I. Moment décisif dans le développement de l’URSS de ces dernières années.
Quiconque a suivi attentivement la situation de 
l’URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y 
ont été réalisées ces derniers temps : l’interdiction de l’avortement, 
1’introduction de nouveaux grades dans l’armée, de nouveaux règlements 
scolaires autoritaires, et bien d’autres règlements.
Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur 
le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu’on se 
donne la peine d’y voir la conséquence de raisons plus profondes, et 
dont l’origine plonge dans le domaine de l’économie. S’il est vrai que 
des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d’une 
société présupposent des modifications analogues dans l’économie, on 
devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels 
déplacements de forces en URSS. En fait, rien n’est plus facile à 
démontrer.
Toute la série de nouveaux règlements qu’on a pu 
constater ces dernières années ne s’expliquent autrement que par un 
déplacement substantiel et même principiel des rapports de forces.
Il suffira pour cela de rappeler le discours, en 
son temps célèbre, que Staline prononça en juin 1931 devant une 
assemblée d’économistes russes sur les six conditions ou changements. La
 presse du Komintern a considéré le discours comme étant d’une portée 
historique et n’a pas dit en ce cas un seul mot de trop. Jamais homme 
politique n’a rompu si radicalement avec l’ancien cours suivi 
jusqu’alors que Staline en 1931. Il demandait alors la suppression de 
l’égalité relative des salaires ouvriers, stigmatisait cette égalité 
comme une « creuse égalisation » et exigeait l’introduction d’un nouveau
 système de salaires. Il demandait en plus la suppression de la 
direction collective des entreprises et leur remplacement par une 
direction personnelle d’un fonctionnaire responsable uniquement devant 
l’Etat.
Cependant le point essentiel résidait sans doute 
dans l’annonce que dorénavant les entreprises devraient travailler 
d’après le principe de la rentabilité. Le discours fut suivi 
immédiatement par une série de décrets qui ont donné à ces formulations 
de Staline force de loi. Plus de 30 échelons de salaires furent créés, 
et les différences s’échelonnèrent entre 100 et 1000 roubles par mois. 
Le droit des ouvriers d’avoir un certain regard dans le fonctionnement 
de l’entreprise fut réduit à zéro et les directeurs « rouges » devinrent
 des bureaucrates dans leur domaine. Pour la réalisation de la 
rentabilité, ils reçurent les pouvoirs nécessaires. Une rationalisation 
du mode du travail eut lieu qui provoqua une course effrénée pour des 
hauts salaires.
Pour les staliniens des pays autres que l’URSS, le 
travail à la tâche c’était de l’assassinat, mais en URSS, ils prisaient 
beaucoup les effets miraculeux du travail à la tâche.
Peu après les syndicats furent rattachés au 
Commissariat du Travail et cessèrent définitivement de mener une lutte 
quelconque pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. Ils 
devinrent de simples instruments de propagande de l’Etat pour une 
meilleure exploitation de l’effort ouvrier (Décision du C.C. du 23 juin 
1933). Même la façon de pourvoir les ouvriers en denrées alimentaires 
fut modifiée. La plupart du temps elle passait dans les mains de la 
direction d’entreprise qui trouvait le moyen « d’assurer aux meilleurs 
ouvriers une meilleure fourniture de denrées alimentaires ». Si jusqu’ 
alors il existait au sein de la classe ouvrière une certaine égalité des
 conditions de vie – égalité qu’on pourrait le mieux qualifier d’égalité
 de commune misère – à partir de ce moment commença à se développer une 
différenciation dans la manière de vivre, une différenciation des 
intérêts, et par conséquent une appréciation différente de l’Etat et de 
ses institutions.
Ainsi prit fin une longue période pendant laquelle 
le nivellement de la conscience ouvrière trouvait son origine dans les 
conditions économiques.
Où donc faut-il chercher les raisons de toutes ces 
mesures qui furent déjà à l’époque stigmatisées par différents groupes 
ouvriers comme étant de nature réactionnaire et même capitaliste. 
