Une
organisation communiste-libertaire française titrait sans rire à propos de la
farce-référendum britannique : « Brexit : L’Europe
capitaliste en échec ». On est resté sans voix rien qu’à la lecture de
ce pitoyable titrage de l’auto-persuasion gauchiste encore une fois à coté de
la plaque. Espérons que les dernières lubies exprimées dans la presse de cette
organisation ne reflète que les pensées d’une infime minorité, mais entre
idéologie du blocage forcenée (« Tout bloquer devient vital ») et
soutien aux jaunes sectaires (« Syndicats des travailleurs corses :
laissons les salarié-e-s juger ») le site internet de ce groupe détient en
ce moment la palme de la débilité gauchiste sur le web (étant données les
dernières sorties de « Servir le peuple » et du Npa cela relève
d’ailleurs de l’exploit). En attendant que certaines tendances de cette
organisation publient des textes contradictoires il n’en reste pas moins que
seule l’indigence s’exprime pour l’instant. Ainsi « l’Europe capitaliste a
été en échec ». C’est vrai qu’un référendum suffit à mettre le capitalisme
en échec, il fallait vraiment y penser. Et puis surtout se réduire à penser que
le capitalisme « britannique » ne s’accommoderait que d’une
interaction avec le capitalisme euro-unioniste révèle une ignorance des différentes
tendances contradictoires qui traversent le Capital outre-manche.
Un coupable idéal : le
méchant Grand Capital
A la lecture de l’article dans son intégralité
on remarque une chose : ce texte est victime de la pathologie
« Grand-Capital ». A l’origine de tous les maux sociaux, le Grand
Capital est le coupable idéal. Mais qu’est-ce donc que le Grand Capital ?
Les révolutionnaires n’ont jamais eu pour cible historiquement un abstrait
« grand capital » (à l’inverse de l’extrême droite) mais un mode de
production, le capitalisme, que celui-ci soit « petit »,
« moyen », « grand », « financier »,
« industriel », etc. Un rapport social formant un tout et dont il
n’est possible d’aliéner quelque partie que ce soit. On sait historiquement
comment le léninisme a infusé les intérêts de la petite bourgeoisie (ou des
tendances petite-bourgeoises de la paysannerie russe) dans le bolchévisme
opportuniste, plus près de nous le mao-poujadisme qui au plus haut de sa gloire
groupusculaire (les « années de plomb ») prenaient régulièrement
partie en faveur de la petite bourgeoisie commerçante, jusqu’au mouvement
fascisant « Bonnets rouges » qui a traîné dans son sillage,- derrière
les identitaires de l’Adsav et les énergumènes de la FNSEA (les mêmes qui,
quelques semaines plus tard, dans les mêmes marges bretonnes, iront casser la
gueule des anticapitalistes de la ZAD)- le Nouveau parti anticapitaliste ainsi
que le bidule Organisation communiste libertaire.
Le mythe d’un « vote
anticapitaliste »
Mais
suivons un peu cette logique journalistique. Le Brexit servirait les intérêts
ouvriers et non pas le capitalisme ?
Mettons même de côté l’évidence historique nous apprenant que c’est le
capitalisme souverainiste (les années de l’eurosceptique Thatcher et sa
répression du mouvement des mineurs) qui a le plus détruit la classe ouvrière
britannique. Que constate-t-on à la lecture du compte-rendu du financement de
la campagne Brexit ? La campagne a été financé à hauteur de £
2 099 747 pour le Brexit (seulement … £ 143 de plus pour le
« Remain »). Selon leurs intérêts les capitalistes ont soutenu le
souverainisme ou le libre-échange européen. Regardons de plus près.
Parmi
les financements du Brexit on trouve ainsi :
- Brexit Express - £145,796
- Democracy Movement - £422,807
- Global Britain Limited - £233,329
- Grassroots Out Ltd - £47,500
- Labour Leave Limited - £85,000
- Mr Darren Grimes - £675,315
- Muslims for GB Limited - £10,000
- The Bruges Group - £10,000
- Trade Unionists Against The European Union - £20,000
- Vote Leave Limited (designated lead campaigner) - £450,000
Premièrement
en décortiquant la provenance du financement on remarque par exemple que le
financier Peter Hargreaves est le plus gros donateur individuel pour … Leave.eu.
Deuxièmement là où il y a du « financement » il y a du Capital, et ce
capital a été distribué aussi bien pour le Remain que pour le Leave.
Le mythe du « vote de
classe »
« C’est un vote de classe sans appel qui vient d’infliger un sévère KO aux élites
de la bourgeoisie européenne, capitaliste et ultra-libérale. » On a souligné
nous-mêmes le terme de classe, tant il est à côté de la plaque. Il n'y a pas de vote de classe :
1. Un « vote » puisse
avoir un caractère de classe, un référendum sur le mode d’exploitation
bourgeois, « souverainiste » ou « euro-unioniste », au choix,
n’est pas un objectif prolétarien. De surcroît le pouvoir n’organiserait
nullement un référendum si l’issue de celui-ci ne servirait une des deux
tendances principales de la bourgeoisie britannique.
2. Ce n’est donc pas la classe
ouvrière qui a voté en tant que tel
et pour ses intérêts, mais des ouvriers isolément, reliés par la fausse
conscience chauvine.
