Le Groupe des communistes internationalistes de Hollande 1934-1939
C’est le spirituel trotskyste hollandais Sneevliet (1) qui, dans
 les années 1930, qualifia un jour, avec ce sens de la formule qui le
 caractérisait, le « Groupe des communistes 
internationalistes » de Hollande de « moines du marxisme ». Le 
trait était évidemment caricatural, mais il était plein d’esprit, et
 c’est pourquoi il fut précisément estimé à sa juste valeur au sein du 
groupe. Comme toute caricature, celle-ci contenait un certain 
pourcentage d’une vérité qui était, pour Sneevliet, politiquement 
inacceptable, mais aussi, pour le groupe lui-même, historiquement
 irréfutable. Il s’agissait d’un point - entre autres - sur lequel il
 y avait une nette séparation entre Sneevliet et le GIC. En tant que 
dirigeant d’un parti parlementaire, qui collaborait en outre 
étroitement avec un mouvement syndical bien précis, tous ses 
efforts tendaient avant tout vers l’action politique. Sneevliet ne 
pouvait à vrai dire pas situer un groupe se comportant tout 
autrement au sein du mouvement ouvrier de l’époque, un groupe pour 
lequel l’important n’était absolument pas là, mais qui s’efforçait au
 contraire de tirer des leçons des expériences des luttes passées et 
par conséquent de l’évolution économique actuelle du capitalisme. 
Il le pouvait encore d’autant moins que ce bilan théorique mettait 
justement en question l’activité politique en tant que telle, et 
donc directement les formes organisationnelles traditionelles
 qu’elle présuppose.
Les Communistes internationalistes n’étaient pas constitués en
 un groupe qui aurait éprouvé, sans plus, le besoin d’analyser 
théoriquement la période révolutionnaire de 1917-1923. Ils étaient
 en même temps indirectement le produit de cette période-là. Toute 
tentative à la Sneevliet de décrire ce groupe comme un quelconque 
cercle d’études, ou de rapporter son origine à des contradictions 
internes à la social-démocratie d’avant 1914 (2), ne tient pas compte 
d’un fait : du rapport de son entrée en scène avec les luttes 
prolétariennes qui ont suivi la fin de la première guerre mondiale. 
En Allemagne, à laquelle je voudrais me limiter ici pour plus de 
commodité, sans pour le moins déprécier les expériences russe, 
hongroise ou italienne, se manifestèrent, en novembre 1918 et dans 
les années suivantes, dans des fractions non négligeables de la 
classe ouvrière, des tendances antiparlementaires et 
antisyndicales, sur lesquelles s’étaient d’ailleurs depuis 
longtemps déjà greffées d’autres choses. Les ouvriers allemands 
s’étaient forgé de nouveaux instruments sous la forme de leurs 
conseils et, en comparaison, les organisations traditionnelles
 apparaissaient d’emblée insuffisantes et même inadaptées. Au 
niveau organisationnel, ceci avait conduit, comme on le sait, à la 
naissance du KAPD * et de l’AAU et, dans le domaine théorique, à la 
thèse avancée pour la première fois par Otto Rühle ** que « la 
révolution [n’était] pas une affaire de parti » (3).
Toutefois, l’action du KAPD (et de son parti-frère fondé aux 
Pays-Bas, le KAPN) était encore totalement en contradiction avec la 
logique
historico-dialectique sans faille de Rühle ; ce qui l’amena à en 
sortir. 
Malgré les efforts incessants de ce parti pour mettre au premier plan 
ce qui le distinguait effectivement des autres partis - tels que le
 SPD, l’USP, le KPD, etc. -, les traditions organisationnelles 
continuaient quand même de peser sur sa structure. Quoique parti d’un 
nouveau type, il n’en 
était toujours pas moins un parti, et manifestait aussi la 
volonté d’en être un. L’exemple de ce qui lui est advenu confirme de 
façon éclatante la valeur de la thèse de Rühle. Le KAPD voulait tirer 
un trait sur le passé sans avoir fondamentalement rompu avec 
celui-ci, eu égard aux tâches réelles de la révolution ouvrière à 
venir. Par conséquent, il se retrouva pris sous la pierre du moulin et 
fut broyé. Avant même de disparaître formellement de l’horizon, 
ses contradictions internes l’avaient en fait déjà conduit à sa 
perte.
Le GIC, qui s’éleva sur ses ruines, adopta une toute autre position. Bien loin de sacrifier une activité politique à l’étude théorique ou d’y renoncer à cause d’elle, il s’en abstenait au contraire par principe.
