Deux textes publiés récemment sur l'autogestion obligent les militants autogestionnaires issus du socialisme des conseils ouvriers à prendre position face à une campagne de désinformation sur l'actualité de l'autogestion, ou prétendue autogestion. Le premier texte (Typologie d’expériences autogestionnaires en Amérique latine et indienne et leur rapport au pouvoir) est issu de la sphère altermondialiste et se situe dans la continuité d'une interprétation faussée de la transformation sociale autogestionnaire, le second texte (L’autogestion à la rescousse dans la crise du capital (Fralib, Seafrance, Goodyear) [1] est issu d'un groupement résiduel de l'ultragauchisme [2] asthmatique, réseau qui trouve son origine dans l'organisation inter-entreprise Information correspondance ouvrière, sans aucun doute ce qui se faisait de plus intéressant dans l'après-68 et surtout, pour le sujet qui nous intéresse ici, qui était le co-auteur (avec le groupe Noir & Rouge) de la brochure L'autogestion, l'Etat et la Révolution. Si les détracteurs de l'autogestion (qui en étaient les partisans hier mais c'est une autre histoire) se nourrissent des confusions des altermondialistes, cela est évident. Mais tronquer la réalité de l'autogestion lorsqu'on en connaît la réalité révolutionnaire c'est tout simplement une malhonnêteté flagrante.
Ainsi dans "L'autogestion à la rescousse ..." on a le droit à un interminable procès condescendant de la classe ouvrière par un donneur de leçon suffisant (Henri Simon) dont la plus misérable falsification consiste à faire passer le coopérativisme pour l'autogestion. Le tour de passe-passe peut sans doute réussir avec un lectorat de vieux croûtons "gauche-communiste-post-bordiguistes" (on dispensera à nos lecteurs de faire des recherches sur cette mouvance sectaire tant ses dérapages théoriques nous mènent vers d'autres problématiques) mais pour le moindre lecteur averti, la pilule a du mal à être avalée :
Bien, on a donc une "autogestion" mais pourtant l'auteur admet qu'il y a des dirigeants ce qui ne laisse aucune ambiguïté sur le paradoxe soulevé : comment autogérer en étant dirigé à la fois ? Qu'une critique du coopérativisme capitaliste soit construit sur des faits qui relèvent de l'exploitation est une chose, amalgamer cette forme de propriété du capital avec l'autogestion en est une autre.
Ce qu' "oublie" ici notre donneur de leçon -qui commence d'ailleurs à douter lui même de l'assimilation entre coopérativisme et "autogestion ouvrière/pureté autogestionnaire"- c'est que les ouvriers engagés dans la reprise de leur entreprise ne le font pas à la "rescousse du capital" mais à la rescousse de leur propre survie dans un monde capitaliste qui se porte à merveille du point de vue des possédants des capitaux, un monde capitaliste qui n'a absolument pas besoin qu'une quelconque pratique "autogestionnaire" vienne à sa rescousse. Que des paumés de la révolution-prête-à-consommer fasse de la reprise ouvrière l'articulation mécanique obligatoire vers une transformation sociale dont ils ne comprennent pas le contenu est une chose, mais que cet auteur oublie l'essentiel de ce qu'il publiait dans l'après-68 dans "L'autogestion, l'Etat et la Révolution" nous inquiète quant à l'involution théorique qui doit dominer le réseau militant auquel il participe actuellement.
Soit. Il y a dissociation entre le capital fixe et le capital variable lors de la reprise ouvrière de Fralib. Cela nous montre d'une part que si le capital subsiste c'est que l'autogestion généralisée n'existe pas et que la reprise ouvrière est conditionnée par une nécessité matérielle. D'autre part que si les formes de propriété du capital subsiste c'est que l'autogestion est ici une illusion puisque la finalité de la gestion ne sera pas l'organisation complète de la société par les travailleurs mais la nécessité au niveau de l'entreprise de participer aux impératifs du capital : c'est en définitive les marchés qui vont régner sur l'entreprise, et non pas les travailleurs.
Cependant à aucun instant il ne se risque dans son audacieux exposé à tenter la moindre définition de l'autogestion (on comprend pourquoi d'une certaine façon). Il n'y a pas plus d'autogestion dans les exemples dénoncés par Henri Simon qu'il n'y a de socialisme chez F. Hollande ou de communisme en Corée du Nord. Lorsque c'est la propriété du capital qui est aux mains des ouvriers sous la forme d'un coopérativisme capitaliste cela n'est donc pas de l'autogestion. Lorsque l'entreprise est sous le "contrôle" des travailleurs afin de produire sous la contrainte d'un marché ou d'une bureaucratie cela n'est pas de l'autogestion.
