Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne (1919-1935)
LA REVOLUTION ÉCLATE
En novembre 1918, le front allemand s’effondra. Les soldats 
désertèrent par milliers. Toute la machine de guerre craquait. 
Néanmoins, à Kiel, les officiers de la flotte décidèrent de livrer une 
dernière bataille : pour sauver l’honneur. Alors, les marins 
refusèrent de servir. Ce n’était pas leur premier soulèvement, mais 
les tentatives précédentes avaient été réprimées par les balles et 
les bonnes paroles. Cette fois-ci, il n’y avait plus d’obstacle 
immédiat ; le drapeau rouge monta sur un navire de guerre, puis sur les
 autres. Les marins élurent des délégués qui formèrent un Conseil.
Désormais les marins étaient obligés de tout faire pour généraliser
 le mouvement. Ils n’avaient pas voulu mourir au combat contre 
l’ennemi ; mais ils demeuraient dans l’isolement, les troupes dites 
loyales interviendraient et, de nouveau, ce serait le combat, la 
répression. Aussi les matelots débarquèrent et gagnèrent Hambourg ; 
de là, par le train ou par tout autre moyen, ils se répandirent dans 
toute l’Allemagne. Le geste libérateur était accompli. Les événements
 s’enchaînaient maintenant rigoureusement. Hambourg accueillit les 
marins avec enthousiasme ; soldats et ouvriers se solidarisaient 
avec eux, ils élirent eux aussi des Conseils. Bien que cette forme 
d’organisation ait été jusque-là inconnue dans la pratique, un 
vaste réseau de Conseils ouvriers et de Conseils de soldats couvrit 
promptement, en quatre jours, le pays. Peut-être avait-on entendu 
parler des Soviets russes de 1917, mais alors très peu : la censure 
veillait. En tout cas, aucun parti, aucune organisation n’avait 
jamais proposé cette nouvelle forme de lutte.
PRÉCURSEURS DES CONSEILS
Toutefois, pendant la guerre en Allemagne, des organismes assez 
analogues avaient fait leur apparition dans les usines. Ils étaient 
formés au cours des grèves par des responsables élus, appelés hommes 
de confiance. Chargés par le syndicat de petites fonctions sur le 
tas, ces derniers, dans la tradition syndicale allemande, devaient
 assurer un lien entre la base et les centrales, transmettre aux 
centrales les revendications des ouvriers. Pendant la guerre, ces 
griefs étaient nombreux (les principaux portaient sur 
l’intensification du travail et l’augmentation des prix). Mais 
les syndicats allemands - comme ceux des autres pays - avaient 
constitué un front unique avec le gouvernement, afin de lui 
garantir la paix sociale en échange de menus avantages pour les 
ouvriers et de la participation des dirigeants syndicaux à divers
 organismes officiels. Aussi les hommes de confiance frappaient-ils à
 la mauvaise porte. Les « fortes têtes » étaient, tôt ou tard, 
expédiées aux armées, dans les unités spéciales. Il était donc 
difficile de prendre position, publiquement, contre les 
syndicats.
Les hommes de confiance cessèrent donc de renseigner les 
centrales syndicales - cela n’en valait pas la peine - mais la 
situation,et par conséquent, les revendications ouvrières, n’en 
demeurait pas moins ce qu’elle était, ils se réunirent 
clandestinement. En 1917, un flot de grèves sauvages déferla sur 
le pays. Spontanés, ces mouvements n’étaient pas dirigés par une 
organisation stable et permanente ; s’ils se déroulaient avec un 
certain ensemble, c’est qu’ils avaient été précédés de discussions 
et d’accords entre diverses usines, les contacts préliminaires aux 
actions étant pris par les hommes de confiance de ces usines.
Dans ces mouvements, provoqués par une situation intolérable, 
en l’absence de toute organisation à laquelle accorder une confiance
 si limitée fût-elle, les conceptions différentes (sociale-démocrate,
 religieuse, libérale, anarchiste, etc.) des ouvriers devaient 
s’effacer ,devant les nécessités de l’heure ; les masses laborieuses
 étaient obligées de décider par elles-mêmes, sur la base de l’usine. A 
l’automne 1918, ces mouvements, jusqu’alors sporadiques et 
cloisonnés plus ou moins les uns par rapport aux autres, prirent une 
forme précise et généralisée. Aux côtés des administrations 
classiques (police, ravitaillement, organisation du travail, 
etc.) parfois même - en partie - à leur place, les Conseils ouvriers 
prirent le pouvoir dans les centres industriels importants : à 
Berlin, à Hambourg, Brème, dans la Ruhr et dans le centre de 
l’Allemagne, en Saxe. Mais les résultats furent minces. Pourquoi ?
UNE FACILE VICTOIRE
Cette carence provient de la facilité même avec laquelle se 
formèrent les Conseils ouvriers. L’appareil d’Etat avait perdu toute 
autorité ; s’il s’écroulait, ici et 1à, ce n’était pas en conséquence
 d’une lutte acharnée et volontaire des travailleurs. Leur mouvement
 rencontrait le vide et s’étendait donc sans difficultés, sans qu’il 
fût nécessaire de combattre et de réfléchir sur ce combat. Le seul 
objectif dont on parlait était celui de l’ensemble de la 
population : la paix.
II y avait là une différence essentielle avec la révolution russe.
 En Russie, la première vague révolutionnaire, la Révolution de 
Février, avait balayé le régime tsariste ; mais la guerre continuait. 
Le mouvement des travailleurs unis trouvait ainsi une raison 
d’accentuer sa pression, de se montrer de plus en plus hardi et 
décidé. Mais en Allemagne, l’aspiration première de la population, 
la paix, fut immédiatement comblée ; le pouvoir impérial laissait 
place à la république. Quelle serait cette république ?
Avant la guerre, il n’y avait sur ce point aucune divergence entre 
les travailleurs. La politique ouvrière, en pratique comme en 
théorie, était faite par le parti social-démocrate et les syndicats, 
adoptée et approuvée par la majorité des travailleurs organisés. Pour
 les membres du mouvement socialiste, au cours de la lutte pour la 
démocratie parlementaire et les réformes sociales, ne songeant 
qu’à cette lutte, l’Etat démocratique bourgeois devait être un jour 
le levier du socialisme. Il suffirait d’acquérir une majorité au 
Parlement, et les ministres socialistes nationaliseraient, pas à 
pas, la vie économique et sociale ; ce serait le socialisme.
II y avait aussi, sans doute, un courant révolutionnaire, dont 
Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg étaient les représentants les plus 
connus. Toutefois ce courant ne développa jamais des conceptions 
nettement opposées au socialisme d’Etat ; il ne constituait qu’une 
opposition au sein du vieux parti, du point de vue de la base ce 
courant ne se distinguait pas clairement de l’ensemble.
CONCEPTIONS NOUVELLES
Pourtant des conceptions nouvelles virent le jour pendant les 
grands mouvements de masse de 1918-1921. Elles n’étaient pas la 
création d’une prétendue avant-garde, mais bien créées par les masses 
elles-mêmes. Dans la pratique, l’activité indépendante des ouvriers
 et des soldats avait reçu sa forme organisationnelle : les 
Conseils, ces nouveaux organes agissant dans un sens de classe. Et, 
parce qu’il y a une liaison étroite entre les formes prises par la 
lutte de classe et les conceptions de l’avenir, il va sans dire que, ça
 et là, les vieilles conceptions commençaient d’être ébranlées. A 
présent, les travailleurs dirigeaient leurs propres luttes en dehors 
des appareils des partis et des syndicats ; aussi l’idée prenait 
corps que les masses devaient exercer une influence directe sur la vie 
sociale par le moyen des Conseils. Il y aurait alors « dictature du 
prolétariat » comme on disait ; une dictature qui ne serait pas 
exercée par un parti, mais serait l’expression de l’unité enfin 
réalisée de toute la population travailleuse. Certes, une telle 
organisation de la société ne serait pas. Démocratique au sens 
bourgeois du terme, puisque la partie de la population qui ne 
participait pas à la nouvelle organisation de la vie sociale 
n’aurait voix ni dans les discussions ni dans les décisions.
Nous disions que les vieilles conceptions commençaient d’être 
ébranlées. Mais il devint vite évident que les traditions 
parlementaires et syndicales étaient trop profondément 
enracinées dans les masses pour être extirpées à bref délai. La 
bourgeoisie, le parti social démocrate et les syndicats firent 
appel à ces traditions pour battre en brèche les nouvelles 
conceptions. Le parti, en particulier, se félicitait en paroles de
 cette nouvelle façon que les masses avaient de s’imposer dans la vie 
sociale. II allait jusqu’à exiger que cette forme de pouvoir direct 
soit approuvée et codifiée par une loi. Mais, s’il leur témoignait 
ainsi sa sympathie, l’ancien mouvement ouvrier, en entier, 
reprochait aux Conseils de ne pas respecter la démocratie, tout en 
les excusant en partie à cause d’un manque d’expérience dû à leur 
naissance spontanée.En réalité, les anciennes organisations 
trouvaient que les Conseils ne leur faisaient pas une place assez 
grande et voyaient en eux des organismes concurrents. En se 
prononçant pour la démocratie ouvrière, les vieux partis et les 
syndicats revendiquaient en fait pour tous les courants du 
mouvement ouvrier le droit d’être représentés dans les Conseils, 
proportionnellement à leur importance numérique respective.
LE PIÈGE
La plus grande partie des travailleurs était incapable de réfuter 
cet argument : il correspondait trop à leurs anciennes habitudes.
 Les Conseils ouvriers rassemblèrent donc des représentants du parti 
social-démocrate, des syndicats, des social-démocrate de gauche, des
 coopératives de consommation etc. ainsi que des délégués d’usine. 
