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dimanche 17 février 2019

La question de l’Union soviétique


I. Moment décisif dans le développement de l’URSS de ces dernières années.
Quiconque a suivi attentivement la situation de l’URSS a dû remarquer combien de mesures extrêmement réactionnaires y ont été réalisées ces derniers temps : l’interdiction de l’avortement, 1’introduction de nouveaux grades dans l’armée, de nouveaux règlements scolaires autoritaires, et bien d’autres règlements.
Toutes ces mesures se meuvent le plus souvent sur le plan culturel politique et ne sont compréhensibles que lorsqu’on se donne la peine d’y voir la conséquence de raisons plus profondes, et dont l’origine plonge dans le domaine de l’économie. S’il est vrai que des modifications idéologiques qui représentent la superstructure d’une société présupposent des modifications analogues dans l’économie, on devrait pouvoir démontrer de telles modifications ou de tels déplacements de forces en URSS. En fait, rien n’est plus facile à démontrer.

Toute la série de nouveaux règlements qu’on a pu constater ces dernières années ne s’expliquent autrement que par un déplacement substantiel et même principiel des rapports de forces.
Il suffira pour cela de rappeler le discours, en son temps célèbre, que Staline prononça en juin 1931 devant une assemblée d’économistes russes sur les six conditions ou changements. La presse du Komintern a considéré le discours comme étant d’une portée historique et n’a pas dit en ce cas un seul mot de trop. Jamais homme politique n’a rompu si radicalement avec l’ancien cours suivi jusqu’alors que Staline en 1931. Il demandait alors la suppression de l’égalité relative des salaires ouvriers, stigmatisait cette égalité comme une « creuse égalisation » et exigeait l’introduction d’un nouveau système de salaires. Il demandait en plus la suppression de la direction collective des entreprises et leur remplacement par une direction personnelle d’un fonctionnaire responsable uniquement devant l’Etat.
Cependant le point essentiel résidait sans doute dans l’annonce que dorénavant les entreprises devraient travailler d’après le principe de la rentabilité. Le discours fut suivi immédiatement par une série de décrets qui ont donné à ces formulations de Staline force de loi. Plus de 30 échelons de salaires furent créés, et les différences s’échelonnèrent entre 100 et 1000 roubles par mois. Le droit des ouvriers d’avoir un certain regard dans le fonctionnement de l’entreprise fut réduit à zéro et les directeurs « rouges » devinrent des bureaucrates dans leur domaine. Pour la réalisation de la rentabilité, ils reçurent les pouvoirs nécessaires. Une rationalisation du mode du travail eut lieu qui provoqua une course effrénée pour des hauts salaires.
Pour les staliniens des pays autres que l’URSS, le travail à la tâche c’était de l’assassinat, mais en URSS, ils prisaient beaucoup les effets miraculeux du travail à la tâche.
Peu après les syndicats furent rattachés au Commissariat du Travail et cessèrent définiti­vement de mener une lutte quelconque pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers. Ils devinrent de simples instruments de propagande de l’Etat pour une meilleure exploitation de l’effort ouvrier (Décision du C.C. du 23 juin 1933). Même la façon de pourvoir les ouvriers en denrées alimentaires fut modifiée. La plupart du temps elle passait dans les mains de la direction d’entreprise qui trouvait le moyen « d’assurer aux meilleurs ouvriers une meilleure fourniture de denrées alimentaires ». Si jusqu’ alors il existait au sein de la classe ouvrière une certaine égalité des conditions de vie – égalité qu’on pourrait le mieux qualifier d’égalité de commune misère – à partir de ce moment commença à se développer une différenciation dans la manière de vivre, une différenciation des intérêts, et par conséquent une appréciation différente de l’Etat et de ses institutions.
Ainsi prit fin une longue période pendant laquelle le nivellement de la conscience ouvrière trouvait son origine dans les conditions économiques.