L'autogestion est généralisée ou bien elle n'est pas, elle ne laisse rien subsister au-dessus d'elle : ni loi des marchés ni planification bureaucratique, ce n'est ni une "autogestion d'entreprise" ou une "autogestion fédérale", elle est le dépassement et l'abolition de toute séparation (entreprises, branches, région, nations), elle n'est ni un fédéralisme ni un centralisme mais un rapport organique vivant qui est en soi une négation du marché : le "marché de l'emploi" qui implique le salariat, les "marchandises" qui impliquent de produire pour le commerce et non pour la satisfaction des besoins sociaux. L'autogestion générale ou "autogestion sociale" implique l'administration de l'ensemble de l'activité sociale humaine. Si l'entreprise est la base de l'exploitation capitaliste subie par les travailleurs ceux ci ne sauraient s'y enfermer afin de produire en concurrence avec les autres entreprises ce qui continuerait à impliquer le même rapport au capital que la gestion patronale ou bureaucratique. Ils ne sauraient s'y enfermer également parce que c'est l'ensemble de la société mondiale qui est à administrer (quartiers d'habitation, espaces sociaux, etc) et parce que l'affrontement avec le capital nécessitera un pouvoir ouvrier absolu, un pouvoir de classe, principe démocratique des conseils de travailleurs : la gestion ouvrière. La gestion ouvrière ne peut pas nier la nécessité de l'opposition avec l'Etat capitaliste, elle en est la négation politique. Avec la disparition des classes sociales la gestion ouvrière devient alors autogestion généralisée : le pouvoir ouvrier est alors sa propre négation, en abolissant l'existence des classes sociales, de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, elle réalise son auto-suppression.
Tout n’est pas à jeter cependant dans ce catalogue des typologies, non pas dans le sens où les expériences cataloguées sont des pistes vers l’émancipation sociale, mais simplement parce qu’il ne nous est que possible de constater que certaines formes de contestation ou gestion prolétarienne à l’intérieur du capital sont le produit d’une survie nécessaire face à la destruction sociale opérée par l’irrationalité des marchés ou les techniques de développement des profits.
Ainsi dans "L'autogestion à la rescousse ..." on a le droit à un interminable procès condescendant de la classe ouvrière par un donneur de leçon suffisant (Henri Simon) dont la plus misérable falsification consiste à faire passer le coopérativisme pour l'autogestion. Le tour de passe-passe peut sans doute réussir avec un lectorat de vieux croûtons "gauche-communiste-post-bordiguistes" (on dispensera à nos lecteurs de faire des recherches sur cette mouvance sectaire tant ses dérapages théoriques nous mènent vers d'autres problématiques) mais pour le moindre lecteur averti, la pilule a du mal à être avalée :
Le 24 juillet, le conseil des ministres a discuté et finalisé un projet de loi « Economie sociale et solidaire (ESS) » modifiant le statut des scop (sociétés coopératives ouvrières de production) qui, en France définit le cadre juridique des coopératives, autrement dit la manière dont l’autogestion doit fonctionner sous le capital. Ce projet qui devait venir en novembre devant le Parlement prévoit notamment les modalités selon lesquelles les salariés d’une entreprise pourront la reprendre lors du décès du propriétaire. Il n’est ni utile, ni nécessaire d’entrer dans les détails de ce projet qui ne fait que compléter la législation déjà existante sur les coopératives et favoriser la création d’une scop dans ces circonstances précises, d’autant plus qu’il peut être modifié lors de son vote.Effectivement, il ne s'agit même plus de critique théorique de l'autogestion (dont l'auteur s'est d'ailleurs dispensé de toute définition afin de ne pas s'enliser d'emblée dans une incohérence embarrassante pour la suite de sa démonstration), mais ce n'est pas non plus une critique de l'autogestion pratique puisque dans le coopérativisme capitaliste il n'y a pas un gramme d'autogestion. Confondre à ce point participation au capital et gestion de la production relève soit d'une incompétence flagrante dans l'analyse du coopérativisme soit d'une mauvaise fois à toute épreuve. Et d'enfoncer le clou en démontrant de quelle façon les directeurs des coopératives peuvent se montrer d'impitoyables exploiteurs :
Les coopératives de production ou de consommation, agricoles ou industrielles, sont parfaitement intégrées dans ce monde. Elles ne sont souvent qu’un cadre pratique pour couvrir une situation proche de celle de n’importe quelle entreprise capitaliste et de plus leur importance relative face à la puissance des multinationales les relègue au rang de marginalités économiques.