II est évident que de tels Conseils n’étaient pas les organes d’équipes
 des travailleurs, réunis par la vie à l’usine, mais des formations 
issues de l’ancien mouvement ouvrier et œuvrant à la restauration 
du capitalisme sur la base du capitalisme d’Etat démocratique.
Cela signifiait la ruine des efforts ouvriers. En effet, les 
délégués aux Conseils ne recevaient plus leurs directives de la 
masse, mais de leurs différentes organisations. Ils adjuraient les 
travailleurs de respecter et de faire régner « l’ordre », 
proclamant que « dans le désordre, pas de socialisme ». Dans ces 
conditions, les Conseils perdirent rapidement toute valeur aux yeux
 des ouvriers. Les institutions bourgeoises se remirent à 
fonctionner, sans se soucier de l’avis des Conseils ; tel était 
précisément le but de l’ancien mouvement ouvrier.
L’ancien mouvement ouvrier pouvait être fier de sa victoire. La 
loi votée par le Parlement fixait dans le détail les droits et les 
devoirs des Conseils. Ils auraient pour tâche de surveiller 
l’application des lois sociales. Autrement dit les Conseils 
devenaient à leur façon des rouages de l’Etat ; ils participaient à
 sa bonne marche, au lieu de le démolir. Cristallisées dans les masses, 
les traditions se révélaient plus puissantes que les résultats de 
l’action spontanée.
Malgré cette  « révolution avortée », on ne peut dire que la victoire 
des éléments conservateurs ait été simple et facile. La nouvelle 
orientation des esprits, tout de même assez forte pour que des 
centaines de milliers d’ouvriers luttent avec acharnement afin que
 les Conseils gardent leur caractère de nouvelles unités de classe. 
II fallut cinq ans de conflits incessants, pour que le mouvement des 
Conseils soit définitivement vaincu par le front unique de la 
bourgeoisie, de l’ancien mouvement ouvrier et des gardes-blancs, 
formés par les hobereaux prussiens et les étudiants réactionnaires.
COURANTS POLITIQUES
On peut distinguer, en gros, quatre courants politiques du côté des ouvriers :
a) les sociaux-démocrates :
ils voulaient nationaliser graduellement les grandes 
industries en utilisant la voie parlementaire. Ils tendaient 
également à réserver aux syndicats le rôle d’intermédiaires 
exclusifs entre les travailleurs et le capital d’Etat.
b) les communistes :
s’inspirant plus ou moins de l’exemple russe, ce courant 
préconisait une expropriation directe des capitalistes par les 
masses. Selon eux, les ouvriers révolutionnaires avaient pour devoir 
de « conquérir » les syndicats et de les « rendre 
révolutionnaires ».
c) les anarcho-syndicalistes :
ils s’opposaient à la prise du pouvoir politique et à tout Etat. 
D’après eux, les syndicats représentaient la formule de l’avenir ; 
il fallait lutter pour que les syndicats prennent une extension 
telle qu’ils seraient en mesure, alors, de gérer toute la vie 
économique. L’un des théoriciens les plus connus de ce courant, 
Rudolf Rocker, écrivait en 1920 que les syndicats ne devaient pas être
 considérés comme un produit transitoire du capitalisme, mais bien 
comme les germes d’une future organisation socialiste de la société.
 II sembla tout d’abord en 1919, que l’heure de ce mouvement était 
venue. Les syndicats anarchistes se gonflèrent dès l’écroulement 
de l’Empire allemand. En 1920, ils comptaient autour de deux cent 
mille membres.
d) Toutefois, cette année 1920, les effectifs des syndicats 
révolutionnaires se réduisirent. Une grande partie de leurs 
adhérents se dirigeaient maintenant vers une toute autre forme 
d’organisation, mieux adaptée aux conditions de la lutte : l’organisation révolutionnaire d’usine.
 Chaque usine avait ou devait avoir sa propre organisation, agissant
 indépendamment des autres, et qui même, dans un premier stade, 
n’était pas reliée aux autres. Chaque usine faisait donc figure de 
« république indépendante », repliée sur elle-même.
Sans doute ces organismes d’usines étaient-ils une réalisation 
des masses ; cependant, il faut souligner qu’ils apparaissaient 
dans le cadre d’une révolution, sinon vaincue, du moins stagnante. Il
 devint vite évident que les ouvriers ne pouvaient pas, dans 
l’immédiat, conquérir et organiser le pouvoir économique et 
politique au moyen des Conseils ; il faudrait tout d’abord soutenir
 une lutte sans merci contre les forces qui s’opposaient aux Conseils. 
Les ouvriers révolutionnaires commençaient donc à rassembler leurs
 propres forces dans toutes les usines, afin de rester en prise directe
 sur la vie sociale. Par leur propagande, ils s’efforçaient d’éveiller
 la conscience des ouvriers, les invitaient à sortir des syndicats 
et adhérer à l’organisation révolutionnaire d’usine ; les ouvriers
 comme un tout pourraient alors diriger eux-mêmes leurs propres 
luttes, et conquérir le pouvoir économique et politique sur toute 
la Société.
 
En apparence, la classe ouvrière faisait ainsi un grand pas en arrière
 sur le terrain de son organisation. Tandis qu’auparavant, le 
pouvoir des ouvriers était concentré dans quelques puissantes 
organisations centralisées, il se désagrégeait à présent dans des 
centaines de petits groupes, réunissant quelques centaines ou 
quelques milliers d’adhérents, selon l’importance de l’usine. En 
réalité, cette forme se révélait la seule qui permit de poser les jalons
 d’un pouvoir ouvrier direct ; aussi, bien que relativement 
petites, ces nouvelles organisations effrayaient la bourgeoisie,
 la social-démocratie, et les syndicats.
DÉVELOPPEMENT DES ORGANISATIONS D’USINES
Toutefois, ce n’est pas par principe que ces organisations se 
tenaient isolées les unes des autres. Leur apparition s’était 
effectuée ça et là, de façon spontanée et séparée, au cours de grèves 
sauvages (parmi les mineurs de la Ruhr, en 1919, par exemple). Une 
tendance se fit jour en vue d’unifier tous ces organismes et 
d’opposer un front cohérent à la bourgeoisie et à ses acolytes. 
L’initiative partit des grands ports, Hambourg et Brême ; en avril 
1920, une première conférence d’unification se tint à Hanovre. Des 
délégations venues des principales régions industrielles de 
l’Allemagne y participèrent. La police intervint et dispersa le 
congrès. Mais elle arrivait trop tard. En effet, l’organisation 
générale, unifiée était déjà fondée ; elle avait pu mettre au net les 
plus importants de ses principes d’action. Cette organisation 
s’était donnée le nom d’Union générale des travailleurs d’Allemagne : 
AAUD (Allemeine Arbeiter Union-Deutschlands). L’AAUD avait pour 
principe essentiel la lutte contre les syndicats et les Conseils 
d’entreprise légaux, ainsi que le refus du parlementarisme. Chacune
 des organisations, membre de l’Union, avait droit au maximum 
d’indépendance et à la plus grande liberté de choix dans sa 
tactique.
A cette époque en Allemagne, les syndicats comptaient plus de 
membres qu’ils n’en avaient jamais eu et qu’ils ne devaient en avoir 
depuis. Ainsi, en 1920, les syndicats d’obédience socialiste 
regroupaient presque huit millions de cotisants dans 52 
associations syndicales ; les syndicats chrétiens avaient plus 
d’un million d’adhérents ; et les syndicats maison, les jaunes, en 
réunissaient près de 300 000. En outre, il y avait des organisations
 anarcho-syndicalistes (FAUD) et aussi quelques autres qui, un peu
 plus tard, devaient adhérer à l’ISR (Internationale syndicale rouge, 
dépendant de Moscou). Tout d’abord, l’AAUD ne rassembla que 80 000 
travailleurs (avril 1920) ; mais sa croissance fut rapide et, à la fin
 de 1920, ce nombre passa à 300 000. Certaines des organisations qui 
la composaient affirmaient, il est vrai, une égale sympathie pour 
la FAUD ou encore pour l’LSR.
Mais dès décembre 1920, des divergences politiques 
provoquèrent une grande scission au sein de l’AAUD : de nombreuses 
associations adhérentes la quittèrent pour former une nouvelle 
organisation dite unitaire : l’AAUD-E. Après cette rupture, l’AAUD 
déclarait compter encore plus de 200 000 membres, lors de son 4e
 Congrès (juin 1921). En réalité, ces chiffres n’étaient déjà plus 
exacts : au mois de mars 1921, l’échec de l’insurrection d’Allemagne 
centrale avait littéralement décapité et démantelé l’AAUD Encore 
faible, l’organisation ne put résister de manière efficace à une 
énorme vague de répression policière et politique.
LE PARTI COMMUNISTE ALLEMAND (KPD)
Avant d’examiner les diverses scissions dans le mouvement des 
organisations d’usines, il est nécessaire de parler du parti 
communiste (KPD). Pendant la guerre, le parti social-démocrate se 
tint aux côtés - ou plutôt derrière - des classes dirigeantes et fit
 tout pour leur assurer la « paix sociale » ; à l’exception 
toutefois d’une mince frange de militants et de fonctionnaires du 
parti, dont les plus connus étaient Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht. 
