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| Activistes ouvriers italiens à l'assaut du local fasciste du parti MSI | 
Lotta Continua : Tout semble indiquer que nous 
sommes entrés dans une période de grave crise économique et sociale. 
Quels en sont les traits nouveaux par comparaison avec la crise des 
années 1930 ?
PAUL MATTICK : Les raisons fondamentales de la crise actuelle 
sont identiques à celles de toutes les crises précédentes du système 
capitaliste. Mais toutes les crises présentent aussi des caractères 
spécifiques en ce qui concerne leur apparition, les réactions qu’elles 
provoquent et leurs conséquences.
À l’origine de ces traits distinctifs se trouvent les 
transformations structurelles du capital. Une crise survient en général à
 la suite d’une période d’accumulation convenable, au cours de laquelle 
les profits produits et réalisés ont suffi à assurer le maintien d’un 
rythme d’expansion donné.
Cet état de prospérité capitaliste exige des gains de 
productivité constants et assez élevés pour contrebalancer le déclin 
relatif de rentabilité qu’entraînent les transformations structurelles 
du capital. La recherche du profit, que les capitaux individuels 
effectuent sous le fouet de la concurrence, donc à l’aveuglette, ne peut
 que se poursuivre sans tenir aucun compte des transformations 
intervenues dans le rapport capital/travail inhérent à la composition 
sociale du capital.
La crise fait irruption quand la disproportionnalité 
entre la fraction du profit destiné au capital social et le taux 
d’accumulation voulu interdit toute nouvelle expansion. Cette disparité 
de base, mais indéterminable par voie empirique, se fait sentir au 
niveau du marché sous forme d’un défaut de demande effective, lequel 
n’est qu’une autre expression pour désigner le défaut d’accumulation, de
 cette accumulation dont dépend la demande effective.
Avant 1930, on remédiait aux dépressions économiques par
 des procédés déflationnistes, autrement dit en laissant libre cours aux
 lois du marché dans l’espoir que la baisse d’activité aurait tôt ou 
tard pour effet de restaurer l’équilibre de l’offre et de la demande, et
 partant de rétablir la rentabilité du capital.
La crise de 1930 fut cependant trop profonde et trop 
dispensieuse pour qu’on pût s’en tenir au laisser faire traditionnel. On
 y fit face par des procédés inflationnistes, autrement dit par des 
interventions de l’État, appelées à déboucher sur la guerre, pour 
restructurer l’économie mondiale au moyen d’une centralisation à 
outrance, accomplie au détriment des capitaux nationaux les plus 
faibles, autant que d’une destruction systématique du capital sous ses 
formes à la fois monétaires et physiques. Financées comme elles 
l’étaient par le déficit budgétaire, c’est à dire par des techniques 
inflationnistes, ces interventions avaient des résultats encore et 
toujours déflationnistes, mais d’une tout autre ampleur qu’autrefois, 
quand on s’en remettait passivement aux lois du marché. La longue crise 
puis la Deuxième Guerre mondiale, et les destructions massives de 
capital qui les accompagnèrent, créèrent les conditions d’une période 
extraordinairement longue d’expansion dans les grandes puissances 
industrielles d’Occident.
Déflation et inflation aboutirent l’une et l’autre au 
même résultat, un nouvel essor du capital, et servirent de la sorte et 
tour à tour à sauvegarder la stabilité économique et sociale ainsi 
acquise. Le financement par le déficit budgétaire, par le crédit en 
d’autres termes, permet certes de stimuler une économie en stagnation. 
Mais il est impossible de maintenir le taux de profit de cette façon là 
et de perpétuer ce faisant les conditions de la prospérité. Ceci étant, 
le mécanisme déclencheur de crise inhérent à la production de capital 
était appelé à se remettre en place de lui même : simple question de 
temps.
À l’heure actuelle, il est manifeste que l’octroi de 
crédits destinés à relancer la production constitue non pas une solution
 définitive à la crise, mais une politique au coup par coup dont les 
effets positifs ne peuvent être que temporaires. Faute d’aboutir à un 
véritable, un évident essor fondé sur des profits accrus, cette 
politique est vouée à un échec dont elle contient en elle même le germe.