Il ne s’agit même plus de critique théorique de l’autogestion mais seulement de considérer ce qu’elles sont réellement dans le système capitaliste et le rôle que leur présence peut jouer eu égard à l’ensemble du système productif mondial. Deux exemples extrêmes permettent de situer dans quel sens toute coopérative peut évoluer.
Des grèves récentes en Italie ont révélé que tout le secteur logistique est sous forme de coopératives, ce qui permet – un paradoxe quant au principe même de l’autogestion – de tourner totalement les lois sur le travail et de garantir une exploitation maximum de la force de travail. C’est tout simple, les quelques dirigeants majoritairement propriétaires de la coopérative, contraignaient les postulants salariés à être coopérateurs, ce qui les excluait de la condition de salarié et des garanties et avantages sociaux réservées aux salariés. Ceci permet une exploitation sans limites légales, puisqu’ils s’auto-exploitent comme tout « indépendant ».
Bien, on a donc une "autogestion" mais pourtant l'auteur admet qu'il y a des dirigeants ce qui ne laisse aucune ambiguïté sur le paradoxe soulevé : comment autogérer en étant dirigé à la fois ? Qu'une critique du coopérativisme capitaliste soit construit sur des faits qui relèvent de l'exploitation est une chose, amalgamer cette forme de propriété du capital avec l'autogestion en est une autre.
Un autre exemple est donné par cette coopérative que les milieux de l’autogestion citent souvent, l’espagnole Mondragon. C’est en fait un conglomérat de sous-traitants dispersé dans le monde, qui n’a rien d’une coopérative ; grâce à cette internationalisation, son chiffre d’affaires atteint environ le montant du seul budget de publicité d’un autre conglomérat international, le chaebol coréen Samsung. La faillite récente de Fagor Electrodometicos, filiale de Mondragon, illustre la domination capitaliste sur les activités des coopératives.On ne sait pas de quels "milieux de l'autogestion" parle l'auteur mais cela ne serait pas étonnant que cela vienne du confusionnisme altermondialiste, courant de l'autogestion qui est loin d'être majoritaire et qui surtout se caractérise par une certaine maladresse idéologique (on passera par exemple sur les pitreries altermondialistes d'un "Etat autogéré" (sic) car on a bien d'autres chats à fouetter ici) et qui saute sur la moindre illusion de l' "autogestion" publicitaire pour s'en faire un nouvel étendard vers la révolution : pourtant il n'y a pas plus d'autogestion à Mondragon qu'il n'y en a eu en Yougoslavie ou chez LIP. Tout cela relève du conte pour enfants.
On pourrait multiplier à l’infini toutes les variations capitalistes des coopératives de par le monde, la pureté autogestionnaire étant peut-être seulement réservée à de très petites scops, et encore dans certains secteurs économiques spécifiques, celles qui servent de support à l’idéologie autogestionnaire. Cette idéologie ignore le fait simple que toute activité économique dans un monde capitaliste est contrainte peu ou prou de se plier aux règles de fonctionnement de ce système. Bien que l’on dise que les coopératives de toutes sortes regrouperaient près de 10 % de l’activité économique en France et 2,4 millions de travailleurs, on ne dit jamais ce qui se cache derrière ces chiffres : beaucoup d’entreprises privées qui n’ont rien ou presque rien à voir avec les principes avancés de l’autogestion ouvrière. On remet au goût du jour la coopérative comme solution de survie d’un système qui n’arrive à résoudre ses contradictions que pour tomber dans d’autres contradictions ; elle ne devrait pourtant pas apparaître comme la panacée à la lumière des récentes tentatives de la promouvoir sous le slogan de « reprise de l’entreprise capitaliste par ses travailleurs ».