Où donc faut-il chercher les raisons de toutes ces mesures qui furent déjà à l’époque stigmatisées par différents groupes ouvriers comme étant de nature réactionnaire et même capitaliste. Staline nous le dit dans le même discours cité plus haut : « il en résulte finalement qu ‘on ne doit plus se contenter des anciennes sources d’accumulation, le nouveau dévelop­pement de l’industrie et de l’agriculture exige l’introduction du principe de la rentabilité et le renforcement de l’accumulation au sein de l’industrie. »
Le prolétaire des pays capitalistes sait bien par l’expérience de sa vie quotidienne quelles sont les méthodes que le capitalisme met en pratique lorsque que par manque de plus-value l’accumulation se trouve bloquée. Bien que se voilant de bonnets philanthropiques de toutes sortes, elles ont toujours comme but final une aggravation de l’exploitation. Il est significatif que le « premier et unique Etat ouvrier » se soit servi de la même méthode. Pas mal de communistes perdirent alors une partie de leurs illusions. La dure réalité les a forcés à se rendre à 1’évidence ; c’était une erreur de croire que la nationalisation des moyens de production était déjà en soi une garantie suffisante pour une disparition de l’exploitation de l’homme par l’homme.
A la place des capitalistes individuels puissants, des appareils étatiques tout puissants pressaient l’individu de rendre ses dernières forces et ces mêmes organes étatiques lui donnaient en échange un salaire qui suffisait à peine à assurer l’entretien de l’existence nue. Ce rapport de l’ouvrier russe vis à vis de son Etat et ses fonctionnaires ne ressemble-t-il donc pas à celui de l’esclave salarié de l’Europe occidentale envers son patron?
Des staliniens 100 % nous chantent, il est vrai, « la propriété collective des moyens de production » qui existerait dans l’Etat soviétique, et les trotskistes l’ont chanté jusqu’alors dans le même chœur bien que sur un autre air.
Mais une question se pose alors ; Pourquoi donc les ouvriers « ces propriétaires collectifs des moyens de production » ont-ils montré si peu d’intérêt à accroître le plus rapidement possible leur propriété, au point que Staline a été obligé de leur rappeler leurs devoirs avec un fouet de faim?
Bien plus, pour protéger la « propriété socialiste » il a dû, même à l’aide de lois draconiennes, empêcher les ouvriers d’emporter dans leurs poches leur propriété à eux. Les prolétaires russes sont-ils donc si bêtes et si myopes comme sont intelligents leurs maîtres staliniens et ne comprennent-ils donc pas les dommages qu’ils se causent eux-mêmes à leurs intérêts les plus vitaux !
Nous croyons fermement que l’ouvrier russe comprend qu’il n’a aucun rapport direct ni avec les moyens de production, ni avec le produit de son travail. Il n’a aucun intérêt à ces deux choses, parce qu’il est salarié au même titre que ses frères de classe de l’autre côté de la frontière. Que le prolétariat russe ait compris ce fait dans son ensemble, ou que l’exploitation soit encore voilée aux grandes masses par des illusions, cela importe peu. Ce qui est sûr, c’est que le prolétariat russe a agi et continue à agir comme seule une classe exploitée agit. Et il importe peu que Staline soit conscient ou non de son rôle de dirigeant d’une société reposant sur l’exploita­tion; l’essentiel, c’est que personne mieux que lui n’avait pu formuler avant et après 1931 les nécessités d’une telle société.
Ce n’est pas d’hier que date l’introduction des rapports capitalistes de classe en URSS de même que ce n’est pas à partir de 1931 seulement que l’URSS l’est devenue. Dans son essence, elle 1’était déjà à partir du moment où elle abattit les derniers soviets ouvriers librement élus, mais après 1931 l’économie russe a rejeté de son sein tous les éléments étrangers à sa structure.
Les couches qui considéraient l’honnêteté comme une des vertus essentielles des révolutionnaires (surtout parmi les vieux bolcheviks) se sont montrées incapables d’aider le programme de Staline à se réaliser, et se trouvent depuis longtemps en opposition irréductible au régime. Ils constituent un élément étranger au système russe et sont éliminés par lui. La dissolution de l’organisation des vieux bolcheviks et la déportation de ses membres les plus éminents surtout ces derniers temps, montra bien à quel point cette interprétation correspond à la vérité.