La question du libre échange
« Les perdants de la mise en concurrence exacerbée de tous contre
tous ont pris leur revanche. » On est là clairement dans l’illusion xénophobe du travailleur détaché
comme « armée de réserve du capitalisme », à mots couverts. On oublie
juste de préciser que les perdants de cette « concurrence » ont été aussi
des « entrepreneurs » britanniques desservis par un manque de
maîtrise légale et logistique. Et que ceux-ci ont trouvé dans le Brexit la
défense des intérêts de leurs entreprises à l’intérieur du marché national.
Dans le Brexit on trouve même un financement dont les fonds proviennent du
Capital en libre-échange avec le Commonwealth colonial.
« Une partie des travailleurs et
travailleuses du Royaume-Uni ont exprimé un vote de rejet sans perspectives
alternatives claires. » Vraiment ? Pourtant on pouvait penser à
la lecture de cet article décidément très brouillon et contradictoire que la
perspective était de mettre « le capitalisme en échec ». On nous
aurait donc menti ? Finalement ce serait bien une alliance entre un
électorat ouvrier chauvin et des intérêts bourgeois ?
La bourgeoisie britannique n’a pas organisé un coûteux référendum pour ou
contre la « mise en échec du capitalisme » mais pour un « choix »
capitaliste : d’un coté le camp souverainiste et ses alliés du
libre-échange avec les Etats-Unis et le Commonwealth, de l’autre coté le camp
du libre-échange euro-unioniste.
Un souverainisme très … libéral
« Là-bas comme ici, les
politiques d’austérité menées par les gouvernements de gauche comme de droite
ont brisé les repères, mais, curieusement, aucun média n’évoque la campagne
pour un Brexit de gauche et internationaliste (« Left exit », ou Lexit), portée
par l’extrême-gauche et le très combatif syndicat des transports, le RMT
(80.000 adhérent.es). » Deux choses : d’une part l’amnésie
militante, aveuglée ici par l’inconscient dogmatique de l’analyse immédiate,
oublie que c’est la tendance capitaliste du souverainisme qui a liquidé historiquement toute
forme de résistance ouvrière sous le règne de l’eurosceptique Thatcher, d’autre
part que d’identifier le « Left exit » avec la classe ouvrière
anglaise est plus digne d’une interprétation bolchévique (« la classe
c’est l’Organisation de la classe ») que de la démonstration de l’autonomie
ouvrière. Pour ce qui est d’une interprétation « internationaliste »
du « Lexit », confondre le vernis publicitaire avec la pratique
réelle de ses composantes confine encore à la plus crasse des manipulations.
Ajoutons à cela que le trader qui a grassement financé Leave.eu, déclarait
savourer l’insécurité économique qu’allait engendrer le Brexit et pour enfoncer
le clou de son « libéralisme »
concluait par « l’insécurité c’est fantastique ».
« A nous de convaincre qu’il n’y
pas d’issue de secours nationaliste et xénophobe mais que l’alternative
autogestionnaire se construira dans les luttes vers une société libérée du
capitalisme. » Mais l’alternative autogestionnaire (nationale ou
générale ? on commence à craindre un dérapage là) ne peut pas naître sous
la bannière de la fausse conscience,
et c’est bien l’issue de secours nationaliste-libérale, attelage logique
d’hooligans xénophobes et de millionnaires libéraux, qui l’a emporté.
Ouvriérisme caricatural et dérive xénophobe
Tandis qu’une poignée de gauchistes et libertaires français ignorant tout de
la situation locale se posait en donneurs de leçon, une bonne partie des
groupes révolutionnaires anglais comprenait le danger de la mise à flot de
cette fange souverainiste, tout en maintenant leur opposition à
l’euro-unionisme.
Cet exemple est significatif de la dérive chauvine d’une grande partie des
gauchistes et des libertaires. Tout d’abord on a le droit à l’ouvriérisme
caricatural de ces milieux militants. Sans comprendre que la classe ouvrière
anglaise ne se réduit pas aux stéréotypes bruyants et désormais minoritaires,
qui ont été étalé publicitairement par la presse bourgeoise classiste, mais
plus largement encore il convient de rappeler que si une grande partie de la
classe ouvrière britannique est « desservie » par la
libre-concurrence , une autre partie, dans d’autres secteurs de l’économie
moderne britannique « en profite » (en terme de « chance »
d’accès à l’exploitation salariale face à la « concurrence » de la
main d’œuvre européenne – voir en ce sens également la sortie xénophobe du
leader du Parti de gauche), et prendre partie pour l’une ou l’autre c’est se
leurrer sur les capacités des solutions, souverainiste ou de libre-échange, à
apporter quoi que ce soit à la classe ouvrière britannique. Confondre à ce
point « libéralisme » et « libre-échange » illustre encore
une fois l’indigence conceptuelle d’une grande partie de la militance gauchiste
et libertaire.
Encore une fois, ici, la mécanique gauchiste est à l’œuvre pour plier le
réel à ses fantasmes. C’est cette même mécanique qui, plus proche de nous
géographiquement, à conduit une partie de ces misérables troupes à soutenir le
petit patronat fascisant du mouvement « Bonnets rouges » en Bretagne,
où l’on retrouvait exactement les mêmes ingrédients : souverainisme local,
alibi ouvriériste caricatural et alliance de classes.