Ce qu' "oublie" ici notre donneur de leçon -qui commence d'ailleurs à douter lui même de l'assimilation entre coopérativisme et "autogestion ouvrière/pureté autogestionnaire"- c'est que les ouvriers engagés dans la reprise de leur entreprise ne le font pas à la "rescousse du capital" mais à la rescousse de leur propre survie dans un monde capitaliste qui se porte à merveille du point de vue des possédants des capitaux, un monde capitaliste qui n'a absolument pas besoin qu'une quelconque pratique "autogestionnaire" vienne à sa rescousse. Que des paumés de la révolution-prête-à-consommer fasse de la reprise ouvrière l'articulation mécanique obligatoire vers une transformation sociale dont ils ne comprennent pas le contenu est une chose, mais que cet auteur oublie l'essentiel de ce qu'il publiait dans l'après-68 dans "L'autogestion, l'Etat et la Révolution" nous inquiète quant à l'involution théorique qui doit dominer le réseau militant auquel il participe actuellement.
Trois exemples récents permettent de se faire une idée des difficultés que rencontre l’engagement dans cette voie de sauvetage d’une entreprise en difficulté ou d’une unité fermée pour cause de stratégie économique d’une multinationale.
Fralib à Gemenos près de Marseille. Seule une partie des salariés (77) occupent l’usine de conditionnement de thé et tisanes fermée depuis deux ans par le trust Unilever. Le projet de scop qu’ils voudraient bien créer suppose la reprise d’une marque déposée par Unilever, mais la multinationale refuse absolument d’accéder à cette requête, même en sous-traitance.
Un des points particuliers de ce projet a été le rachat du terrain et des bâtiments de l’usine par la Communauté urbaine qui les mettrait à disposition de la future scop. Cette dissociation du capital fixe et du capital variable va se retrouver dans la scop constituée suite à la mise en faillite de Seafrance.
Soit. Il y a dissociation entre le capital fixe et le capital variable lors de la reprise ouvrière de Fralib. Cela nous montre d'une part que si le capital subsiste c'est que l'autogestion généralisée n'existe pas et que la reprise ouvrière est conditionnée par une nécessité matérielle. D'autre part que si les formes de propriété du capital subsiste c'est que l'autogestion est ici une illusion puisque la finalité de la gestion ne sera pas l'organisation complète de la société par les travailleurs mais la nécessité au niveau de l'entreprise de participer aux impératifs du capital : c'est en définitive les marchés qui vont régner sur l'entreprise, et non pas les travailleurs.
Encore une fois on fait passer des scops pour de l'autogestion : si on travaille pour le capital, pour "un capitaliste", quelle est alors la marge d'autogestion ? Aucune. Il n'y a pas plus d'autogestion lorsque l'entreprise est soumise au dictat du capital qu'il n'y en a eu dans les entreprises yougoslaves soumise au dictat du plan étatique. L'auteur démontre ici lui même qu'il n'y a pas d'autogestion mais continue de le définir comme tel puisque, quelque part, sans doute au coeur des phantasmes altermondialistes, il a été informé qu'il s'agissait d'une authentique pratique autogestionnaire. L'auteur montre bien que cette expérience de reprise ouvrière n'était pas indispensable au capital qui a tout fait pour l'éliminer par la voie juridique mais cependant il persiste à nous persuader que cette reprise vient à la rescousse d'un capitalisme qui ne se porterait ni mieux ni moins bien sans elle (ou plutôt qui se porterait mieux au regard de l'activité hostile des autres capitalistes).
Seafrance à Calais. Lors de la liquidation de Seafrance, entreprise qui exploitait la liaison Calais-Douvress, ses trois ferries ont été rachetés par Eurotunnel, un groupe qui exploite le tunnel sous la Manche, une filiale de fret, Europorte, et, suite à ce rachat, une branche de trafic maritime. Mais cette activité d’armateur a pris un caractère très spécifique : l’exploitation desdits navires pour le trafic transmanche a été confiée à une scop constituée par les anciens salariés de Seafrance sous le nom de MyFerryLink.
Cette scop a prospéré au point qu’en août 2013 elle prenait 11 % du trafic transmanche et le groupe Eurotunnel prenait alors plus de la moitié de ce trafic. C’est là que les choses se sont gâtées pour la scop. La Grande-Bretagne, pays de la libre concurrence, met en fait des barrières à cette concurrence pour la protection des intérêts du capital britannique. Une des compagnies de ferries, la plus concernée par cette concurrence, P & O, et une autre danoise, DFDS Seaways (associée à l’armateur français Louis Dreyfus), ont intenté un procès à Eurotunnel devant la « Competition Commission » britannique prétendant que le rachat et l’exploitation des navires de Seafrance mettrait Eurotunnel en position de quasi-monopole et pourrait alors imposer des prix préjudiciables aux utilisateurs. Un premier jugement leur a donné raison en ordonnant à Eurotunnel de vendre deux navires sur trois sous peine de se voir fermer l’entrée du port de Douvres. C’est une situation cornélienne car le jugement du tribunal de commerce de Paris attribuant les trois navires à Eurotunnel comportait une clause lui interdisant la vente des ferries.