 Dépassant justement le KAPD et le KAPN, non seulement il affirmait
 que l’émancipation de la classe ouvrière serait l’œuvre de la classe 
elle-même, mais il était dans le même temps convaincu qu’il n’y avait 
besoin pour cela d’aucune avant-garde, ne fût-elle même que purement 
propagandiste, mais qu’il fallait au contraire un nouveau 
mouvement des ouvriers, qui se dépouillerait de son enveloppe 
politique et des formes traditionnelles avant-gardistes, un 
mouvement radicalement différent du mouvement ouvrier 
traditionnel.
Le GIC ne pouvait ni reproduire de nouveau les contradictions du
 KAP et de l’AAU, ni se proclamer lui-même comme ce nouveau 
mouvement ouvrier, dont il savait trop bien qu’il ne pourrait naître 
que des expériences qui seraient accumulées au cours de luttes à long 
terme. Il acceptait la raillerie ingénieuse de Sneevliet avec 
détachement, convaincu qu’en dernière instance, avec son parti et ses
 conceptions de la révolution, celui-ci s’avançait sur un terrain qui
 n’avait rien à voir avec la lutte pour l’émancipation de la classe 
ouvrière d’Europe occidentale. 
J’entrai en contact pour la première fois avec le GIC au début de l’été
 1934. La crise qui avait éclaté en 1929 aux Etats-Unis se répandait 
sur le Vieux Continent et s’approfondissait de plus en plus. Des 
files d’attente de chômeurs s’allongeaient devant les bureaux de 
chômage. Leur espoir dans le capitalisme et la prospérité se 
ratatinait dans la mesure même où se réduisaient de jour en jour 
leurs conditions d’existence. Dans le même temps, leur position à 
l’extérieur du procès de production leur donnait un écrasant 
sentiment d’impuissance, renforcé encore par ce qui se passait en 
Europe centrale. En février 1934, les canons de Dollfuss avaient abattu
 la social-démocratie autrichienne. Une année auparavant, la 
social-démocratie allemande avait péri sans gloire. La prise du 
pouvoir par Hitler datait déjà, au moment où j’entrais en contact avec 
le GIC, de presque un an et demi. De l’autre côté de la frontière 
hollandaise orientale, le fascisme était passé « comme un 
effroyable tank sur les crânes et les colonnes vertébrales » des 
ouvriers.
Je connaissais la brochure de Trotsky où il avait littéralement 
prédit la catastrophe, au cas où le KPD et ceux qui en tiraient les 
ficelles au Kremlin persisteraient dans leur politique fatale de 
division des travailleurs (4). J’avais alors sans aucun doute de 
vagues sympathies pour le trotskysme. Dans une réunion publique, je 
m’engageai dans un débat avec un quelconque bureaucrate stalinien. 
Derrière moi étaient assis un ouvrier d’une laiterie et un 
métallurgiste, qui m’accostèrent ensuite et qui me firent connaître 
le communisme de conseil. Il apparut plus tard que l’un d’entre eux 
était en relation avec le groupe dont nous nous occupons ici.
Durant tout cet été et cet automne-là, j’allais chez lui presque 
chaque soir. Les discussions duraient au moins jusqu’à minuit et 
allaient au fin fond des choses. Ce dont on n’avait pas parlé, je 
l’acquérais par mon travail à la maison à partir des écrits du GIC 
qu’on me mettait dans les mains. J’avais le sentiment d’être passé 
d’une crèche politique à une espèce d’université.
Le GIC n’accordait aucune valeur à de stupides rabâchages. Il 
exigeait une pensée indépendante. Il ne propageait aucun mot 
d’ordre, mais la connaissance de la sociologie de Marx. Ce n’était 
nullement par suite d’une passion pour l’économie ni à plus forte 
raison dû au hasard. Ce sont simplement les expériences de la 
révolution bolchevique en Russie qui obligèrent le groupe à revoir 
le marxisme de fond en comble. Il considérait une telle révision comme 
une question de vie ou de mort pour le mouvement ouvrier.
Gorter * avait déjà, dix ans auparavant, caractérisé la révolution
 russe comme une révolution bourgeoise et paysanne. Cette 
caractérisation avait été constamment corroborée par le GIC et 
approfondie. Juste à l’époque où je connus le groupe, il publiait les Thesen über den Bolschewismus (5). Peu après suivait une traduction en hollandais des Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes (Grundprinzipien kommunistischer Produktion und Verteilung)
 (6), parus précédemment en Allemagne, où l’on avait soumis une fois 
de plus la révolution russe en général, et la politique économique 
bolchevique en particulier, à une analyse marxiste radicale.