La médication keynésienne a tout bonnement engendré une 
nouvelle situation de crise, assortie d’inflation et de chômage 
également croissants, et l’un comme l’autre tout aussi préjudiciables au
 système capitaliste. La crise en cours n’a pas atteint jusqu’à présent 
l’ampleur dévastatrice de la précédente qui, pendant les années 1930, 
devait conduire de la dépression à la guerre.
Tout en étant incapables de mettre fin au marasme 
actuel, les mesures anticrises pallient jusqu’à un certain point la 
misère causée par la baisse d’activité. Mais, dans le cadre d’une 
économie capitaliste en stagnation, ces mesures deviennent elle mêmes 
autant d’éléments contribuant à détériorer celle ci par la suite. Ne 
rendent elles pas plus ardue la reconstitution d’une base de départ pour
 un nouvel essor ? De même, la dépression qui va croissant a pour 
conséquence de restreindre à proportion la part d’intégration 
internationale que l’économie capitaliste doit à des arrangements 
monétaires et à des politiques commerciales d’inspiration libérale. Et 
les tendances au protectionnisme aggravent encore l’état du marché 
mondial.
Étant donné que la crise ne peut être jugulée qu’aux 
dépens de la population laborieuse, la bourgeoisie se voit contrainte de
 mobiliser tous les moyens dont elle dispose, économiques aussi bien que
 politiques, pour réduire le niveau de vie des travailleurs. La montée 
du chômage, tout en pesant sur la situation, ne suffit pas à faire 
baisser les salaires autant que l’exige le rétablissement de la 
rentabilité du capital. Pour arriver à ce rétablissement, préalable 
obligé à la reprise de l’expansion, il faut comprimer les revenus des 
couches non capitalistes, diminuer le budget dit social, etc. Bien 
qu’une inflation accélérée ait cet effet là, pareille politique trouve 
aussi ses limites dans l’« anarchie » croissante de la production 
capitaliste et de la société en général. Bref, l’inflation comme 
politique permanente menace l’existence même du système.
L.C. : A ce propos, comment vois tu le 
rôle de la gauche, et plus particulièrement du Parti communiste ? Quelle
 est selon toi la signification de l’eurocommunisme ?
P.M. : II faut distinguer entre la gauche objective, 
c’est à dire le prolétariat comme tel, et la gauche organisée, qui n’est
 pas de nature strictement prolétarienne. Au sein de cette dernière, le 
Parti communiste, tout du moins en Italie, détient une position 
dominante. En ce moment ci, toujours en Italie, c’est lui qui le plus 
probablement détermine la politique de la gauche, malgré l’opposition 
des formations situées à sa gauche ou à sa droite. Mais le P.C. n’est 
pas une organisation communiste au sens traditionnel : depuis longtemps 
transformé en mouvement social démocrate, en parti réformiste, il vit en
 symbiose avec le capitalisme et donc s’offre à le servir.
Son objet pratique est de satisfaire les aspirations 
bourgeoises de son corps dirigeant, les besoins de sa bureaucratie, tout
 en faisant office de médiateur entre le travail et le capital en vue de
 maintenir le statu quo social. Le fait qu’il rencontre une adhésion 
massive en milieu ouvrier indique que les travailleurs ne sont pas prêts
 à renverser le système, ou n’y tiennent pas, et désirent à la place 
arriver à un accommodement avec lui. Illusion, assurément, mais qui va 
dans le sens de la politique opportuniste du P.C. Une dépression 
prolongée risquant de détruire le système, il est essentiel pour le 
Parti communiste, autant que pour les autres organisations réformistes, 
d’aider la bourgeoisie à en finir avec la crise. C’est pourquoi il 
s’efforce de couper court à des actions ouvrières susceptibles de 
freiner, voire d’empêcher, le redressement du capitalisme. Dès que ce 
dernier se trouve mis en danger par des mouvements de la classe 
ouvrière, que le système en proie à la crise ne saurait contenter, la 
politique réformiste et opportuniste du P.C. revêt un caractère 
ouvertement contre révolutionnaire.