Le 4 décembre, cependant, la cour d’appel britannique a autorisé les ferries de la scop MyFerryLink à continuer de relier Calais à Douvres. Mais toute l’affaire montre les limites de l’utilisation de la forme coopérative qui, dans ce cas, n’est finalement qu’un organisme de gestion (d’autogestion bien particulière) de la force de travail pour le compte d’un capitaliste.
Goodyear à Amiens. Une opération du même genre est tentée pour l’usine de pneumatiques Goodyear d’Amiens. Là aussi, une scop reprendrait la fabrication des pneus agricoles, à condition que Goodyear lui cède ou la marque ou la sous-traitance. Bien sûr, comme dans le cas de Fralib, le trust s’y oppose et les choses tournent autour de batailles juridiques comme dans le cas antérieur de l’usine Continental près de Compiègne. De toute manière, si cette solution pouvait se mettre en place, la scop ne serait qu’un maillon dans le giron d’un groupe capitaliste puissant qui imposerait l’ensemble des facteurs économiques déterminant, au final, les conditions de gestion de la force de travail. Les décisions des « coopérateurs » seraient entièrement déterminées par des facteurs extérieurs aux mains du capital, à l’exception de quelques modalités sans influence réelle sur les conditions d’exploitation. Ces exemples montrent que le sort d’une coopérative reprenant une activité quelconque et que la réalité quelque peu fallacieuse d’une telle voie, préconisée très timidement par le projet de loi « Economie sociale et solidaire », ne sont qu’un replâtrage politique face à l’énormité de la crise du capital.Une fois de plus, la reprise ouvrière, la gestion par une scop au fonctionnement gestionnaire bien éloigné de l'autogestion ouvrière, bute sur l'hostilité du capital, pourtant cette même même reprise ouvrière qui vient "à sa rescousse". A force de voir le capital comme une princesse qu'il faut secourir l'auteur n'en voit ni les contradictions ni les impératifs immédiats pourtant incarnés ici dans l'hostilité entre la scop et le trust. Pourtant à nouveau l'auteur admet, contre lui même, qu'il ne s'agit pas ici d'autogestion puisqu'au final, encore une fois, " la scop ne serait qu’un maillon dans le giron d’un groupe capitaliste puissant qui imposerait l’ensemble des facteurs économiques déterminant (...) les conditions de gestion de la force de travail". C'est avec une certaine satisfaction qu'on laissera donc là cet incroyable pamphlétaire dans les contradictions dans lesquelles il s'enlise lui même.
Cependant à aucun instant il ne se risque dans son audacieux exposé à tenter la moindre définition de l'autogestion (on comprend pourquoi d'une certaine façon). Il n'y a pas plus d'autogestion dans les exemples dénoncés par Henri Simon qu'il n'y a de socialisme chez F. Hollande ou de communisme en Corée du Nord. Lorsque c'est la propriété du capital qui est aux mains des ouvriers sous la forme d'un coopérativisme capitaliste cela n'est donc pas de l'autogestion. Lorsque l'entreprise est sous le "contrôle" des travailleurs afin de produire sous la contrainte d'un marché ou d'une bureaucratie cela n'est pas de l'autogestion.