Puis ce travail théorique fut peaufiné et mené à terme avec un 
exposé de base des différences entre Rosa Luxemburg et Lénine, et 
l’ouvrage Lénine philosophe
 (7) de J. Harper. Ce n’était, à ce moment-là déjà, un secret pour 
personne au sein du groupe, que l’auteur de ce dernier texte n’était 
autre qu’Anton Pannekoek. Mais ce n’est que plusieurs années après que 
je sus que les Thesen, si je ne me trompe, venaient d’Alexander Schwab 
**, et l’article sur Lénine et Luxemburg de Paul Mattick.
Le texte de Paul Mattick n’était pas seulement important parce 
qu’il dévoilait les arrière-plans sociaux des principes 
organisationnels de Lénine. Il traitait aussi de la différence 
fondamentale entre révolution prolétarienne et révolution 
bourgeoise. Mattick démontrait que Lénine, qui « ne [pouvait] 
concevoir une révolution prolétarienne sans une conscience 
intellectuelle, ce qui [faisait] de toute la révolution une 
question d’intervention consciente de “ceux qui savent” ou des 
“révolutionnaires professionnels” , [tombait] au rang d’un 
révolutionnaire bourgeois » ; et il critiquait dans le même temps 
« l’importance excessive (qu’accordait Lénine) au facteur 
politique, au facteur subjectif », ce qui pour lui (Lénine) 
« [faisait] de l’organisation du socialisme un acte politique » 
(8).
A la conception de la révolution prolétarienne comme acte 
politique, Mattick opposait l’intelligence de son caractère social.
 Contrairement à Lénine, qui regardait la conscience politique - que
 la classe ouvrière était hors d’état de développer par elle-même - 
comme le présupposé d’une révolution purement politique, Mattick 
montrait que, selon Marx,  la révolution ouvrière n’avait précisément 
pas du tout besoin de ce genre de conscience élaborée par une 
avant-garde politique.
Les avant-gardistes de toute nuance politique furent ainsi avisés
 que la révolution prolétarienne était quelque chose de totalement
 différent de la révolution bourgeoise du XIXe
 siècle dont ils étaient toujours en train de rêver. C’était, une fois 
de plus, une réponse claire à ceux qui demandaient pourquoi le GIC ne
 faisait, et ne voulait pas faire, un travail politique, pourquoi 
il ne pouvait pas être une « avant-garde » au sens traditionnel.
J’avais le sentiment à l’époque que le niveau théorique élevé 
d’une telle explication distinguait le GIC et le différenciait par 
là de toutes les tendances du mouvement ouvrier traditionnel. Il 
s’en différenciait également à un autre égard, à savoir par son 
interprétation des crises. Dans toutes les réunions politiques de 
l’époque et dans tous les hebdomadaires ou périodiques de gauche, 
la crise économique capitaliste était bien entendu un sujet 
récurrent. Dans tous les débats, chez les sociaux-démocrates, les 
socialistes de gauche, les anarcho-syndicalistes, les 
trotskystes ou les staliniens, elle était, quasiment sans 
exception, soit interprétée d’une façon ou d’une autre dans le sillage
 des économistes bourgeois comme une conséquence de la 
surproduction, soit (de façon plus ou moins métaphysique) tenue 
pour une crise mortelle du système, assurément non sans que chacun des 
partisans de cette idée ait fait le vœu d’en être pris pour le père. 
L’une comme l’autre de ces interprétations menait directement ou 
indirectement à dédaigner complètement la lutte de classe du 
prolétariat, que ce soit d’un point de vue réformiste ou que ce soit 
d’un point de vue fataliste absolu.
Face à cela, le GIC défendait des analyses qui expliquaient la 
crise 
à partir des tendances propres à l’accumulation capitaliste, une
 explication que le groupe opposait non seulement à la théorie des 
crises du réformisme, mais aussi aux illusions auxquelles se 
cramponnaient les masses dans leur impuissance d’alors. C’était par 
exemple très clairement le cas dans le texte qu’il avait rédigé sur 
les « Lois de la circulation de la vie économique du capital » (Bewegungsgesetze des kapitalistischen Wirtschaftslebens) où, à l’aide de données économiques, il battait 
en brèche cette croyance erronée que la crise était issue de la surproduction.