Un bolchevik, un ouvrier conscient, un communiste ne peut pas défendre devant les masses les mesures du gouvernement soviétique, il ne peut pas les faire réaliser sans immédia­tement cesser d’être un communiste. Il devient pour les puissants inutilisable et sans valeur dans la mesure où il devient conscient de sa fonction en tant qu’instrument de la hiérarchie exploiteuse. C’est pourquoi nécessairement d’autres hommes doivent accomplir cette fonction, des hommes avec des conceptions différentes et qui n’ont pas le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière.
Les décisions importantes après 1931 étaient des nécessités qui résultèrent du développement et étaient devenues causes d’un déplacement du rapport de force entre classes en URSS. Une aggravation de l’exploitation est impossible sans l’accroissement de l’appareil qui réalise cette exploitation directement. Et, comme la classe ouvrière ne peut s’exploiter elle-même, cet appareil devait être édifié par des gens qui ne lui appartiennent pas. Fonctionnaires, employés, cadres de l’industrie, appuyés sur une large couche d’aristocratie ouvrière sont 1’instrument de la clique régnante et, peuvent de ce fait jouir des privilèges qui les placent bien au-dessus du niveau d’un prolétaire moyen.
Telle est la situation créée en URSS.
En dépit de tous les bavardages sur le passage imminent vers une société sans classes, une nouvelle classe a surgi là-bas. Les prolétaires n’ont aucun rapport de « propriété » avec les moyens de production; là comme ici, ils sont vendeurs de leur force de travail; tandis que la classe opposée (fonctionnaires du parti, directeurs d’entreprises et de coopératives, bureaucratie d’Etat) exerce la fonction de gérant des moyens de production, d’acheteur des forces de travail et de propriétaire des produits du travail. Elle domine collectivement, mais d’une façon autoritaire toutes les sphères de 1’économie russe. Elle ne produit aucune plus-value, mais se nourrit du travail de millions d’esclaves auxquels elle a enlevé et enlève encore tous les droits, et se donne à elle-même des privilèges qui la différencient nettement de la masse grise des prolétaires russes.
Aussi sa conscience n’est-elle pas une conscience ouvrière. Elle est intéressée à l’exploitation et cet intérêt est déterminant pour la formation de ses conceptions. Elle reste farouchement opposée à toutes les forces de la société qui propagent la suppression réelle de l’exploitation. Par ceux-ci elle se sent menacée dans ses privilèges et ne recule devant rien pour détruire cet ennemi. Toutes ses forces tendent vers P extension des privilèges obtenus au cours des années passées et vers la liquidation de tout ce qui reste de la révolution d’octobre, les restes humains y compris.
Pour pouvoir tirer de la chair des prolétaires toute la masse gigantesque de plus value nécessaire à 1’édification et à la reconstruction de l’économie russe il a fallu créer toute une armée d’aboyeurs, de surveillants et de garde-chiourmes.
C’est à un processus de libération que nous avons assisté en URSS ces derniers temps, libération non pas des masses populaires, mais de la structure économique qui ne pouvait plus supporter la vieille coque politique. Les lois de la société basée sur l’exploitation s’imposèrent du moment où le dernier trou qu’ était 1’absence d’une couche assumant clairement et nettement la fonction de classe exploiteuse, fut bouché. La constitution définitive de cette classe est l’essentiel du développement de l’URSS en ces dernières années. Qui ne comprend pas ces choses sera incapable de comprendre tout ce qui se déroule et se déroulera en URSS.
L’URSS est devenue définitivement un pays capitaliste. Toutes les forces de la vie y ont un caractère capitaliste.
Le chemin d’octobre à février a été parcouru sans que ce soit cependant un chemin de retour. En URSS, les prolétaires trop faibles pour organiser en tant que classe la production au nom de la société tout entière, ont dû céder la place au parti qui ne pouvait agir autrement que comme représentant d’intérêts particuliers. Ce parti a fait ce qu’ailleurs ont accompli les capitalistes privés, il a développé les moyens de production et continue à les développer jusqu’ à la limite historique; le parti prit sur lui le rôle historique de la bourgeoisie et devait dégénérer sous cette forme.
Accomplissant un rôle progressif, il a poussé en avant la roue de l’histoire et vient d’arriver maintenant à un point que la bourgeoisie des autres pays a déjà atteint depuis longtemps. Il commence à devenir un obstacle sur le chemin du développement de l’URSS sous n’importe quelle forme humaine.