L'autogestion est généralisée ou bien elle n'est pas, elle ne laisse rien subsister au-dessus d'elle : ni loi des marchés ni planification bureaucratique, ce n'est ni une "autogestion d'entreprise" ou une "autogestion fédérale", elle est le dépassement et l'abolition de toute séparation (entreprises, branches, région, nations), elle n'est ni un fédéralisme ni un centralisme mais un rapport organique vivant qui est en soi une négation du marché : le "marché de l'emploi" qui implique le salariat, les "marchandises" qui impliquent de produire pour le commerce et non pour la satisfaction des besoins sociaux. L'autogestion générale ou "autogestion sociale" implique l'administration de l'ensemble de l'activité sociale humaine. Si l'entreprise est la base de l'exploitation capitaliste subie par les travailleurs ceux ci ne sauraient s'y enfermer afin de produire en concurrence avec les autres entreprises ce qui continuerait à impliquer le même rapport au capital que la gestion patronale ou bureaucratique. Ils ne sauraient s'y enfermer également parce que c'est l'ensemble de la société mondiale qui est à administrer (quartiers d'habitation, espaces sociaux, etc) et parce que l'affrontement avec le capital nécessitera un pouvoir ouvrier absolu, un pouvoir de classe, principe démocratique des conseils de travailleurs : la gestion ouvrière. La gestion ouvrière ne peut pas nier la nécessité de l'opposition avec l'Etat capitaliste, elle en est la négation politique. Avec la disparition des classes sociales la gestion ouvrière devient alors autogestion généralisée : le pouvoir ouvrier est alors sa propre négation, en abolissant l'existence des classes sociales, de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, elle réalise son auto-suppression.
De surcroît l’autogestion sociale n’est pas une autogestion
de l’appareil de production capitaliste. Circonscrire l’autogestion aux
entreprises, à une somme d’entreprises, c’est faire l’impasse sur
l’obsolescence de l’appareil de production capitaliste : des productions
entières du capitalisme mondial disparaîtront (armement, nucléaire, bien
entendu, mais pas seulement). C’est également la façon de produire qui
changera : les outils de production ne sont pas neutres et sont le produit
de l’exploitation capitaliste, de l’extorsion maximale de la plus-value et donc
de l’usure optimale du travailleur. C’est également la séparation/concentration
géographique des lieux de production qui s’ « éteindra » : les
lieux de production seront au service de la communauté humaine et non plus
l’inverse. Les travailleurs et les travailleuses ne seront plus asservis à une
entreprise ou à une production spécifique par crainte du chômage ou par manque
de « spécialisation ». En outre la disparition radicale de la concurrence
économique -et des marchés- illustrent également la fin des
entreprises-casernes, la guerre économique n’a plus de raison d’être, les
travailleurs du monde se coordonnent pour établir une comptabilité et une
planification qualitative et quantitative communes basées sur les calculs des
unités de production et/ou de consommation. L’Etat-nation, base contradictoire
du développement capitaliste, s’éteint car il a été combattu politiquement par
les conseils ouvriers et par l’obsolescence de la concurrence internationale.
Dans un même mouvement, d’une dimension sociale globale, s’éteignent les Etats,
les bureaucraties, les nations, les classes sociales et les entreprises.
Cependant à la lecture du texte « L’Autogestion à la
rescousse du capital », on ne saurait rendre seul responsable l’ancien mouvement
ultragauchiste de ses interprétations fantaisistes de l’autogestion.
L’ultragauchisme-qui-tourne-en-rond d’Henri Simon se nourrit depuis des lustres
(en gros depuis l’apparition parasitaire sur le créneau de l’autogestion
falsifiée des « pablistes » -une tendance du trotskisme- puis du
parti institutionnel PSU, en France du moins) des interprétations d’une gauche qui
n’a jamais était capable de saisir l’essence de l’autogestion. Effectivement
c’est un courant politique aujourd’hui incarné par toute une tendance de la
sphère altermondialiste et qui se caractérise par :
-Le
souci de se raccrocher à des mythes autogestionnaires afin de proclamer
« vous voyez cela a réussi on peut y arriver »,
- -De
développer des théories bancales de « double-pouvoir » et
d’autogestion dans un cadre étatique afin de rendre plus plausible la
construction de leurs mythes.
Un texte récent illustre à merveille cette illusion
autogestionnaire altermondialiste. Richard Neuville, dont l’exploit théorique
permanent est d’arriver à concilier les pouvoirs militaristes déguisés en
anti-impérialisme de pacotille- avec les expériences de cogestions
ouvriers-Etat en une vaste mythologie autogestionnaire, en est l’auteur. Ainsi
la publication de sa récente Typologie
d’expériences autogestionnaires en Amérique latine et indienne et leur rapport
au pouvoir est instructive à bien des égards afin de comprendre en quoi
certains altermondialistes maintiennent la confusion quand à la nature même de
l’autogestion.
L’analyse de P. Neuville s’appuie sur l’énonciation de pratiques de gestion
communautaire qui « ont suscité pas mal de débats sur la valorisation de
l’autonomie et ont donné lieu à l’expression et à la conceptualisation du
contre-pouvoir (Hardt – Negri : 2002), de l’anti-pouvoir (J. Holloway : 2002)
et du pouvoir populaire comme faisant partie d’une stratégie de contrôle de
l’Etat avec les changements politiques (A. Borón : 2001), des formes de
double-pouvoir sont également à l’œuvre. » On entrevoit dès le début le
caractère cogestionnaire « travailleurs-Etat » qui forme le projet
porté par cette tendance politique.