Staline nous le dit dans le même discours cité plus haut : « il en 
résulte finalement qu ‘on ne doit plus se contenter des anciennes 
sources d’accumulation, le nouveau développement de l’industrie et de 
l’agriculture exige l’introduction du principe de la rentabilité et le 
renforcement de l’accumulation au sein de l’industrie. »
Le prolétaire des pays capitalistes sait bien par 
l’expérience de sa vie quotidienne quelles sont les méthodes que le 
capitalisme met en pratique lorsque que par manque de plus-value 
l’accumulation se trouve bloquée. Bien que se voilant de bonnets 
philanthropiques de toutes sortes, elles ont toujours comme but final 
une aggravation de l’exploitation. Il est significatif que le « premier 
et unique Etat ouvrier » se soit servi de la même méthode. Pas mal de 
communistes perdirent alors une partie de leurs illusions. La dure 
réalité les a forcés à se rendre à 1’évidence ; c’était une erreur de 
croire que la nationalisation des moyens de production était déjà en soi
 une garantie suffisante pour une disparition de l’exploitation de 
l’homme par l’homme.
A la place des capitalistes individuels puissants, 
des appareils étatiques tout puissants pressaient l’individu de rendre 
ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnaient en 
échange un salaire qui suffisait à peine à assurer l’entretien de 
l’existence nue. Ce rapport de l’ouvrier russe vis à vis de son Etat et 
ses fonctionnaires ne ressemble-t-il donc pas à celui de l’esclave 
salarié de l’Europe occidentale envers son patron?
Des staliniens 100 % nous chantent, il est vrai, 
« la propriété collective des moyens de production » qui existerait dans
 l’Etat soviétique, et les trotskistes l’ont chanté jusqu’alors dans le 
même chœur bien que sur un autre air.
Mais une question se pose alors ; Pourquoi donc les
 ouvriers « ces propriétaires collectifs des moyens de production » 
ont-ils montré si peu d’intérêt à accroître le plus rapidement possible 
leur propriété, au point que Staline a été obligé de leur rappeler leurs
 devoirs avec un fouet de faim?
Bien plus, pour protéger la « propriété 
socialiste » il a dû, même à l’aide de lois draconiennes, empêcher les 
ouvriers d’emporter dans leurs poches leur propriété à eux. Les 
prolétaires russes sont-ils donc si bêtes et si myopes comme sont 
intelligents leurs maîtres staliniens et ne comprennent-ils donc pas les
 dommages qu’ils se causent eux-mêmes à leurs intérêts les plus vitaux !
Nous croyons fermement que l’ouvrier russe comprend
 qu’il n’a aucun rapport direct ni avec les moyens de production, ni 
avec le produit de son travail. Il n’a aucun intérêt à ces deux choses, 
parce qu’il est salarié au même titre que ses frères de classe de 
l’autre côté de la frontière. Que le prolétariat russe ait compris ce 
fait dans son ensemble, ou que l’exploitation soit encore voilée aux 
grandes masses par des illusions, cela importe peu. Ce qui est sûr, 
c’est que le prolétariat russe a agi et continue à agir comme seule une 
classe exploitée agit. Et il importe peu que Staline soit conscient ou 
non de son rôle de dirigeant d’une société reposant sur l’exploitation;
 l’essentiel, c’est que personne mieux que lui n’avait pu formuler avant
 et après 1931 les nécessités d’une telle société.
Ce n’est pas d’hier que date l’introduction des 
rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n’est pas à 
partir de 1931 seulement que l’URSS l’est devenue. Dans son essence, 
elle 1’était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers 
soviets ouvriers librement élus, mais après 1931 l’économie russe a 
rejeté de son sein tous les éléments étrangers à sa structure.
Les couches qui considéraient l’honnêteté comme une
 des vertus essentielles des révolutionnaires (surtout parmi les vieux 
bolcheviks) se sont montrées incapables d’aider le programme de Staline à
 se réaliser, et se trouvent depuis longtemps en opposition irréductible
 au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont
 éliminés par lui. La dissolution de l’organisation des vieux bolcheviks
 et la déportation de ses membres les plus éminents surtout ces derniers
 temps, montra bien à quel point cette interprétation correspond à la 
vérité.
Un bolchevik, un ouvrier conscient, un communiste 
ne peut pas défendre devant les masses les mesures du gouvernement 
soviétique, il ne peut pas les faire réaliser sans immédiatement cesser
 d’être un communiste. Il devient pour les puissants inutilisable et 
sans valeur dans la mesure où il devient conscient de sa fonction en 
tant qu’instrument de la hiérarchie exploiteuse. C’est pourquoi 
nécessairement d’autres hommes doivent accomplir cette fonction, des 
hommes avec des conceptions différentes et qui n’ont pas le sentiment 
d’appartenir à la classe ouvrière.