Ces derniers faisaient de la propagande contre la guerre et 
critiquaient violemment le parti social-démocrate. Ils n’étaient 
pas tout à fait seuls. Outre leur groupe, la Ligue Spartacus, il y 
avait, entre autres, des groupes comme les « Internationalistes » de 
Dresde et de Francfort, les « radicaux de gauche » de Hambourg ou 
« Politique ouvrière » de Brême. Dès novembre 1918 et la chute de 
l’empire, ces groupes, formés à l’école de la « gauche » 
social-démocrate, se prononcèrent pour une lutte « dans la rue » 
destinée à forger une organisation nouvelle, politique et qui 
s’orienterait dans une certaine mesure sur la révolution russe. 
Finalement, un Congrès d’unification se tint à Berlin et, dès le 
premier jour (30 décembre 1918), fut fondé le parti communiste [1].
 Ce parti devint immédiatement un lieu de rassemblement pour nombre
 d’ouvriers révolutionnaires qui exigeaient « tout le pouvoir aux 
Conseils ouvriers ».
II faut noter que les fondateurs du KPD formèrent, en quelque 
sorte par droit de naissance, les cadres du nouveau parti ; ils y 
introduisirent donc souvent, avec eux, l’esprit de la vieille 
social-démocratie. Les ouvriers qui affluaient maintenant au KPD et 
se préoccupaient en pratique des nouvelles formes de lutte 
n’osaient pas toujours affronter leurs dirigeants, par respect de la
 discipline, et se pliaient fréquemment à des conceptions périmées. 
« Organisations d’usines », ce mot recouvre en effet des notions très 
dissemblables. Il peut désigner, comme le pensaient les fondateur 
du KPD, une simple forme d’organisation, sans plus, et donc soumise à
 des directives qui sont décidées en dehors d’elle : c’était la 
vieille conception. Il peut aussi renvoyer à un ensemble tout 
différent d’attitudes et de mentalités. Dans ce sens nouveau, la 
notion d’organisation d’usines implique un bouleversement des 
idées admises jusqu’alors à propos de :
a) l’unité de la classe ouvrière ;
b) la tactique de lutte ;
c) les rapports entre les masses et sa direction ;
d) la dictature du prolétariat ;
e) les rapports entre l’Etat et la Société ;
f) le communisme en tant que système économique et politique.
Or, ces problèmes se posaient dans la pratique des luttes 
nouvelles ; il fallait tenter de les résoudre ou disparaître en 
tant que forces neuves. La nécessité d’un renouvellement des idées, 
par conséquent, se faisait pressante ; .mais les cadres du parti - 
s’ils avaient eu le courage de quitter leurs anciens postes - ne 
pensaient plus maintenant qu’à reconstituer le nouveau parti sur 
le modèle de l’ancien, en évitant ses mauvais côtés, en peignant ses 
buts en rouge et non plus en rose et blanc. D’autre part, il va sans 
dire que les idées nouvelles souffraient d’un manque d’élaboration 
et de netteté, qu’elles ne se présentaient pas comme un tout 
harmonieux, tombé du ciel ou d’un cerveau unique. Plus 
prosaïquement, elles provenaient en partie du vieux fond 
idéologique, le neuf y côtoyait l’ancien et s’y mêlait. En bref, les 
jeunes militants du KPD ne s’opposaient pas de façon massive et 
résolue à leur direction, mais ils étaient faibles et divisés sur bien
 des questions.
LE PARLEMENTARISME
Le KPD, dès sa formation, se divisa sur l’ensemble des problèmes 
soulevés par la notion nouvelle des « organisations d’usines ». Le 
gouvernement provisoire, dirigé par le social-démocrate Ebert, 
avait annoncé des élections pour une Assemblée constituante. Le jeune 
parti devait-il participer à ces élections, même pour les dénoncer ?
 Cette question provoqua des discussions très vives au Congrès.
La grande majorité des ouvriers exigeait le refus de toute 
participation aux élections. Au contraire, la direction du parti, y
 compris Liebknecht et Luxembourg, se prononçait pour une campagne 
électorale. La direction fut battue aux voix, la majorité du parti 
se déclara anti-parlementaire. Selon cette majorité, la 
Constituante n’avait pas d’autre objet que de consolider le pouvoir 
de la bourgeoisie en lui donnant une base « légale ». A l’inverse, 
les éléments prolétariens du KPD tenaient surtout à rendre plus 
actifs, « activer » les Conseils ouvriers existants et à naître ; ils 
voulaient donc mettre en valeur la différence entre démocratie 
parlementaire et démocratie ouvrière en répandant le mot d’ordre : 
« Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers ».
La direction du KPD voyait dans cet antiparlementarisme, non 
pas un renouvellement, mais une régression vers des conceptions 
syndicalistes et anarchistes, comme celles qui se manifestèrent 
au début du capitalisme industriel. En réalité, 
l’anti-parlementarisme du nouveau courant n’avait pas grande chose
 de commun avec le « syndicalisme révolutionnaire » et 
l’« anarchisme ». Il en représentait même, à bien des égards, la 
négation. Tandis que l’anti-parlementarisme des libertaires 
s’appuyait sur le refus du pouvoir politique, et en particulier de
 la dictature du prolétariat, le nouveau courant considérait 
l’anti-parlementarisme comme une condition nécessaire à la prise 
du pouvoir politique. Il s’agissait donc d’un 
anti-parlementarisme « marxiste ».
LES SYNDICATS
Sur la question des activités syndicales, la direction du KPD 
avait, naturellement, une façon de voir différente de celle du 
courant « organisations d’usines ». Cela donna lieu également à des
 discussions peu de temps après le Congrès (et aussi l’assassinat de
 Karl et de Rosa) [2].
Les propagandistes des Conseils mettaient en avant le mot 
d’ordre « Sortez des syndicats ! Adhérez aux organisations 
d’usines ! Formez des Conseils ouvriers ». Mais la direction du KPD 
déclarait : « Restez dans les syndicats. » Elle ne pensait pas, il 
est vrai, « conquérir » les centrales syndicales, mais elle croyait
 possible de « conquérir » la direction de quelques branches 
locales. Si ce projet prenait corps, alors on pourrait réunir ces 
organisations locales dans une nouvelle centrale qui, elle, serait
 révolutionnaire.
Là encore, la direction du KPD essuya une défaite. La plupart de ses 
sections refusèrent d’appliquer ses instructions. Mais la direction
 décida de maintenir ses positions, fût ce au prix de l’exclusion de
 la majorité de ses membres ; elle fut soutenue par le parti russe 
et son chef, Lénine ; qui rédigea à cette occasion sa néfaste 
brochure sur La Maladie infantile [3].
 Cette opération se fit au Congrès de Heidelberg (octobre 1919) où, 
par diverses, machinations, la direction parvint à exclure de façon
 « démocratique » plus de la moitié du parti... Désormais le Parti 
communiste allemand était en mesure de mener sa politique 
parlementaire et syndicale (avec des résultats- plutôt piteux) ; 
l’exclusion des révolutionnaires lui permit de s’unir, un peu plus 
tard (octobre 1920) avec une partie des socialistes de gauche (et de 
quadrupler en nombre : mais pour trois ans seulement). En même 
temps, le KPD perdait ses éléments les plus combatifs et devait se 
soumettre inconditionnellement aux volontés de Moscou.
LE PARTI OUVRIER COMMUNISTE (KAPD)
Quelque temps après, les exclus formèrent un nouveau parti : le 
KAPD. Ce parti entretenait des rapports étroits avec l’AAUD Dans les 
mouvements de masse, qui eurent lieu au cours des années suivantes, 
le KAPD fut une force qui compta. On redoutait autant sa volonté et sa 
pratique d’actions directes et violentes que sa critique des 
partis et des syndicats, sa dénonciation de l’exploitation 
capitaliste sous toute ses formes, et d’abord à l’usine, bien 
entendu ; sa presse et ses publications diverses participent 
souvent de ce que la littérature marxiste offrait de meilleur, à 
cette époque de décadence du mouvement ouvrier marxiste, et cela, 
bien que le KAPD s’embarrassât encore de vieilles traditions.
LE KAPD ET LES DIVERGENCES AU SEIN DE L’AAUD
Quittons maintenant les partis, et revenons au mouvement des 
« organisations d’usines ». Ce jeune mouvement démontrait que 
d’importants changements s’étaient produits dans la conscience du 
monde ouvrier. Mais ces transformations avaient  eu des conséquences
 variées ; différents courants de pensée se révélaient très 
distinctement dans l’AAUD L’accord était général sur les points 
suivants :
a) la nouvelle organisation devait s’efforcer de grandir ;
b) sa structure devait être conçue de manière à éviter la constitution d’une nouvelle clique de dirigeants ;
c) cette organisation devrait organiser la dictature du 
prolétariat lorsqu’elle rassemblerait des millions de membres.
Deux points provoquaient des antagonismes insurmontables :
a) nécessité ou non d’un parti politique en dehors de l’AAUD ;
b) gestion de la vie économique et sociale.
Au début, l’AAUD n’avait que des rapports assez vagues avec le KPD ;
 aussi ces divergences n’avaient-elles pas de portée pratique. Les 
choses changèrent avec la fondation du KAPD. L’AAUD coopéra 
étroitement avec le KAPD et ceci contre la volonté d’un grand nombre 
de ses adhérents, surtout en Saxe, à Francfort, Hambourg, etc. (il ne 
faut pas oublier que l’Allemagne était encore extrêmement 
décentralisée, et ce découpage se répercutait aussi sur la vie des
 organisations ouvrières). Les adversaires du KAPD dénoncèrent la 
formation en son sein d’une  « clique de dirigeants » et, en 
décembre 1920, formèrent l’AAUD-E (« E » pour                
« Einheitsorganisation », organisation unitaire), qui repoussait 
tout isolement d’une partie du prolétariat dans une organisation 
« spécialisée », un parti politique.