Il ne s’agit pas de dire par là que le GIC aurait eu une 
interprétation totalement homogène de la crise. Je me rappelle très
 bien combien on discutait passionnément à l’intérieur du groupe sur
 la crise et la théorie de l’effondrement et combien cette 
discussion se répercutait dans ses publications (9). L’ouvrage de 
Grossmann Das Akkumulations und Zusammenbruchsgesetz des kapitalistischen Systems
 (10), qui jouissait au début d’une grande autorité dans le GIC, était
 au cœur de cette discussion. Lorsque Pannekoek critiqua 
extrêmement vivement ce livre par écrit ainsi que dans un exposé oral -, les opinions furent très divergentes.
Certains tinrent l’attaque de Pannekoek pour erronée, d’autres pour
 que trop justifiée, et d’autres encore partageaient ses vues sur de
 nombreux aspects, mais estimaient quand même que les analyses de 
Grossmann étaient « remarquables » et maintenaient qu’elles étaient 
« d’une portée extraordinaire », comme me l’a déclaré littéralement
 une fois Henk Canne Meijer*, mort en 1962, qu’on peut avec raison appeler l’âme du GIC (11).
J’ai dans ma vie rencontré vraiment très peu de gens qui, comme 
Canne Meijer, étaient capables d’éclaircir les problèmes les plus 
difficiles de façon telle qu’ils devenaient compréhensibles pour 
véritablement n’importe qui. D’abord métallurgiste, il était devenu
 instituteur, et se distinguait 
dans le groupe par ses dons didactiques, dont d’innombrables 
camarades ont tiré profit. Des articles instructifs basés sur la 
philosophie de Josef Dietzgen *, et qui contribuèrent de manière 
essentielle à une meilleure compréhension de la méthode de Marx, 
proviennent, entre autres, de sa plume.
Rien ne serait cependant plus inexact que d’en déduire que le GIC 
ne s’occupait que de recherches purement théoriques. Ce que le 
groupe assimilait théoriquement, il l’utilisait dans la pratique
 quotidienne. Les événements de tous les jours l’y forçaient aussi en
 permanence. En France, à partir de 1934, fut élaborée la politique 
du Front populaire qui permit l’arrivée au pouvoir en 1936 du 
gouvernement du réformiste Léon Blum - qui se montra aussitôt 
hostile aux ouvriers. Ce furent les années de la révolution 
espagnole, des occupations d’usines en France, en Belgique et dans 
les entreprises automobiles américaines, des procès de Moscou, 
des tentatives de planification économique de Roosevelt, des 
grèves « sauvages » qui s’étendaient, du déclin croissant du 
mouvement ouvrier traditionnel, du mouvement stakhanoviste 
russe, de la conférence sur l’étalon-or, de la course à l’armement qui
 allait conduire à la deuxième guerre mondiale.
Le GIC prenait position sur tous ces sujets, position dont la 
substance était invariablement qu’il fallait combattre la 
politique autoritaire des partis parlementaires et des 
syndicats et que les travailleurs devaient prendre eux-mêmes en main
 l’administration et la direction de la production et de la 
distribution pour réaliser une société communiste sans 
exploitation ni travail salarié, c’est-à-dire une association de 
producteurs libres et égaux ; que le mot d’ordre de lutte n’était ni 
politique de front populaire ni planification économique, mais,
 au contraire : « Tout le pouvoir aux conseils ouvriers ». C’est ce qui
 était également inscrit en tête de sa presse.
Nous ne restions pas, à cette époque, assis ensemble dans un salon à
 discuter passionnément. Les « frères » se rendaient aussi hors 
« des murs du monastère » dans des réunions publiques, devant les 
bâtiments des journaux et les bureaux de chômage, là où les 
travailleurs exprimaient clairement leur opposition aux 
bureaucrates syndicaux ou discutaient la question de savoir si 
l’URSS, malgré toutes les informations contraires, était encore un 
Etat ouvrier. Alors, comprendre que le bolchevisme russe n’avait 
jamais rien eu à voir avec la lutte de classe prolétarienne ni avec le
 socialisme contribuait à éclairer les cerveaux. Cette 
compréhension était d’ailleurs avant tout destinée à favoriser une 
pensée et une activité autonomes, qui étaient systématiquement 
écartées par les partis et les syndicats. J’ai conservé divers 
comptes rendus succints de tels débats. Ils prouvent sans ambiguïté 
le caractère essentiel de cette propagande orale.