L’eurocommunisme cher au P.C. est dépourvu de toute 
signification parce que le communisme est une catégorie non pas 
géographique mais sociale. Ce terme vide recouvre une tentative, de la 
part des P.C. européens, de différencier leurs attitudes actuelles 
d’avec leurs politiques passées. C’est une manière de proclamer que le 
vieux but capitaliste d’État depuis longtemps enterré en pratique a été 
abandonné au profit de l’économie mixte propre au capitalisme 
d’aujourd’hui. Eurocommunisme, cela signifie la recherche d’une 
reconnaissance officielle et d’une intégration totale au système en 
place, lesquelles impliquent naturellement une intégration aux divers 
États nationaux que compte le territoire européen. Une manière aussi de 
faire acte de candidature à des responsabilités accrues dans le cadre du
 système capitaliste et de son gouvernement, de s’engager en outre à 
respecter le degré limité de coopération atteint dans le contexte 
européen par les nations capitalistes et à s’abstenir de toute 
initiative risquant de compromettre le consensus apparent entre l’Est et
 l’Ouest.
II s’agit en l’occurrence non pas d’une rupture 
catégorique avec la partie capitaliste d’État du monde, mais de la 
consécration du fait que ce camp là, bien loin lui aussi de chercher à 
étendre par des moyens révolutionnaires l’aire du capitalisme d’État, 
vise à s’intégrer plus complètement au marché mondial, malgré les 
différences qui subsistent entre systèmes de capitalisme privé et de 
capitalisme d’État.
L.C. : Quelles possibilités d’action 
révolutionnaire, ou d’action visant à préparer une révolution à venir, 
existe-t-il ? Quelles possibilités vois tu pour les travailleurs, les 
chômeurs, les étudiants, les formations gauchistes ?
P.M. : Les actions révolutionnaires sont dirigées contre
 le système comme un tout pour le renverser. Ce qui présuppose une 
dislocation du corps social, hors de tout contrôle politique. Jusqu’ici,
 pareilles actions ne sont produites qu’en liaison avec des catastrophes
 sociales, telles celles qu’engendrent des guerres perdues et l’état de 
désagrégation économique qui va de pair avec elles. Cela ne veut pas 
dire que ce genre de situation constitue un préalable absolu à la 
révolution, mais revient à constater l’ampleur de la désintégration 
sociale qui précède les soulèvements révolutionnaires. La révolution 
doit forcément impliquer la majorité de la population. Et c’est la 
nécessité, non l’idéologie, qui met les masses en mouvement. L’activité 
qui s’ensuit produit son idéologie révolutionnaire propre, en vue de 
discerner ce qu’il y a lieu de faire pour sortir victorieusement de la 
lutte contre les défenseurs du système. À l’heure actuelle, les 
possibilités d’action révolutionnaire sont extrêmement faibles, parce 
que les chances de succès sont quasi nulles.
Instruites par l’expérience, les classes dirigeantes 
s’attendent à des éruptions révolutionnaires et se sont armées en 
conséquence. Leur puissance militaire n’est jusqu’à présent nullement 
menacée de dissensions intestines ; politiquement, ces classes jouissent
 du soutien des grandes organisations ouvrières et de la majorité de la 
population. Elles n’ont pas encore épuisé les possibilités de manipuler 
l’économie qui s’offrent à elles ; malgré une concurrence internationale
 toujours plus âpre pour des profits en voie de contraction à l’échelle 
mondiale, elles demeurent unies dans le monde entier contre des 
soulèvements prolétariens partout où ils pourraient surgir. Les régimes 
soi disant socialistes participent eux aussi à ce front commun : pour 
sauvegarder les rapports de classe, les rapports d’exploitation qui leur
 servent de base. Au stade de développement où nous sommes, une 
révolution socialiste semble plus que douteuse. II n’en reste pas moins 
que toute activité des travailleurs visant à défendre leurs intérêts 
propres possède un caractère potentiellement révolutionnaire, étant 
donné que le capitalisme se trouve dans un état de délabrement 
susceptible de durer longtemps. Vu le manque de données utiles, personne
 ne saurait prévoir quelles dimensions la dépression est appelée à 
prendre. Mais chacun est confronté à la crise et doit y réagir : la 
bourgeoisie à sa manière, la classe ouvrière de façon opposée.