LA PLATE-FORME COMMUNE
Quels étaient les arguments des trois courants en présence ? II y 
avait unité de vue dans l’analyse du monde moderne. En gros, tout le 
monde reconnaissait que la société avait changé : au XIXe
 siècle, le prolétariat ne formait qu’une minorité restreinte dans 
la société ; il ne pouvait lutter seul et devait chercher à se 
concilier d’autres classes, d’où la stratégie démocratique de Marx. 
Mais ces temps étaient révolus à tout jamais, du moins dans les pays 
développés d’Occident. Là le prolétariat constituait maintenant la 
majorité de la population, tandis que toutes les couches de la 
bourgeoisie s’unifiaient derrière le grand Capital, lui-même unifié.
 Désormais, la révolution était l’affaire du prolétariat seul. Elle 
était inévitable, car le capitalisme était entré dans sa crise 
mortelle (on n’oubliera pas que cette analyse date des années 1920 à 
1930).
Si la société avait changé, en Occident du moins, alors la 
conception même du communisme devait changer, elle aussi. II se 
révélait, d’ailleurs,  que les vieilles idées, appliquées par lès 
vieilles organisations, représentaient tout le contraire d’une 
émancipation sociale. C’est par exemple, ce que soulignait en 1924 
Otto Rühle, l’un des principaux théoriciens de l’AAUD-E.
« La nationalisation des moyens de production, qui continue 
d’être le programme de la social-démocratie en même temps que celui 
des communistes, n’est pas la socialisation. A travers la 
nationalisation des moyens de production, on peut arriver à un 
capitalisme d’Etat fortement centralisé, qui aura peut-être 
quelque supériorité sur le capitalisme privé, mais qui n’en sera pas
 moins un capitalisme. »
Le communisme résulterait de l’action des ouvriers, de leur lutte
 active et surtout « par eux-mêmes ». Pour cela, il fallait d’abord 
que se créent de nouvelles organisations. Mais que seraient ces 
organisations ? Là les opinions divergeaient et ces antagonismes
 aboutissaient à des scissions. Elles furent nombreuses. Tandis que
 la classe ouvrière cessait progressivement d’avoir une activité 
révolutionnaire, que ses formations officielles n’avaient 
d’action que spectaculaire autant que dérisoire, ceux qui voulaient
 agir ne faisaient qu’exprimer, à leur corps défendant, la 
décomposition générale du mouvement ouvrier. Néanmoins, il n’est 
pas inutile de rappeler, ici, leurs divergences.
LA DOUBLE ORGANISATION
Le KAPD repoussait l’idée de parti de masse, dans le style 
léniniste qui prévalut après la révolution russe, et soutenait 
qu’un parti révolutionnaire est nécessairement le parti d’une 
élite, petit donc, mais basé sur la qualité et non sur le nombre. Le 
parti, rassemblant les éléments les mieux éduqués du prolétariat, 
devrait agir comme un levain dans les masses, c’est-à-dire diffuser la
 propagande, entretenir la discussion politique, etc. La 
stratégie qu’il recommandait, c’était la stratégie classe contre 
classe, basée à la fois sur la lutte dans les usines et le soulèvement 
armé - parfois même, en préliminaire, l’action terroriste (actions
 à la bombe, pillage des banques, des wagons-postaux, coffres 
d’usines, etc. fréquents au début des années 1920). La lutte dans les 
usines, dirigée par des comités d’action, aurait pour effet de créer 
l’atmosphère et la conscience de classe nécessaires aux actions de 
masse et d’amener des masses toujours plus larges de travailleurs à se
 mobiliser pour les luttes décisives.
Herman Gorter, l’un des principaux théoriciens de ce courant, 
justifiait ainsi la nécessité d’un petit parti politique 
communiste :
« La plupart des prolétaires sont dans l’ignorance. Ils ont de 
faibles notions d’économie et de politique, ne savent pas 
grand-chose des événements nationaux et internationaux, des 
rapports qui existent entre ces derniers et de l’influence qu’ils 
exercent sur la révolution. Ils ne peuvent accéder au savoir en 
raison de leur situation de classe. C’est pourquoi ils ne peuvent 
agir au moment qui convient. Ils se trompent très souvent. »
Ainsi, le parti sélectionné aurait une mission éducatrice, il 
ferait office de catalyseur au niveau des idées. Mais la tâche de 
regrouper progressivement les masses, de les organiser, 
reviendrait à l’AAUD, appuyée sur un réseau d’organisations 
d’usines, et dont l’objectif essentiel serait de contrebattre et de 
ruiner l’influence des syndicats ; par la propagande, certes, mais 
aussi et surtout par des actions acharnées, celles « d’un groupe qui 
montre dans sa lutte ce que doit devenir la masse » disait encore 
Gorter [4].
 Finalement, au cours de la lutte révolutionnaire, les 
organisations d’usines se transformeraient en Conseils ouvriers, 
englobant tous les travailleurs et directement soumis à leur 
volonté, à leur contrôle. En bref, la « dictature du prolétariat » ne
 serait rien d’autre qu’une AAUD étendue à l’ensemble des usines 
allemandes.
LES ARGUMENTS DE L’AAUD-E
Opposée au parti politique séparé des organisations d’usines, 
l’AAUD-E voulait édifier une grande organisation unitaire qui 
aurait pour tâche de mener la lutte pratique directe des masses et 
aussi, plus tard, d’assumer la gestion de la société sur la base du 
système des Conseils ouvriers. Ainsi donc la nouvelle organisation 
aurait-elle des objectifs à la fois économiques et politiques. D’un
 côté cette conception différait du « vieux syndicalisme 
révolutionnaire » qui s’affirmait hostile à la constitution d’un
 pouvoir politique spécifiquement ouvrier et à la dictature du 
prolétariat. D’un autre côté, l’AAUD-E, tout en admettant que le 
prolétariat est faible, divisé et ignorant, et qu’un enseignement 
continu lui est donc nécessaire, ne voyait pas pour autant l’utilité 
d’un parti d’élite, style KAPD. Les organisations d’usines 
suffisaient à ce rôle d’éducation puisque la liberté de parole et de
 discussion y était assurée.
II est caractéristique que l’AAUD-E adressait au KAPD une 
critique dans « l’esprit KAP » : d’après l’AAUD-E, le KAPD était un 
parti centralisé, doté de dirigeants professionnels et de 
rédacteurs appointés, qui ne se distinguait du parti communiste 
officiel que par son rejet du parlementarisme ; « double 
organisation » n’étant rien d’autre alors que l’application d’une 
politique de la « double mangeoire » au profit des dirigeants. La 
plupart des tendances de l’AAUD-E, quant à elles, repoussaient 
l’idée de dirigeants rémunérés : « Ni cartes, ni statuts, ni rien de 
ce genre », disait-on. Certains allèrent même jusqu’à fonder des 
organisations anti-organisations...
En gros donc, l’AAUD-E soutenait que si le prolétariat est trop 
faible ou trop aveugle pour prendre des décisions au cours de ses 
luttes, ce n’est pas une décision prise par un parti qui pourra y 
remédier. Personne ne peut agir à la place du prolétariat et il doit, 
par lui-même, surmonter ses propres défauts, sans quoi il sera vaincu
 et paiera lourdement le prix de son échec. La double organisation 
est une conception périmée, vestige de la tradition : parti 
politique et syndicats.
Cette séparation entre les trois courants : KAP, AA et AAU-E, eut 
des conséquences dans la pratique. Ainsi, lors de l’insurrection 
d’Allemagne centrale, en 1921, qui fut déclenchée et menée en grande 
partie par des éléments armés du KAPD (alors encore 
reconnus comme sympathisants de la IIIe
 Internationale), 
l’AAUD-E. refusa de participer à cette lutte destinée, d’après elle,
 à camoufler les difficultés russes et la répression de Cronstadt.
Malgré un émiettement continu, que précipitaient des polémiques 
très vives et trop souvent embrouillées par des questions de 
personnes, en dépit d’outrances provoquées par une déception et un
 désespoir profonds, « l’esprit KAP », c’est-à-dire l’insistance sur 
l’action directe et violente, la dénonciation passionnée du 
capitalisme et de ses lieutenants ouvriers de toutes couleurs 
politiques et syndicales (y compris les « maires du palais » de 
Moscou), exerça longtemps une influence sensible dans les masses. Il 
faut ajouter que toutes ces tendances disposaient d’une presse 
importante [5],
 généralement alimentée en argent par des moyens illégaux, et que 
souvent réduits aux chômage, en raison de leur comportement 
subversif, leurs membres étaient extrêmement actifs, dans la rue, 
dans les réunions publiques, etc.
LE MÉCOMPTE
On avait cru que la soudaine croissance des organisations 
d’usines, en 1919 et 1920, continuerait à peu près à la même cadence 
au cours des luttes à venir. On avait cru que les organisations 
d’usines deviendraient un grand mouvement de masses, groupant « des 
millions et des millions de communistes conscients », lequel 
contrebalancerait le pouvoir des syndicats prétendument 
ouvriers. Partant de cette juste hypothèse que le prolétariat ne peut 
lutter et vaincre que comme classe organisée, on croyait que les 
travailleurs élaboreraient chemin faisant une nouvelle et toujours
 croissante organisation permanente. C’est à la croissance de 
l’AAU et de l’AU-E qu’on pouvait mesurer le développement de la 
combativité et de la conscience de classe.