Les décisions importantes après 1931 étaient des 
nécessités qui résultèrent du développement et étaient devenues causes 
d’un déplacement du rapport de force entre classes en URSS. Une 
aggravation de l’exploitation est impossible sans l’accroissement de 
l’appareil qui réalise cette exploitation directement. Et, comme la 
classe ouvrière ne peut s’exploiter elle-même, cet appareil devait être 
édifié par des gens qui ne lui appartiennent pas. Fonctionnaires, 
employés, cadres de l’industrie, appuyés sur une large couche 
d’aristocratie ouvrière sont 1’instrument de la clique régnante et, 
peuvent de ce fait jouir des privilèges qui les placent bien au-dessus 
du niveau d’un prolétaire moyen.
Telle est la situation créée en URSS.
En dépit de tous les bavardages sur le passage 
imminent vers une société sans classes, une nouvelle classe a surgi 
là-bas. Les prolétaires n’ont aucun rapport de « propriété » avec les 
moyens de production; là comme ici, ils sont vendeurs de leur force de 
travail; tandis que la classe opposée (fonctionnaires du parti, 
directeurs d’entreprises et de coopératives, bureaucratie d’Etat) exerce
 la fonction de gérant des moyens de production, d’acheteur des forces 
de travail et de propriétaire des produits du travail. Elle domine 
collectivement, mais d’une façon autoritaire toutes les sphères de 
1’économie russe. Elle ne produit aucune plus-value, mais se nourrit du 
travail de millions d’esclaves auxquels elle a enlevé et enlève encore 
tous les droits, et se donne à elle-même des privilèges qui la 
différencient nettement de la masse grise des prolétaires russes.
Aussi sa conscience n’est-elle pas une conscience 
ouvrière. Elle est intéressée à l’exploitation et cet intérêt est 
déterminant pour la formation de ses conceptions. Elle reste 
farouchement opposée à toutes les forces de la société qui propagent la 
suppression réelle de l’exploitation. Par ceux-ci elle se sent menacée 
dans ses privilèges et ne recule devant rien pour détruire cet ennemi. 
Toutes ses forces tendent vers P extension des privilèges obtenus au 
cours des années passées et vers la liquidation de tout ce qui reste de 
la révolution d’octobre, les restes humains y compris.
Pour pouvoir tirer de la chair des prolétaires 
toute la masse gigantesque de plus value nécessaire à 1’édification et à
 la reconstruction de l’économie russe il a fallu créer toute une armée 
d’aboyeurs, de surveillants et de garde-chiourmes.
C’est à un processus de libération que nous avons 
assisté en URSS ces derniers temps, libération non pas des masses 
populaires, mais de la structure économique qui ne pouvait plus 
supporter la vieille coque politique. Les lois de la société basée sur 
l’exploitation s’imposèrent du moment où le dernier trou qu’ était 
1’absence d’une couche assumant clairement et nettement la fonction de 
classe exploiteuse, fut bouché. La constitution définitive de cette 
classe est l’essentiel du développement de l’URSS en ces dernières 
années. Qui ne comprend pas ces choses sera incapable de comprendre tout
 ce qui se déroule et se déroulera en URSS.
L’URSS est devenue définitivement un pays capitaliste. Toutes les forces de la vie y ont un caractère capitaliste.
Le chemin d’octobre à février a été parcouru sans 
que ce soit cependant un chemin de retour. En URSS, les prolétaires trop
 faibles pour organiser en tant que classe la production au nom de la 
société tout entière, ont dû céder la place au parti qui ne pouvait agir
 autrement que comme représentant d’intérêts particuliers. Ce parti a 
fait ce qu’ailleurs ont accompli les capitalistes privés, il a développé
 les moyens de production et continue à les développer jusqu’ à la 
limite historique; le parti prit sur lui le rôle historique de la 
bourgeoisie et devait dégénérer sous cette forme.
Accomplissant un rôle progressif, il a poussé en 
avant la roue de l’histoire et vient d’arriver maintenant à un point que
 la bourgeoisie des autres pays a déjà atteint depuis longtemps. Il 
commence à devenir un obstacle sur le chemin du développement de l’URSS 
sous n’importe quelle forme humaine.
Il n’y a pas lieu ici de disqualifier moralement 
les personnes qui ont tenu le gouvernail ; il faut comprendre que toute 
personne, toute puissance qui à la place des personnes d’aujourd’hui 
aurait tenu le gouvernail eût subi le même développement.