En période de relative stabilité économique, la lutte 
ouvrière elle même a pour effet d’accélérer l’accumulation du capital, 
en forçant la bourgeoisie à adopter des méthodes plus efficaces pour 
accroître la productivité du travail et conserver de la sorte le taux de
 profit voulu. Les salaires et les profits peuvent s’élever de conserve 
sans que cela nuise à l’expansion du capital. Mais une dépression met 
fin cependant à cette hausse simultanée (quoique inégale). Pour que le 
processus d’accumulation puisse redémarrer, il faut d’abord que la 
rentabilité du capital soit rétablie. Désormais, la lutte entre le 
travail et le capital met en cause l’existence même du système, liée 
qu’elle est à l’expansion continue de ce dernier.
Objectivement, les luttes économiques ordinaires 
revêtent des implications et donc des formes politiques, parce qu’une 
classe ne peut l’emporter qu’au détriment de l’autre. La classe ouvrière
 n’a nul besoin de concevoir sa lutte comme la voie de la révolution ; 
dans le cadre d’un capitalisme en déclin persistant, ses luttes prennent
 des connotations révolutionnaires, et cela complètement en dehors de 
toute prise de conscience. Bien sûr, il se peut que les travailleurs 
acceptent de se contenter d’une part diminuée, dans certaines limites, 
du produit social, serait-ce uniquement pour éviter les misères d’une 
lutte prolongée contre la bourgeoisie et son État. Mais voilà qui risque
 fort de ne pas être suffisant pour nourrir un nouvel essor économique 
et mettre un terme du même coup à la croissance du chômage. Tout en 
étant inhérente au système, la division entre travailleurs en activité 
et en sans travail se transforme en source de difficultés pour le 
capitalisme, dès lors qu’il y a montée constante du chômage dans un 
contexte de stagnation et de déclin économiques. Quant aux moyens de 
réagir à la crise, tout ce qu’on suggère aux travailleurs, c’est de 
s’unir tous tant qu’ils sont, avec ou sans travail, dans des 
organisations placées sous leur contrôle direct, et de se battre pour 
leurs besoins immédiats, sans tenir compte de l’état de l’économie ni de
 la collaboration de classe du mouvement ouvrier officiel. En d’autres 
termes : de mener leur lutte de classe avec autant d’acharnement que la 
bourgeoisie mène la sienne. Au grand moyen d’action de celle ci, son 
appareil d’État, il faut opposer une puissance plus considérable encore,
 ce qui ne peut se faire au début que par une dislocation continue du 
processus de production, base même de la puissance capitaliste et par 
une poussée implacable des sans travail visant à extorquer à la 
bourgeoisie leurs moyens d’existence.
Quant aux étudiants d’extrême gauche et aux groupes 
révolutionnaires, s’ils veulent avoir une efficacité quelconque, il leur
 faut s’immerger dans le mouvement des travailleurs et des chômeurs : 
non pour réaliser un programme à eux, mais pour mieux cerner le sens de 
la lutte de classe qui se profile à l’horizon et les directions qu’elle 
est appelée à prendre en raison des lois immanentes de la production de 
capital.
L.C. : D’après toi, quel est le rôle de la violence, de la lutte armée en particulier, dans l’action militante.
P.M. : Ce n’est pas une question à laquelle on peut 
répondre en attribuant à la violence un rôle ou positif ou négatif. La 
violence est immanente au système et donc une nécessité pour le travail 
autant que pour le capital. De même que la bourgeoisie ne subsiste qu’en
 vertu de sa mainmise sur les moyens de production, de même il lui faut 
la défendre par des procédés également extra économiques, grâce à son 
monopole des moyens de répression. Un refus de travail suffit à priver 
de sens les moyens de production, car le profit capitaliste n’a pas 
d’autre origine que le processus du travail. Entre le travail et le 
capital, il n’est donc pas question de lutte purement économique : la 
bourgeoisie ne manquera pas de recourir à la violence chaque fois que 
cette lutte menacera son existence en risquant de compromettre 
sérieusement la rentabilité du capital.