Après une période d’expansion économique accélérée (1923-1929) 
une nouvelle période s’ouvrit qui devait aboutir en 1933 à la prise 
du pouvoir, légale, par les hitlériens. Cependant, l’AAU, le KAP et 
l’AAU-E se repliaient de plus en plus sur eux-mêmes. A la fin, il ne 
restait plus que quelques centaines d’adhérents, vestige des 
grandes organisations d’usines d’antan, ce qui signifiait 
l’existence de petits noyaux, ça et là, sur un total de 20 millions de
 prolétaires. Les organisations d’usines n’étaient plus des 
organisations générales des travailleurs, mais des noyaux de 
communistes-de-conseils conscients. Dès lors, l’AAUD comme l’AAUD-E 
revêtaient le caractère de petits partis politiques, même si leur 
presse prétendait le contraire.
LES FONCTIONS
Est-ce spécialement le petit nombre de leurs adhérents qui 
transforma à la longue les organisations d’usines en parti 
politique ? Non. C’était un changement de fonction. Quoique les 
organisations d’usines n’eussent jamais eu pour tâche proclamée de 
diriger une grève, de négocier avec les patrons, de formuler des 
revendications (c’était l’affaire des grévistes), l’AAU et l’AA-E 
étaient des organisations de lutte pratique. Elles se bornaient à 
des activités de propagande et de soutien. Toutefois, la grève étant
 déclenchée, les organisations d’usines s’occupaient en grande 
partie de l’organisation de la grève ; elles organisaient les 
assemblées de grève et les orateurs y étaient très souvent des 
membres de l’AAU ou de l’AAU-E. Mais la charge de conduire les 
négociations avec les patrons revenait au comité de grève où les 
membres de l’organisation d’usines ne représentaient pas leur 
groupe comme tel, mais les grévistes qui les avaient élus et devant 
lesquels ils étaient responsables.
Le parti politique KAPD avait une autre fonction. Sa tâche 
consistait surtout en propagande, en analyse économique et 
politique. Au moment des élections, il faisait de la propagande 
anti-parlementaire pour dénoncer la politique bourgeoise des 
autres partis, appeler à former des comités d’action dans les usines, 
sur les marchés, parmi les chômeurs, etc. dont le but était d’inciter 
les masses, qui « cherchent instinctivement de nouveaux 
rivages », à se libérer des vieilles organisations.
CHANGEMENT DE FONCTION
Mais en fait, après l’échec et la répression sanglante de 1921, 
puis avec la vague de prospérité qui ne tarda pas de se manifester, 
ces fonctions devinrent purement théoriques. Dès lors, l’activité 
de ces organisations fut réduite à la propagande pure et à 
l’analyse, c’est-à-dire à une activité de groupement politique. 
Découragés par l’absence de perspectives révolutionnaires, les 
adhérents quittèrent pour la plupart l’organisation. La réduction 
des effectifs eut aussi pour conséquence que l’usine ne constituait 
plus la base de l’organisation. On se réunissait sur la base du 
quartier, dans une brasserie, où l’on chantait parfois, à 
l’allemande, en chœur, avec lenteur, les vieux chants ouvriers 
d’espoir et de colère.
II n’y avait plus grande différence entre le KAPD, l’AAUD et 
l’AAUD-E. Pratiquement, les membres de l’AU et du KAP se retrouvaient 
les mêmes à des réunions nominalement différentes et ceux de 
l’AAUD-E étaient membres d’un groupe politique, même s’ils lui 
donnaient un autre nom. Anton Pannekoek, le marxiste hollandais qui 
fut l’un de leurs inspirateurs théoriques à tous (mais surtout du 
KAPD), écrivait à ce propos (1927) :
« L’AAU, de même que le KAPD, constitue essentiellement une 
organisation ayant pour but immédiat la révolution. En d’autres 
temps, dans une période de déclin de la révolution, on n’aurait 
absolument pas pu penser à fonder une telle organisation. Mais elle
 a survécu aux années révolutionnaires ; les travailleurs qui la 
fondèrent autrefois et combattirent sous ses drapeaux ne veulent 
pas laisser se perdre l’expérience de ces luttes et la conservent 
comme une bouture pour les développements à venir. »
Et, en premier lieu, trois partis politiques de la même couleur, 
c’était deux de trop. Avec la montée des périls, tandis que s’affirmait
 la lâcheté sans nom des vieilles et soi-disant puissantes 
organisations ouvrières, tandis que les nazis entamaient 
triomphalement le chemin qui devait les mener où l’on sait 
aujourd’hui, l’AAU, en décembre 1931, séparée déjà du KAP, fusionna 
avec l’AAU-E. Seuls quelques éléments demeurèrent dans le KAPD, et 
quelques autres de l’AAUD-E rejoignirent les rangs anarchistes. 
Mais la plupart des survivants des organisations d’usines se 
regroupèrent dans la nouvelle organisation, la KAUD (Kommunistische 
Arbeiter Union : Union ouvrière communiste), exprimant ainsi l’idée 
que cette dernière n’était plus une organisation « générale » 
(comme l’était l’AAU, par exemple) réunissant tous les travailleurs 
animés d’une volonté révolutionnaire, mais bien des travailleurs 
communistes conscients.
LA CLASSE ORGANISÉE
La KAUD exprimait donc le changement intervenu dans les 
conceptions de l’organisation. Ce changement avait un sens ; il 
faut se souvenir de ce que signifiait jusqu’alors la notion de 
« classe organisée ». L’AAUD et l’AAUD-E avaient cru tout d’abord que 
ce seraient elles qui organiseraient la classe ouvrière, que des 
millions d’ouvriers adhéreraient à leur organisation. C’était au 
fond une idée très proche de celle des syndicalistes 
révolutionnaires d’autrefois qui s’attendaient à voir tous les 
travailleurs adhérer à leurs syndicats : et qu’alors la classe 
ouvrière serait enfin une classe organisée.
Maintenant la KAUD incitait les ouvriers à organiser eux-mêmes 
leurs comités d’action et à créer des liaisons entre ces comités. 
Autrement dit, la lutte de classe « organisée » ne dépendait plus 
d’une organisation bâtie préalablement à toute lutte. Dans cette 
nouvelle conception, la « classe organisée » devenait la classe 
ouvrière luttant sous sa propre direction.
Ce changement de conception avait des conséquences par rapport à
 de nombreuses questions : la dictature du prolétariat, par 
exemple. En effet, puisque la « lutte organisée » n’était pas 
l’affaire exclusive d’organisations spécialisées dans sa 
direction, celles-ci ne pouvaient plus être considérées comme les 
organes de la dictature du prolétariat. Du même coup 
disparaissait le problème qui, jusqu’alors, avait été cause de 
multiples conflits, à savoir : qui du KAP ou de l’AAU devait exercer 
ou organiser le pouvoir ? La dictature du prolétariat ne serait 
plus l’apanage d’organisations spécialisées, elle se trouverait 
dans les mains de la classe en lutte, assumant tous les aspects, toutes
 les fonctions de la lutte. La tâche de la nouvelle organisation, 
la KAUD, se réduirait donc à une propagande communiste, 
clarifiant les objectifs, incitant la classe ouvrière à la lutte 
contre les capitalistes et les anciennes organisations, au moyen 
tout d’abord de la grève sauvage, et tout en lui montrant ses forces 
et ses faiblesses. Cette activité n’en était pas moins 
indispensable. Et la plupart des membres de la KAU continuaient de
 penser que « sans une organisation révolutionnaire capable de 
frapper fort, il ne peut y avoir de situation révolutionnaire comme
 l’ont démontré la révolution russe de 1917 et, en sens contraire, la 
révolution allemande de 1918 » [6].
LA SOCIÉTÉ COMMUNISTE ET LES ORGANISATIONS D’USINES
Cette évolution dans les idées devait nécessairement 
s’accompagner d’une révision des notions admises en ce qui concerne 
la société communiste. D’une façon générale, l’idéologie qui 
dominait dans les milieux politiques et dans les masses était axée 
sur la création d’un capitalisme d’Etat. Bien entendu, il y avait des 
nuances multiples, mais toute cette idéologie pouvait se ramener à
 quelques principes très simples : l’Etat, au travers des 
nationalisations, de l’économie dirigée, des réformes sociales, 
etc., représente le levier permettant de réaliser le socialisme, 
tandis que l’action parlementaire et syndicale représente pour 
l’essentiel les moyens de lutte. Dès lors, les travailleurs ne 
luttent guère comme une classe indépendante, visant avant tout à 
réaliser ses fins propres ; ils doivent confier « la gestion et la 
direction de la lutte de classe » à des chefs parlementaires et 
syndicaux. Selon cette idéologie, il va donc sans dire que partis et 
syndicats devront servir d’éléments de base à l’Etat ouvrier, assumer
 en commun la gestion de la société communiste de l’avenir.
Au cours d’une première phase, celle qui suivit l’échec des 
tentatives révolutionnaires en Allemagne, cette tradition 
imprégnait encore fortement les conceptions de l’AAU, du KAP et de 
l’AAU-E. Tous trois se prononçaient pour une organisation groupant 
« des millions et des millions » d’adhérents, afin d’exercer la 
dictature politique et économique du prolétariat. Ainsi, en 1922,
 l’AAU déclarait qu’elle était en mesure de reprendre à son compte, 
sur la base de ses effectifs, « la gestion de 6 % des usines » 
allemandes.
Mais ces conceptions chancelaient maintenant. Jusqu’alors, comme
 nous l’avons vu, les centaines d’organisations d’usines, réunies 
et coordonnées par l’AAU et l’AAU-E, réclamaient le maximum 
d’indépendance quant aux décisions à prendre et faisaient de leur 
mieux pour éviter la formation d’une « nouvelle clique de 
dirigeants ». Serait-il possible, cependant, de conserver cette 
indépendance au sein de la vie sociale communiste ? La vie 
économique est hautement spécialisée et toutes les entreprises 
sont étroitement interdépendantes. Comment pourrait-on gérer la vie
 économique si la production et la répartition des richesses 
sociales ne revenait pas à quelques instances 
centralisatrices ? L’Etat en tant que régulateur de la 
production et organisateur de la répartition, l’Etat n’était-il 
pas indispensable ?
