Sail Mohamed
Ameriane ben Amerzaine est né le 14 octobre 1894 à Tarbeit-Beni-Ouglis, en
Kabylie.
Comme beaucoup d’Algériens
d’alors il fut très peu scolarisé. Chauffeur-mécanicien par nécessité, toute sa
vie il fut assoiffé de culture et fit beaucoup d’effort pour s’auto-éduquer. D’une
famille berbère musulmane il devint un athée convaincu. Pendant le Première
guerre mondiale il fut interné pour insubordination et désertion de l’armée
française. Ses sympathies pour l’anarchisme se développaient déjà.
A la fin de la
guerre, avec la reconstruction du mouvement anarchiste, il rejoignit l’organisation
Union anarchiste (UA). En 1923, avec son ami Sliman Kiouane, un chanteur, il
fonda le Comité de Défense des Indigènes Algériens. Dans ses premiers articles
il dénonça la pauvreté de la population colonisée et l’exploitation coloniale.
Il devint un expert de la situation nord-africaine. Il organisait des réunions
en langues Arabe et Française avec les groupes anarchistes du 17ème
arrondissement de Paris sur le thème de l’exploitation des nord-africains. Sail
créa un groupe anarchiste à Aulnay-sous-Bois et devint un de ses militants les
plus impliqués.
L’Eveil Social
En janvier 1932, il devint le responsable légal de l’Eveil Social. A la suite d’un article anti-militariste il fut traduit en justice pour « provocation à la désobéissance militaire ». Le Secours Rouge International, une organisation satellite du Parti communiste, lui apporta son soutien, soutien qu’il rejeta au nom de victimes du stalinisme.
En janvier 1932, il devint le responsable légal de l’Eveil Social. A la suite d’un article anti-militariste il fut traduit en justice pour « provocation à la désobéissance militaire ». Le Secours Rouge International, une organisation satellite du Parti communiste, lui apporta son soutien, soutien qu’il rejeta au nom de victimes du stalinisme.
En 1934, l’ « Affaire
Sail Mohamed » éclata. La manifestation des Ligues antisémites et fascistes
du 6 février 1934 provoqua une réaction en chaine à travers le mouvement
ouvrier. Said récolta des armes et les cacha. Le 3 mars il fut arrêté pour « port
d’armes prohibées ». Le mouvement ouvrier lui apporta alors tout son
soutien, à l’exclusion du Parti Communiste, qui le dénonça comme agent
provocateur. Condamné à un mois de prison, puis un autre mois de plus pour « détention
d’armes de guerre », il finit par rester quatre mois en prison. Libéré, il
reprit la lutte.
L’Eveil Social
fusionna avec Terre Libre (le mensuel de l’Alliance Libre des Anarchistes du Midi
de Paul Roussenq). Sail avait la charge de la version nord-africaine de Terre
Libre. Il tenta d’établir un Groupe Anarchiste des Indigènes Algériens, sous
différentes appellations dans la presse anarchiste. En même temps il continua à
être actif au sein de l’Union anarchiste.
L’Espagne
A la suite du coup d’Etat franquiste en Espagne, Sail rejoignit le groupe Sébastien Faure, section francophone de la milice anarchiste « Colonne Durruti » en septembre 1936 et finit par en être le commandant. Blessé à la main en novembre 1936, il retourna en France après avoir diffusé de nombreuses lettres décrivant la situation du mouvement anarchiste espagnol.
A la suite du coup d’Etat franquiste en Espagne, Sail rejoignit le groupe Sébastien Faure, section francophone de la milice anarchiste « Colonne Durruti » en septembre 1936 et finit par en être le commandant. Blessé à la main en novembre 1936, il retourna en France après avoir diffusé de nombreuses lettres décrivant la situation du mouvement anarchiste espagnol.
Après que sa
blessure fut guérie, il prit part à de nombreuses mobilisations concernant la
situation espagnole avec l’Union anarchiste. Immédiatement après cette série de
mobilisations il participa à un meeting par des organisations révolutionnaires
à Paris pour protester contre la censure de l’Etoile Nord-Africaine, édité par
Messali Hadj, et contre la répression des manifestations en Tunisie qui firent
en tout au moins 16 morts. Encore une fois il fut arrêté pour « provocation
de l’armée » et fut condamné à 18mois de prison en décembre 1938.
Au début de la
Seconde Guerre mondiale il fut de nouveau arrêté et envoyé au camp de
concentration de Riom. Sa grande bibliothèque fut détruite après un raid policier.
Il s’échappa alors, s’établit de faux papiers et entra dans la clandestinité
pendant tout el temps de l’Occupation.
A partir de 1944
il oeuvra, avec d’autres, à la reconstruction du mouvement anarchiste. A la Libération
il créa de nouveau le groupe d’Aulnay-sous-Bois, et essaya de reformer le
Comité des Anarchistes Algériens. Dans Le
Libertaire il écrivit un éditorial sur la situation en Algérie. Il publia
également une série d’articles sur la « Cavalerie des Indigènes Algériens ».
Il décéda en avril
1953. Le communiste libertaire George Fontenis lui rendit hommage au nom du
mouvement anarchiste lors de ses funérailles le 30 avril 1953.
Traduction
Contre Capital d’un article du journal anarchiste Organise! #58.
***
"La mentalité kabyle",
par Mohamed SAÏL
Paru dans Le Libertaire n° 257, 16 février 1951.
par Mohamed SAÏL
Paru dans Le Libertaire n° 257, 16 février 1951.