Cette tendance politique nie l’autonomie ouvrière
systématique, il ne s’agit pas pour elle que la classe ouvrière trouve
elle-même la voie de sa propre émancipation mais qu’elle lui soi transmise par
en haut. Or il n’y pas d’autogestion, pas de gestion ouvrière, sans autonomie
ouvrière. Et l’autonomie ouvrière ne se décrète pas, pas plus que
l’autogestion. Cette « autogestion » réformiste des altermonidialistes pose alors le
problème de la participation du prolétariat à son émancipation. Non seulement
cette « autogestion » sous contrôle de l’Etat enferme les
travailleurs dans leurs entreprises (ou leur coopérative de consommation) -ce
qui alors ne remet nullement en cause le caractère concurrentiel, national ou
international, du capitalisme-, mais de surcroît elle fait des travailleurs les
spectateurs de leur émancipation -tronquée car limitée au domaine de la gestion
d’entreprise- laissant ainsi le champs aux « spécialistes » de
l’émancipation d’assoir leur pouvoir sur la classe ouvrière. L’autogestion est
le produit de la conscience de classe, c'est-à-dire l’expression pratique de
l’autonomie ouvrière, ainsi elle ne saurait attendre les décrets émancipateurs
de tel ou tel pouvoir « bolivarien » en Amérique latine, penser le
contraire ce serait penser que l’Etat « bolivarien » est un Etat
neutre et non pas l’organisation politique de la mise en valeur du capital
national. Que l’Etat chaviste cherche, dans la cogestion avec les travailleurs,
à court-circuiter le patronat réactionnaire afin de renforcer son pouvoir est
une chose, appeler cela de l’autogestion en est une autre. La cogestion est
l’ennemie ultime de l’autogestion (différentes formes de cogestion Etat-travailleurs -Yougoslavie,
Algérie,…- fera l’objet ultérieurement d’une critique plus approfondie) et l’on
comprend bien pourquoi cette cogestion est une revendication des corporatistes
et des fascistes de tous poil).
L’Etat est devenu propriétaire des entreprises et a cédé 49 % des parts à des coopératives créées par les travailleurs, comme INVEPAL (papier) et INVEVAL (valves pour l’industrie pétrolière) mais la cogestion entre l’Etat et les coopératives des travailleurs s’avère compliquée. L’Etat a nationalisé les entreprises de télécommunications (CANTV), d’électricité (Electricidad de Caracas), de distribution alimentaire (Lacteos Los Andes cimenterie (Lafarge-France, Holcim-Suisse et Cemex-Mexique) et nationalise l’entreprise de sidérurgie SIDOR, La Banque du Venezuela, etc. mais le plus souvent, la gestion s’exerce sans contrôle réel des travailleurs. 500 entreprises ont été récupérées par les travailleurs, dont une centaine nationalisées.
C’est le flou le plus complet. Comme l’ultragauchiste
H Simon, R. Neuville admet que partout il n’y a pas véritablement d’autogestion
et que règne plutôt la « cogestion », qui est une vaste foutaise
reprise de tout temps par le « syndicalisme jaune » pro-patronal en
Europe, et par son équivalent en Amérique latine : l’idéologie bourgeoise
« solidariste » (sûrement une façon d’exprimer, là aussi, que les
ouvriers doivent être « solidaires » de leurs patrons, c'est-à-dire
docile dans l’exploitation).
Tout n’est pas à jeter cependant dans ce catalogue des typologies, non pas dans le sens où les expériences cataloguées sont des pistes vers l’émancipation sociale, mais simplement parce qu’il ne nous est que possible de constater que certaines formes de contestation ou gestion prolétarienne à l’intérieur du capital sont le produit d’une survie nécessaire face à la destruction sociale opérée par l’irrationalité des marchés ou les techniques de développement des profits.
En mai 2010, le Plan Guyana socialiste 2009-2019 fait passer toute l’industrie extractive et métallurgique sous l’appellation d’« autogestion sous contrôle ouvrier ».
