mercredi 11 novembre 2015

L'idéologie coopérativiste anticapitaliste : arguments critiques

Nous sommes déjà intervenus sur le sujet à maintes reprises [1] il s'agit donc ici de condenser un bref argumentaire critique du livre Coopératives contre capitalisme de Benoît Borrits. Ceci est d'autant plus nécessaire que la publication de ce livre s'inscrit dans un double contexte : d'une part la promotion du livre par des réunions publiques et d'autre part par la récupération du terme "Autogestion" d'une façon publicitaire (et galvaudée) et agressive par certaines fractions militantes issues de l'altermondialisme.

Nous partons ici de la présentation du livre pour établir des arguments critiques et nous rappelons que nous ne condamnons pas la coopérative, comme forme de survie sociale à court terme, mais bien la prétention de certains altermondialistes à en faire la solution anticapitaliste à l'effondrement de ce mode de production.

Ainsi la présentation du livre affirme : "Lorsqu’une entreprise fait faillite ou est volontairement fermée par ses propriétaires, le chômage n’est pas l’avenir inéluctable auquel sont condamnés ceux qui y travaillent." Nous affirmons pour notre part qu'à l'intérieur du mode de production capitaliste la question de l'inéluctabilité du chômage se pose à terme sauf à imaginer une "entreprise" sortie de tout contexte concurrentiel, horizontalement ou verticalement (il y a les concurrents, mais également les acheteurs et les fournisseurs, dépendant eux-mêmes de la logique marchande chaotique).

"Une autre issue est parfois possible : la reprise de la production par les salariés eux-mêmes et l’émergence d’une entreprise sans patron.
Une nouvelle démocratie sociale se dessine alors dans laquelle la production n’est plus soumise au profit. Une nouvelle façon de produire et de consommer s’invente." Nous soutenons qu'il s'agit là d'une interprétation mensongère du coopérativisme : pour fonctionner l' "entreprise" est soumise à la nécessité de créer un "bénéfice" afin de rester concurrentielle et de permettre de nouveaux investissement pour adapter l'outil de production.

"Benoît Borrits démontre, exemples et chiffres à l’appui, que loin d’être un handicap, une entreprise dirigée par ses salariés a plus de chance de survie qu’une société de capitaux." Le mensonge grossit : l'entreprise, c'est à dire l'unité-caserne à la base de la production de la guerre-concurrentielle capitaliste n'a pas besoin de capitaux ? A ce niveau là nous attestons que ce n'est même plus du mensonge mais de l'ignorance crasse de ce qu'est d'une part une "entreprise" et d'autre part le capitalisme. Le folklore altermondialiste flotte sur un petit nuage. Mais qu'est-ce qu'une chance de survie dans un univers concurrentiel ? Mystère. Nous pouvons à l'inverse certifier que dans de nombreux cas "exemples et chiffres à l'appui", les coopératives ont moins de chance de survie qu'une entreprise dirigée par un patron aux ordres des actionnaires (boycott des fournisseurs, sabotage par les institutions capitalistes, méfiance de l'environnement économique capitaliste, etc.).

"Dès lors, pourquoi ne pas envisager ces reprises sur un mode offensif ? L’auteur interroge la « panne » du modèle post-keynésien et démontre en quoi ces « expériences » peuvent constituer un débouché aux luttes sociales." On touche là au coeur de l'argumentaire des idéologues coopérativistes : l'offensive n'est pas qu'une question de "reprises" (avec l'assentiment de la justice capitaliste ?) mais une question de suppression du mode de production capitaliste, et nous l'entendons dans le sens non pas strict de la production matérielle économique mais également de la production d'un mode de vie sociale aliénant.

"Enfin, il développe des propositions économiques concrètes qui faciliteraient les reprises dans une perspective de généralisation et de transformation sociale. Un autre avenir pourrait alors s’inventer dans lequel les coopératives et les Scop seraient les premières marches d’une alternative au capitalisme." Nous sommes ici face à une conception "étapiste" (la révolution par étapes : c'est à dire en réformant le mode de production - tout en le conservant ...) donc face à un modèle (la révolution se fait "par étapes" pour certains, "immédiatement" pour d'autres) à appliquer, ce qui trahit la nature essentiellement idéologique d'un texte qui s'habillent d'oripeaux pragmatiques. On ne sait pas si les coopératives seraient "une première marche" de dépassement du capitalisme, nous pouvons juste certifier une chose fondamentale : c'est la disparition de toutes les entreprises (unités de la production concurrentielle capitaliste) de coopératives ou d'actionnaires anonymes ou autres, qui est la condition, parmi d'autres, de la suppression du mode de production capitaliste. La complexité de cette tâche ne peut trouver sa solution dans un argumentaire "clé en main" ou dans un programme politique mais dans l'élaboration collective par les travailleurs eux-mêmes d'un projet mondial d'abolition du mode de production capitaliste.

[1] Lire notamment :
Sur quelques falsificateurs et leurs méthodes
Vers l'autogestion générale : pratique ouvrière contre misère idéologique
Autogestion générale contre autogestion d'entreprises