Il y avait là une contradiction entre les vieilles conceptions de 
la société communiste et la nouvelle forme de lutte qu’on 
préconisait maintenant. On redoutait la centralisation 
économique et ses conséquences clairement démontrées par les 
événements ; mais on ne savait comment se prémunir contre cela. La 
discussion portait sur la nécessité et le degré plus ou moins grands
 du « fédéralisme », ou du « centralisme ». L’AAU-E penchait plutôt
 vers le fédéralisme ; le KAP-AAU inclinait plus au centralisme. En
 1923, Kar1 Schroeder [7], théoricien du KAPD, proclamait que « plus la société communiste sera centralisée et mieux ce sera ».
En fait, tant qu’on demeurait sur la base des anciennes 
conceptions de la « classe organisée », cette contradiction était 
insoluble. D’une part, on se ralliait plus ou moins aux vieilles 
conceptions du syndicalisme révolutionnaire, la  « prise » en 
main des usines par les syndicats ; d’autre part, comme les 
bolcheviks, on pensait qu’un appareil centralisateur, l’Etat, 
doit régler le processus de production et répartir le « revenu 
national »  entre les ouvriers.
Toutefois, une discussion au sujet de la société communiste, en 
partant du dilemme « fédéralisme ou centralisme », est absolument
 stérile. Ces problèmes sont des problèmes d’organisation, des 
problèmes techniques, alors que la société communiste est d’abord un problème économique. Au capitalisme doit succéder un autre système économique,
 où les moyens de production, les produits, la force de travail ne 
revêtent pas la forme de la « valeur » et où l’exploitation de la 
population laborieuse au profit de couches privilégiées a disparu.
 La discussion sur « fédéralisme ou centralisme » est dépourvue 
de sens, si l’on n’a pas montré auparavant quelle sera la base 
économique de ce « fédéralisme » ou de ce « centralisme ». En 
effet, les formes d’organisation d’une économie donnée ne sont pas 
des formes arbitraires ; elles dérivent des principes mêmes de cette
 économie. Ainsi, le principe du profit et de la plus-value, de son 
appropriation privée ou collective, se trouve-t-il à la base de 
toutes les formes revêtues par une économie capitaliste. C’est 
pourquoi il est insuffisant de présenter l’économie communiste 
comme un système négatif : pas d’argent, pas de marché, pas de 
propriété privée ou d’Etat. II est nécessaire de mettre en lumière 
son caractère de système positif, montrer quelles seront les lois 
économiques qui succéderont à celles du capitalisme. Cela fait, il 
est probable que l’alternative « fédéralisme ou centralisme » 
apparaîtra comme un faux problème.
LA FIN DU MOUVEMENT EN ALLEMAGNE
Avant d’examiner plus longuement cette question, il n’est pas 
inutile de rappeler le destin, dans la pratique, du courant issu 
des organisations révolutionnaires d’usines.
L’AAUD commença à se détacher du KAPD vers la fin de 1929. Sa presse
 préconisait alors une « tactique souple » : le soutien des luttes 
ouvrières ayant uniquement pour but des revendications de salaires
 l’aménagement des conditions ou horaires de travail. Plus rigide, 
le KAP voyait dans cette tactique l’amorce d’un glissement vers ta 
collaboration de classe, la « politique de maquignonnage » [8].
Un peu plus tard, certains KAPistes en arrivèrent même à prôner le 
terrorisme individuel comme moyen d’amener les masses à la 
conscience de classe. Marinus van der Lubbe qui, agissant 
solitairement, mit le feu au Reichstag, était en liaison avec ce 
courant. En incendiant l’immeuble qui abritait le Parlement, il 
voulait par un geste symbolique inciter les ouvriers à sortir de 
leur léthargie politique... [9].
Ni l’une ni l’autre de ces tactiques n’eut de résultats. 
L’Allemagne traversait alors une crise économique d’une profondeur
 extrême, les chômeurs pullulaient : il n’y avait pas de grèves 
sauvages, s’il est vrai que nul ne se souciait des directives 
syndicales, les syndicats collaborant étroitement avec les 
patrons et l’Etat. La presse des communistes de conseils était 
fréquemment saisie ; mais de toute façon ses appels à la formation de
 comités autonomes d’action ne rencontraient aucun écho. Ironie de 
l’histoire : 1a seule grande grève sauvage de l’époque, celle des 
transports berlinois (1932), fut soutenue par les bonzes 
staliniens et hitlériens contre les bonzes socialistes des 
syndicats.
Après l’accession légale d’Hitler au pouvoir, les militants des 
diverses tendances furent traqués et enfermés dans des camps de 
concentration où beaucoup d’entre eux disparurent. En 1945, 
quelques survivants furent exécutés sur ordre du Guépéou, lors de 
l’entrée en Saxe des armées russes. En 1952 encore, à Berlin Ouest, un 
ancien chef de l’AAUD, Alfred Weilard, était enlevé en pleine rue et 
transféré à l’Est pour s’y voir condamné à une lourde peine de prison.
A l’heure actuelle, il ne reste plus trace en Allemagne des divers 
courants du communisme de conseils en tant que tel. La liquidation 
des hommes a entraîné celle des idées dont ils étaient porteurs, tandis
 que l’expansion et la prospérité orientaient les esprits dans 
d’autres directions. Et, comme on le sait, c’est seulement ces toutes
 dernières années que ses conceptions propres de l’action de masse 
extra-parlementaire et extra-syndicale connaissent de nouveaux 
développements, sans qu’on puisse pour autant parler de « filiation »
 idéologique directe. Mais revenons maintenant au problème de 
l’économie communiste, pour voir en quoi les réflexions théoriques 
de ce mouvement peuvent contribuer à enrichir notre connaissance 
de la lutte pour le pouvoir ouvrier.
FONDEMENTS ÉCONOMIQUES DU COMMUNISME
Il fallait, pour approfondir ces problèmes, que l’AAU se fût 
libérée des vieilles traditions de la « classe organisée », qu’elle 
ait compris que la classe ouvrière ne peut réaliser son unité réelle 
que dans sa lutte en masse, globale, et en dehors des organisations 
spécialisées qui ne représentent au mieux que les aspects 
fragmentaires d’une phase périmée des aspirations et des objectifs
 prolétariens. En 1930, l’AAU publia une étude, rédigée par le groupe 
des communistes de conseils de Hollande et qui était intitulée : Grundptinzipien kommunistischer Produktion und Verteilung (Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes) [10].
Cette analyse n’entend pas proposer un « plan » quelconque, 
montrer comment on pourrait édifier une société « plus belle », 
« plus équitable ». Elle ne s’intéresse qu’aux problèmes 
d’organisation de l’économie communiste et lie, dans une unité 
organique, pratique de la lutte de classe et gestion sociale. Les Principes tirent donc, au niveau théorique, les conséquences économiques
 de la lutte éventuellement menée au niveau de l’action politique 
par les mouvements de masse indépendants. Lorsque les Conseils 
ouvriers auront pris le pouvoir, et parce qu’ils auront appris à 
« gérer leur lutte » eux-mêmes directement, par un effort constant, 
ils se trouveront contraints de donner de nouvelles bases à 
leur pouvoir en introduisant consciemment des lois économiques 
nouvelles où la mesure du temps de travail sera le pivot de la 
production et de la répartition du produit social global. Les 
travailleurs sont capables de gérer eux-mêmes la production, mais 
cela n’est possible qu’en calculant le temps de travail dans les 
différentes branches de la production, au sens le plus large, et en 
répartissant les produits à l’aide de cette mesure.
Les « Principes » examinent ce problème du point de vue du 
travailleur exploité, qui n’aspire pas seulement à l’abolition de 
la propriété privée, mais bien à celle de l’exploitation. Or, 
l’histoire de notre époque a montré que la suppression de la 
propriété privée, si elle est nécessaire, ne coïncide pas 
obligatoirement avec celle de l’exploitation. Aussi doit-on serrer
 de plus près cette question.
Le mouvement anarchiste a compris cette nécessité beaucoup plus
 tôt que les marxistes, et ses théoriciens lui ont accordé une 
attention soutenue. Toutefois leurs conceptions, en fin de compte, 
n’ont pas été totalement différentes. Si les marxistes, 
sociaux-démocrates ou bolcheviks, voulaient faire passer, sans rien 
changer de fondamental à ses mécanismes, la production 
capitaliste, arrivée au stade des monopoles, sous le contrôle d’un 
Etat dit ouvrier, les théoriciens anarchistes préconisaient une 
fédération de communes libres et repoussaient tout Etat. C’était 
cependant pour le reconstituer sous une autre forme. Ce point étant 
souvent contreversé, nous allons en donner ici un exemple.
L’un des théoriciens les plus connus de l’anarchisme, Sébastien 
Faure, exposait que les habitants d’une commune auraient à recenser 
leurs besoins et leurs possibilités de productions ; puis, 
disposant de « l’état global des besoins de la consommation et des 
possibilités de la production, région par région, le Comité 
National fixe et fait connaître à chaque comité Régional de quelles 
quantités de produits sa région peut disposer et quelle somme de 
production elle doit fournir. Muni de ces indications, chaque 
comité Régional fait pour sa région le même travail : il fixe et fait 
connaître à chaque comité Communal de quoi se commune dispose et ce 
qu’elle a à fournir. Ce dernier en fait autant à l’égard des 
habitants de la commune [11] ».
