout comme à
l’échelle d’un pays, le racisme, le sexisme, l’homophobie et autres
idéologies de division renforcent actionnaires et politiciens à leurs
services, les discours nationalistes nous divisent à l’échelle mondiale.
Nos ennemis ce sont ceux qui nous exploitent et les politiciens à leur
service, pas nos sœurs et frères de classe d’Allemagne, d’Amérique ou de
toute autre région du monde.
Prolétaires de France ou d’Allemagne, d’Europe ou d’Amérique, bref,
prolétaires de tous les pays, nous subissons un même système
d’exploitation, un système que nous pouvons renverser en nous unissant
par delà les mers et les frontières. Et que vive une Europe, un monde
même, débarrassée des frontières, des nations et des patrons !