Pannekoek avait conclu sa critique de Grossmann par l’idée que 
l’effondrement du capitalisme, cela voulait dire 
l’auto-émancipation du prolétariat, que les travailleurs eux-mêmes, 
dans leur ensemble, devaient mener le combat et qu’ils devaient pour 
cela trouver de nouvelles formes de lutte. Les comités d’action des 
grèves « sauvages » représentaient pour le GIC le modèle concret de 
ces nouvelles formes de lutte et d’organisation. Ils se formaient à
 l’époque au cours de presque toutes les luttes ouvrières et 
possédaient leur propre histoire. D’abord très primitifs, dans la 
mesure où les grèves « sauvages » se multipliaient, ils 
constituaient de plus en plus clairement pour les ouvriers le moyen à
 l’aide duquel ils pouvaient se défendre contre les réductions de 
salaire ou contre la dégradation des conditions de travail - ainsi 
qu’ils le voulaient, mais l’exigeaient en vain de leurs 
« dirigeants ». Même si cela aboutissait souvent à un échec, les 
comités ouvraient toutefois en pratique des voies menant à une 
organisation du pouvoir, organisation que les syndicats 
n’étaient pas en mesure d’assurer. Plus ils apparaissaient 
fréquemment, mieux ils s’organisaient, plus ils allaient de l’avant 
sans s’occuper de rien - avec pour garantie finale une « démocratie 
prolétarienne par en bas » - alors, plus leur similitude avec les 
conseils des temps révolutionnaires faisait son chemin dans les 
consciences.
Le GIC suivait cette évolution avec attention, remettait sans 
cesse la discussion sur sa signification et reliait étroitement 
cette pratique des ouvriers avec l’ascension, qu’il tenait pour 
inéluctable, d’une nouvelle forme à venir d’organisation de la 
classe prolétarienne. Henk Canne Meijer dédiait à celle-ci son 
article : « Das Werden einer neuer Arbeiterbewegung » (12). Ce texte se
 classait d’emblée à part, en ceci que l’auteur ne rendait pas la 
confusion du mouvement ouvrier de son temps responsable de son 
impuissance, mais appréhendait au contraire sa confusion comme le 
résultat de son impuissance. Les points principaux qu’il 
développait, à savoir que le mouvement ouvrier du futur se 
différencierait et se séparerait fondamentalement du mouvement
 passé par l’activité autonome de tous les membres de la classe 
prolétarienne, revenaient dans les diverses analyses des grèves ou
 divers commentaires faits à propos des luttes quotidiennes.
Les activités du GIC embrassaient plusieurs domaines. Le groupe 
organisait des cours - principalement le dimanche matin. Hormis 
sa presse mensuelle et ses innombrables brochures, il distribuait
 chaque semaine devant un bureau de chômage d’Amsterdam un petit 
journal régulier très populaire, rédigé du début à la fin dans la 
langue des travailleurs : Proletenstemmen (« Les voix des 
prolétaires »). Il parut sans interruption durant environ deux ans, 
en nombre sans cesse croissant d’exemplaires ; il était fabriqué par
 un petit noyau de gens et provoquait - non sans raison - la rage 
folle des staliniens et des réformistes, parce qu’il mettait en 
lumière avec une logique simple et sous une forme sarcastique 
brillante les conséquences dévastatrices et le caractère 
anti-ouvriers de leur politique.
Il était principalement rédigé par un camarade d’Amsterdam 
extrêmement intelligent et de grande valeur qui était capable, 
pamphlétaire né, de trouver des expressions ou des exemples à la 
portée de chacun et justes qui convainquaient immédiatement et 
restaient longtemps en mémoire.
Le camarade dont je parle ici était alors chômeur - je pourrais 
presque dire : cela va de soi. Il consacrait toute sa force et tout 
son temps à Proletenstemmen. Il passait aussi une part considérable 
des autres jours devant ce même bureau de chômage, devant lequel était 
distribuée la petite feuille chaque vendredi. Il écoutait les 
discussions et obtenait ainsi des informations de première main 
liées directement à la vie des travailleurs. Il ne manquait pas de 
les utiliser avec profit dans ses textes. C’est finalement ce qui 
devait à ce modeste journal d’avoir une influence considérable. 
Proletenstemmen ne contribua pas peu à faire connaître les conceptions
 du GIC dans des cercles plus étendus. Et ceci particulièrement, à 
mon avis, grâce à une série d’articles qui y parurent sous le titre : 
« Les comités de lutte des grèves sauvages ». Il s’agissait là 
concrètement d’un échange d’expériences dans le sens où 
l’envisageait le GIC.
