mercredi 9 avril 2014

Licenciements : le droit de véto en débat



Depuis quelques temps on voit apparaître parmi les expressions militantes d’organisations anticapitalistes la revendication d’un droit de véto des travailleurs sur les licenciements dans les entreprises. Venant de militants sincères de l’émancipation sociale il ne fait aucun doute que cela part d’une bonne intention, l’intention manifeste que cette revendication n’entre non seulement pas en contradiction avec les objectifs de transformation sociale, mais, de plus, qu’elle s’articule avec celle-ci. Pourquoi pas, surtout lorsque l’on connaît le périlleux danger à être à côté de la plaque avec des slogans pseudo-radicaux (dont l’utilité ne sert finalement  qu’à se reconnaître entre initiés tout en continuant à prêcher au milieu du désert de la solitude sectaire) ou bien à renforcer l’idéologie dominante en voulant à tout prix « coller aux masses » (la science mystérieuse des opportunistes gauchistes est alors dotée d’un équipement sophistiqué leur permettant de mesurer le degré de conscience de classe) quitte à étaler des revendications bien en dessous de la conscience ouvrière moyenne mais c’est un autre sujet.

Cependant ici la revendication d’un « droit de véto » pour les salariés dans leur entreprise ne peut pas faire l’économie d’un débat entre militants autogestionnaires. Non seulement pour mettre en débat cette revendication en soi mais également ses modalités concrètes d’application. On demande ainsi aux travailleurs d’avoir un droit dans la gestion capitaliste. A première vue le principe est peu applicable dans le contexte codifié (la fameuse légitimité des travailleurs à travers un système de représentation) du droit bourgeois du travail. Ainsi on passe rapidement d’un droit de véto par les travailleurs à un droit de véto par les comités d’entreprises. A moins que ces comités d’entreprise ne soient l’aboutissement d’organisations ouvrières réellement démocratiques on ne voit pas en quoi cela changerait la moindre chose dans la gestion des licenciements : entre les élus au comité qui bouffent au râtelier du patron (ou du cartel industriel), ceux qui seront convaincus qu’il faut être raisonnables pour pouvoir négocier autre chose, etc … bref toute la cuisine interne courante du monde merveilleux de l’entreprise capitaliste, de sa coercition patronale jusqu’à la corruption bureaucratique, on voit mal en quoi cela peut s’articuler à ne revendication plus globale de transformation de la société.


On voit donc tout d’abord que le problème n’est pas là : il faudrait d’abord que les « comités d’entreprise » soient conquis réellement par les travailleurs et en soient une « expression démocratique », il n’en est rien, bien au contraire. Des élus à la solde de l’ « esprit d’entreprise » aux salariés sans contrôle sur des organes créés par le droit capitaliste il n’y a que l’expression d’une impuissance de classe. Là où l’autonomie ouvrière est absente il n’y a qu’une acceptation logique aux mécanismes du capital, là où elle se met au jour les salariés créent leurs propres organes de lutte qui ne recoupent pas forcément le même contenu que l’ensemble des organes de cogestion ou de « collaboration de classe » : les travailleurs en lutte dépassent dans la pratique le droit bourgeois et rendent obsolètes les instances de représentation classiques du salariat. La revendication d’un droit de véto aux licenciements par les comités d’entreprise n’est donc opératoire ni dans sa finalité immédiate ni dans son objectif à long terme. Aboutir à un droit de véto de l’ensemble des salariés c’est ignorer la pénétration de l’idéologie capitaliste dans notre classe, c’est faire l’impasse sur la capacité du capital à jouer des divisions pour parvenir à ses fins. C’est également oublier que réduire un phénomène social à l’entreprise seule n’aboutit qu’à une forme larvée de cogestion donc, au final, à la victoire du capital.
Nos revendications immédiates ne doivent alors pas porter sur la façon de gérer avec le capital en s’appuyant sur des formes de décision qui ne sont pas l’expression de l’autonomie ouvrière (l’un et

l’autre ne pouvant cohabiter), mais ouvrir des perspectives donnant une vision globale, à la fois économique et politique, c'est-à-dire dépassant les limites des casernes-entreprises capitalistes et amorcer une lutte contre l’ultime « gestionnaire » de l’oppression économique : le marché. Etablir des revendications immédiates et concrètes c’est alors ne pas oublier l’objectif final tout en restant conscient des modalités opératoires de leur application.