Certes, Sébastien Faure avait auparavant précisé que : « Toute 
cette vaste organisation a pour base et principe vérificateur la 
libre entente »,mais un système économique exige des principes 
économiques et non des proclamations nobles. On peut faire la même 
chose à propos de la citation suivante de Hilferding, le célèbre 
théoricien social-démocrate, car là aussi le principe économique 
manque :
« Les commissaires communaux, régionaux et nationaux de la 
société socialiste décident comment et où, en quelle quantité et par 
quels moyens l’on tirera des nouveaux produits des conditions de 
production naturelles ou artificielles. A l’aide de 
statistiques de production et de consommation couvrant 
l’ensemble des besoins sociaux, ils transforment la vie économique 
toute entière d’après les besoins qu’expriment ces statistiques [12]. »
Ainsi la différence entre ces deux points de vue fondamentaux 
n’est pas très sensible. Toutefois les anarchistes ont eu le mérite 
historique de mettre en avant le mot d’ordre essentiel : « Abolition
 du salariat. » Dans cette perspective cependant, le « Comité 
National », le « bureau de la statistique », etc., ce que les 
marxistes appellent le « gouvernement du peuple », est censé 
pratiquer « l’économie en nature » c’est-à-dire une économie où 
l’argent n’a plus cours. Le logement, les aliments, le courant 
électrique, les transports, etc, tout cela est « gratuit ». Une 
certaine part de biens et services demeure toutefois payable en 
monnaie (généralement indexée sur le rapport 
population-consommation) .
Mais en dépit des apparences, cette manière de supprimer le 
salaire ne signifie pas l’abolition de l’exploitation et ne 
signifie pas non plus la liberté sociale. En effet, plus s’agrandit le
 secteur de l’économie « en nature », plus les travailleurs 
dépendent de la fixation de leurs « revenus » par l’appareil de 
répartition. Il existe un exemple d’économie « sans argent », où les
 échanges avaient lieu en « nature », du moins pour la plus grande 
partie, avec le logement, l’éclairage, etc., « gratuits ». C’est la 
période du « communisme de guerre » en Russie. On a pu voir alors, 
non seulement que ce système n’était pas viable durablement, mais 
encore qu’il pouvait coexister avec un régime fondé sur une 
domination de classe.
La réalité nous a donc appris :
a) qu’il est possible de supprimer la propriété privée sans abolir l’exploitation ;
b) qu’il est possible de supprimer le salariat sans abolir l’exploitation.
S’il en est ainsi, le problème de la révolution prolétarienne se pose pour l’exploité dans les termes suivants :
Bien que les Principes étudient les fondements économiques
 du communisme, le point de départ en est plus politique 
qu’économique. Pour les ouvriers il n’est pas facile de s’emparer du 
pouvoir politique-économique, mais il est encore plus difficile 
de le conserver. Or, dans les conceptions présentes du communisme 
ou du socialisme, on tend à concentrer - dans les faits sinon dans les
 mots - tout le pouvoir de gestion dans quelques bureaux étatiques 
ou « sociaux ». A l’inverse, ce livre considère l’économie comme le 
prolongement inévitable de la révolution et non comme un état de 
chose souhaitable et qui se réalisera dans cent, dans mille ans. Il
 s’agit de définir au niveau des principes les mesures à prendre, 
non par quelque parti ou organisation, mais par la classe ouvrière 
et par ses organes immédiats de lutte : les Conseils ouvriers. La 
réalisation du communisme n’est pas l’affaire d’un parti mais celle 
de toute la classe ouvrière, délibérant et agissant dans et par ses 
Conseils.
LE PRODUCTEUR ET LA RICHESSE SOCIALE
Un des grands problèmes de la révolution est d’instaurer de 
nouveaux rapports entre le producteur et la richesse sociale, 
rapports qui, au sein de la société capitaliste, s’expriment dans le
 salariat. Le régime du salariat est basé sur un antagonisme 
profond entre la valeur de la force de travail (salaire) et ce 
travail même (le produit du travail). Alors que le travailleur 
fournit, par exemple, 50 heures de travail à la société, il ne reçoit
 comme salaire que l’équivalent de 10 heures, par exemple. Pour 
s’émanciper véritablement le travailleur doit faire en sorte que ce 
ne soit plus la valeur de sa force de travail qui détermine la part 
qui lui revient de la production sociale, mais que cette part soit 
fixée par son travail même. Le travail : mesure de la consommation, 
tel est le principe qu’il doit faire triompher.
La différence entre la quantité de travail fournie et ce que le travailleur reçoit en échange est appelé surtravail
 et représente un travail non payé. Les richesses sociales 
produites pendant ce temps de travail non payé constituent le surproduit et la valeur incorporée dans ce surproduit est dite plus-value.
 Toute société, quelle qu’elle soit, et donc aussi la société 
communiste, repose sur la formation d’un surproduit, parce que sur
 l’ensemble des travailleurs effectuant un travail nécessaire ou 
utile, certains ne produisent pas de biens tangibles. Leurs 
conditions de vie sont donc produites par d’autres travailleurs (il 
en est de même pour les services de santé, l’entretien des infirmes,
 des enfants et des vieillards, les services administratifs, les 
savants, etc.). Mais c’est la façon dont ce surproduit se forme, celle
 dont il est réparti, qui constituent l’exploitation capitaliste.
Le travailleur reçoit un salaire qui, dans le meilleur des cas, lui 
suffit tout juste pour vivre dans des conditions données. Il sait qu’il
 a donné 50 heures de travail, mais il ne sait pas combien d’heures 
lui reviennent dans son salaire. Il ignore le montant de son 
surtravail. En revanche, on sait comment la classe possédante 
consomme ce surproduit : mis à part les « services sociaux » qui en 
reçoivent une certaine partie, ce sont les mines qui l’utilisent 
pour s’agrandir, les exploiteurs qui en vivent, l’administration, 
la police et l’armée qui en dissipent la substance.
Dans cette discussion, deux caractères du surproduit nous 
intéressent particulièrement. D’abord, le fait que la classe 
ouvrière n’a pas à décider, ou presque pas, du produit de son travail
 non payé. Ensuite,qu’il est impossible d’évaluer l’importance de ce 
surtravail. Nous recevons un salaire, un point c’est tout ; nous ne 
pouvons rien sur la production et la répartition de la richesse 
sociale. La classe qui dispose des moyens de production, la classe 
possédante, est maîtresse du processus de travail, y compris le 
surtravail ; elle nous fait chômer quand elle l’estime nécessaire à 
ses intérêts, nous fait matraquer par sa police ou massacrer dans ses
 guerres. L’autorité exercée par la bourgeoisie dérive du fait 
qu’elle dispose du travail, du surtravail, du surproduit. C’est ce
 qui nous réduit à l’impuissance dans la société et fait de nous une 
classe opprimée.
Cette analyse nous révèle que l’oppression est tout aussi forte, 
qu’elle soit exercée par le capitalisme privé ou par l’Etat. On entend
 souvent dire que l’exploitation dès travailleurs est supprimée en 
Russie, parce que le capital privé y est aboli et parce que tout le 
surproduit est à la disposition de l’Etat qui le répartit dans la 
société en promulguant de nouvelles lois sociales et en créant de 
nouvelles usines, en développant la production.
Acceptons ces arguments, c’est-à-dire laissons de côté le fait que 
la classe dominante ,la bureaucratie, chargée de la répartition du 
produit social, s’enrichit par des salaires exorbitants, qu’elle se
 reproduit au pouvoir en assurant à ses membres le monopole de 
l’éducation supérieure, et que les lois de succession lui 
garantissent les richesses accumulées « pour sa famille ». Allons 
même jusqu’à supposer que cet appareil n’exploite pas la 
population.
En serait-il ainsi, qu’en Russie la bureaucratie demeure maîtresse
 du processus du travail, y compris le surtravail, qu’elle. dicte,
 par la voix des syndicats étatisés, entre autres les conditions de 
travail, comme on le voit faire également en Occident. La fonction de
 la bureaucratie dirigeante est fondamentalement identique à 
celle de la bourgeoisie qui dirige le capitalisme privé. Dès lors, 
si la bureaucratie n’exploitait pas la population, cela ne saurait
 venir que de sa bonne volonté, du fait qu’elle refuse l’occasion
 qui lui en est offerte. Le développement de la société ne serait plus
 fonction de nécessités économiques et sociales ; il dépendrait 
des « bons » ou des « mauvais » sentiments des dirigeants. En 
d’autres termes, les rapports des travailleurs avec la richesse 
sociale continuent, même dans ce cas, d’être arbitrairement fixés et
 les travailleurs ne peuvent rien sur ces rapports, sauf à espérer 
que les « mauvais » dirigeants deviendront « bons ».
En conclusion, l’abolition du salaire n’est pas la condition 
nécessaire et suffisante pour que les travailleurs reçoivent la 
part du produit social qui leur revient, qu’ils ont créée par leur 
travail. Certes, cette part peut augmenter ; mais une véritable 
abolition du salaire sous toutes ses formes a un tout autre 
caractère : sans cette abolition, la classe ouvrière ne peut 
maintenir son pouvoir. Une révolution « trahie » mène à un Etat 
totalitaire capitaliste.
Il y a une autre conclusion à tirer. L’une des tâches essentielles
 incombant à un groupe de travailleurs qui veulent mettre fin 
radicalement à l’exploitation capitaliste - un groupe 
révolutionnaire, comme on disait autrefois - c’est de chercher le 
moyen d’asseoir économiquement le 
pouvoir conquis par des moyens d’action politiques. Le temps est 
passé où il suffisait d’exiger la suppression de la propriété 
privée des moyens de production. Il est également insuffisant de 
réclamer l’abolition du salariat. Cette revendication, en soi, 
n’a pas plus de consistance qu’une bulle de savon, si l’on ne sait 
comment jeter les bases d’une économie où le salaire est supprimé. Un
 groupe se prétendant révolutionnaire et qui se refuserait à 
élucider cette question essentielle n’a pas grand chose à dire en 
réalité, parce qu’il est incapable de proposer l’image d’un monde 
nouveau.