Les efforts des camarades de Proletenstemmen étaient à vrai dire 
une réponse, au demeurant tout à fait spontanée, à une question qui 
avait été soulevée quelques années auparavant dans le groupe. Durant
 l’été 1935, pour être exact, des camarades à La Haye, Leyde et 
Groningue avaient reproché à leurs amis politiques d’Amsterdam de 
n’avoir aucune solution suffisamment satisfaisante au problème de
 l’activité pratique. Ils constataient dans une « résolution » que
 le GIC n’avait jusqu’alors accompli qu’un travail d’information. Sa
 fonction dans le processus de transformation révolutionnaire 
avait été d’avoir dégagé des expériences des révolutions passées les 
conditions nécessaires des transformations futures. Aussi 
longtemps qu’une réorientation théorique avait encore été la chose 
la plus importante, il y avait eu un équilibre au sein du GIC ; le 
travail théorique était alors en harmonie avec l’organisation 
pratique. Mais, poursuivait la résolution, la « pratique » était 
maintenant propulsée au premier plan par l’évolution de la société.
 D’où il s’ensuivait une situation conflictuelle car le groupe ne 
s’était pas adapté. Il était vrai qu’il cherchait à développer des 
formules théoriques pour un nouveau mouvement ouvrier (on pensait
 ici naturellement au texte de Canne Meijer), mais il ne comprenait
 pas que la classe ouvrière passerait à l’action totalement 
indépendamment des groupes d’études.
Les auteurs de la « résolution » tiraient de leurs constatations 
la conclusion que le GIC était « positivement mort ». Ce qui eut 
pour conséquence que les groupes de La Haye, Leyde (13) et Groningue 
se désolidarisèrent du groupe d’Amsterdam. Ils partageaient en 
effet, écrivaient-ils, ses conceptions théoriques, mais ne pouvaient 
être d’accord avec ses méthodes pratiques.
Tout ceci n’eut quasiment aucune conséquence notable. Les 
relations personnelles se relâchèrent certainement quelque peu, 
cependant elles subsistèrent. Comme auparavant, les camarades à La
 Haye et Leyde distribuaient les écrits du groupe d’Amsterdam. Les 
Amstellodamois avaient sans doute haussé les épaules, puis poursuivi 
leur travail. Ce n’est qu’un peu plus tard, avec la publication de 
Proletenstemmen, qu’ils fournirent un exemple qui annihilait la 
critique contenue dans la résolution. Les camarades de La Haye 
entreprirent de les imiter. Mais leur publication ne pouvait pas 
soutenir la comparaison avec Proletenstemmen. Il leur manquait non
 seulement les forces mais encore les compétences et les 
connaissances. 
J’appartenais à l’époque à ceux qui étaient responsables de la 
résolution. Presque quarante ans après, ce n’est qu’avec difficulté 
que les arrière-plans de celle-ci parviennent à me revenir en 
mémoire. Je conserve une idée vague des contradictions 
personnelles qui n’étaient pas plus épargnées au GIC qu’à d’autres 
groupes, quoique il y ait certaines indications à ce sujet çà et 
là dans la résolution.
Quand je la relis aujourd’hui, c’est avec des sentiments 
passablement confus. Que visions-nous, à vrai dire, lorsque nous 
exigions que le GIC s’adapte à la pratique que - selon ce que nous 
disions - le groupe « savait uniquement mettre en formules » ? J’ai 
bien peur - et ceci avec quelque raison - qu’il n’était pas encore 
suffisamment clair pour nous que le GIC se différenciait en vérité 
fondamentalement du vieux mouvement ouvrier, mais qu’il n’était 
dans le même temps en aucun cas le nouveau mouvement ouvrier, et 
qu’il ne pouvait pas l’être puisque la constitution de ce dernier 
ne pouvait se concevoir que comme un processus de longue durée.
S’il était exact que l’expérience révolutionnaire avait fait la 
preuve que l’émancipation des travailleurs ne pouvait être que 
l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, alors on ne devait pas seulement 
comprendre que le socialisme ne pouvait pas être apporté de 
l’extérieur par un parti ou par un syndicat, mais également que cette
 émancipation ne pouvait pas plus être l’œuvre du GIC. En ce sens, le
 reproche d’un manque de pratique révolutionnaire était aussi peu 
justifié que celui affirmant que le groupe se réfugiait « derrière 
les murs du monastère ». Ce n’était pas ce qu’il faisait. Il agissait 
dans le monde qui était alors le sien.
Ce qu’on aurait peut-être pu lui reprocher, c’est qu’il considérait 
trop le développement de la conscience de soi des travailleurs comme
 une condition de la future lutte de classes, au lieu de la regarder 
comme un phénomène concomitant. Mais c’était une remarque qui jadis 
ne fut guère prise en considération - autant que je sache - ni à 
l’extérieur ni à l’intérieur du groupe d’Amsterdam.