A maintes occasions, j’ai parlé dans ces colonnes du tempérament
libertaire et individualiste caractérisé de mes compatriotes berbères
d’Algérie . Mais aujourd’hui, alors que la caverne d’Ali Baba
d’outre-mer craque et croule, je crois utile d’affirmer, contre tous les
pessimistes professionnels ou les rêveurs en rupture de places
lucratives que l’Algérie libérée du joug colonialiste serait
ingouvernable au sens religieux, politique et bourgeois du mot. Et je
mets au défi toutes les canailles prétendant à la couronne d’apporter la
moindre raison valable et honnête à leurs aspirations malsaines, car je
leur oppose des précisions palpables et contrôlables, sans nier
cependant que leur politique a quelque succès quand il s’agit d’action
contre le tyran colonialiste.
Il faut voir l’indigène algérien, le Kabyle surtout, dans son
milieu, dans son village natal et non le juger sur son comportement
dans un meeting, manifestant contre son ennemi mortel : le
colonialisme.
Pour l’indigène algérien, la discipline est une soumission
dégradante si elle n’est pas librement consentie. Cependant, le Berbère
est très sensible à l’organisation, à l’entraide, à la camaraderie
mais, fédéraliste, il n’acceptera d’ordre que s’il est l’expression des
désirs du commun, de la base. Lorsqu’un délégué de village est désigné
par l’Administration, l’Algérie le considère comme un ennemi.
La religion qui, jadis, le pliait au bon vouloir du marabout, est en
décadence, au point qu’il est commun de voir le représentant d’Allah
rejoindre l’infidèle dans la même abjection. Tout le monde parle encore
de Dieu, par habitude, mais. en réalité plus personne n’y croit. Allah
est en déroute grâce au contact permanent du travailleur algérien avec
son frère de misère de la métropole, et quelques camarades algériens
sont aussi pour beaucoup dans cette lutte contre l’obscurantisme.
Quand au nationalisme que j’entends souvent reprocher aux Algériens,
il ne faut pas oublier qu’il est le triste fruit de l’occupation
française. Un rapprochement des peuples le fera disparaître, comme il
fera disparaître les religions. Et, plus que tout autre, le peuple
algérien est accessible à l’internationalisme, parce qu’il en a le goût
ou que sa vie errante lui ouvre inévitablement les yeux. On trouve des
Kabyles aux quatre coins du monde ; ils se plaisent partout,
fraternisent avec tout le monde, et leur rêve est toujours le savoir,
le bien-être et la liberté.
Aussi, je me refuse à croire que des guignols nationalistes puissent
devenir un jour ministres ou sultans dans le dessein de soumettre ce
peuple, rebelle par tempérament.
Jusqu’à l’arrivée des Français, jamais les Kabyles n’ont accepté de
payer des impôts à un gouvernement, y compris celui des Arabes et des
Turcs dont ils n’avaient embrassé la religion que par la force des
armes. J’insiste particulièrement sur le Kabyle, non pas parce que je
suis moi-même Kabyle, mais parce qu’il est réellement l’élément dominant
à tout point de vue et parce qu’il est capable d’entraîner le reste du
peuple algérien dans la révolte contre toute forme de centralisme
autoritaire.
Le plus amusant de l’histoire, c’est que la bande des quarante
voleurs ou charlatans politiciens nous représente le nationalisme
d’outre-mer sous la forme d’une union arabe avec l’emblème musulman et
avec des chefs politiques, militaires et spirituels à l’image des pays
du Levant. J’avoue que le dieu arabe de nos sinistres pantins
d’Algérie a bien fait les choses, puisque la guerre judéo-arabe nous
révéla que les chefs de l’islamisme intégral ne sont rien d’autre que de
vulgaires vendus aux Américains, aux Anglais, et aux Juifs eux-mêmes,
leurs prétendus ennemis. Un coup en traître pour nos derviches
algériens, mais salutaire pour le peuple qui commence à voir clair.
Pensez donc, un bon petit gouvernement algérien dont ils seraient
les caids, gouvernement bien plus arrogant que celui des roumis, pour la
simple raison qu’un arriviste est toujours plus dur et impitoyable
qu’un "arrivé" ! Rien à faire, les Algériens ne veulent ni de la peste,
ni du choléra, ni d’un gouvernement de roumi, ni de celui d’un caid.
D’ailleurs, la grande masse des travailleurs kabyles sait qu’un
gouvernement musulman, à la fois religieux et politique, ne peut
revêtir qu’un caractère féodal, donc primitif. Tous les gouvernements
musulmans l’ont jusqu’ici prouvé.
Les Algériens se gouverneront eux-mêmes à la mode du Village, du
douar, sans députés ni ministres qui s’engraissent à leurs dépens, car
le peuple algérien libéré d’un joug ne voudra jamais s’en donner un
autre, et son tempérament fédéraliste et libertaire en est le sûr
garant. C’est dans la masse des travailleurs manuels que l’on trouve
l’intelligence robuste et la noblesse d’esprit, alors que la horde des
"intellectuels" est, dans son immense majorité, dénuée de tout sentiment
généreux.
Quant aux staliniens, ils ne représentent pas de force, leurs membres
se recrutent uniquement parmi les crétins ou déchet du peuple. Car
l’indigène n’a guère d’enthousiasme pour se coller une étiquette, qu’elle
soit mensongère ou superfasciste.
Pour les collaborateurs, policiers, magistrats, caïds et autres
négriers du fromage algérien, leur sort est réglé d’avance : la corde,
qu’ils valent à peine.
Pour toutes ces raisons, mes compatriotes doivent-ils être
considérés comme d’authentiques révolutionnaires frisant l’anarchie ?
Non, car s’ils ont le tempérament indiscutablement fédéraliste et
libertaire, l’éducation et la culture leur manquent, et notre
propagande, qui est cependant indispensable à ces esprits rebelles,
leur fait défaut
C’est ce pourquoi oeuvrent nos compagnons anarchistes de la fédération nord-africaine.