Il n’y a pas lieu ici de disqualifier moralement les personnes qui ont tenu le gouvernail ; il faut comprendre que toute personne, toute puissance qui à la place des personnes d’aujourd’hui aurait tenu le gouvernail eût subi le même dévelop­pement.

II. Les forces sociales en URSS
L’aspect de l’économie agraire
Malgré toutes les mesures prises, la différen­ciation des conditions de vie entre la couche dirigeante et le prolétariat, au cours du premier plan quinquennal, n’a pu atteindre son plein épanouissement. La bureaucratie avait encore besoin du prolétariat pour réaliser sa campagne de conquête de la paysannerie. Pour pouvoir consolider sa position dans l’industrie, la bureaucratie devait s’assurer une influence prépondérante sur le secteur agraire de l’économie russe. L’anarchie de la production paysanne commençait, en effet, à menacer le développement de toute l’économie et par cela la couche dirigeante. L’introduction de nouvelles méthodes de production plus perfectionnées était depuis longtemps une nécessité historique pour l’économie agraire russe. Tout autre gouvernement aurait été obligé un jour ou l’autre de les introduire. D’abord pour pouvoir nourrir à meilleur marché ses salariés, et puis pour enrichir le marché intérieur, d’un nouveau débouché.
La bureaucratie proclama la collectivisation des biens ruraux et la réalisa « au nom du communisme ». Sans cela, elle n’aurait pu mobiliser pour son œuvre des forces proléta­riennes supplémentaires. On sait quelle résistance désespérée la collectivisation rencontra de la part des paysans, résistance que le gouvernement n’aurait pu briser en ayant dans le dos un prolétariat hostile.
Pour pouvoir « au nom du communisme » arracher l’entreprise du paysan à son ancienne forme féodale d’organisation et de production, et pour pouvoir l’incorporer comme partie homogène dans le système général de son capitalisme, il fallait faire au nom de ce même « communisme » certaines concessions au prolétariat malgré les intérêts fondamentalement opposés. Pour avoir une idée de l’âpreté de la lutte pour la collectivisation, il suffit de se rappeler qu’elle a conduit à l’émigration de dizaines de milliers de paysans et à la déportation de centaines de milliers d’autres. Pour aider la campagne à sortir de sa situation arriérée, il fallait l’anéantir avec l’aide d’ouvriers armés croyant gagner ainsi la campagne au socialisme. Ils ont ainsi anéanti les derniers restes du féodalisme et du capitalisme privé libre et frayé un chemin pour un contrôle efficace de la bureaucratie sur la collectivité paysanne.
Jusqu’alors les petites entreprises existantes étaient dans une large mesure indépendantes de l’industrie et par conséquent des dirigeants de celles-ci. Les paysans n’avaient pas de besoin qui aurait pu les lier fermement à l’industrie. Il fallait donc les arracher de cet isolement à tout prix, en créant même par force de tels besoins. D’autre part, on ne pouvait songer à une augmentation de productivité agricole sans 1’introduction des moyens industriels modernes comme tracteurs, batteuses, combinés, etc.
Aujourd’hui, ce processus est déjà en grande partie accompli : 87 % de la surface cultivée ont été cette année gérées collectivement, environ 300 000 tracteurs sont en usage, le nombre des machines plus compliquées (tracteurs combinés) s’élève à des dizaines de milliers. L’économie rurale est profondément modifiée, et par cela aussi, son rapport envers les autres parties de l’économie russe.
Les obligations et les dettes des « paysans collectifs » envers l’Etat sont immenses. Leur isolement est brisé, chaque jour ils deviennent plus conscients de leur dépendance de l’Etat. Les paysans sont sous l’influence de la politique des prix du gouvernement et les instituts de crédit ont la possibilité d’exercer sur eux une pression constante. L’an dernier, on a remarqué une tendance très nette de la part du gouverne­ment soviétique à ne plus vendre aux collectivités les grands moyens de production, mais à les louer. Dans ce but, on a créé à la campagne quelques milliers de stations « de tracteurs et de machines »‘. Ceci indique l’étendue de l’influence, et des possibilités que la bureaucratie s’est créée dans ce secteur et qu’elle développera encore.