Mais quoi qu’il ait pu en être, le GIC s’était en tout cas abstenu 
d’une « pratique » qui aurait abouti à ce que les tâches qu’il se 
serait données n’auraient pas pu être accomplies par un groupe. Et s’il
 s’était fourvoyé dans cette voie son travail théorique aurait 
immédiatement décliné. Son activité vers l’extérieur n’était pas 
dérisoire, comme l’ont affirmé certains critiques. Au contraire ! 
Mais elle n’avait rien à voir avec un quelconque volontarisme. Si 
elle se mouvait effectivement à l’intérieur de certaines limites,
 c’était simplement parce que ces limites avaient été trouvées telles
 quelles, historiquement déterminées.
On doit s’en souvenir à une époque où il y a encore des limites du
 même genre dont cependant de nombreux groupes sont moins conscients
 que le GIC l’était, et, à mon avis, c’est précisément en cela que 
réside son importance pour le mouvement ouvrier de demain.
Cajo Brendel
Cajo Brendel
Amersfoort, 
mars 1974.
NOTES DU TRADUCTEUR
* Groep van Internationale Communisten/GIC (1927-1940). L’auteur ne 
traite ici que de la période (1934-1939) durant laquelle il fut en 
contact avec ce groupe. (NdT.)
** Cajo Brendel : « Die Gruppe Internationale Kommunisten in Holland.
 Persönliche Erinnerungen aus den Jahren 1934-1939 », dans : 
Arbeiterbewegung Theorie und Geschichte, Jahrbuch 2, 1974, Fisher 
Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, p.253-263. (NdT.)
* Herman Gorter (1864-1927). (NdT.)
** En fait le brouillon des Thèses sur le bolchevisme est attribué à Helmut Wagner (né à Dresde en 1904). (NdT.)
* Voir les explications des sigles ci-dessous.
** Otto Rühle. Né en 1874 à Grossvoigtsberg en Saxe ; mort en 1943 à Mexico. (NdT)
* Henk Canne Meijer (1890-1962). Nous ne possédons, à ma connaissance, en français de lui qu’une étude intitulée : Le mouvement des Conseils ouvriers en Allemagne, par Henk Canne-Meijer (1938), suivie d’une annexe : Aperçu sur l’histoire des communistes de conseils en Hollande, ainsi que le résumé des Grundprinzipien... cité à la note 6. Ces textes sont parus dans ICO, supplément au n° 101, 1971, p.7-25 ; les deux premiers ont été repris dans une brochure, Vroutsch, série « La Marge », n° 9-11 : « Conseils ouvriers en Allemagne 1917-1921 », 1973, p.12-44. (NdT.)
** Josef Dietzgen. Né en 1828 à Blankenberg près de Cologne ; mort à Chicago en 1888. Son ouvrage le plus important : Das Wesen der menschlichen Kopfarbeit [L’Essence du travail intellectuel humain] est traduit en français aux éd. Champ libre, 1973. (NdT.)
NOTES DE L’AUTEUR
(1) Henk Sneevliet (1883-1942), membre de la social-démocratie 
hollandaise (SDAP [Sociaal-Democratische Arbeiders Partij/Parti 
ouvrier social-démocrate (NdT)]) à partir de 1900 ; dirigeant 
syndical et journaliste. Rejoignit en 1912 le SDP 
[Sociaal-Democratische Partij/Parti social-démocrate (NdT)] fondé en 
1909, qui se situait à l’époque à l’extrême-gauche. Participa plus tard à
 la lutte anticoloniale en Indonésie et fut un des fondateurs de 
l’Union social-démocrate indonésienne [ISDV/Indische 
Sociaal-Democratische Vereniging (NdT)]. Bolchevik à partir de 1919. 
Actif en Chine en tant que délégué du Comintern sous le nom de Maring, 
il fut cofondateur du PC chinois. Se rangea au côté de l’Opposition 
russe à partir de 1927. Fonda ensuite en Hollande le petit Parti 
socialiste-révolutionnaire [RSP/Revolutionair Socialistische Partij 
(NdT)] qui fusionna en 1935 avec l’aile gauche de la social-démocratie 
sortie du SDAP en 1932. Eut vers 1937 des divergences d’opinion avec 
Trotsky, qui ne voulut alors plus le reconnaître comme représentant 
officiel du trotskysme en Hollande. Fut fusillé le 13 avril 1942 par 
un peloton de la puissance occupante allemande pour cause 
d’activité socialiste-révolutionnaire.
(2) Tel que par exemple Gottfried Mergner, Gruppe internationale Kommunisten Hollands, Reinbek, 1971, p.8.