Voilà qui interdit aux travailleurs toute espèce de 
choix entre la violence et la non violence dans la lutte des classes. 
C’est la bourgeoisie, en possession de l’appareil d’État, qui en décide 
ainsi. À la violence il n’est possible de répondre que par la violence, 
même s’il faut se battre avec des armes inégales à l’extrême. Il s’agit 
en l’occurrence non d’une question de principe, mais bien de la réalité,
 de la structure propre à la société de classes. Cependant, la question 
posée est de savoir si les éléments radicaux doivent ou non prendre 
l’initiative de la violence au cours des luttes anticapitalistes, au 
lieu de laisser à la bourgeoisie et à ses mercenaires le soin d’en 
décider.
Certes, il peut y avoir des situations auxquelles la 
bourgeoisie n’est pas prête à faire face et où un heurt violent avec ses
 forces armées se termine à l’avantage des révolutionnaires. Mais toute 
l’histoire des mouvements d’inspiration radicale montre avec la dernière
 netteté que des victoires aussi fortuites restent sans lendemain. La 
bourgeoisie finira toujours par avoir le dessus sur le plan militaire, 
sauf si le mouvement révolutionnaire prend une ampleur telle que 
l’appareil d’État lui-même en est affecté, ses forces armées se divisant
 ou se dissolvant. C’est seulement en conjonction avec de grands 
mouvements de masse, qui font littéralement voler en éclats l’édifice 
social, qu’il devient possible d’arracher aux classes dirigeantes les 
moyens de répression et du même coup les moyens de production.
La futilité évidente de confrontations armées par trop inégales n’a pas 
empêché qu’il s’en produise. Qui plus est, dans certaines situations, 
pareilles confrontations peuvent déclencher des réactions en chaîne et 
déboucher sur des mouvements de masse du genre qui sert en général de 
préalable à la violence révolutionnaire. Voilà pourquoi il est si 
dangereux d’insister sur la non violence et de faire de la violence 
l’apanage de la classe dominante. Mais cela concerne des situations 
véritablement cruciales (non pas celles que les pays capitalistes 
connaissent actuellement) et aussi des forces suffisamment armées pour 
pouvoir tenir le coup pendant très longtemps. Dans le cas contraire, de 
telles actions reviennent à un suicide collectif pur et simple, chose 
dont la bourgeoisie s’accommode volontiers.
On peut les louer d’un point de vue moral, ou même 
esthétique, mais elles ne servent nullement la cause de la révolution 
prolétarienne ; tout su plus entrent elles un jour dans le folklore 
révolutionnaire. Psychologiquement, il est difficile sinon impossible 
pour des révolutionnaires de s’élever contre la futile mise en oeuvre de
 la justice de classe par des groupes ou des individus terroristes. Marx
 lui même, pourtant contempteur déclaré du nihilisme sous toutes ses 
formes, ne cachait pas son admiration pour les exploits terroristes du 
groupe russe de la Volonté du peuple. De fait, que le contre terrorisme 
de certains groupes révolutionnaires soit voué à la futilité est une 
chose, qu’il disparaisse pour autant en est une autre. Ses adeptes ne 
sont pas animés de la conviction que leurs actions déboucheront 
directement sur la transformation de la société ; ils ne se résignent 
pas à laisser sans réplique le perpétuel terrorisme de la bourgeoisie, 
voilà tout. Et une fois lancés dans le terrorisme illégal, le terrorisme
 légal les contraint à la fuite en avant jusqu’au dénouement tragique. 
Cette famille d’esprits est elle même un produit de la société en crise 
et une réponse à sa férocité toujours accrue. Se joindre au choeur des 
voix bourgeoises pour condamner également le terrorisme d’un point de 
vue prolétarien, ne rime à rien. Il vaut mieux constater sa futilité, et
 rechercher des moyens plus efficaces d’en finir avec la permanente 
terreur capitaliste par des actions de classe du prolétariat.
 — Interview de Paul Mattick au journal italien Lotta Continua en octobre 1977 [Smolny]