La collectivisation qui a fait disparaître complètement la « commune » paysanne a créé comme nouvelle forme l’organisation rurale « l’artel », association pas trop rigide de propriétaires des moyens de production. Il y a une certaine ressemblance entre les coopératives agricoles telles qu’on les rencontre dans l’occident, et surtout dans les pays Scandinaves et les « artels »; mais dans les artels ce ne sont pas seulement les batteuses ou les laiteries qui servent pour les besoins communs, mais toutes les machines, édifices, et une grande partie des terres.
Si un tel artel paraît à première vue quelque chose de socialiste, dès qu’on y regarde déplus près, on trouve la marque incontestable du capitalisme. Si le socialisme signifie tout d’abord la disparition de tout droit de propriété, l’artel créé précisément une nouvelle forme de droit de propriété. L’inégalité des droits de propriété en naît nécessairement et avec elle 1’inégalité des conceptions, des buts et des intérêts des individus qui y appartiennent.
En plus de cela, existe dans l’artel le travail salarié qui règle les rapports des membres entre eux. Les salariés sont payés non seulement d’après la quantité de travail fournie, mais aussi d’après sa qualité. Par dessus le marché, l’artel peut employer des ouvriers comme simples salariés qui n’ont pas d’autres droits. L’artel peut donc fonctionner comme exploiteur. Pour devenir membre de l’artel, il faut pouvoir apporter des biens qui paraissent suffisants à la majorité des membres de l’artel.
Si l’artel estime forme socialiste d’organisation, il présente cependant une forme bien supérieure à l’ancienne. L’artel permet par l’emploi des machines une rationalisation du travail et une augmentation sensible de la productivité agricole ; par cela même, il augmente la part de chacun dans le profit. C’est ce dernier fait, d’ailleurs, qui a rendu l’artel « populaire », malgré la méfiance que les paysans lui ont manifesté au début.
Pour le marxiste il est clair que toutes ces mesures doivent nécessairement aboutir à la disparition de la paysannerie et que leur position s’approche de plus en plus de celle des ouvriers. Pour le moment, les paysans ne semblent pas apercevoir les nouveaux changements de la situation, ils ne voient que le côté superficiel, les profits accrus, et accueillent favorablement la nouvelle forme ou ne s’y opposent pas. Ce dernier fait est d’une importance capitale et ne doit pas être perdu de vue lors d’un examen de la situation russe.
Du moment où la bureaucratie peut prendre en considération la paysannerie comme base de masse, elle devient indépendante du prolétariat. De ce moment elle a la possibilité de jouer sur les intérêts opposés des deux classes. Et personne ne peut affirmer qu’elle a délaissé cette chance. Au contraire, depuis « la victoire complète de la collectivisation », toute sa politique intérieure et extérieure porte ce caractère. Avec les prolétaires contre les paysans, avec le paysan contre le prolétaire, la bureaucratie russe emploie tour à tour ces deux moyens pour consolider son pouvoir.
Vous avons donc à faire aujourd’hui en URSS, « à la rentrée dans la société sans classes », au moins à trois classes qui diffèrent entre elles très nettement par le rapport qui les lie aux moyens de production. Les prolétaires n’ont aucun droit de propriété sur le produit de leur travail ni sur les moyens de production. Droit collectif de propriété contrôlé par l’État, caractérise le mieux la classe paysanne. La bureaucratie, sommet de la hiérarchie régnante possède et domine, d’une façon anonyme et collective tous les moyens industriels de production et ne laisse échapper aucune occasion pour soumettre à son entière domination l’économie rurale.
Cette différenciation crée chaque jour une différenciation dans la façon de vivre et dans l’idéologie, des trois catégories. Le Prolétariat, pauvre et exploité, est intéressé à voir disparaître l’exploitation et ses bases matérielles.
Les paysans exigent une aggravation de l’exploitation des ouvriers en même temps qu’une réduction des prix sur les produits industriels et demandent une adaptation de l’économie russe aux nécessités de leur forme de production.
La bureaucratie assise sur la nuque des deux presse tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ; et est toujours intéressée à tirer profit des deux couches, toujours intéressée à rester couche dominante.