(3) Otto Rühle, Die Revolution ist keine Parteisache !, 
Berlin-Wilmersdorf, 1920. A paru comme article sous le titre : « Eine 
neue kommunistische Partei ? » dans : Die Aktion 17/18, 1920. 
Republié dans : Dokumente der Weltrevolution, Sonderband : Die Linke 
gegen die Parteiherrschaft, Olten und Breisgau, 1970, p. 329 et suiv. 
[traduction française dans : Denis Authier, La Gauche allemande, 
supplément au n° 2 d’Invariance, année V, série II, 1973, p.112-122. 
(NdT.)]
(4) L. Trotsky, Soll der Faschismus wirklich siegen ? Wie wird der 
Nationalsozialismus geschlagen ?, Berlin-Neukölln, 1932, p.23.
(5) Réédition, Berlin, s.d. [Traduction française :Thèses sur le 
bolchevisme. Korsch/Mattick/ Pannekoek/Rühle/Wagner, La 
Contre-révolution bureaucratique, éd. 10/18, 1973, p. 23 à 54 
(NdT.)]
(6) Réédition, Berlin-Wilmersdorf, 1970. [« Principes fondamentaux
 de la production et de la distribution communistes ». Il existe
 un résumé de ce texte en français dans le supplément au n° 101 d’ICO 
[Informations correspondances ouvrières], 1971, p.29-47 (NdT.)]
(7) Réédition, Berlin-Wilmersdorf, 1970. [Traduction française : Lénine philosophe, cahiers Spartacus, n° B 34, juin 1970 (NdT.)]
(8) Paul Mattick, « Die Gegensätze zwischen Luxemburg und Lenin », in : Partei und Revolution,
 Berlin, s.d., p.152/153. [Traduction française : « Les divergences 
de principe entre Rosa Luxemburg et Lénine » (1935), dans : Paul 
Mattick, Intégration capitaliste et rupture ouvrière, EDI [Etudes et documentation internationales], 1972, p.138. Les phrases citées ici se trouvent p.33. (NdT.) ]
(9) Cf. Korsch-Mattick-Pannekoek, Zusammenbruchstheorie des 
Kapitalismus oder Revolutionärer Subjekt, Berlin, 1973, p.20-45 et 
p.4770. [« Théorie de l’effondrement du capitalisme ou sujet 
révolutionnaire ». Je ne possède pas le texte allemand et ne connais
 par conséquent pas les textes que ce recueil contient. Selon S. 
Bricianier (Karl Korsch, Marxisme et contre-révolution, éd. du 
Seuil, 1975, note 2, p. 166 et note 1, p. 177), ce recueil contient le 
texte de K. Korsch traduit dans l’ouvrage cité, p.166-178 : « La 
théorie de l’effondrement du système capitaliste » (1933), un texte 
de Pannekoek : « Die Zusammenbruchstheorie des Kapitalismus » (1934) 
[traduit sous le titre : « La théorie de l’écroulement du 
capitalisme », dans Denis Authier/Jean Barrot, La Gauche communiste 
en Allemagne 1918-1921, éd. Payot, 1976] et une réponse de Mattick 
(1934). (NdT.)]
(10) Première édition : 1929 ; réédition : Frankfurt, 1967. [« La 
loi de l’accumulation et de l’effondrement du système 
capitaliste ». Ce texte n’est, à ma connaissance, pas traduit en 
français. Par contre, il existe une traduction d’un autre ouvrage 
d’Henrik Grossmann : Marx, l’économie politique classique et le 
problème de la dynamique [Marx, die klassische Nationalökonomie und
 das Problem der Dynamik], éd. Champ libre, 1975. (NdT.)]
(11) Ainsi que le fait, par exemple, l’ex-membre du GIC, le Dr. Ben Seijes, dans un récit de la vie de Canne Meijer. Cf. Mergner, Internationale Kommunisten, p.209 et suivantes.
(12) Réédité dans : Partei und Revolution, Berlin, s.d.
(13) Seul un camarade de Leyde vota à l’époque contre ladite résolution.
SIGLES DES ORGANISATIONS ET PARTIS
AAU : Allgemeine Arbeiter Union/Union Générale des Travailleurs.
KAPD : Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands/Parti ouvrier communiste d’Allemagne.
KAPN : Kommunistische Arbeiter Partei Niederlande/Parti ouvrier communiste des Pays-Bas.
KPD : Kommunistische Partei Deutschlands/Parti communiste d’Allemagne.
SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands/Parti social-démocrate d’Allemagne.
USP : Unabhängige Sozialdemokratische Partei/Parti social-démocrate indépendant.
 