Le « Plan Guyana socialiste » est une
appellation bien séduisante sous la plume de R. Neuville et pourrait faire
croire que l’ensemble du plateau des Guyanes d’Amazonie est tombée sous un
processus socialiste, la réalité est beaucoup moins séduisante lorsque l’on
sait qu’il ne s’agit que d’une directive chaviste visant à mettre à la tête de
la production minière un ensemble de bureaucrates syndicaux sûrement bien plus
dociles que le patronat fascisant vénézuélien. Lorsqu’on apprend de surcroît
que seules un tiers des entreprises devra être sous « contrôle
ouvrier » face à la concurrence du privé et des entreprises nationales, le
mystère de l’auto-exploitation derrière ce « plan Guyana » est alors
vite percé.
D’une autre façon le cas d’Euzkadi-Continental au Mexique illustre cette confusion reprise
sous la plume de l’ultragauchisme essoufflé de certains puisqu’on y apprend que
cette « autogestion » ne fut rien d’autre qu’une mise en coopérative
des travailleurs (pourquoi pas, mais c’est un autre sujet) mais « en 2008, devant la crise
économique, TRADOC doit s’associer avec deux entreprises mais conserve la
majorité des parts. » … où l’on apprend, encore une fois que l’autogestion
n’est pas une appropriation sociale de la production/distribution et une
gestion démocratique de l’ensemble de la vie sociale, mais une seule question
de propriété et possession de « parts ».
Il nous restera à discuter des
exemples de gestion directe d’entreprises par les travailleurs au Brésil et en
Argentine, mais également d’essayer de déceler des prémisses de pouvoir "par la base" à Oaxaca [2]. Apprendre à "gérer" aujourd'hui à petite échelle pour gérer à grande échelle demain ? Cela ne va pas mécaniquement de soi, ne nous faisons pas d'illusion. Ici ou ailleurs, c'est à un processus d'ensemble, dépassant fédéralisme et centralisme, que nous continuerons de définir l'autogestion sociale. Le débat reste ouvert, encore faut-il le faire sur des bases claires.
[1] Un autre texte tout aussi aberrant a circulé également sur le web, Pour un réseau communiste antigestionnaire, issu d'une mouvance de l'indéfinissable "communisation" et dont l'exploit réside ici dans le fait d'amalgamer tout et son contraire afin de jeter le bébé autogestionnaire avec l'eau du bain cogestionnaire, sans que pourtant le bébé n'y est jamais mis les pieds ...
[2] Nous utilisons le terme "ultragauchiste" non pas dans le sens des gauches radicales germano-hollandaises mais pour définir cette mouvance de la surenchère idéologique qui est apparue dans les années 70 comme négation des concepts acquis (conseils ouvriers, autogestion, ...) afin de brasser du vent en l'absence de réalité pratique.
[3] Qu'on ne s'y trompe pas pourtant : notre objectif n'est pas de décerner des "bons points" d'autogestion à des événements actuels ou historiques, mais bien d'éclaircir les choses afin de poser les bases d'un débat global sur l'autogestion sociale.
[1] Un autre texte tout aussi aberrant a circulé également sur le web, Pour un réseau communiste antigestionnaire, issu d'une mouvance de l'indéfinissable "communisation" et dont l'exploit réside ici dans le fait d'amalgamer tout et son contraire afin de jeter le bébé autogestionnaire avec l'eau du bain cogestionnaire, sans que pourtant le bébé n'y est jamais mis les pieds ...
[2] Nous utilisons le terme "ultragauchiste" non pas dans le sens des gauches radicales germano-hollandaises mais pour définir cette mouvance de la surenchère idéologique qui est apparue dans les années 70 comme négation des concepts acquis (conseils ouvriers, autogestion, ...) afin de brasser du vent en l'absence de réalité pratique.
[3] Qu'on ne s'y trompe pas pourtant : notre objectif n'est pas de décerner des "bons points" d'autogestion à des événements actuels ou historiques, mais bien d'éclaircir les choses afin de poser les bases d'un débat global sur l'autogestion sociale.
A suivre :
Les nouvelles aventures de l'autogestion (publication en mai 2014)
Lire également :
Paul Mattick, La gestion ouvrière, 1967.
Anton Pannekoek, L'organisation des Conseils ouvriers, 1947
Les Conseils ouvriers et l'organisation communiste de l'économie, 1935.
Anton Pannekoek, L'organisation des Conseils ouvriers, 1947
Les Conseils ouvriers et l'organisation communiste de l'économie, 1935.