II. Les forces sociales en URSS
L’aspect de l’économie agraire
Malgré toutes les mesures prises, la 
différenciation des conditions de vie entre la couche dirigeante et le 
prolétariat, au cours du premier plan quinquennal, n’a pu atteindre son 
plein épanouissement. La bureaucratie avait encore besoin du prolétariat
 pour réaliser sa campagne de conquête de la paysannerie. Pour pouvoir 
consolider sa position dans l’industrie, la bureaucratie devait 
s’assurer une influence prépondérante sur le secteur agraire de 
l’économie russe. L’anarchie de la production paysanne commençait, en 
effet, à menacer le développement de toute l’économie et par cela la 
couche dirigeante. L’introduction de nouvelles méthodes de production 
plus perfectionnées était depuis longtemps une nécessité historique pour
 l’économie agraire russe. Tout autre gouvernement aurait été obligé un 
jour ou l’autre de les introduire. D’abord pour pouvoir nourrir à 
meilleur marché ses salariés, et puis pour enrichir le marché intérieur,
 d’un nouveau débouché.
La bureaucratie proclama la collectivisation des 
biens ruraux et la réalisa « au nom du communisme ». Sans cela, elle 
n’aurait pu mobiliser pour son œuvre des forces prolétariennes 
supplémentaires. On sait quelle résistance désespérée la 
collectivisation rencontra de la part des paysans, résistance que le 
gouvernement n’aurait pu briser en ayant dans le dos un prolétariat 
hostile.
Pour pouvoir « au nom du communisme » arracher 
l’entreprise du paysan à son ancienne forme féodale d’organisation et de
 production, et pour pouvoir l’incorporer comme partie homogène dans le 
système général de son capitalisme, il fallait faire au nom de ce même 
« communisme » certaines concessions au prolétariat malgré les intérêts 
fondamentalement opposés. Pour avoir une idée de l’âpreté de la lutte 
pour la collectivisation, il suffit de se rappeler qu’elle a conduit à 
l’émigration de dizaines de milliers de paysans et à la déportation de 
centaines de milliers d’autres. Pour aider la campagne à sortir de sa 
situation arriérée, il fallait l’anéantir avec l’aide d’ouvriers armés 
croyant gagner ainsi la campagne au socialisme. Ils ont ainsi anéanti 
les derniers restes du féodalisme et du capitalisme privé libre et frayé
 un chemin pour un contrôle efficace de la bureaucratie sur la 
collectivité paysanne.
Jusqu’alors les petites entreprises existantes 
étaient dans une large mesure indépendantes de l’industrie et par 
conséquent des dirigeants de celles-ci. Les paysans n’avaient pas de 
besoin qui aurait pu les lier fermement à l’industrie. Il fallait donc 
les arracher de cet isolement à tout prix, en créant même par force de 
tels besoins. D’autre part, on ne pouvait songer à une augmentation de 
productivité agricole sans 1’introduction des moyens industriels 
modernes comme tracteurs, batteuses, combinés, etc.
Aujourd’hui, ce processus est déjà en grande partie
 accompli : 87 % de la surface cultivée ont été cette année gérées 
collectivement, environ 300 000 tracteurs sont en usage, le nombre des 
machines plus compliquées (tracteurs combinés) s’élève à des dizaines de
 milliers. L’économie rurale est profondément modifiée, et par cela 
aussi, son rapport envers les autres parties de l’économie russe.
Les obligations et les dettes des « paysans 
collectifs » envers l’Etat sont immenses. Leur isolement est brisé, 
chaque jour ils deviennent plus conscients de leur dépendance de l’Etat.
 Les paysans sont sous l’influence de la politique des prix du 
gouvernement et les instituts de crédit ont la possibilité d’exercer sur
 eux une pression constante. L’an dernier, on a remarqué une tendance 
très nette de la part du gouvernement soviétique à ne plus vendre aux 
collectivités les grands moyens de production, mais à les louer. Dans ce
 but, on a créé à la campagne quelques milliers de stations « de 
tracteurs et de machines »‘. Ceci indique l’étendue de l’influence, et 
des possibilités que la bureaucratie s’est créée dans ce secteur et 
qu’elle développera encore.