Les Principes de la production et de la répartition communistes
 partent de l’idée suivante : tous les biens produits par le travail
 de l’homme se valent qualitativement, car ils représentent tous 
une portion de travail humain. Seule la quantité de travail 
différente qu’ils représentent les rend dissemblables. La mesure du
 temps que chaque travailleur individuellement consacre au 
travail est l’heure de travail. De même, la mesure destinée à mesurer la quantité de travail que représente tel ou tel objet doit être l’heure de travail social moyen.
 C’est cette mesure qui servira à établir la somme de richesse dont 
dispose la société, de même que les rapports des diverses 
entreprises entre elles et enfin la part de ces richesses qui revient
 à chaque travailleur. Sur cette base, les Principes 
développent une analyse et une critique des différentes théories - 
et aussi des pratiques - des différents courants qui se réclament 
du- marxisme, de l’anarchisme ou du socialisme en général. On y trouve
 en somme un exposé plus précis des principes concis de Marx et 
d’Engels tels qu’ils nous les ont laissés dans Le Capital, la Critique du programme de Gotha et L’Anti-Dühring.
Bien entendu, les Principes ne se bornent pas à étudier 
l’unité de calcul dans le communisme ; ils analysent aussi son 
application dans la production et la répartition du produit 
social et dans les « services publics », examinent les règles 
nouvelles de la comptabilité sociale, l’extension de la 
production et son contrôle par les travailleurs, la disparition du
 marché et, enfin, l’application du communisme dans l’agriculture 
par l’intermédiaire de coopératives agricoles qui calculent elles
 aussi leurs récoltes en temps de travail.
Ainsi les Principes ont-ils pour point de départ le fait 
empirique que, lors de la prise de pouvoir par le prolétariat, les 
moyens de production se trouvent entre les mains des organisations
 d’entreprise. C’est de la conscience communiste du prolétariat, 
conscience née de sa lutte même, que dépendra le sort ultérieur de ces
 moyens de production, le fait de savoir si le prolétariat les 
gardera en main ou non. Aussi, le problème capital que la révolution
 prolétarienne devra résoudre sera de fixer des rapports immuables 
entre les producteurs et le produit social, ce qui ne peut se faire 
qu’en introduisant le calcul du temps de travail dans la production
 et la distribution. C’est la revendication la plus élevée que le 
prolétariat puisse formuler... mais en même temps c’est le minimum 
de ce qu’il peut réclamer. Et donc une question de pouvoir que seul 
le prolétariat est à même de régler sans appui aucun de la part 
d’autres groupes sociaux. Le prolétariat ne peut conserver les 
entreprises que s’il s’en assure la gestion et la direction 
autonomes. C’est aussi la seule manière de pouvoir appliquer 
partout le calcul du temps de travail. Tel est l’ultime message 
laissé au monde par les mouvements révolutionnaires prolétariens 
de la première moitié du XXe siècle.
A suivre : Mouvement pour les Conseils ouvriers - 2 :
Le Groupe des communistes internationalistes  en Hollande, 1934-1939
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ABRÉVIATIONS
NOTA : la lettre D, dans l’ensemble de ces sigles, signifie  
Deutschlands (d’Allemagne). Dans le cours du texte, elle est souvent 
omise lors de la désignation d’un groupe. Par exemple : KP au lieu de 
KPD, ou AAUE au lieu de AAUDE.
SPD (Sozialdemokratische Partei Deutschlands), parti social-démocrate allemand.
USPD (Unhabhängige Sozialdemakratische Partei 
Deutschlands), parti social-démocrate indépendant d’Allemagne formé en
 avril 1917, regroupait divers éléments sortis du SPD.
KPD (Kommunistische Partei Deutschlands), Parti 
communiste d’Allemagne, formé à la fin de 1918 par des éléments de 
toute l’ancienne gauche du SPD, dont :
l’IKD (Internationalen Kommunistischen 
Deutschlands), communistes internationaux d’Allemagne et 
Linksradikaler (radicaux de gauche).
KAPD (Kommunistischen Arbeiter Partei Deutschlands),
 Parti ouvrier communiste d’Allemagne, né en avril 1920 de la 
scission entre la gauche ouvrière et la direction parlementaire du 
parti communiste (KPD). Le KAPD avait des rapports étroits avec 
l’AAUD.
AAUD (Allgemeine Arbeiter Union Deutschlands), Union
 ouvrière d’Allemagne issue des organisations d’usine créées pendant
 la guerre et immédiatement après.
Vers la fin de 1920, de ces deux derniers groupes sortit :
AAUDE (AAUD Einheitsorganisation - 
AAUD-organisation  unitaire) qui refusait une organisation 
ouvrière distincte de l’organisation politique.
Ces derniers regroupements, penchant vers le fédéralisme, 
s’opposaient au centralisme de l’ensemble KAP-AAU. Toutefois, avec 
l’évolution de la situation politique, ces noyaux KAP-AAU d’une part
 et AAUDE d’autre part s’amenuisèrent : la montée du fascisme amena 
des fusions.
Le KAUD (Kommunistische Arbeiter Union 
Deutschlands), Union ouvrière communiste d’Allemagne, regroupa les 
membres de ces trois derniers groupes.
La FAUD (Freien Arbeiter Union Deutschlands), union 
ouvrière libre d’Allemagne, regroupa en 1919 des membres des 
organisations d’usine et ceux de la centrale syndicale 
anarcho-syndicaliste des localistes.
La quasi-totalité des forces orgnisées du communisme de conseils 
disparurent après l’instauration du national-socialisme (30 
janvier 1933). Quelques rares groupes continuèrent, hors d’Allemagne,
 à se manifester à cette époque par une activité tant théorique que 
pratique. Parmi ceux-ci :
le GLC (Groep van Internationale Communisten), 
désigné en Allemagne sous les initiales GLKH ou GLK (Gruppe 
Internationaler Kommunisten (Holland), fut un des groupes se réclamant
 du communisme de conseil. Le seul qui eut une productivité 
théorique réelle et originale jointe à une activité pratique.
A suivre : Mouvement pour les Conseils ouvriers - 2 :Le Groupe des communistes internationalistes  en Hollande, 1934-1939
Notes
[1] On trouvera la traduction du compte rendu de ce congrès, réunie à d’autres matériaux intéressants, dans A. et D. Prudhommeaux, Spartacus et la Commune de Berlin, éd. Spartacus.[2] Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés par les corps-francs à Berlin le 15 janvier 1919.
[3] La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») a été terminé par Lénine en mai 1920. Ce texte sera distribué à tous les délégués au IIe Congrès de l’Internationale communiste. Lénine y exprime sa vision de la lutte politique en vue d’une prise de pouvoir.
[4] (1)Herman Gorter, Réponse à Lénine (1920) Paris, 1930. Texte en ligne : www.left-dis.nl/f/herman.htm.
[5] On considérait dans le KAP que la réaction des journaux devait être « tournante », c’est-à-dire prise en charge à tour de rôle par les différentes sections locales du parti, ceci afin d’éviter la formation d’une « clique » spécialisée dans la manipulation.
[6] Rätekorrespondenz, n° 2, novembre 1932 (organe clandestin, ronéoté, de la KAU, dont la presse, dès ce moment, était régulièrement saisie par ordre des autorités social-démocrates de Prusse).
[7] Karl Schroeder (1854-1950) combattant spartakiste, dont la tête fut mise à prix en 1919, puis dirigeant professionnel du KAPD, en fut exclu en 1924 ; il devint ensuite fonctionnaire du Parti socialiste. II fut l’un des rares dirigeants de ce parti à organiser une « résistance » au nazisme. Condamné en 1936 avec d’autres anciens du KAP, il tient aujourd’hui une place honorable dans le « martyrologue » du socialisme allemand.
[8] Ainsi l’un des dirigeants du parti fut exclu sous prétexte qu’il avait pactisé avec l’ennemi en publiant un roman dans la maison d’édition du Parti communiste allemand. Il s’agissait d’Adam Scharrer (1889-1948) ouvrier serrurier, puis combattant spartakiste. Ensuite dirigeant professionnel du KAPD, dont il fut exclu en 1930. Comme Schroeder, il est romancier, mais il s’oriente dans l’autre direction : à partir de 1933, il réside à Moscou. Il était considéré en Allemagne de l’Est comme un « pionnier de la littérature prolétarienne ». II va sans dire que certains traits de son passé restaient cachés au public.
[9] Voir Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag et autres écrits, de Marinus van der Lubbe, éd. Verticales, 2003 ; Marinus van der Lubbe et l’incendie du Reichstag, de Nico Jassies, Editions antisociales, 2004 ; « L’acte personnel » et « La destruction comme moyen de lutte », d’Anton Pannekoek, Echanges n° 90 (printemps-été 1999).
[10] Traduction sur www.left-dis.nl/f/gictabma.htm. Un résumé sous le titre Principes de base, d’abord paru dans les nos 19, 20 et 21 de Bilan, a été publié dans le n° 11 des Cahiers du Communisme de Conseil.
[11] Sébastien Faure (1858-1942), Mon Communisme : le Bonheur universel, Paris 1921, page 227.
[12] Rudolf Hilferding, Das Finanzkapital, page 1. (Le Capital financier, trad. française aux Editions de Minuit,1970, épuisée.)
 