La collectivisation qui a fait disparaître 
complètement la « commune » paysanne a créé comme nouvelle forme 
l’organisation rurale « l’artel », association pas trop rigide de 
propriétaires des moyens de production. Il y a une certaine ressemblance
 entre les coopératives agricoles telles qu’on les rencontre dans 
l’occident, et surtout dans les pays Scandinaves et les « artels »; mais
 dans les artels ce ne sont pas seulement les batteuses ou les 
laiteries qui servent pour les besoins communs, mais toutes les 
machines, édifices, et une grande partie des terres.
Si un tel artel paraît à première vue quelque chose
 de socialiste, dès qu’on y regarde déplus près, on trouve la marque 
incontestable du capitalisme. Si le socialisme signifie tout d’abord la 
disparition de tout droit de propriété, l’artel créé précisément une 
nouvelle forme de droit de propriété. L’inégalité des droits de 
propriété en naît nécessairement et avec elle 1’inégalité des 
conceptions, des buts et des intérêts des individus qui y appartiennent.
En plus de cela, existe dans l’artel le travail 
salarié qui règle les rapports des membres entre eux. Les salariés sont 
payés non seulement d’après la quantité de travail fournie, mais aussi 
d’après sa qualité. Par dessus le marché, l’artel peut employer des 
ouvriers comme simples salariés qui n’ont pas d’autres droits. L’artel 
peut donc fonctionner comme exploiteur. Pour devenir membre de l’artel, 
il faut pouvoir apporter des biens qui paraissent suffisants à la 
majorité des membres de l’artel.
Si l’artel estime forme socialiste d’organisation, 
il présente cependant une forme bien supérieure à l’ancienne. L’artel 
permet par l’emploi des machines une rationalisation du travail et une 
augmentation sensible de la productivité agricole ; par cela même, il 
augmente la part de chacun dans le profit. C’est ce dernier fait, 
d’ailleurs, qui a rendu l’artel « populaire », malgré la méfiance que 
les paysans lui ont manifesté au début.
Pour le marxiste il est clair que toutes ces 
mesures doivent nécessairement aboutir à la disparition de la 
paysannerie et que leur position s’approche de plus en plus de celle des
 ouvriers. Pour le moment, les paysans ne semblent pas apercevoir les 
nouveaux changements de la situation, ils ne voient que le côté 
superficiel, les profits accrus, et accueillent favorablement la 
nouvelle forme ou ne s’y opposent pas. Ce dernier fait est d’une 
importance capitale et ne doit pas être perdu de vue lors d’un examen de
 la situation russe.
Du moment où la bureaucratie peut prendre en 
considération la paysannerie comme base de masse, elle devient 
indépendante du prolétariat. De ce moment elle a la possibilité de jouer
 sur les intérêts opposés des deux classes. Et personne ne peut affirmer
 qu’elle a délaissé cette chance. Au contraire, depuis « la victoire 
complète de la collectivisation », toute sa politique intérieure et 
extérieure porte ce caractère. Avec les prolétaires contre les paysans, 
avec le paysan contre le prolétaire, la bureaucratie russe emploie tour à
 tour ces deux moyens pour consolider son pouvoir.
Vous avons donc à faire aujourd’hui en URSS, « à la
 rentrée dans la société sans classes », au moins à trois classes qui 
diffèrent entre elles très nettement par le rapport qui les lie aux 
moyens de production. Les prolétaires n’ont aucun droit de propriété sur
 le produit de leur travail ni sur les moyens de production. Droit 
collectif de propriété contrôlé par l’État, caractérise le mieux la 
classe paysanne. La bureaucratie, sommet de la hiérarchie régnante 
possède et domine, d’une façon anonyme et collective tous les moyens 
industriels de production et ne laisse échapper aucune occasion pour 
soumettre à son entière domination l’économie rurale.
Cette différenciation crée chaque jour une 
différenciation dans la façon de vivre et dans l’idéologie, des trois 
catégories. Le Prolétariat, pauvre et exploité, est intéressé à voir 
disparaître l’exploitation et ses bases matérielles.
Les paysans exigent une aggravation de 
l’exploitation des ouvriers en même temps qu’une réduction des prix sur 
les produits industriels et demandent une adaptation de l’économie russe
 aux nécessités de leur forme de production.
La bureaucratie assise sur la nuque des deux presse
 tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ; et est toujours intéressée à 
tirer profit des deux couches, toujours intéressée à rester couche 
dominante.
 

